Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 2, Février 2025
Chroniques génomiques
Page(s) 187 - 189
Section Forum
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025017
Published online 03 March 2025

© 2025 médecine/sciences – Inserm

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Un tableau catastrophique

Au bout de près de quarante années d’efforts, d’avancées techniques majeures, de grands espoirs mais aussi de désillusions sévères et d’accidents dramatiques, la thérapie génique devient une réalité. Le développement des thérapies utilisant le système CRISPR/Cas9 pour modifier ex vivo ou même in vivo de manière efficace et précise un gène [1,2] () rend possible une approche modulaire dans laquelle il suffit de modifier la séquence de l’ARN guide (qui dirige l’enzyme Cas vers sa cible sur l’ADN à modifier) pour cibler un nouveau gène, multipliant ainsi les possibilités d’intervention génique [3] ().

(→) Voir m/s n° 10, 2021, page 933 et n° 8-9, 2023, page 589

(→) Voir m/s n° 8-9, 2024, page 677

Dès aujourd’hui, une vingtaine de traitements s’adressant à des maladies génétiques rares ou très rares ont été approuvés aux Etats-Unis après des essais cliniques concluants [4]. La plupart sont commercialisés, du moins outre-Atlantique, et une partie en Europe. Mais les tarifs annoncés sont exorbitants [5] (), souvent supérieurs au million de dollars américains par patient (sans compter les frais d’hospitalisation), ce qui les met hors de portée de la grande majorité des malades et/ou impossibles à prendre en charge par les systèmes de santé socialisés de type Européen. Une étude prospective récente [6] estime le coût prévisionnel des thérapies géniques, pour les seuls Etats-Unis, à environ vingt milliards de dollars par an (Figure 1).

(→) Voir m/s n° 2, 2023, page 187

thumbnail Figure 1

Une vision très schématique (mais parlante !) de la thérapie génique (https://kffhealthnews.org/news/).

Et pourtant, les entreprises qui se sont lancées dans cette voie ne sont pas florissantes, loin de là : Bluebird Bio (Sommerville, Massachussets), une des firmes pionnières qui a à son actif des traitements pour la drépanocytose, pour la béta-thalassémie et pour l’adrénoleucodystrophie, est dans une situation désespérée1 : ses actions, qui valaient plus de cent dollars il y a quelques années, sont tombées aujourd’hui à 36 centimes. Les firmes fondées par les découvreurs du système CRISPR/Cas9 pour l’application de cette approche d’édition du génome à la thérapie génique ne vont guère mieux : Caribou Biosciences (Jennifer Doudna), Editas Medicine (Fan Zhang, George Church), et CRISPR Therapeutics (Emmanuelle Charpentier) réduisent leurs programmes et licencient une partie de leur personnel. Il est clair que le modèle classique du développement de médicaments ne fonctionne pas pour ces thérapies complexes qui s’adressent chacune à un petit nombre de patients.

Une structure et une tentative

Fondé en 2015 à l’initiative de Jennifer Doudna, l’Innovative Genomics Institute2 (IGI, UC Berkeley, Californie) est un institut sans but lucratif qui fédère des dizaines d’équipes de recherche californiennes mais dispose aussi de locaux et personnels propres pour poursuivre des travaux sur l’amélioration des technologies CRISPR/Cas 9 et pour développer leurs applications en santé humaine et en agriculture. C’est une structure importante, bien intégrée dans le dynamique paysage scientifique californien, bien financée, et qui a déjà donné naissance à de nombreuses start-up. À l’initiative de Jennifer Doudna, l’IGI a créé une task force dont le but est de définir comment rendre abordables les thérapies géniques [7]. Elle comporte une trentaine d’experts (scientifiques, économistes, juristes ), pratiquement tous Nord-Américains, répartis en quatre groupes : « Prix et accessibilité », « Fabrication et réglementation », « Propriété intellectuelle et politique de licences », « Modèles d’organisation et de financement ». Le cadre fixé est celui des thérapies géniques par CRISPR/Cas 9 ex vivo et in vivo [1,2], en se limitant à ce qui est envisageable dans le cadre de la législation États-Unienne existante, sans changement législatif majeur. Les groupes ont travaillé durant plus d’une année et ont abouti à des conclusions présentées dans un white paper librement accessible intitulé « Making genetic therapies affordable and accessible »3 [8] ainsi que dans un article publié par Nature en octobre 2024 [9]. Leur conclusion est qu’il serait possible de diviser par dix le coût des thérapies géniques CRISPR et d’arriver ainsi à des montants de l’ordre de deux cent mille dollars par patient, considérés comme acceptables (et soutenables) pour de telles thérapies lorsqu’elles sont définitivement curatrices pour des affections graves et coûteuses. L’article de Nature présente un exemple dans lequel tous les coûts sont chiffrés (y compris les intérêts du capital investi et la construction de la structure de production) et aboutit à un total par patient d’environ 250 000 dollars tout en ménageant, sur une période de sept ans (durée d’exclusivité pour les traitements de maladies rares) et pour un total de 14 000 patients, un honnête profit de deux cent millions de dollars [9].

Des leviers accessibles (en principe)

Les pistes principales sur lesquelles portent les propositions concernent les différentes étapes du développement et de l’implémentation d’une thérapie génique. Au point de départ, lors du transfert de propriété intellectuelle depuis l’équipe de recherche universitaire vers une entreprise, le rapport insiste sur la nécessité d’encourager (d’imposer ?) des contrats ménageant de larges possibilités d’accès via des licences non exclusives. Vient ensuite un ensemble de simplifications des pratiques réglementaires évitant d’avoir à repasser par toutes les étapes de validation (certification des réactifs, données précliniques…) lors, par exemple, d’un changement de site de fabrication ou même, dans le cas de thérapies modulaires [3], du ciblage d’un autre gène grâce à la modification de l’ARN guide sans changement de tout le système. Sont aussi suggérées la validation et la diffusion de protocoles de fabrication standardisés, l’organisation de la disponibilité de réactifs de base répondant aux normes GMP (Good Manufacturing Practice), et enfin la possibilité de se contenter de résultats d’essais cliniques en phase I pour des affections ultra-rares ne concernant que quelques cas sur l’ensemble de la population. En ce qui concerne la fixation du prix auquel seront commercialisés les traitements, le rapport insiste sur la nécessité de s’affranchir des devoirs dus aux actionnaires (shareholder responsibility : maximiser les profits), en optant plutôt pour des structures de type partenariat public/privé, et dénonce les défauts du value-based pricing (fixation du tarif par rapport au meilleur traitement existant4) qui aboutit à figer des tarifs très élevés et sans rapport avec le coût réel de la thérapie. Il s’appuie pour cela sur les exemples réussis de structures atypiques déjà expérimentées pour des affections rares ou négligées [10]. Au total, on a là un ensemble cohérent de mesures non utopiques qui devraient permettre de rendre les thérapies géniques raisonnablement accessibles, même si, à l’évidence, ce ne seront jamais des traitements bon marché !

Une nécessité pour concrétiser les promesses de la thérapie génique

En dehors même du cas particulier des Etats-Unis où le système de financement des soins médicaux est si dysfonctionnel qu’il a récemment suscité un attentat mortel contre le PDG d’une importante firme d’assurances médicales5, le coût de traitements de plus en plus sophistiqués pose à l’évidence un problème, y compris dans les pays les plus riches. Les thérapies géniques sont l’exemple le plus frappant de cette « médecine de précision » parfois très efficace mais souvent inabordable. L’Innovative Genomics Institute n’est bien sûr pas le seul à réfléchir à l’accessibilité de ces approches. Au Canada, le réseau canadien d’immunothérapie a non seulement étudié la question mais effectivement mis en place une plate-forme qui rend accessible les traitements par cellules CAR-T à un coût de l’ordre de cinquante mille dollars, très inférieur aux tarifs des entreprises6. En Europe, un consortium appelé AGORA a été formé avec le même objectif [11,12]. En France, l’AFM et son laboratoire Généthon ont suscité la création d’une start-up, Yposkesi, destinée à faciliter l’implémentation des thérapies géniques, notamment par la mise à disposition de vecteurs bien caractérisés et validés7. On peut espérer que, malgré les obstacles règlementaires et l’opposition des bénéficiaires du système actuel, ces efforts aboutissent à faire redescendre les prix des thérapies géniques des hauteurs stratosphériques actuelles et permettent ainsi de réaliser effectivement les promesses de la thérapie génique.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


4

Par exemple, fixer le prix d’une thérapie génique pour l’hémophilie par rapport au coût (très élevé) d’un traitement à vie par des facteurs de coagulation.

5

Le PDG de United Healthcare (51 millions d’assurés) a été assassiné le 4 décembre 2024 par Luigi Mangione, un malade insatisfait de la prise en charge de ses traitements par la compagnie d’assurance.

Références

  1. Jordan B. Édition de gènes in vivo et thérapie génique Med Sci (Paris) 2021 ; 37 : 933–5. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Chneiweiss H. Premiers succès et nouveaux enjeux de l’édition du génome en thérapeutique humaine. Med Sci (Paris) 2023 ; 39 : 589–90. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Jordan B. Thérapie génique in vivo : une approche modulaire. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 677–9 [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Center for Biologics Evaluation and Research. Approved cellular and gene therapy products. FDA, 21 Nov. 2024. https://www.fda.gov/vaccines-blood-biologics/cellular-gene-therapy-products/approved-cellular-an-gene-therapy-products [Google Scholar]
  5. Jordan B. Une thérapie très attendue et un prix exorbitant ! Med Sci (Paris) 2023 ; 39 : 187–90 [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Wong CH, Li D, Wang N, et al. The estimated annual financial impact of gene therapy in the United States. Gene Ther 2023 : 30 : 761–73 [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Witkowsky L, Norstad M, Glynn AR, Kliegman M. Towards affordable CRISPR genomic therapies: a task force convened by the Innovative Genomics Institute Gene Ther 2023 ;30 : 747–52. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. The Innovative Genomics Institute (2023). Making genetic therapies affordable and accessible. [white paper]. https://innovativegenomics.org/making-genetic-therapies-affordable-and-accessible/ [Google Scholar]
  9. Kliegman M, Zaghlula M, Abrahamson S, et al. A roadmap for affordable genetic medicines. Nature 2024 ; 634 : 307–14 [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  10. Dredge C, Scholtes S. The health care utility model: a novel approach to doing business. NEJM Catalyst (8 July 2021). https://catalyst.nejm.org/doi/full/10.1056/CAT.21.0189 [Google Scholar]
  11. Fox T, Bueren J, Candotti F, et al., AGORA Initiative. Access to gene therapy for rare diseases when commercialization is not fit for purpose. Nat Med 2023 ;29 :518–9 [Google Scholar]
  12. Fox TA, Booth C. Improving access to gene therapy for rare diseases. Dis Model Mech 2024 ; 17 : doi: 10.1242/dmm.050623 [PubMed] [Google Scholar]

Liste des figures

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Une vision très schématique (mais parlante !) de la thérapie génique (https://kffhealthnews.org/news/).

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