Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 1, Janvier 2025
Nos jeunes pousses ont du talent !
Page(s) 90 - 92
Section Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024199
Published online 31 January 2025

En 2020, des anthropologues ont décrit une méthode innovante d’étude des carences en vitamine D par l’analyse de la dentine, permettant en particulier la détection de carences prénatales [1].

La vitamine D : une vitamine multifonctionnelle

Le rôle métabolique de la vitamine D dans l’homéostasie osseuse est connu depuis longtemps. Cette vitamine est également impliquée dans le fonctionnement des systèmes immunitaire, reproducteur, et musculo-squelettique [2]. Elle joue un rôle essentiel dans la formation des os du fœtus ainsi que dans sa croissance. Tous les besoins du fœtus étant assurés par les apports maternels, d’éventuelles déficiences chez la mère se répercutent sur le développement du fœtus. La vitamine D provient de l’alimentation (poissons, champignons et plantes) ou peut être synthétisée par la peau (via l’action du rayonnement ultraviolet B solaire). Elle subit ensuite une première hydroxylation dans le foie, puis une seconde dans le rein, et c’est cette forme dihydroxylée (1,25(OH)2D3) qui est la forme biologiquement active [3, 4] ().

(→) Voir la Synthèse de M. Courbebaisse et al., m/s n° 4, avril 2010, page 417

Dans le cas d’une grossesse, la vitamine D synthétisée par la mère est transmise au fœtus à travers le placenta, ce qui permet au nouveau-né d’avoir des réserves suffisantes en vitamine D pendant les premières semaines de sa vie post-natale [5]. Si la mère souffre de carence en vitamine D, son absorption intestinale du calcium et du phosphore décroît, ce qui se répercute chez le fœtus et peut affecter la taille et le développement de son squelette [3, 6, 7].

Les insuffisances (52 à 72 nmol/L) et carences (< 50 nmol/L) en vitamine D ainsi que leur prévention sont des questions de santé publique mondiale [6-8]. Au-delà de leur impact sur la mère et le fœtus durant la grossesse, elles peuvent exister à tous les âges de la vie, et augmentent les risques de maladie cardiovasculaire et de déficit immunitaire. Lorsqu’un enfant présente des signes de maladies induites par un manque de vitamine D, il est parfois difficile de déterminer si la carence est d’origine prénatale (carence chez la mère) ou postnatale (carence alimentaire chez l’enfant). Cette nouvelle étude tente d’éclaircir cette temporalité en proposant d’utiliser la dentine pour mettre en évidence les carences en vitamine D présentes avant la naissance.

La dentine : nouveau support d’analyse des carences en vitamine D

Contrairement aux os, les dents ne connaissent pas de remodelage au cours de la vie [1] : les éventuelles conséquences de défauts d’apports minéraux et des stress rencontrés par l’organisme sur la formation des dents sont donc figées. La plupart des méthodes utilisant les dents comme support d’étude se fondent sur l’analyse de l’émail. L’émail et la dentine se forment par une succession de dépôts de composés minéraux, et présentent tous deux une ligne blanche prénatale, qui permet de distinguer les apports in utero de ceux de la période postnatale [1]. La dentine étant moins sujette aux agressions (caries, abrasions, enfouissement, etc.) que l’émail, les informations qu’elle contient sont plus fiables. Un défaut de minéralisation des dents, pouvant avoir différentes causes, se caractérise par la présence de dentine interglobulaire1, dont la cause la plus fréquente est une carence en vitamine D [1] (Figure 1). L’étude de la dentine interglobulaire permet donc de mettre en évidence les carences subies pendant les différentes périodes de la vie.

thumbnail Figure 1.

Schéma d’une molaire et localisation de la dentine interglobulaire. Le schéma permet de voir les différentes parties de la dent : pulpe, dentine, émail et la ligne prénatale. Un agrandissement de la région de la dentine autour de la ligne prénatale illustre la localisation différente de la dentine interglobulaire prénatale et de la dentine interglobulaire postnatale.

Parmi un échantillon de 30 dents archéologiques (xiiie-xviiie siècles) et 31 dents provenant de biobanques – l’ensemble des dents déciduales et les premières molaires définitives (car les premières à se former in utero) –, seules celles présentant une dentine interglobulaire ont été retenues dans un premier temps. Un second tri a consisté à ne garder que les dents dont la ligne prénatale était facilement discernable. Un échantillon final de 5 dents (appartenant à cinq individus différents) a ainsi été étudié selon une procédure consistant à enchâsser les dents dans de la résine afin de pouvoir effectuer de fines coupes, qui seront ensuite polies et étudiées au microscope polarisant [9]. Une étude minutieuse de la forme et de l’emplacement de chaque lésion dentaire a permis de mettre en évidence plusieurs épisodes de carences : les dents des cinq individus contenaient toutes de la dentine interglobulaire d’origine postnatale, constituée majoritairement vers l’âge de 1,5 ou 2 ans, et celles de trois individus contenaient en plus de la dentine interglobulaire d’origine prénatale.

Outre son application possible aux dents déciduales comme aux dents définitives et sa polyvalence en termes d’objet de recherches, cette méthode combine les analyses comparatives courantes en paléopathologie et celles ayant cours dans les travaux cliniques. Une étude sur un plus grand échantillon de dents reste cependant nécessaire afin de confirmer son utilité pour déterminer l’origine prénatale ou postnatale d’une carence en vitamine D [1].

L’étude de la dentine interglobulaire en paléopathologie

Tout comme les populations actuelles, les populations du passé étaient également sujettes à des carences en vitamine D. La plus vieille occurrence identifiée remonte au Pléistocène inférieur, et a été identifiée sur le site archéologique du Mont Carmel en Israël [10]. Identifier et documenter ces carences dans les populations du passé est utile pour comprendre les conditions de vie de ces populations, pour renseigner sur leurs caractéristiques socio-culturelles et socio-économiques, ou encore pour identifier des transitions diététiques [11]. Toutefois, toutes les maladies induites par une carence en vitamine D n’entraînent pas de lésions visibles sur les os, contrairement au rachitisme et à l’ostéomalacie2. Une déficience immunitaire favorisée par une carence en vitamine D peut rester archéologiquement invisible [12]. Par exemple, durant la période Néolithique, les profonds changements socio-économiques induits par l’apparition de l’agriculture ont engendré de nouveaux stress alimentaires et l’émergence de nouvelles maladies [13]. Ainsi, cette nouvelle méthode de diagnostic rétrospectif d’une carence en vitamine D fondée sur l’analyse de la dentine est particulièrement intéressante dans le cadre d’études archéologiques. Même lorsqu’un individu subit des épisodes pathologiques répétés au cours de sa vie (périodes de famine, malnutrition du fait d’une maladie à court terme, etc.), l’étude de la dentine interglobulaire peut permettre de restituer l’historique de sa santé [12]. Jusqu’ici, étudier les carences en vitamine D n’était possible que chez les individus inhumés, les températures atteintes lors de la crémation des corps entraînant la destruction de toutes les preuves macroscopiques. Cependant, les résultats d’une étude expérimentale assez récente analysant la dentine interglobulaire dans des dents humaines soumises à des températures dépassant 600 °C pendant plusieurs heures montrent que les conséquences d’une carence en vitamine D sont encore observables dans des dents chauffées à des températures aussi élevées que 900 °C [11].

Carences en vitamine D et santé publique

L’apport alimentaire en vitamine D ainsi que sa synthèse dans la peau dépendent de facteurs environnementaux et socioculturels [8]. En effet, on a constaté que les populations vivant sous des latitudes caractérisées par un fort ensoleillement sont plus à même de connaître des carences en vitamine D, car les individus ont tendance à se couvrir la peau et à rester à l’intérieur pendant la journée pour se protéger du soleil et de la chaleur. De même, les individus ayant une peau très pigmentée sont plus à risque de carence en vitamine D, la présence de mélanine freinant la synthèse cutanée de la vitamine D [8]. Il faut également considérer l’influence des pratiques religieuses et culturelles. Le port de vêtements couvrants ou la recherche d’une peau claire poussant à éviter le soleil peut conduire à une carence en vitamine D si l’alimentation n’y supplée pas. Dans une telle situation, le choix d’un régime alimentaire particulier (régime végétarien, jeûnes, interdits alimentaires, etc.) ou le faible accès aux aliments riches en vitamine D, pour des raisons géographiques ou socio-économiques, peut aggraver la carence. Les ressources alimentaires en vitamine D étant principalement halieutiques3 et végétales, elles sont en effet moins accessibles aux classes défavorisées [8].

Pour conclure, la vitamine D a de nombreuses fonctions dès le début de la vie : elle est notamment impliquée dans la formation des tissus, dans l’homéostasie minérale et dans le fonctionnement du système immunitaire. L’étude de l’effet d’une carence en vitamine D sur la dentine peut renseigner sur l’état sanitaire des populations actuelles ou passées. De plus amples études sur la déficience en vitamine D par l’analyse de la dentine interglobulaire pourraient également renseigner sur la pigmentation de la peau des individus du passé, notamment des Néandertaliens [10], sur les migrations de populations humaines actuelles ou passées, et ouvrir de nouvelles pistes de recherche en anthropologie de la santé.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Dentine interglobulaire : la minéralisation de la dentine commence dans de petites zones globulaires, qui normalement fusionnent pour former une couche de dentine uniformément minéralisée. Si la fusion n’a pas lieu, des régions hypominéralisées restent entre les globules, constituant la dentine interglobulaire.

2

Ostéopathie de l’adulte caractérisée par l’accumulation d’os peu ou pas minéralisé due à un défaut de minéralisation du tissu ostéoïde (ndlr).

3

Halieutique : qui concerne la pêche.

Références

  1. Brickley MB, Kahlon B, D’Ortenzio L. Using teeth as tools: Investigating the mother-infant dyad and developmental origins of health and disease hypothesis using vitamin D deficiency. Am J Phys anthropol 2020 ; 171 : 342–53. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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Liste des figures

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Schéma d’une molaire et localisation de la dentine interglobulaire. Le schéma permet de voir les différentes parties de la dent : pulpe, dentine, émail et la ligne prénatale. Un agrandissement de la région de la dentine autour de la ligne prénatale illustre la localisation différente de la dentine interglobulaire prénatale et de la dentine interglobulaire postnatale.

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