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Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 1, Janvier 2025
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Page(s) | 18 - 22 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024184 | |
Published online | 31 January 2025 |
Prévalences de dépassement des nouveaux repères de consommation d’alcool en 2019 en France
Analyse pondérée dans la cohorte CONSTANCES
Proportion of at-risk alcohol consumers according to the new French guidelines: Cross-sectional weighted analyses from the CONSTANCES cohort
1
Université Paris Cité, unité Cohortes en population, Inserm, Université Paris Saclay, université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, UMS 011, Paris, France
2
UFR de médecine, faculté de santé, AP-HP, centre-université Paris Cité, Paris, France
La consommation excessive d’alcool est l’une des premières causes de mortalité évitable en France et dans le monde. Elle est responsable de nombreuses maladies physiques et psychiques. Ses conséquences constituent une des principales causes d’hospitalisation dans notre pays, et son coût social est colossal [1]. En France, on compte environ 43 millions de consommateurs d’alcool [1]. En 2017, un groupe d’experts réuni par Santé publique France et l’Institut national du cancer a défini de nouveaux repères de consommation d’alcool à moindre risque : si vous consommez de l’alcool, ne pas dépasser deux « verres standard »1 par jour, et 10 « verres standard » par semaine, avec au moins deux jours dans la semaine sans consommation [2].
L’objectif de l’étude dont nous présentons les résultats était d’estimer les prévalences de dépassement de ces nouveaux repères de consommation d’alcool, en fonction de facteurs sociodémographiques et de facteurs cliniques, à partir des données collectées auprès des volontaires de la cohorte CONSTANCES, une cohorte épidémiologique française permettant le suivi longitudinal d’environ 220 000 adultes inclus entre 2012 et 2021, et âgés de 18 à 69 ans à l’inclusion. Les participants sont invités à remplir des questionnaires à l’inclusion, puis annuellement, concernant leurs conditions sociodémographiques et socio-professionnelles, leur état de santé et leurs comportements liés à la santé, notamment leur consommation d’alcool, de tabac et de cannabis [3].
L’année la plus récente pour laquelle nous avions des données de suivi disponibles était 2019. Nous avons sélectionné les volontaires inclus dans la cohorte en 2016 ou 2017 (les années les plus récentes pour lesquelles des coefficients de pondération ont été calculés) et ayant répondu au questionnaire de suivi de 2019, en prenant en compte la probabilité de non-réponse au cours du suivi. Ainsi, 34 470 volontaires ont été inclus dans les analyses. Dans les questionnaires de suivi, les volontaires déclarent s’ils ont consommé de l’alcool au cours de la semaine précédente, et le cas échéant, ils indiquent un nombre de « verres standard » dans un agenda de consommation. À partir de ces données, les trois variables de dépassement des repères de consommation d’alcool ont été calculées. Pour chaque participant, la consommation moyenne par jour, sur la période du lundi au jeudi, a été collectée. Un dépassement de deux verres standard par jour sur cette période de la semaine était quantifié par une valeur > 2. Une consommation d’alcool plus de cinq jours par semaine était définie par l’une des deux situations suivantes : 1) trois « verres standard » ou plus du lundi au jeudi et un verre ou plus le vendredi, le samedi et le dimanche, ou 2) quatre « verres standard » ou plus du lundi au jeudi et un verre ou plus pendant au moins deux jours du vendredi au dimanche.
Les estimations des prévalences de dépassement des repères de consommation d’alcool à moindre risque pour la population générale ont été calculées pour les hommes et pour les femmes séparément, et présentées sous forme de pourcentages avec leurs intervalles de confiance à 95 % [1].
Afin de garantir la représentativité des résultats pour la population générale française couverte par le régime général de l’assurance maladie, un coefficient de pondération a été calculé pour chaque participant. Il représente le produit du poids de sondage et du facteur de correction de non-participation à l’inclusion issu de l’estimation de la probabilité de participer, qui utilise les données d’une cohorte de non-participants comprenant 400 000 individus suivis dans les bases médico-administratives [4]. De plus, la non-réponse au suivi 2019 a été corrigée par le calcul d’un facteur de correction issu de l’estimation de la probabilité de non-réponse au suivi de 2019 pour chaque participant. Le poids final de pondération était le produit des poids à l’inclusion et au suivi.
Les prévalences de dépassement d’au moins un repère de consommation d’alcool à moindre risque ont été estimées, ainsi que les prévalences de dépassement de chacun des trois repères séparément. Ces prévalences ont été stratifiées en fonction de facteurs socio-démographiques (âge, éducation, revenu, catégorie socio-professionnelle, emploi, statut marital, statut familial), de facteurs liés à la consommation d’alcool (antécédents d’alcoolisation ponctuelle importante, dépendance à l’alcool mesurée avec le sous-score AUDIT en 7 items, et présenté en tercile), de facteurs liés à la consommation d’autres substances (tabagisme, vapotage, consommation de cannabis), et d’autres facteurs cliniques (grossesse, état de santé perçu, dépression traitée, maladies cardiovasculaires et cancers). Enfin, l’association entre le dépassement d’au moins un des repères de consommation et chacun des facteurs socio-démographiques et cliniques a été examinée par analyse de régression logistique binomiale univariée pour les échantillons complexes, et présentée sous la forme d’un odds ratio (risque relatif rapproché) avec son intervalle de confiance à 95 % (IC95 %).
Les résultats de cette étude sont les suivants. En 2019, 48 % (IC95 % : 47-49 %) des adultes de France métropolitaine âgés de 20 à 73 ans dépassaient au moins un des trois repères de consommation d’alcool à moindre risque. Le dépassement de ces repères concernait 60 % des hommes (IC95 % : 59-61 %) et 36 % des femmes (IC95 % : 35-37 %). Parmi les hommes, 49 % (IC95 % : 48-50 %) dépassaient les 2 « verres standard » par jour, 38 % (IC95 % : 37-39 %) dépassaient les 10 « verres standard » par semaine, et 42 % (IC95 % : 41-43 %) avaient moins de 2 jours par semaine sans consommation d’alcool. Parmi les femmes, 36 % (IC95 % : 35-37 %) dépassaient les 2 « verres standard » par jour, 18 % (IC95 % : 17-19 %) dépassaient les 10 « verres standard » par semaine, et 23 % (IC95 % : 22-24 %) avaient moins de 2 jours par semaine sans consommation d’alcool. Parmi les femmes enceintes, 7 % (IC95 % : 4-11 %) dépassaient au moins un repère de consommation à moindre risque.
Les prévalences stratifiées en fonction des facteurs socio-démographiques et cliniques sont présentées dans les Tableaux I et II. Le dépassement des repères de consommation était plus fréquent chez les hommes âgés de 65 à 74 ans que chez ceux âgés de 20 à 34 ans (odds ratio : 1,4 ; IC95 % : 1,2-1,6). Chez les femmes, les tendances étaient différentes, avec des prévalences plus faibles chez les femmes âgées de 35 à 54 ans que chez celles âgées de 20 à 34 ans (odds ratio : 0,8 ; IC95 % : 0,7-0,9). Les retraités étaient plus susceptibles de dépasser les repères de consommation que les personnes ayant un emploi, et ce constat valait aussi bien pour les hommes (odds ratio : 1,4 ; IC95 % : 1,2-1,6) que pour les femmes (odds ratio 1,2 ; IC95 % : 1,0-1,3). Les hommes cadres étaient plus susceptibles de dépasser les repères que les hommes n’ayant jamais travaillé (odds ratio : 1,6 ; IC95 % : 1,1-2,3). Un revenu familial plus élevé était significativement associé à une probabilité plus élevée de dépassement des repères. Chez les hommes, le stress au travail était négativement associé au dépassement des repères (odds ratio : 0,8 ; IC95 % : 0,7-0,9). Les femmes en couple étaient moins susceptibles de dépasser les repères que les femmes célibataires (odds ratio : 0,9 ; IC95 % : 0,8-1,0). Les repères de consommation étaient davantage dépassés par les femmes sans enfant que par les femmes ayant des enfants (odds ratio : 1,2 ; IC95 % : 1,1-1,3). La consommation de tabac, le vapotage, la consommation de cannabis, l’existence d’au moins un épisode d’alcoolisation ponctuelle importante au cours des 12 derniers mois, ainsi qu’un score de dépendance à l’alcool plus élevé étaient significativement associés à une probabilité plus élevée de dépasser les repères. Chez les femmes, l’existence d’une dépression traitée était associée à un risque augmenté de dépasser les repères (odds ratio : 1,3 ; IC95 % : 1,0-1,5). L’existence d’une dépression traitée et un moins bon état de santé perçu étaient négativement associés au dépassement des repères chez les hommes (odds ratio : 0,7 ; IC95 % : 0,6-0.9, et odds ratio : 0,9 ; IC95 % : 0,8-1,0, respectivement). Il n’y avait pas d’association significative entre l’existence d’une maladie cardiovasculaire ou d’un cancer et le dépassement des repères de consommation d’alcool.
Caractéristiques socio-démographiques de la population des participants qui dépassent au moins un des trois repères de consommation d’alcool à moindre risque en 2019 et selon le sexe (Pourcentages pondérés, n = 34 470).
Caractéristiques cliniques de la population des participants qui dépassent au moins un des trois repères de consommation d’alcool à moindre risque en 2019 et selon le sexe (Pourcentages pondérés, n = 34 470).
Les prévalences de dépassement des repères de consommation d’alcool à moindre risque dans cette étude sont en accord avec les résultats obtenus dans d’autres pays, tels que l’Australie et le Royaume-Uni, bien que les repères de consommation à moindre risque y soient moins stricts [5, 6]. Les prévalences plus élevées chez les hommes les plus âgés et chez ceux issus d’un milieu socio-économique plus élevé sont également en accord avec d’autres résultats obtenus en France et dans d’autres pays [1, 5, 7] : ces associations peuvent s’expliquer par un effet générationnel (c’est-à-dire une diminution globale de la consommation d’alcool dans les nouvelles générations) et par la probabilité plus élevée de consommer de l’alcool pour les individus ayant un niveau socio-économique élevé en raison de leur cercle social plus large, de l’absence de barrières financières et d’un meilleur état de santé [1]. Les prévalences plus élevées de dépassement des repères de consommation chez les femmes ayant un état dépressif sont en adéquation avec la fréquence de la co-occurrence entre la dépression et l’usage d’alcool [8]. L’association négative entre l’existence d’un état dépressif et le dépassement des repères de consommation chez les hommes incite à explorer davantage les effets de genre dans des études ultérieures. Le dépassement des repères de consommation d’alcool était également associé à la consommation d’autres substances, telles que le tabac et le cannabis [7, 9]. Enfin, l’existence d’un épisode récent d’alcoolisation ponctuelle importante, de même que le fait d’être à risque de trouble de l’usage de l’alcool, étaient des facteurs associés à des risques très augmentés de dépassement des repères de consommation [10]. Il convient d’intensifier les campagnes de sensibilisation de la population française aux conséquences néfastes de la consommation excessive d’alcool, ainsi qu’aux nouveaux repères de consommation d’alcool à moindre risque.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Liste des tableaux
Caractéristiques socio-démographiques de la population des participants qui dépassent au moins un des trois repères de consommation d’alcool à moindre risque en 2019 et selon le sexe (Pourcentages pondérés, n = 34 470).
Caractéristiques cliniques de la population des participants qui dépassent au moins un des trois repères de consommation d’alcool à moindre risque en 2019 et selon le sexe (Pourcentages pondérés, n = 34 470).
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