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Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 1, Janvier 2025
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Page(s) | 47 - 52 | |
Section | M/S Revues | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024193 | |
Published online | 31 January 2025 |
Chiliombes dans les génomes
Le cas des chimiorécepteurs des tétrapodes aquatiques
Massive gene losses: the case of chemoreceptors in aquatic tetrapods
1
Université Paris-Saclay, CNRS, IRD, UMR Evolution, génomes, comportement et écologie, Gif-sur-Yvette, France
2
Université Paris-Cité, UFR Sciences du Vivant, Paris, France
3
Evolution of Sensory and Physiological Systems, Max Planck Institute for Biological Intelligence, Martinsried, Allemagne
4
Zoological Institute, Department of Environmental Sciences, University of Basel, Bâle, Suisse
*
didier.casane@universite-paris-saclay.fr
L’existence de familles multigéniques est la conséquence des duplications de gènes. Chez les vertébrés, les gènes codant les chimiorécepteurs impliqués dans l’olfaction constituent souvent de grandes familles, comprenant parfois plusieurs milliers de gènes. Dans ce cas, il est admis qu’un grand nombre de gènes est essentiel pour discriminer la multitude de molécules odorantes différentes, et que la possibilité d’identifier une grande diversité d’odeurs peut être nécessaire à différentes occasions, comme au moment de la recherche de nourriture, de partenaires sexuels, et pour éviter des prédateurs. Il a toutefois été constaté que chez quelques espèces, le nombre de ces gènes est réduit, conséquence d’une perte de très nombreux gènes. Ces chiliombes* de gènes n’ont pas toujours été associées à une transformation de la biologie de l’espèce ou de son environnement, mais quelques cas impliquent des changements drastiques, comme le retour à une vie aquatique chez des tétrapodes.
Abstract
The existence of multigene families is the result of gene duplication. In vertebrates, the genes coding for the chemoreceptors involved in olfaction often form large families, sometimes comprising several thousand genes. In this case, it is assumed that a large number of genes is essential to discriminate between a large number of odorant molecules, and that the ability to identify a large number of odors may be necessary for different purposes, such as finding food and sexual partners, and avoiding predators. However, it has been found that in some species the number of these genes is very small, resulting from the secondary loss of many genes. This massive loss of genes is not always clearly associated with a change in the biology of the species or its environment, but in some cases, it is associated with drastic changes, such as the return to aquatic life in tetrapods.
© 2025 médecine/sciences – Inserm
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Tes gènes, tu les utilises ou tu les perds !
Les effets de la sélection naturelle sur l’évolution des génomes sont souvent difficiles à observer et encore plus difficiles à quantifier car ils se déroulent souvent sur des périodes de temps bien plus longues qu’une génération humaine. Toutefois, la destruction de gènes met en évidence de façon particulièrement claire l’importance de la sélection naturelle pour maintenir des gènes fonctionnels dans un génome. Quand il n’est pas nécessaire de maintenir un gène fonctionnel, c’est-à-dire que la perte de la fonction associée n’a pas, ou très peu, d’impact sur la valeur sélective de l’organisme, des mutations « perte de fonction », qui rendent un gène non fonctionnel, se fixent tôt ou tard dans les populations par dérive génétique (du seul fait du hasard) et sont alors présentes chez l’ensemble des individus appartenant à l’espèce. Le gène devenu non fonctionnel, ou pseudogène, passe dans la fraction d’ADN sans fonction utile pour l’organisme, le « junk DNA ». Par ailleurs, le processus de naissance-mort de gènes, ou « birth-death mode! » (Encadré), permet d’expliquer la production de nombreux pseudogènes sans modification des contraintes fonctionnelles. En effet, après la duplication d’un gène, les copies identiques ont des fonctions redondantes, et une copie peut devenir un pseudogène sans qu’il y ait d’effet sur la valeur sélective de l’organisme.
La dynamique des familles multigéniques
Le processus de duplication-destruction, ou naissance-mort, de gènes (birth-death process) est à l’origine des variations de la taille des familles de gènes [1]. La taille d’une famille de gènes croît quand un gène « naît » par duplication d’un gène appartenant à cette famille. Elle décroît quand un gène « meurt », c’est-à-dire quand il devient un pseudogène (un gène non fonctionnel) ou qu’il est éliminé du génome par une délétion d’un grand segment d’ADN le contenant. La taille d’une famille fluctue au cours du temps au gré des duplications et des destructions de gènes.
Deux transitions sont remarquables (Figure 1). La première est la création d’une nouvelle famille (avec une probabilité ν0 du passage de 0 à 1 copie) (Figure 1, flèche bleue). Les mécanismes à l’origine d’un nouveau gène, autres que par duplication d’un gène préexistant, sont relativement bien compris [2] (→).
(→) Voir le Débat de D. Casane et P. Laurenti, m/s n° 12, décembre 2014, page 1177
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Figure 1. Dynamique d’une famille de gènes. La taille d’une famille de gènes croît quand un gène « naît », par duplication d’un gène appartenant à cette famille (transitions ν). Elle décroît quand un gène « meurt » (transitions μ). |
Toutefois, la probabilité ν0 de création d’une nouvelle famille est encore mal connue. La deuxième transition remarquable est la disparition d’une famille multigénique (avec une probabilité μ1 du passage de 1 copie à 0 copie) (Figure 1, flèche rouge). Cette probabilité est souvent égale à zéro car la présence d’au moins une copie appartenant à une famille multigénique est nécessaire. Mais suite à la suppression de cette contrainte, par exemple à l’occasion d’un changement d’environnement, une famille de gènes peut devenir dispensable, donc la probabilité μ1 n’est plus égale à zéro et la famille de gènes finit tôt ou tard par être éliminée.
Un modèle très simple d’évolution de la taille de la plupart des familles multigéniques peut être proposé sur la base des hypothèses sousjacentes suivantes : 1) un seul gène est nécessaire et suffisant (probabilité de délétion μ1 = 0) ; 2) la probabilité de duplication et de perte d’un gène est proportionnelle à la taille de la famille (νn = nν et μn = nμ), c’est-à-dire que chaque gène de la famille a la même probabilité de se dupliquer (ν) ou d’être perdu (μ) ; 3) la probabilité de duplication est inférieure à la probabilité de perte (μ < ν) , sinon la taille de la famille multigénique peut croître indéfiniment [3]. Ce modèle neutre (on fait ici l’hypothèse que le nombre de copies dans une famille n’a pas d’effet sur la valeur sélective de l’organisme) est suffisant pour expliquer une observation fondamentale sur l’organisation des génomes, à savoir que la plupart des familles de gènes ne comprennent qu’un seul membre, ou très peu de membres, et que le nombre des familles de n membres décroît très rapidement en fonction de n [3-5]. Par ailleurs, quand on compare deux copies dans une famille multigénique, celles-ci sont souvent peu divergentes car elles sont le résultat d’une duplication récente [3, 6]. Il va de soi que le processus de naissance-mort des gènes dans les différentes familles de gènes est sans aucun doute plus complexe que le modèle présenté ci-dessus car les valeurs de νn et de μn varient probablement de façon plus complexe, mais il est remarquable qu’un modèle aussi simple explique l’essentiel de la distribution de la taille des familles multigéniques. Il permet d’expliquer l’existence transitoire de petites familles multigéniques sans recourir à des hypothèses fonctionnelles, comme la néo-fonctionnalisation et la sous-fonctionnalisation. Toutefois, il ne permet pas d’expliquer que des familles soient observées chez lesquelles plusieurs membres se maintiennent pendant très longtemps, et qu’il existe quelques familles de très grandes tailles. Il faut alors considérer d’autres processus évolutifs, non neutres, autrement dit que la présence de plusieurs copies divergentes d’un gène produise un avantage sélectif. Nous verrons dans l’article que la dynamique des grandes familles de gènes codant les récepteurs olfactifs et gustatifs est un modèle de choix pour analyser cette question.
Dans cette revue, nous présentons quelques études portant sur la mort de gènes en fonction de changements de la biologie des espèces et de leur environnement. Nous traiterons quelques cas impliquant des gènes uniques, puis des cas plus spectaculaires concernant de grandes familles de gènes.
Quand les poules auront des dents…
Les oiseaux actuels n’ont pas de dents et tout indique qu’elles étaient déjà absentes chez leur dernier ancêtre commun alors qu’elles étaient présentes chez les tout premiers oiseaux. Le bec et le gésier constituent l’équivalent fonctionnel des mâchoires garnies de dents des autres vertébrés [7]. Des structures ressemblant aux dents sont parfois réapparues chez des oiseaux aujourd’hui éteints, comme les impressionnantes pseudo-dents qui bordent le bec des espèces du genre Pelagornis [8], mais est-il possible que de « vraies » dents recouvertes de dentine et d’émail réapparaissent chez des oiseaux? C’est très peu probable car si les gènes impliqués dans les mécanismes moléculaires du développement des dents sont toujours présents, du fait qu’ils sont nécessaires au développement d’autres structures anatomiques, six gènes spécifiques et indispensables à la formation de la dentine et de l’émail ont été détruits par des mutations perte de fonction [9]. Pour certains de ces gènes, il ne reste que quelques fragments des séquences codantes initiales, et il est impossible que ces gènes ressuscitent dans le futur. Chez d’autres vertébrés édentés, comme les tortues (qui ont un bec corné, mais qui n’est pas homologue à celui des oiseaux), les baleines (qui ont des fanons à la place des dents), et les mammifères myrmécophages (qui mangent des fourmis), on constate une perte indépendante de quelques-uns ou de la totalité de ces mêmes gènes [9, 10]. Une autre étude [11], déjà présentée dans médecine/sciences [12] (→), a analysé la relation entre la perte de gènes et les changements de régime alimentaire chez les mammifères placentaires. Il est démontré que les chitinases, des enzymes qui dégradent la chitine constituant la carapace des insectes, étaient codées par cinq gènes constituant une famille multigénique chez l’ancêtre insectivore des mammifères placentaires, puis, qu’au cours de l’évolution vers d’autres régimes alimentaires, ces gènes ont pu être plus ou moins perdus. Aujourd’hui, il existe des insectivores chez lesquels ces gènes sont maintenus, alors que des herbivores ont perdu l’ensemble de cette famille de gènes.
(→) Voir la Nouvelle de F. Delsuc et al., m/s n° 1, janvier 2019, page 12
Et, délivrés de l’obscurité et des ténèbres, les yeux des aveugles verront…
Beaucoup d’animaux cavernicoles sont aveugles. Il est toutefois remarquable que chez les vertébrés cavernicoles, des yeux se forment transitoirement au cours du développement, avant de dégéné rer [l3, 14] (→).
(→) Voir la Nouvelle de M. Blin et S. Rétaux, m/s n° 1, janvier 2019, page 19
Est-ce que les gènes codant des protéines impliquées dans le fonctionnement des yeux ne sont plus fonctionnels ? L’examen du génome d’un poisson cavernicole totalement aveugle, Astyanax mexicanus, s’est révélé déconcertant : seul un pseudogène est retrouvé parmi des dizaines de gènes qui ne s’expriment que dans les yeux. Ces gènes auraient-ils d’autres fonctions qui maintiendraient la sélection naturelle contre les mutations perte de fonction, ou les populations cavernicoles appartenant à cette espèce sont-elles si récentes que ces mutations n’ont pas eu le temps d’apparaître et de se fixer ? Cette dernière hypothèse est soutenue par le fait que ces populations sont effectivement très récentes, probablement quelques dizaines de milliers d’années d’existence [15, 16], et par l’étude d’une autre espèce cavernicole, Lucifuga dentata, chez laquelle 19 pseudogènes ont été identifiés [16]. Chez cette espèce, la dégénérescence des yeux est associée à la dégénérescence de nombreux gènes car l’évolution dans l’obscurité des grottes a probablement commencé il y a plus d’un million d’années. Dans un tel cas, il est donc impossible que des yeux fonctionnels puissent réapparaître.
Ces quelques exemples illustrent le fait que lorsque des structures anatomiques, ici les dents et les yeux, ou une spécialisation alimentaire, ici l’insectivorie, ne sont pas conservées, les gènes spécifiques n’ont plus de raison d’être, et inévitablement les mutations qui les détruisent s’accumulent, car il n’y a plus la pression de sélection naturelle qui éliminait ces mutations auparavant. Toutefois, relativement peu de gènes sont concernés dans chacun de ces cas. Examinons maintenant des situations qui ont conduit à la disparition de centaines, voire de milliers de gènes.
Il paraît que cette hécatombe fut la plus belle de tous les temps…
L’olfaction et, dans une moindre mesure la gustation, sont des modalités sensorielles qui impliquent un grand nombre de gènes chez les vertébrés [17]. En effet, afin de pouvoir détecter une grande diversité de molécules odorantes provenant du milieu extérieur, il est nécessaire qu’une grande diversité de récepteurs moléculaires soit exprimée dans les organes de l’olfaction et de la gustation, chaque récepteur ne détectant qu’une ou quelques molécules. Chaque récepteur est une protéine codée par un gène, et donc beaucoup de récepteurs différents impliquent beaucoup de gènes différents qui appartiennent à quatre familles multigéniques [17]. Bien que la plupart des vertébrés possède un grand nombre de gènes codant des récepteurs olfactifs et quelques récepteurs gustatifs, il existe des espèces chez lesquelles le nombre de ces gènes est plus petit que généralement observé, voire très petit, résultat de la mort de gènes à plus ou moins grande échelle [17]. Chez des poissons à nageoires rayonnées, comme le poisson-lune Mola mola, et chez l’hippocampe Hippocampus comes, très peu de gènes codant des récepteurs olfactifs ont été identifiés. Cependant, la perte de centaines de gènes qu’implique ce peu de gènes n’a pas pu être associée à des modifications de la biologie de ces espèces ou à celles de l’environnement dans lequel elles vivent [18]. Chez les tétrapodes, des pertes de la même ampleur ont été observées, mais dans ce cas, des hypothèses évolutives ont pu être proposées. Les tétrapodes sont des vertébrés dont l’ancêtre commun est sorti de l’eau, passé de la vie aquatique à la vie terrestre, il y a environ 390 millions d’années. Ils se sont ensuite diversifiés en de nombreuses lignées présentant des modes de vie très différents, et quelques groupes sont revenus à un mode de vie plus ou moins complètement aquatique.
Dès les premières études de génomique comparée, il est apparu que les primates ont souvent moins de gènes codant des récepteurs olfactifs que les espèces appartenant à d’autres ordres de mammifères [19], avec des exceptions notables que nous discuterons par la suite. Une période majeure de pertes de ces gènes a été identifiée. Elle correspond à la branche représentant l’ancêtre commun des haplorrhiniens (Figure 2, flèche rouge), période pendant laquelle s’est développée une vision plus fine, avec l’apparition de la fovéa (zone centrale de la rétine où la vision des détails est la plus précise) et la disparition du tapetum lucidum (une couche réfléchissante située au fond de l’œil), nécessaire à la transition d’un mode de vie nocturne à un mode de vie diurne. Les pertes de gènes se sont poursuivies dans différentes lignées de ce groupe, comme celle menant à l’homme. Chez les cercopithèques, la perte des gènes de l’olfaction aurait été amplifiée avec le passage d’une alimentation à base de fruits à la consommation de feuilles. Chez les tarsiers, il y a eu un retour à la vie nocturne, mais ces animaux aux yeux énormes, qui ont gardé l’organisation anatomique des haplorrhiniens, ne présentent pas une amplification secondaire des gènes de l’olfaction [20]. Chez les strepsirrhiniens, constitué d’espèces qui ont pour la plupart conservé le mode de vie nocturne ancestral des primates, un plus grand nombre des gènes codant les récepteurs olfactifs est maintenu. Ces différentes observations suggèrent que, chez les primates, le passage à un mode de vie diurne chez les haplorrhiniens a favorisé la vision au détriment de l’olfaction. Aucun effet n’a été observé sur les gènes de la gustation (Figure 2).
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Figure 2. Évolution du nombre de gènes codant les récepteurs olfactifs chez les primates. La flèche rouge pointe sur la période principale de perte de gènes chez les primates. (Figure produite à partir des données de [17], les silhouettes d’animaux ont été obtenues sur le site PhyloPic-phylopic.org). |
Le retour à une vie aquatique, un autre changement de mode de vie, a eu des conséquences plus importantes sur l’évolution des gènes codant les récepteurs olfactifs et gustatifs présents chez d’autres espèces de tétrapodes. Cette transition, plus ou moins complète, s’est produite indépendamment à plusieurs reprises chez les tortues, les serpents, les oiseaux et chez les mammifères (Figure 3).
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Figure 3. Évolution du nombre de gènes codant les récepteurs olfactifs chez les tétrapodes aquatiques. En bleu, les espèces aquatiques ; en orange les espèces terrestres les plus proches. (Figure produite à partir des données de [17], les silhouettes d’animaux ont été obtenues sur le site PhyloPic-phylopic.org). |
C’est chez les cétacés (mammifères aquatiques) que le retour à une vie aquatique est la plus totale. Elle a eu pour conséquence la disparition chez ces animaux du plus grand nombre de gènes codant des récepteurs olfactifs. Il a été estimé que l’ancêtre commun des mammifères possédait environ 800 récepteurs olfactifs différents [21]. Ce nombre s’est particulièrement réduit chez les cétacés, comme le dauphin, Tursiops truncatus (Figure 3), chez lesquels seulement 35 gènes encore fonctionnels et 179 pseudogènes sont retrouvés. La réduction drastique du nombre de gènes codant les récepteurs olfactifs est observée aussi bien chez les odontocètes (cétacés à dents) que chez les mysticètes (cétacés à fanons). La perte des gènes a commencé très tôt au cours de l’évolution des cétacés, il y a environ 50 millions d’années. C’est pour cette raison que la plupart des pseudogènes ne sont pas identifiables, soit parce qu’ils ont été éliminés par de grandes délétions d’ADN, soit parce qu’ils ont accumulé tant de mutations qu’il n’est plus possible de les identifier comme d’anciens gènes [22]. La destruction des gènes s’est poursuivie indépendamment dans les deux lignées en fonction de la perte plus ou moins importante des structures anatomiques impliquées dans l’olfaction. Les odontocètes, qui n’ont pas de système olfactif fonctionnel, ont totalement perdu la capacité de sentir, alors que les mysticètes ont conservé un système olfactif qui fonctionne [23, 24]. La raison de cette différence reste aujourd’hui incomprise.
Le sens du goût est aussi très réduit, voire complètement absent chez les cétacés, car ces animaux ont aussi perdu la plupart, ou tous, les récepteurs gustatifs. Chez le dauphin, on ne retrouve aucun récepteur gustatif fonctionnel, mais 13 pseudogènes (Figure 3). L’olfaction et la gustation sont donc des modalités sensorielles qui sont réduites ou totalement perdues chez les cétacés, mais qui sont compensées chez les odontocètes par une innovation, l’écholocation.
Chez d’autres mammifères marins, les pinnipèdes, comme les phoques, et les siréniens, comme les lamentins, bien qu’une réduction de la taille des familles de gènes codant les récepteurs olfactifs et gustatifs soit bien documentée (Figure 3), celle-ci apparaît moins drastique que chez les cétacés, signature que ces modalités sensorielles jouent toujours un rôle important chez ces animaux. Chez les oiseaux, les serpents et les tortues, le retour à une vie pratiquement exclusivement aquatique a eu aussi des conséquences négatives sur le maintien des gènes de l’olfaction et de la gustation, avec des pertes massives des gènes de la gustation chez les manchots et les tortues marines (Figure 3).
Conclusion
La plupart des familles multigéniques sont de petite taille, ce qui peut être expliqué par un processus neutre de naissance et de mort des gènes, avec un excès de morts par rapport aux naissances (voir encadré). Les pseudogènes, produits de ce processus, sont parfois en nombre similaire à celui des gènes dans un génome. Leur présence en grand nombre est la signature des limites à l’optimisation par la sélection naturelle, c’est-à-dire qu’ils ne présentent pas un effet délétère suffisamment fort pour que la sélection naturelle les élimine efficacement [25, 26].
L’existence de grandes familles montre qu’il y a parfois un avantage sélectif fort à maintenir un grand nombre de gènes apparentés, comme dans le cas des gènes codant les récepteurs olfactifs, au prix de la production d’un grand nombre de pseudogènes. Dans un environnement dans lequel le maintien d’une grande famille de gènes n’est pas utile, sa taille décroît rapidement. Elle peut parfois disparaître totalement. La dynamique de perte des gènes codant les récepteurs olfactifs et gustatifs est un modèle particulièrement utile pour comprendre le processus de contraction de grandes familles de gènes en fonction de la biologie et de l’écologie d’une espèce ou d’un ensemble d’espèces en interaction.
Remerciements
Nous remercions chaleureusement les étudiants du Magistère de génétique de l’université de Paris-Cité pour les riches discussions qui ont été à l’origine de la rédaction de cet article.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
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Liste des figures
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Figure 1. Dynamique d’une famille de gènes. La taille d’une famille de gènes croît quand un gène « naît », par duplication d’un gène appartenant à cette famille (transitions ν). Elle décroît quand un gène « meurt » (transitions μ). |
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Figure 2. Évolution du nombre de gènes codant les récepteurs olfactifs chez les primates. La flèche rouge pointe sur la période principale de perte de gènes chez les primates. (Figure produite à partir des données de [17], les silhouettes d’animaux ont été obtenues sur le site PhyloPic-phylopic.org). |
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Figure 3. Évolution du nombre de gènes codant les récepteurs olfactifs chez les tétrapodes aquatiques. En bleu, les espèces aquatiques ; en orange les espèces terrestres les plus proches. (Figure produite à partir des données de [17], les silhouettes d’animaux ont été obtenues sur le site PhyloPic-phylopic.org). |
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