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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 12, Décembre 2024
Épigénétique : développement et destin cellulaire
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Page(s) | 973 - 975 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024166 | |
Published online | 20 December 2024 |
Comment le virus Usutu résiste à la restriction par l’exonucléase ISG20
How Usutu virus resists ISG20-mediated restriction
1
Trafic viral, restriction et immunité innée, Institut de recherche en infectiologie de Montpellier (IRIM), Université de Montpellier, CNRS UMR 9004, Montpellier, France
2
Unité Signalisation antivirale, CNRS UMR 3569, Institut Pasteur, Université Paris Cité, Paris, France
3
Université de Strasbourg, CNRS, Architecture et réactivité de l’ARN, UPR 9002, Strasbourg, France
4
Architecture et fonction des macromolécules biologiques (AFMB), Aix Marseille Université, CNRS UMR 7257, Marseille, France
Le virus Usutu, un flavivirus émergent
Virus de la dengue (DENV), virus de la fièvre jaune (YFV), virus du Nil occidental (WNV), virus Zika (ZIKV)… Quel est le point commun à ces virus hautement pathogènes pour l’homme ? Tous appartiennent au genre orthoflavivirus, au sein de la famille des Flaviviridae. Ce genre viral compte plus de 70 membres, communément appelés flavivirus, dont plusieurs émergent ou réémergent partout dans le monde, ce qui constitue un risque important pour la santé publique [1]. Le virus de la dengue, notamment, menace désormais près de la moitié de la population mondiale, et le nombre de cas d’infection par ce virus a décuplé depuis le début du XXIe siècle. ZIKV et WNV sont également responsables d’épidémies dont la fréquence et l’ampleur sont en constante augmentation.
L’émergence des flavivirus est principalement liée à leur transmission par les arthropodes, dont la répartition géographique s’est considérablement étendue au cours des dernières décennies. En plus des principaux virus pathogènes humains, d’autres flavivirus émergent dans diverses régions du monde, à l’instar du virus Usutu (USUV). Découvert en Afrique du Sud en 1959, ce virus neurotrope se répand en Europe depuis les années 2000. Responsable de la mort massive d’oiseaux sauvages, il peut également infecter l’homme et causer de graves troubles neurologiques [2]. La propagation de ce virus hors d’Europe est une source de préoccupation, d’autant qu’il partage de nombreuses caractéristiques avec le virus WNV.
Caractéristiques des flavivirus
Les flavivirus sont des virus enveloppés de petite taille, dont le génome est composé d’un ARN monocaténaire de polarité positive, coiffé, mais sans queue poly(A). Ce génome possède un seul cadre de lecture codant une polyprotéine unique, flanqué de régions structurées mais non traduites (untranslated regions, UTR) aux extrémités 5′ et 3′.
À la suite de la piqûre d’un moustique infecté, les flavivirus se répliquent dans la peau avant de se disséminer dans l’ensemble de l’organisme. L’infection des cellules débute lorsque les protéines d’enveloppe du virus interagissent avec des récepteurs cellulaires, ce qui permet l’entrée du virus par endocytose. La baisse du pH dans les endosomes induit un changement de conformation des protéines d’enveloppe, ce qui provoque une fusion membranaire et libère le génome viral dans le cytoplasme. Le génome est alors traduit en polyprotéines, qui sont ensuite clivées pour produire des protéines fonctionnelles. Ces protéines forment des complexes de réplication, issus d’invaginations du réticulum endoplasmique, dans lesquels l’ARN viral est répliqué et les nouvelles particules virales assemblées. Les virions néoformés subissent une maturation dans l’appareil de Golgi avant leur libération dans le milieu extracellulaire par exocytose.
La réponse interféron aux infections à flavivirus
La réplication des flavivirus, comme celles des autres virus, est sensible aux interférons, des cytokines antivirales produites par les cellules infectées. Les interférons ne bloquent pas directement la réplication virale, mais induisent dans les cellules environnantes l’expression de centaines de gènes « induits par l’interféron » (interferon-stimulated genes, ISG). Ce sont les protéines codées par ces gènes qui vont protéger les cellules de l’infection, puisqu’elles sont capables d’inhiber les virus en interférant avec différentes étapes de leur cycle de réplication.
Chacune de ces protéines possède un spectre d’action qui lui est propre. Certaines ciblent spécifiquement un virus, tandis que d’autres ont une action antivirale à large spectre. Une vingtaine d’entre elles, dont SHFL (shiftless antiviral inhibitor of ribosomal frameshifting), IFI6 (interferon a -inducible protein 6), RTP4 (receptor transporter protein 4), RSAD2 (radical S-adenosyl methionine domain-containing 2), SLFN11 (Schlafen family member 11) et ISG20 (Interferon-stimulated gene 20 kDa protein), ont été décrites comme inhibant la réplication des flavivirus. Néanmoins, ces derniers ont développé des mécanismes pour échapper à l’action de ces protéines, notamment en inhibant la réponse interféron afin de pouvoir se répliquer avant qu’elles soient synthétisées [3].
ISG20, une exonucléase à large spectre antiviral
ISG20 est une protéine induite par l’interféron qui possède une activité antivirale à large spectre, ciblant principalement les virus à ARN [4, 5]. Son action repose principalement sur la dégradation de l’ARN viral par son activité exonucléase 3′-5′. ISG20 agit principalement sur les ARN simplebrin [6], tandis qu’elle est moins efficace pour dégrader les ARN double-brin ainsi que les structures en tige-boucle [6, 7].
Le mécanisme par lequel ISG20 dégrade préférentiellement les ARN viraux tout en épargnant les ARN cellulaires est encore mal compris [8, 9] (→).
(→) Voir la Nouvelle de N. Rousseaux et L. Andrieux, m/s n° 11, novembre 2021, page 1070
Il a été suggéré que les protéines associées à la queue poly(A) des ARNm cellulaires, telles que PABP1 (polyadenylate-binding protein 1), les protègent de la dégradation [7]. Cependant, cette hypothèse ne suffit pas à expliquer comment ISG20 distingue les ARN du soi et du non-soi, car le génome de certains virus sensibles à ISG20 est également pourvu d’une queue poly(A). Certains virus n’appartenant pas à la famille des Flaviviridae, comme le SARS-CoV (un coronavirus) ou le virus de la fièvre de la vallée du Rift (un phlébovirus), sont également capables de résister à ISG20, bien que les mécanismes de cette résistance restent mal compris [5].
Nous avons récemment découvert le mécanisme par lequel le virus de l’immunodéficience humaine de type 1 (VIH-1) protège son génome de la dégradation par ISG20 [10, 11] (→).
(→) Voir la Synthèse de A. Decombe et al., m/s n° 5, mai 2024, page 421
Ce virus détourne la méthyltransférase cellulaire FTSJ3 pour ajouter des 2’-O-méthylations au sein de son génome. Ces modifications épigénomiques empêchent ISG20 de le dégrader, par encombrement stérique [10, 11].
Sensibilité des flavivirus à ISG20
Les génomes des flavivirus ne possèdent pas de queue poly(A), mais leur région 3′-UTR est très structurée, avec de nombreuses tiges-boucles et structures en forme d’haltère repliées par des pseudonœuds [12]. Pourtant, malgré l’existence de ces structures double-brin complexes, DENV, ZIKV, YFV et WNV sont sensibles à ISG20 [5]. USUV est le seul flavivirus connu résistant à l’activité antivirale de ISG20 [13] (Figure 1A). Comme USUV est phylogénétiquement très proche de WNV, nous avons cherché à comprendre pourquoi ces deux virus diffèrent en termes de sensibilité à ISG20.
Figure 1 La structure DB2 de la région 3′-UTR de l’ARN génomique du virus Usutu lui confère une résistance à l’exonucléase cellulaire ISG20. A. Contrairement à d’autres flavivirus transmis par les moustiques, comme les virus de la fièvre jaune (YFV), de la dengue (DENV), Zika (ZIKV), ou encore du Nil occidental (WNV), le virus Usutu (USUV) est résistant à l’activité exonucléase de ISG20. B. Pour localiser la structure de la région 3’ non-traduite (3’ untranslated region, 3’-UTR) du génome de USUV responsable de cette résistance, nous avons construit des virus WNV chimériques, dont le génome contient un ou plusieurs domaines issus de la région 3’-UTR de USUV. Cette approche expérimentale a permis d’identifier le sous-domaine DB2 de USUV comme nécessaire et suffisant pour conférer au WNV la résistance à ISG20. L’étude de la structure secondaire de DB2 a mis en évidence de courtes séquences nucléotidiques complémentaires situées à sa base, qui pourraient jouer un rôle dans la résistance à ISG20. C. Mécanisme proposé de la résistance de USUV à ISG20. La dégradation de l’ARN par ISG20 conduit à la rupture des pseudo-nœuds (PK) qui maintiennent les structures de DB1 et DB2. Les séquences complémentaires à la base de DB2 peuvent alors s’apparier, stabilisant la tige-boucle et lui conférant ainsi une résistance à la dégradation par ISG20. |
En purifiant les ARN viraux issus de cellules infectées par USUV ou par WNV, puis en les incubant avec la protéine ISG20 recombinante, nous avons observé que les ARN de WNV étaient mieux dégradés que ceux de USUV, dont la résistance à la dégradation était comparable à celle des ARNm cellulaires [13]. Par analogie avec VIH-1, nous avons d’abord exploré la possibilité d’un rôle des 2′-O-méthylations, mais nos résultats ont permis d’écarter cette hypothèse dans le cas de USUV [10]. Étant donné que ISG20 dégrade les ARN à partir de leur extrémité 3′, nous avons constaté, sans surprise, que c’était la région 3′-UTR du génome de USUV qui lui conférait cette résistance. Nous avons même réussi à transférer cette résistance à WNV en remplaçant sa région 3′-UTR par celle de USUV, ce qui prouve que cette région suffit à protéger l’ARN viral de l’action de ISG20 [13] (Figure 1B).
La région 3′-UTR des flavivirus étant composée de trois domaines conservés, nous avons cherché à identifier celui qui confère au génome de USUV sa résistance à ISG20. Après avoir construit des virus WNV chimériques, dont le génome intégrait un ou plusieurs domaines du génome de USUV dans sa région 3′-UTR, nous avons évalué leur sensibilité à ISG20, et ainsi identifié le domaine 2 comme responsable de la résistance. Chez tous les flavivirus, ce domaine est formé de deux structures très conservées en forme d’haltère (dumbbell 1 et 2, DB1 et DB2), dont les boucles forment des pseudo-nœuds (pseudoknots, PK) avec une région adjacente de l’ARN [13] (Figure 1B). De part et d’autre du domaine DB2 de USUV, nous avons identifié une séquence complémentaire de quatre nucléotides (Figure 1B), qui est absente du génome de WNV. Après avoir confirmé que le domaine DB2 du génome de USUV constituait le fragment minimal nécessaire pour conférer la résistance de WNV à la dégradation par ISG20 (Figure 1B), nous avons proposé le mécanisme suivant pour expliquer la résistance naturelle de USUV à cette dégradation : lorsque l’exonucléase ISG20 commence à dégrader l’ARN génomique de USUV à partir de son extrémité 3′, elle rompt les pseudo-nœuds, ce qui permet l’appariement des petites séquences d’ARN complémentaires flanquant le domaine DB2. Cela produit une longue structure d’ARN double-brin résistante à l’action de ISG20 (Figure 1C). Aucun autre ARN génomique de flavivirus ne peut former une telle structure faute de posséder ces séquences complémentaires à la base du domaine DB2, ce qui explique pourquoi seul USUV résiste à la dégradation de son ARN génomique par ISG20 [13].
Le fait d’avoir pu conférer à WNV la résistance à ISG20 en remplaçant une petite portion de son génome par celle du génome de USUV soulève la possibilité qu’un autre flavivirus puisse acquérir cette résistance spontanément. En effet, WNV et USUV circulent dans plusieurs pays européens, et des cas de co-infection d’oiseaux par ces deux virus ont été rapportés [14], ce qui pourrait favoriser un évènement de recombinaison entre les génomes de ces virus.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Liste des figures
Figure 1 La structure DB2 de la région 3′-UTR de l’ARN génomique du virus Usutu lui confère une résistance à l’exonucléase cellulaire ISG20. A. Contrairement à d’autres flavivirus transmis par les moustiques, comme les virus de la fièvre jaune (YFV), de la dengue (DENV), Zika (ZIKV), ou encore du Nil occidental (WNV), le virus Usutu (USUV) est résistant à l’activité exonucléase de ISG20. B. Pour localiser la structure de la région 3’ non-traduite (3’ untranslated region, 3’-UTR) du génome de USUV responsable de cette résistance, nous avons construit des virus WNV chimériques, dont le génome contient un ou plusieurs domaines issus de la région 3’-UTR de USUV. Cette approche expérimentale a permis d’identifier le sous-domaine DB2 de USUV comme nécessaire et suffisant pour conférer au WNV la résistance à ISG20. L’étude de la structure secondaire de DB2 a mis en évidence de courtes séquences nucléotidiques complémentaires situées à sa base, qui pourraient jouer un rôle dans la résistance à ISG20. C. Mécanisme proposé de la résistance de USUV à ISG20. La dégradation de l’ARN par ISG20 conduit à la rupture des pseudo-nœuds (PK) qui maintiennent les structures de DB1 et DB2. Les séquences complémentaires à la base de DB2 peuvent alors s’apparier, stabilisant la tige-boucle et lui conférant ainsi une résistance à la dégradation par ISG20. |
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