Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 2, Février 2025
Page(s) 130 - 132
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025007
Published online 03 March 2025

L’activation des lymphocytes T effecteurs repose essentiellement sur la reconnaissance spécifique d’antigènes par leur récepteur T (T cell receptor, TCR). Ces cellules jouent un rôle clé dans le système immunitaire en protégeant l’organisme contre les infections et certains cancers. C’est sur cette capacité à éliminer des cellules cancéreuses que reposent de nombreuses immunothérapies anticancéreuses utilisées aujourd’hui, dont les traitements par anticorps anti-PD1 ou par cellules CAR-T (chimeric antigen receptor-T cells) [1]. Récemment, l’essor des techniques d’analyse unicellulaire a permis de révéler une hétérogénéité phénotypique et fonctionnelle au sein des populations de lymphocytes T déjà connues, remettant en question certains dogmes, notamment celui du rôle antitumoral de l’ensemble des lymphocytes T effecteurs. Un article paru récemment décrit l’existence de lymphocytes T effecteurs capables d’initier le cancer dans l’intestin [2].

Hétérogénéité des lymphocytes Th17 intestinaux

Les lymphocytes T effecteurs sont habituellement divisés en lymphocytes T exprimant CD4 (CD4+) et en lymphocytes T exprimant CD8 (CD8+). Parmi les cellules CD4+, les lymphocytes Th17, composent un groupe de cellules productrices majeures d’interleukines (IL) IL-17A/F et IL-22 [3]. Les lymphocytes Th17 sont présents dans divers organes, mais ils abondent dans l’intestin grêle, où ils constituent la majorité des lymphocytes T de la lamina propria1, et où ils assurent une protection contre les micro-organismes pathogènes (comme certaines bactéries et champignons), à la fois en maintenant l’intégrité de la barrière intestinale et en produisant une réponse immunitaire contre ces pathogènes. La production de IL-17 par ces lymphocytes favorise la jonction entre les cellules épithéliales, tandis que IL-22, par son action sur les cellules souches intestinales, stimule le renouvellement de l’épithélium et soutient la production de peptides antimicrobiens par les cellules de Paneth2 [4, 5]. Cependant, les lymphocytes Th17 peuvent contribuer aussi à certaines maladies inflammatoires intestinales, notamment la maladie de Crohn. En effet, la production de IL-17 favorise le recrutement de granulocytes neutrophiles. En association avec le facteur de nécrose tumorale TNF-α et le facteur stimulant les colonies de granulocytes et macrophages GM-CSF, IL-17 amplifie le processus inflammatoire associé à la maladie [6]. En oncologie, les lymphocytes Th17 jouent également un rôle ambivalent. Chez l’Homme, la corrélation entre la présence de ces lymphocytes et le pronostic dépend du type de cancer [7, 8]. Chez la souris, si les lymphocytes Th17 favorisent la progression de tumeurs pré-établies à la suite de mutations dans l’épithélium intestinal [9], leur production de chimiokines comme CCL5 favorise le recrutement des lymphocytes T CD8+ cytotoxiques capables de tuer les cellules cancéreuses [10]. Les rôles multiples, voire contradictoires, assignés aux lymphocytes Th17 peuvent s’expliquer par l’hétérogénéité de cette population lymphocytaire. Récemment, l’analyse transcriptomique, sur cellule unique, des lymphocytes Th17 de l’intestin a permis de montrer que cette population est composée de six souspopulations distinctes : une population proliférative, une population « mère », présentant des caractéristiques de cellules souches / migratoires, qui colonise la lamina propria et donne naissance à une population de cellules activées, à partir de laquelle se forment deux sous-populations de lymphocytes T folliculaires (TFH), et une sous-population de lymphocytes Th17 répondant fortement à la cytokine TGF-β (transforming growth factor β) [2] (Figure 1).

thumbnail Figure 1

Hétérogénéité des lymphocytes Th17 intestinaux. Les lymphocytes Th17 de l’intestin forment une population hétérogène, incluant des cellules en prolifération et une population de cellules souches colonisatrices. Ces dernières, ou certaines d’entre elles, peuvent s’activer et produire des lymphocytes auxiliaires folliculaires, qui colonisent soit les centres germinatifs des ganglions lymphatiques, soit les tissus. Elles peuvent aussi produire des lymphocytes sensibles au TGF-β, qui peuvent devenir oncogéniques s’ils échappent au contrôle de cette cytokine [2] (figure créée avec le logiciel BioRender).

Une sous-population dérivée de lymphocytes Th17 capable d’initier le cancer

Contre toute attente, la suppression de la signalisation par TGF-β dans les lymphocytes Th17 (et dans toutes les cellules qui en dérivent) par invalidation conditionnelle du récepteur de cette cytokine chez la souris (souris il17a-Cre, Tgbr2fl/fl, Rosa-Stopfl/flYfp) a entraîné le développement spontané de cancers du duodénum [11]. La localisation des tumeurs était restreinte au bulbe duodénal, une région qui concentre 70 % des cancers de l’intestin grêle chez l’Homme [12]. L’analyse transcriptomique en cellule unique a permis de montrer que l’absence de signalisation par TGF-β dans les lymphocytes Th17 conduit au développement d’une septième sous-population de lymphocytes T dérivant directement des lymphocytes Th17 sensibles à cette cytokine lorsque ces lymphocytes échappent à son contrôle. Ces cellules expriment notamment le facteur de transcription TBX21/T-BET (T-box expressed in T cells) et la cytokine proinflammatoire IFN-γ (interféron γ). Elles sont présentes essentiellement dans le bulbe duodénal. L’invalidation du gène Tbx21 ou l’injection d’anticorps anti-IFN-γ chez la souris prévient le développement tumoral, révélant le potentiel oncogénique de ces lymphocytes T. Plus précisément, la production de IFN-γ par ces cellules oncogéniques dérivées de lymphocytes Th17 conduit à des dommages dans l’ADN et à la transformation cancéreuse de cellules épithéliales du bulbe duodénal [2]. Ainsi, les lymphocytes Th17, et plus particulièrement la sous-population sensible à TGF-β, constituent les précurseurs des lymphocytes T qui initient la transformation cancéreuse de cellules épithéliales intestinales en l’absence de signalisation par TGF-β (Figure 2).

thumbnail Figure 2

Production et mode d’action des lymphocytes T oncogéniques. En absence de production de TGF-β par les cellules épithéliales intestinales, des lymphocytes Th17 pré-oncogéniques activent la synthèse du facteur de transcription KLF6, qui induit l’expression de T-BET. Ce dernier entraîne la production d’interféron γ (IFN-γ), une cytokine qui provoque une inflammation chronique et des cassures double-brin de l’ADN. Ce processus conduit in fine à une transformation cancéreuse des cellules épithéliales intestinales, ce qui permet de qualifier d’oncogénique la population de lymphocytes T dérivant des lymphocytes Th17 en l’absence de production de TGF-β par les cellules épithéliales de l’intestin [2] (figure créée avec le logiciel BioRender).

KLF6 : un acteur clef du développement de lymphocytes T oncogéniques

Le développement des lymphocytes T oncogéniques dérivés de lymphocytes Th17 implique l’établissement d’un programme de différenciation qui dépend du facteur de transcription KLF6, appartenant à la famille Krüppel-like. L’expression de KLF6 est fortement réprimée par TGF-β. L’analyse de l’accessibilité de la chromatine à l’échelle de la cellule unique, par la technique ATAC-seq3, combinée à une analyse transcriptomique des lymphocytes T oncogéniques et de leurs précurseurs sensibles à TGF-β, suggère que KLF6 se lie à une région du promoteur de Tbx21, présente chez l’Homme et la souris, pour permettre l’expression de T-BET. Cette interaction a été confirmée par la technique ChIP-seq4 dans les lymphocytes oncogéniques. Par ailleurs, des lymphocytes oncogéniques dont le gène Klf6 a été invalidé (par la technique CRISPR-Cas9) perdent l’expression de T-BET et de IFN-γ, et ainsi leur capacité oncogénique [2]. Chez l’Homme, KLF6 est aussi exprimé par les lymphocytes Th17 intestinaux des sujets atteints de la maladie de Crohn, qui présentent une incidence accrue de cancers intestinaux. En revanche, cette expression n’est pas retrouvée dans les lymphocytes Th17 du liquide cérébro-spinal des patients atteints de sclérose en plaque, ou dans le côlon des sujets présentant une rectocolite ulcéreuse, deux maladies inflammatoires dans lesquelles les lymphocytes Th17 jouent un rôle majeur [3]. Ainsi, le « programme transformant » des lymphocytes T dérivés de lymphocytes Th17 est sous le contrôle du facteur de transcription KLF6, dont l’expression et l’activité sont réprimées par TGF-β (Figure 2).

Un dialogue entre cellules épithéliales et lymphocytes protecteur contre le cancer

TGF-β apparaît donc comme une cytokine essentielle pour prévenir le développement des lymphocytes T oncogéniques dans l’intestin. Un grand nombre de cellules, y compris les cellules du système immunitaire, produisent cette cytokine. Cependant, les cellules épithéliales constituent la principale source de TGF-β dans l’intestin [13]. Dans l’intestin, les lymphocytes Th17 sont préférentiellement situés au voisinage des cellules épithéliales, ce qui suggère que la production de TGF-β par ces cellules pourrait prévenir le développement de lymphocytes T oncogéniques. À l’appui de cette hypothèse, le simple transfert de cellules Th17 à des souris mutantes dont seules les cellules épithéliales intestinales ont été rendues incapables de produire TGF-β (souris Villin-creERT2 ; Tgfb1fl/fl) suffit à induire le développement de la sous-population de lymphocytes T oncogéniques [2]. En évoluant dans un environnement intestinal pauvre en TGF-β, les lymphocytes Th17 précurseurs des lymphocytes T oncogéniques expriment Klf6 et acquièrent le « programme oncogénique », incluant la synthèse de IFN-γ. Ainsi, par leur production de TGF-β, les cellules épithéliales intestinales empêchent le développement de lymphocytes T oncogéniques et se protègent contre une transformation cancéreuse (Figure 2).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

La lamina propria ou chorion désigne le tissu conjonctif lâche situé sous les épithéliums de revêtement.

2

Les cellules de Paneth, qui sont situées au fond des cryptes et qui interagissent avec les cellules souches, renferment des substances antimicrobiennes, principalement les défensines, qui jouent un rôle dans l’immunité innée de la barrière intestinale.

3

Acronyme pour Assay for transposase-accessible chromatin with highthroughput sequencing.

4

ChIP-sequencing (ou ChIP-seq) désigne une technique d’analyse des interactions entre protéines et ADN combinant immunoprécipitation de la chromatine (ChIP) et séquençage nucléotidique de l’ADN, afin d’identifier les sites de liaison des protéines associées à l’ADN.

Références

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Hétérogénéité des lymphocytes Th17 intestinaux. Les lymphocytes Th17 de l’intestin forment une population hétérogène, incluant des cellules en prolifération et une population de cellules souches colonisatrices. Ces dernières, ou certaines d’entre elles, peuvent s’activer et produire des lymphocytes auxiliaires folliculaires, qui colonisent soit les centres germinatifs des ganglions lymphatiques, soit les tissus. Elles peuvent aussi produire des lymphocytes sensibles au TGF-β, qui peuvent devenir oncogéniques s’ils échappent au contrôle de cette cytokine [2] (figure créée avec le logiciel BioRender).

Dans le texte
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Production et mode d’action des lymphocytes T oncogéniques. En absence de production de TGF-β par les cellules épithéliales intestinales, des lymphocytes Th17 pré-oncogéniques activent la synthèse du facteur de transcription KLF6, qui induit l’expression de T-BET. Ce dernier entraîne la production d’interféron γ (IFN-γ), une cytokine qui provoque une inflammation chronique et des cassures double-brin de l’ADN. Ce processus conduit in fine à une transformation cancéreuse des cellules épithéliales intestinales, ce qui permet de qualifier d’oncogénique la population de lymphocytes T dérivant des lymphocytes Th17 en l’absence de production de TGF-β par les cellules épithéliales de l’intestin [2] (figure créée avec le logiciel BioRender).

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