Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 1, Janvier 2025
Nos jeunes pousses ont du talent !
Page(s) 100 - 102
Section Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024202
Published online 31 January 2025

Les dents sont la seule partie du squelette humain en contact direct avec l’environnement. Elles sont à l’interface entre les milieux intérieur et extérieur. L’étude des dents permet de recueillir des informations précieuses sur les activités quotidiennes de leur possesseur. La plaque dentaire, constituée d’une accumulation de dépôts, témoigne de ce contact avec l’environnement : protéines humaines, bactéries, virus, aliments et substances consommées sont les principaux constituants de ce biofilm. Au contact récurrent de la salive, il arrive que la plaque dentaire se minéralise, et sa précipitation en phosphate de calcium produit le tartre (ou calcul dentaire). Les micro-organismes sont alors piégés dans cette matrice cristalline située sur les dents à proximité des gencives.

La composition minérale du tartre dentaire permet sa conservation et le préserve des contaminations. Les biomolécules et les micro-organismes piégés en son sein peuvent ainsi renseigner sur l’hygiène bucco-dentaire et les habitudes des populations du passé [1]. Le tartre dentaire est l’objet d’études approfondies en archéologie depuis quelques décennies, et les analyses chimiques réalisées permettent dans certains cas de reconstituer le régime alimentaire et les déplacements des populations étudiées. Ces études se fondent sur l’analyse, par spectrométrie de masse, des ratios d’isotopes de certains éléments chimiques comme le carbone, l’azote ou le strontium, qui varient selon le type de plantes ou de roches présentes dans le milieu [2].

Une nouvelle méthode vient repousser les limites actuelles en intégrant l’analyse du tartre dentaire dans une approche toxicologique. Des chercheurs de l’université Aarhus, au Danemark, ont mis au point une technique d’analyse du tartre par chromatographie liquide et spectrométrie de masse en tandem (UHPLC-ESI-MS/MS), et ils ont obtenu des résultats très prometteurs [3].

L’analyse par spectrométrie de masse est déjà utilisée sur des collections bioarchéologiques humaines, et le tartre fait partie des matrices de prédilection pour cette technique. Il est prélevé à la surface des dents, conservé au froid, puis lavé et dissous dans un solvant. Ensuite, une chromatographie liquide d’ultrahaute performance (UHPLC) est réalisée sur le mélange afin de séparer les molécules qui le composent. L’échantillon est ensuite introduit sous forme liquide dans un spectromètre de masse (MS) avant d’être ionisé par électronébulisation (electrospray ionization, ESI), c’est-àdire dispersé sous forme de gouttelettes chargées électriquement. Un traitement informatique permet de détecter la quantité de chaque ion produit lors de l’ionisation (Figure 1). Chaque pic chromatographique rendu est proportionnel à la quantité de l’élément correspondant présent dans l’échantillon : cette technique permet donc une analyse quantitative de tous les composés organiques et semi-volatils.

thumbnail Figure 1.

Étapes de l’analyse du tartre dentaire par chromatographie en phase liquide couplée à la spectroscopie de masse. La chromatographie liquide de ultra-haute performance (UHPLC) permet de séparer les différents composants de l’échantillon, afin d’optimiser la détection et l’analyse des molécules d’intérêt. Puis les paramètres de la source d’ionisation et de détection en spectrométrie de masse sont optimisés par injection de la solution de tartre directement dans le spectromètre de masse. L’analyse de la solution d’intérêt par spectrométrie de masse a été réalisée après ionisation par électro-nébulisation en mode d’ionisation négatif (ESI-). L’acquisition et l’analyse des informations de spectrométrie de masse utilise un logiciel permettant de détecter quantitativement les ions présents dans la solution. Cette méthode analytique, utilisable en anthropologie, en archéologie, ou en médecine légale, permet la quantification de différentes substances dans le tartre dentaire.

La spectrométrie de masse utilisant l’ESI, couplée à une chromatographie liquide d’ultra-haute performance, est une méthode très sensible, adaptée à l’analyse de quantités minimes de matériel. Sa sensibilité et sa sélectivité produisent des informations précises et fiables, qui peuvent être utilisées pour des objectifs divers, en particulier pour la détection et la quantification d’un agent médicalement actif [4]. L’utilisation du tartre dentaire dans ce but est pertinente puisque la bouche et les dents sont la première partie du corps en contact avec ce que l’individu ingère, le tartre constituant donc un témoin direct de ses consommations.

Même si la méthode est destructive puisque l’échantillon archéologique est réduit dans le processus d’analyse, elle permet de traiter des matrices complexes avec une faible marge d’erreur grâce à l’optimisation des paramètres de désolvatation1 et d’ionisation.

La recherche de substances toxiques étrangères à l’organisme (xénobiotiques) intéresse à la fois l’archéologie et l’anthropologie médico-légale. Différentes archives historiques témoignent de la consommation de cocaïne, nicotine, cannabis, ou plantes hallucinogènes à travers les époques. Par exemple, l’analyse de cheveux de momies découvertes au nord du Chili a confirmé l’utilisation et la prise de cocaïne par les populations de cette région depuis plusieurs siècles [5]. Cependant, les cheveux ne sont pas un matériel régulièrement disponible en contexte archéologique. En anthropologie médico-légale, la recherche de substances xénobiotiques, à l’origine ou non du décès, est habituelle [2]. Elle est très souvent effectuée sur les matrices conventionnelles (sang, salive, urine, cheveux, etc.) quand elles sont présentes, mais celles-ci manquent lorsqu’il ne reste plus que des os.

Ainsi, la possibilité d’utiliser le tartre dentaire pour ces analyses ouvre le spectre temporel d’étude des populations du passé. La condition sine qua non est la présence de tartre sur les dents, ce qui est relativement fréquent. Sachant que les dents sont les restes humains qui se conservent le mieux au cours du temps, et qu’une faible quantité de tartre suffit à effectuer de nombreuses mesures, les perspectives qu’offre cette nouvelle méthode sont considérables pour la connaissance des populations du passé. Il est en effet possible d’identifier, en plus du régime alimentaire, les substances médicamenteuses consommées, un enjeu pertinent en archéologie, afin d’appréhender les utilisations médicinales ou récréatives de ces substances et d’avoir des données diachroniques et synchroniques de ces consommations. Parmi les substances d’intérêt archéologique, on peut citer l’apigénine, la lutéoline, le kaempférol, l’absinthe, la hyoscyamine et la catéchine2, qui sont présentes dans les plantes utilisées en médecine traditionnelle et pour aromatiser les boissons alcoolisées et les spiritueux [6]. De plus, le tartre dentaire peut longtemps conserver la nicotine provenant de la mastication de tabac [7]. Systématiser cette méthode d’analyse pourrait vraisemblablement nous renseigner sur des pratiques de consommation d’autres drogues ou stimulants naturels issus de plantes dans les périodes anciennes, sous réserve de la stabilité des substances piégées dans le tartre dentaire. En anthropologie médico-légale, on utilise la matrice osseuse lorsque les matrices «  conventionnelles  » (sang, cheveux, etc.) ne sont plus disponibles. Si la moelle osseuse et les os longs le sont, cette alternative peut être contributive dans la recherche des substances comme la drogue à l’origine ou non du décès. Cependant, l’analyse des os ne permet pas de déterminer le contexte de la présence de ces substances (habitudes alimentaires, médicamenteuses, etc.), contrairement à l’analyse du tartre dentaire. Cette nouvelle méthode, en analysant les biofilms contenant les substances consommées, peut alors fournir, comme en archéologie, des informations relatives non seulement aux habitudes alimentaires, mais également aux prises de drogues et de médicaments pour les cas expertisés, et être ainsi contributive à l’élucidation des causes de décès en toxicologie médico-légale.

En addictologie, le sang est le matériel d’étude le plus utilisé, mais il a une durée de conservation limitée. Ainsi, pour étudier l’histoire des médicaments et des drogues, les archéologues ne peuvent qu’examiner les pipes et les récipients à boire à la recherche de molécules psychoactives persistantes. Cette méthode ne permet donc pas de découvrir les substances consommées sans réceptacle. L’analyse du tartre dentaire par chromatographie liquide et spectrométrie de masse en tandem permet de combler ces lacunes. Elle pourrait donc révolutionner les pratiques en addictologie, notamment dans sa composante anthropologique. Ce nouveau procédé permettrait de retracer plus efficacement les habitudes de consommation des populations anciennes à travers le temps et l’espace, en particulier pour la cocaïne, l’héroïne et l’acide tétrahydrocannabinolique (THCA). Il pourrait compléter avantageusement les analyses conventionnelles dans des situations particulières où elles ne fournissent pas une information suffisante. Le tartre peut piéger des composés de toutes les substances entrant en contact direct avec la cavité buccale, notamment les aliments, les produits pharmaceutiques, les produits non alimentaires mâchés ou inhalés, les substances excrétées dans la salive et le fluide gingival (liquide qui suinte du sillon gingivo-dentaire, dans lequel il peut être prélevé), les métaux lourds toxiques, tels que le cadmium, le plomb et l’arsenic, pouvant provenir d’une exposition orale à ces métaux (par l’inhalation d’un produit chimique, d’une fumée, ou par la mastication de produits présentant des concentrations élevées de ces métaux). L’analyse du tartre dentaire peut donc être étendue à l’identification d’autres substances pertinentes [2].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Séparation du soluté de son solvant.

2

L’apigénine, la lutéoline, le kaempférol et la catéchine sont des flavonoïdes. L’absinthe est une astéracée. La hyoscyamine est un alcaloïde présent dans diverses plantes de la famille des solanacées.

Références

  1. Willmann C. Diagnostiquer un état de santé buccodentaire par une double approche macroscopique et métagénomique : application à une population rurale française du xviiie siècle. 2020 ; Thèse de doctorat. Université Toulouse 3 - Paul Sabatier. [Google Scholar]
  2. Sørensen LK, Hasselstrøm JB, Larsen LS, et al. Entrapment of drugs in dental calculus: detection validation based on test results from post-mortem investigations. Forensic Sci Int 2021 ; 319 : 110647. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Demeter F. L’utilisation des isotopes en archéologie et en anthropologie. Technè 2016 ; 44 : 71–3. [CrossRef] [Google Scholar]
  4. Reymond C, Le Masle A, Colas C, et al. A rational strategy based on experimental designs to optimize parameters of a liquid chromatography-mass spectrometry analysis of complex matrices. Talanta 2019 ; 205 : 120063. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Cartmell LW, Aufderhide A, Weems C. Cocaine metabolites in pre-Columbian mummy hair. J Okla State Med Assoc 1991 ; 84 : 11–2. [PubMed] [Google Scholar]
  6. Gismondi A, Baldoni M, Gnes M, et al. A multidisciplinary approach for investigating dietary and medicinal habits of the Medieval population of Santa Severa (7th-15th centuries, Rome, Italy). PloS One 2020 ; 15 : e0227433. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Eerkens JW, Tushingham, S, Brownstein KJ, et al. Dental calculus as a source of ancient alkaloids: Detection of nicotine by LC-MS in calculus samples from the Americas. J Archaeol Sci Rep 2018 ; 18 : 509–15. [Google Scholar]

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Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Étapes de l’analyse du tartre dentaire par chromatographie en phase liquide couplée à la spectroscopie de masse. La chromatographie liquide de ultra-haute performance (UHPLC) permet de séparer les différents composants de l’échantillon, afin d’optimiser la détection et l’analyse des molécules d’intérêt. Puis les paramètres de la source d’ionisation et de détection en spectrométrie de masse sont optimisés par injection de la solution de tartre directement dans le spectromètre de masse. L’analyse de la solution d’intérêt par spectrométrie de masse a été réalisée après ionisation par électro-nébulisation en mode d’ionisation négatif (ESI-). L’acquisition et l’analyse des informations de spectrométrie de masse utilise un logiciel permettant de détecter quantitativement les ions présents dans la solution. Cette méthode analytique, utilisable en anthropologie, en archéologie, ou en médecine légale, permet la quantification de différentes substances dans le tartre dentaire.

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