Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 2, Février 2025
Page(s) 133 - 135
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025008
Published online 03 March 2025

Les déficits génétiques de l’immunité innée entraînent généralement une susceptibilité accrue aux infections, mais ils peuvent aussi favoriser l’inflammation, l’auto-immunité, et dans certains cas, le cancer [1]. La découverte d’une famille de maladies associées à des mutations dans les gènes codant des Rho GTPases a mis en évidence l’importance de ces protéines dans l’immunité innée [2]. Parmi ces « rhopathies », on trouve des déficits immunitaires attribués à des mutations gain-de-fonction dans le gène codant la protéine RAC2 (Rac family small GTPase 2). La présence de ces variants monoalléliques du gène RAC2 entraîne des infections fréquentes, une leucopénie, et un syndrome inflammatoire [3, 4]. Nous venons d’apporter une potentielle explication moléculaire à cette inflammation par le lien que nous avons établi entre les mutations gain-de-fonction de RAC2 et l’activation de l’inflammasome NLRP3 [5].

La Rho GTPase RAC2

Parmi la superfamille des protéines « RAS-like », 22 Rho GTPases ont été identifiées chez l’homme. Les mieux caractérisées sont Rho, RAC et CDC42 [6]. Ces protéines contribuent au contrôle dynamique du cytosquelette d’actine, mais sont également impliquées dans le cycle cellulaire, la croissance cellulaire, le métabolisme, ainsi que l’immunité innée [7, 8]. De plus, les Rho GTPases sont l’une des cibles préférentielles des facteurs de virulence microbiens, probablement en raison de leur rôle dans le contrôle des réponses immunitaires innées [9]. L’expression de la protéine RAC2, restreinte à la lignée hématopoïétique, est en faveur d’une fonction immunitaire propre à cette Rho GTPase. Comme les autres Rho GTPases, RAC2 oscille entre une forme active, liée au GTP, et une forme inactive, liée au GDP. Parmi les patients présentant différentes formes d’immunodéficience primaire associée à des mutations de RAC2, plus de 75 % ont une mutation gain-de-fonction [10].

Notre laboratoire étudie depuis de nombreuses années la toxine CNF1 (cytotoxic necrotizing factor 1) des bactéries Escherichia coli responsables d’infections urinaires. Cette toxine induit une modification post-traductionnelle de RAC2 : la déamidation de la glutamine en position 61, qui convertit cet acide aminé en glutamate (Q61E) et rend la protéine constitutivement active, capable de se lier en permanence à ses effecteurs [1113]. Nous avions précédemment montré que cette modification de RAC2 déclenchait l’activation de l’inflammasome NLRP3 [14, 15], un complexe multiprotéique dont l’assemblage permet l’activation de la caspase-1, une caspase inflammatoire responsable de la maturation et de la sécrétion de la cytokine pro-inflammatoire interleukine-1β. Nous avons recherché si les variants génétiques « gain-de-fonction » de RAC2 pouvaient également activer l’inflammasome NLRP3.

Les mutations activatrices de RAC2 présentes chez les patients activent l’inflammasome NLRP3

Certaines mutations activatrices de RAC2, telles que les mutations A59S, Q61R, E62K ou D63V, concernent la glutamine 61 (Q61) ciblée par la toxine CNF1 ou des acides aminés très proches. Nous avons d’abord vérifié que ces mutations s’accompagnent d’un gain de fonction de RAC2 en testant la liaison aux kinases PAK (P21-activated kinases), effecteurs majeurs de la forme active de la protéine. Nous avons ensuite cherché à savoir si ces mutants RAC2 pouvaient activer l’inflammasome NLRP3. Pour cela, nous avons utilisé un système de reconstitution de l’inflammasome dans une cellule non-immunitaire (HEK293T) et comparé l’effet des mutations de RAC2 à celui de la toxine CNF1. Nous avons constaté que les variants RAC2 A59S, Q61R, E62K, et D63V étaient capables de déclencher le clivage de la caspase-1 et de la pro-interleukine-1β, ainsi que la sécrétion de l’interleukine-1β mature, ce qui témoigne de leur capacité à activer l’inflammasome NLRP3. De plus, l’ajout d’inhibiteurs ciblant différents intermédiaires de la voie de signalisation RAC-PAK-NLRP3 (IPA3 pour bloquer la liaison RAC/PAK, AZ13711265 pour inhiber l’activité kinase de PAK, MCC950 pour inhiber NLRP3, et l’emricasan pour inhiber les caspases) a empêché, dans tous les cas, la sécrétion d’interleukine-1β déclenchée par les variants RAC2 A59S, Q61R, E62K, ou D63V [5].

Les mutations gain-de-fonction de RAC2 déclenchent l’activation de l’inflammasome NLRP3 dans les cellules myéloïdes circulantes des patients

La sonde fluorescente FAM-YVAD-FLICA, qui se lie à la caspase-1 active, nous a permis d’analyser l’activité de cette caspase dans les leucocytes circulants de donneurs sains et dans ceux d’un patient porteur de la mutation RAC2 E62K, par cytométrie en flux. Nous avons ainsi constaté une augmentation de l’activité globale de la caspase-1 dans les monocytes et les granulocytes du patient, mais pas dans ses lymphocytes. De plus, nous avons mesuré, dans les monocytes et les granulocytes de ce patient, un nombre accru d’inflammasomes par rapport aux témoins. Pour confirmer l’activation de l’inflammasome NLRP3 par les variants gain-defonction de RAC2, nous avons fait synthétiser ces protéines mutantes par des macrophages dérivés de monocytes de donneurs sains. Après l’ajout de lipopolysaccharide bactérien, nous avons mesuré la sécrétion d’interleukine-1β et d’interleukine-18, des cytokines liées à l’activation de l’inflammasome NLRP3. Dans ces conditions, nous avons constaté que la surexpression de tous les variants « gain-de-fonction » de RAC2 induisait une sécrétion accrue de ces cytokines [5].

Il a été montré que le clivage de la gasdermine D, induit par la caspase-1, provoquait l’oligomérisation de la gasdermine D clivée, ce qui entraîne la formation de pores dans la membrane plasmique. Or, ces pores sont impliqués dans la sécrétion d’interleukine-1β [16]. Nous avons donc recherché si la sécrétion d’interleukine-1β induite par les variants RAC2 A59S ou E62K était dépendante de la gasdermine D. Après avoir vérifié que l’expression de ces variants dans les cellules de la lignée monocytaire U937 stimulées par le lipopolysaccharide était suffisante pour déclencher la sécrétion d’interleukine-1β, et après avoir confirmé que cette sécrétion était dépendante de NLRP3 en utilisant des cellules U937 dépourvues de NLRP3, nous avons montré que la sécrétion d’interleukine-1β était effectivement moindre dans les cellules U937 mutantes privées de la gasdermine D. En utilisant des cellules U937 mutantes privées de la ninjurine-1, une protéine nécessaire à la pyroptose [17, 18], nous avons constaté que la sécrétion d’interleukine-1β induite par les variants gain-de-fonction de RAC2 n’était pas affectée, ce qui nous a permis de conclure que la mort cellulaire pyroptotique n’était pas impliquée dans ce phénomène. De plus, nous n’avons pas constaté d’augmentation significative de la mort cellulaire déclenchée par l’expression des variants RAC2 A59S ou E62K dans ces différentes lignées de cellules U937 [5].

Une analyse transcriptomique des cellules circulantes du sang d’un individu porteur de la mutation RAC2 A59S par la technique de single-cell RNA-sequencing (scRNA-seq) a montré une augmentation du nombre des monocytes classiques et non classiques, ainsi que des cellules dendritiques myéloïdes. De plus, ces cellules, à la différence des lymphocytes, synthétisaient davantage de NLRP3 et d’interleukine-1β [5].

Nous avons par ailleurs constaté une augmentation de l’activation de la caspase-1 dans les monocytes de patients porteurs de la mutation RAC2 A59S ou RAC2 E62K. Après un traitement par le lipopolysaccharide bactérien, nous avons constaté, par microscopie confocale, la colocalisation des protéines ASC (apoptosis-associated speck-like protein containing a CARD domain) et de NLRP3. De plus, l’analyse des cytokines sécrétées par les macrophages de ces patients traités par le lipopolysaccharide a montré une augmentation de la sécrétion d’interleukine-1β, qu’un traitement par l’inhibiteur de NLRP3 (MCC950) a permis d’empêcher en grande partie [5].

Perspectives

Nous avons donc montré que les variants gain-de-fonction de la protéine RAC2 présents chez les patients ayant un déficit de l’immunité innée peuvent induire un phénotype inflammatoire par une activation anormale de l’inflammasome NLRP3, ce qui contribuerait aux symptômes de la maladie (Figure 1). Il est opportun d’envisager la possibilité de traiter ces patients par des inhibiteurs de la voie de l’inflammasome RAC-PAK-NLRP3, ou même, puisque nous avons montré l’implication de la gasdermine D dans la sécrétion d’interleukine-1β déclenchée par les mutants RAC2 A59S et E62K, par un inhibiteur des gasdermines [16]. L’utilisation d’un tel inhibiteur pourrait d’ailleurs aussi être envisagée pour traiter une autre maladie auto-inflammatoire, due à une mutation perte-de-fonction de CDC42, dans laquelle l’activation anormale de l’inflammasome pyrine déclenche une sécrétion d’interleukine-1β dépendante de la gasdermine D [19, 20].

thumbnail Figure 1

Représentation graphique de l’activation de l’inflammasome NLRP3 par les mutants gain-de-fonction de la protéine RAC2. Les mutations gain-de-fonction RAC2 A59S et RAC2 E62K présentes chez des personnes souffrant de déficits immunitaires induisent une activation aberrante de l’inflammasome NLRP3 dans les monocytes. Cela entraîne une sécrétion dérégulée d’interleukine-1β (IL-1β) à travers les pores membranaires créés par l’action de la gasdermine D, associée à une inflammation (figure réalisée avec le logiciel BioRender).

Enfin, il est probable que de futures études portant sur d’autres Rho GTPases révèleront aussi l’existence de variants génétiques capables d’activer d’autres inflammasomes, ce qui soulignera encore l’importance du rôle des Rho GTPases dans le déclenchement de l’inflammation et plus largement, dans la régulation de l’immunité.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

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Liste des figures

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Représentation graphique de l’activation de l’inflammasome NLRP3 par les mutants gain-de-fonction de la protéine RAC2. Les mutations gain-de-fonction RAC2 A59S et RAC2 E62K présentes chez des personnes souffrant de déficits immunitaires induisent une activation aberrante de l’inflammasome NLRP3 dans les monocytes. Cela entraîne une sécrétion dérégulée d’interleukine-1β (IL-1β) à travers les pores membranaires créés par l’action de la gasdermine D, associée à une inflammation (figure réalisée avec le logiciel BioRender).

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