Open Access
Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 2, Février 2025
Page(s) 111 - 112
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024154
Published online 03 March 2025

Depuis l’Antiquité, la diffusion des connaissances a été essentielle au progrès d’un savoir élaboré, scientifique ou philosophique. Les écoles grecques, telles que celles de Platon et d’Aristote, fonctionnaient comme des centres de savoir où les idées étaient discutées et débattues en public. Cette méthode de disputatio a permis de catalyser et de valider les connaissances à travers des discussions rigoureuses et critiques. Au Moyen Âge, les disputationes se déroulaient principalement dans les collèges, les universités et parfois au sein de l’aristocratie ou de l’Église, où les idées étaient développées et leurs robustesses testées par le débat. Les sociétés savantes, telles que la Royal Society en Angleterre (fondée en 1660) et l’Académie des sciences en France (créée en 1666), sont apparues plus tard, et ont institutionnalisé ces échanges en introduisant des règles de validation qui ressemblent aux premières formes de l’évaluation par les pairs (peer review).

Avec l’essor de la publication scientifique, aux xviie et xviiie siècles, le processus d’évaluation par les pairs est devenu un élément central de l’évaluation scientifique. Ce processus garantit la qualité et l’intégrité des travaux publiés, tout en permettant aux auteurs chercheurs de partager leurs découvertes avec leurs pairs et avec le public. Cette évolution a permis la structuration d’un système par lequel la publication n’est pas seulement un acte de diffusion, mais aussi une étape cruciale de la validation scientifique.

La publication scientifique est également une fin en soi, ainsi qu’un moyen de promotion personnelle ou professionnelle, et ces aspects sont en équilibre dynamique avec sa finalité constructive pour l’avancée de la pensée. Or, il est patent que la balance entre finalités personnelle et ontologique s’est fortement déséquilibrée avec le temps. Les publications sont aujourd’hui utilisées avant tout pour justifier des avancements de carrière, obtenir des financements, ou acquérir de la notoriété. Elles sont souvent évaluées par des métriques quantitatives, telles que la notoriété des auteurs mesurée par le h-index, le nombre de citations ou le facteur d’impact des journaux qui les publient, transformant les articles en une monnaie académique par le même processus d’abstraction qui caractérise l’invention de l’argent en tant que tel. Même si des chartes internationales essaient de nuancer cette approche quantitative de l’évaluation de la publication scientifique1, la réflexion sur la monétisation de la publication scientifique et sur ses conséquences est trop rare et trop souvent pusillanime.

Dans cette monétisation de la publication réside en effet une des raisons de l’augmentation des inconduites scientifiques, qui s’apparentent à la création de fausse monnaie. Des pratiques frauduleuses telles que la fabrication de données, la falsification des résultats, ou le plagiat sont en hausse2. Un exemple marquant, concernant la maladie d’Alzheimer, vient d’être narré dans la revue Science, illustrant comment des articles frauduleux ont orienté l’industrie pharmaceutique vers une voie de recherche potentiellement erronée pendant des décennies3. Ces dérives nuisent ainsi non seulement à la crédibilité de la recherche scientifique, mais aussi à l’innovation, et elles peuvent même retarder des découvertes cruciales dans des domaines comme la médecine.

En parallèle, la recherche disruptive, celle qui propose de nouveaux paradigmes et des approches radicalement différentes, tend à diminuer au profit de la recherche confirmatoire, qui vise à valider et affiner des connaissances déjà établies. Les chercheurs, sous pression pour publier fréquemment et dans des revues à fort impact, privilégient les études à faible risque – en opposition avec la rhétorique du « fort risque » qui prévaut dans les institutions évaluatrices – produisant des résultats prévisibles qui garantissent publication et reconnaissance rapides. Cette tendance, exacerbée par le phénomène de monétisation des publications académiques, freine l’émergence de découvertes majeures et de nouveaux paradigmes scientifiques. Les travaux disruptifs, souvent plus longs et plus risqués à publier, sont relégués au second plan, ce qui limite l’évolution scientifique à des ajustements progressifs. De même, les publications de résultats négatifs bien qu’importantes pour la communauté scientifique, ne sont pas considérées comme valorisables dans ce contexte.

La publication comme monnaie académique soulève également des questions impliquant la liberté académique et la diversité de la recherche. Le système actuel incite les chercheurs à s’aligner sur des sujets à forte visibilité (autrement dit, à la mode), au détriment de sujets apparemment marginaux. Les champs de recherche moins populaires, ou pour lesquels les retombées semblent plus lointaines, qui pourraient pourtant offrir des perspectives nouvelles, sont sous-financés et sous-représentés. Cette homogénéisation et cette monoculture des recherches nuisent à l’innovation et fragilisent l’écosystème académique en étouffant la diversité des idées. La monétisation de la publication, en limitant la liberté des chercheurs de choisir leur sujet de recherche, les contraint à se conformer aux attentes du marché académique plutôt que de poursuivre une quête authentique de nouvelles connaissances. Enfin, pour revenir à notre argument initial, la monétisation de la publication académique incite certains chercheurs à créer de la « fausse monnaie », c’est-à-dire des publications frauduleuses ou fabriquées, en faisant appel, dans le cas extrême, à des « usines à papiers » (« paper mills ») [1] et aujourd’hui aux intelligences artificielles (IA) génératives capables, comme AI scientist, de reproduire l’ensemble du processus de recherche, incluant la publication4. La difficulté à publier dans des journaux à fort « facteur d’impact » s’apparente ainsi à la création d’une « cryptomonnaie », où la valeur monétaire d’un article n’est plus liée à sa qualité, mais à la rareté du nombre d’articles publiés dans des journaux comme Nature, Science, Lancet, New England journal of medicine, etc. Le nombre de citations d’un article, analogue au nombre de « followers » d’un influenceur, a conduit à mettre en place des stratégies sur les réseaux sociaux pour en accroître le nombre, ou pire, à acheter des citations à des entreprises capables de pirater les systèmes éditoriaux5.

De l’Antiquité à nos jours, la publication scientifique a toujours été un élément clé de la constitution, de la diffusion et de la validation des connaissances. Cependant, la transformation de la publication en une monnaie académique et l’arrivée des IA génératives imposent une redéfinition de ses objectifs et de ses pratiques. La communauté scientifique devrait se réapproprier le contrôle de l’édition scientifique pour redonner à la publication sa valeur première de constitution, de diffusion et de validation de la connaissance par le processus d’évaluation par les pairs. Universités, instituts de recherche et organisations académiques se doivent d’établir une gouvernance de l’édition scientifique similaire à celle qui a permis le développement d’Internet : ouverte, collaborative, et au service du bien commun. Il est temps de créer une structure publique d’édition avec un format universel pour la publication scientifique, analogue par exemple au format XML des sites web, qui inclurait des liens vers les résultats bruts, les méthodes et matériels utilisés pour les produire, les codes sources, et les cahiers de laboratoire électroniques [2]. Cette gouvernance ouverte de la publication scientifique rendrait la recherche plus transparente, reproductible et accessible à tous, libérant la publication de ses contraintes commerciales et redonnant aux chercheurs la liberté de suivre leur curiosité, tout en évitant de les soumettre à la tentation de déroger à la rigueur scientifique. C’est une opportunité pour une renaissance scientifique, où l’intégrité, l’ouverture et l’innovation reprennent leur place au cœur de la recherche.

Remerciements

L’auteur remercie Claude Forest, Philippe Beaune et Martin Glessgen pour leurs suggestions.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


4

Lu C, Lu C, Lange RT, Foerster J, Clune J, Ha D. The AI Scientist: Towards Fully Automated Open-Ended Scientific Discovery, arXiv.Org (2024). https://arxiv.org/abs/2408.06292v3

5

Guillaume Cabanac et Cyril Labbé : unis contre la fraude scientifique | CNRS Sciences informatiques, (2024). https://www.ins2i.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/guillaume-cabanac-et-cyril-labbe-unis-contre-la-fraude-scientifique

Références

  1. Sanderson K. Science’s fake-paper problem: high-profile effort will tackle paper mills. Nature 2024 ; 626 : 17–8. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Brembs B, Huneman P, Schönbrodt F, et al. Replacing academic journals. R Soc Open Sci 2023 ; 10 : 230206. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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