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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 10, Octobre 2024
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Page(s) | 705 - 706 | |
Section | Éditorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024111 | |
Published online | 25 October 2024 |
La polémique sur le cholestérol et les statines : un exemple de fake news médicale
The controversy over cholesterol and statins: An example of medical fake news
Paris centre de recherche cardiovasculaire (PARCC) Inserm U970, Université Paris Cité Paris France
On se souvient de la polémique sur le rôle du cholestérol dans l’athérosclérose et sur l’efficacité des statines en tant que traitement, qui a agité à la fois les médias ainsi que les milieux scientifiques et médicaux pendant plusieurs années au milieu des années 2010. Dans une analyse d’un documentaire à charge Cholestérol : le grand bluff, diffusé sur Arte, Télérama n’hésitait pas à affirmer le 18 octobre 2016 : « La théorie qui fait du cholestérol le principal responsable des maladies cardio-vasculaires est contestée depuis les années 1960 mais s’est imposée avec l’appui considérable de l’industrie agro-alimentaire et des laboratoires pharmaceutiques fabriquant des statines, ces médicaments anti-cholestérol prescrits par millions autour du globe… Le dogme d’un cholestérol coupable est aujourd’hui si enraciné que ses détracteurs ont toutes les peines du monde à convaincre de son innocence, même preuves à l’appui ». En réalité, ses détracteurs n’étaient que deux, un ancien doyen de faculté de médecine et un chercheur-cardiologue du CNRS. Cette campagne préfigurait à une moindre échelle ce que nous allions vivre pendant la période de la Covid, avec la diffusion continue de « fake news » et la mise en avant par les médias de la figure contestée du Professeur Raoult. Les idées iconoclastes en science sont souvent, de nos jours, mises au même niveau que celles fondées sur des preuves solides, car l’opinion tend à l’emporter sur la démonstration.
La découverte du cholestérol comme initiateur de l’athérosclérose remonte au début du xxe siècle. En 1913, le médecin russe Nikolay Anitschkow décrit pour la première fois l’accumulation de cholestérol dans la paroi athéromateuse de lapins nourris au jaune d’œuf et hypercholestérolémiques. Anitschow observe déjà des « Cholesterinester Phagozyten » (sa publication était en allemand), connues aujourd’hui sous le nom de cellules spumeuses, des macrophages gorgés d’esters de cholestérol. Il donne ainsi naissance à l’hypothèse selon laquelle l’infiltration lipidique déclencherait la formation de la plaque d’athérosclérose. Malheureusement, lorsque d’autres à sa suite tentèrent de reproduire cette expérience chez d’autres espèces animales en essayant d’induire l’athérosclérose par un régime riche en matières grasses, ils échouèrent. Du coup, à cette époque déjà, les détracteurs de l’hypothèse lipidique étaient légion. Il fallut attendre les années 1950 et l’identification des différentes étapes du métabolisme des lipides pour comprendre que chez la plupart des mammifères, à l’exception du lapin, le cholestérol produit à partir des acides gras apportés par l’alimentation est efficacement dégradé dans le foie en acides biliaires. De ce fait, chez ces espèces, une alimentation riche en graisses n’a aucun effet sur les taux plasmatiques de cholestérol, qui restent inexorablement bas. Toutefois, si l’on bloque pharmacologiquement la dégradation du cholestérol en acides biliaires, les taux plasmatiques de cholestérol s’élèvent significativement et on peut, dès lors que la cholestérolémie est élevée, observer des plaques d’athérome chez toutes les espèces étudiées : chien, chat, rat, chimpanzé, perroquets, pour ne citer que quelques exemples, jusqu’au poisson zèbre. À noter que 30 % des chiens Beagles souffrant de thyroïdite lymphocytaire sont prédisposés à développer une athérosclérose. Cette prédisposition est liée à la diminution du taux de l’hormone thyroidienne T4 (ou thyroxine), impliquée dans la régulation de l’enzyme responsable de la dégradation du cholestérol (la cholestérol 7a-hydroxylase). Ces chiens présentent une hyperlipidémie spontanée caractérisée par une augmentation des concentrations de cholestérol et des triglycérides dans le sang.
Finalement, l’avenir donnera raison à Anitschkow. Michael Brown et Joseph Goldstein, prix Nobel de physiologie ou médecine en 1985, ont identifié et décrit le rôle des récepteurs des lipoprotéines de faible densité (low density lipoproteins, LDL), les lipoprotéines les plus athérogènes, qui transportent le cholestérol hydrophobe dans le plasma, démontrant ainsi leur implication dès la phase la plus précoce de l’athérosclérose. Il est maintenant largement admis que le cholestérol circulant joue un rôle majeur dans la genèse de l’athérosclérose, et que réduire la cholestérolémie est une cible thérapeutique essentielle pour diminuer le risque d’infarctus du myocarde. Ce consensus s’appuie sur un nombre impressionnant d’études reproductibles menées dans de nombreux pays. Une méta-analyse englobant près d’un million et demi d’individus a montré qu’il existe une relation parfaitement linéaire entre la concentration du cholestérol sanguin et le risque d’infarctus, relation d’autant plus forte chez les sujets plus jeunes.
Il faut cependant reconnaître que si le cholestérol est un facteur nécessaire, il n’est pas suffisant. Son expression morbide dépend d’autres éléments liés à la réponse inflammatoire vasculaire locale et à de multiples facteurs de risque, comme l’hypertension artérielle, le tabagisme, le diabète, l’obésité et la sédentarité. Dans les modèles animaux, tout comme dans l’espèce humaine, on observe souvent des lésions d’athérosclérose très variables pour un même niveau sanguin de cholestérol, ce qui a conduit les plus sceptiques à affirmer que l’athérosclérose n’a rien à voir avec le cholestérol… En revanche, l’athérosclérose ne peut pas se développer si les niveaux de cholestérolémie sont suffisamment bas. Cette corrélation est si forte que des individus porteurs d’une mutation du gène PCSK9 (proprotein convertase subtilisin/kexin type 9), dont le produit contrôle les taux sanguins de cholestérol, ne souffrent quasiment jamais d’infarctus du myocarde [1]. Ces individus ont, dès leur naissance, des taux de cholestérol sanguin extrêmement bas (< 0,9 g/L) comparés à la population générale, pour laquelle les valeurs de cholestérolémie considérées comme normales se situent entre 1,5 et 2 g/L selon l’âge.
Il existe de nombreuses formes d’athérosclérose à cholestérolémie dite normale, mais il n’existe pas d’athérosclérose avec une cholestérolémie très basse, comme celle observée dans les populations aborigènes de chasseurs-cueilleurs ou les populations japonaises qui consommaient principalement du poisson jusqu’aux années 1950. Une étude réalisée auprès d’individus âgés de 40 à 94 ans dans des villages de Bolivie peuplés de Tsimanes, qui vivent encore comme des chasseurs-cueilleurs, montre que 85 % d’entre eux ne présentent aucun risque d’avoir une maladie cardiovasculaire [2]. De plus, deux tiers de ceux âgés de plus de 75 ans n’ont toujours aucun risque malgré le vieillissement. Ils ont des taux sanguins de LDL-cholestérol (environ 0,9 g/L) et de glucose très bas, et une tension artérielle normale.
Pour être efficace, la réduction du taux sanguin de cholestérol doit commencer très tôt dans la vie, car les lésions d’athérosclérose se développent dès le plus jeune âge. Les études d’observation et les études cas-témoins montrent qu’au-delà d’un taux de cholestérol total d’environ 1,60 g/L, il existe une relation linéaire entre cholestérolémie et mortalité cardiovasculaire. L’étude INTERHEART, qui a examiné les facteurs de risque d’infarctus sur une population de 15 000 personnes ayant déjà fait un infarctus, comparée à une population témoins de 15 000 personnes de même sexe et de même âge sans antécédent d’infarctus, a révélé que les mêmes facteurs de risque sont retrouvés dans toutes les régions du monde, le cholestérol sanguin (analysé sous forme du rapport Apo[apolipoprotéine]B100/ ApoA1) étant le plus important de ces facteurs, indépendamment de la région du globe [3].
Une fois le rôle du cholestérol reconnu dans la survenue des infarctus du myocarde, la réduction de la cholestérolémie est devenue une priorité thérapeutique. Faute d’options médicamenteuses efficaces, la diététique a été longtemps considérée comme la meilleure approche, malgré son efficacité restreinte dans toutes ses formes. La découverte des statines, a radicalement changé la donne. Ces médicaments, développés par le biochimiste japonais Akira Endo (1933-2024) au sein des laboratoires de la compagnie pharmaceutique japonaise Sankyo, ont permis de diminuer significativement les taux sanguins de cholestérol en inhibant spécifiquement l’enzyme HMG-CoA réductase (3-hydroxy-3-méthylglutaryl-coenzyme A réductase), responsable de sa synthèse.
Les statines représentent probablement la classe médicamenteuse la plus étudiée dans des essais cliniques randomisés à long terme, connus pour leur rigueur méthodologique. Principalement menées aux États-Unis et en Europe du Nord, certaines études ont également inclus des populations d’Europe du Sud, ainsi que des pays à faible risque cardiovasculaire, comme le Japon. Une méta-analyse regroupant vingt-sept de ces études a révélé une diminution de la mortalité globale de 10 % avec des traitements par statines, ainsi qu’une diminution de la mortalité par coronaropathie et du risque d’infarctus de 24 % pour chaque diminution de 0,4 g/L du taux de cholestérol-LDL sanguin, indépendamment du sexe et du risque initial des participants [4]. Ces analyses ont clairement démontré que la réduction des accidents cardiovasculaires est proportionnelle à la réduction du cholestérol sanguin, quel que soit le contexte des populations étudiées. Cependant, contre toute évidence, dans une déclaration marquée par une malhonnêteté intellectuelle flagrante, le doyen de médecine qui menait la polémique contre les statines a déclaré, lors d’une émission matinale sur une radio à grande audience : « Achèteriez-vous une voiture si on vous disait que seulement 20 % étaient capables de rouler ? ».
En conclusion, le cholestérol est le primum movens de l’athérosclérose et les statines ont sauvé des millions de vies depuis leur mise sur le marché en 1987, mais leur remise en question suscite beaucoup plus d’attention dans les médias que leur défense.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Cohen JC, Boerwinkle E, Mosley TH Jr, Hobbs HH. Sequence variations in PCSK9, low LDL, and protection against coronary heart disease. N Engl J Med 2006 ; 354 : 1264–72. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Kaplan H, Thompson RC, Trumble BC, et al. Coronary atherosclerosis in indigenous South American Tsimane: a cross-sectional cohort study. Lancet 2017 ; 389 : 1730–9. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Yusuf S, Hawken S, Ounpuu S, et al. Effect of potentially modifiable risk factors associated with myocardial infarction in 52 countries (the INTERHEART study): case-control study. Lancet 2004 ; 364 : 937–52. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaboration, Fulcher J, O’Connell R, Voysey M, et al. Efficacy and safety of LDL-lowering therapy among men and women: meta-analysis of individual data from 174,000 participants in 27 randomised trials. Lancet 2015 ; 385 : 1397–405. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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