Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 8-9, Août-Septembre 2024
Les microbes, l’Anthropocène et nous
Page(s) 653 - 653
Section M/S Revues
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024097
Published online 20 September 2024

La réduction de la biodiversité tient une place prépondérante dans l’argumentaire écologique qui s’est construit ces dernières décennies face au constat de l’impact négatif croissant des activités humaines sur la planète. En dépit du débat sémantique, le terme « Anthropocène » s’est largement imposé pour caractériser – en général à partir du début de la révolution industrielle – la nature des activités « anthropiques » et leurs effets globaux sur la planète, à commencer par l’effondrement de la biodiversité et les bouleversements climatiques. En matière de santé, la vision d’un écosystème planétaire partagé en souffrance a consolidé un concept « une seule santé » (One health) traduisant l’interdépendance sanitaire étroite des mondes végétal, animal et humain.

Il est cependant étonnant de constater à quel point le monde microbien est absent de l’argumentaire écologique actuel. Ce monde microscopique, donc invisible à l’œil nu, s’efface derrière le monde macroscopique, et est largement absent des « grandes messes écologiques » internationales comme les COP (Conférence de Parties) ; c’est le nouveau « monde du silence », et pourtant...

Le monde des microbes bactéries, archées, champignons, virus et protozoaires représente plus de 16 % de la biomasse terrestre et 95 % de sa biodiversité ! Nous ne serions pas apparus sur la planète en tant qu’eucaryotes complexes sans les microbes et leur immense diversité ; le pool incommensurable de gènes qu’ils représentent est gage de résilience pour l’ensemble du vivant.

Ces microbes jouent un rôle fondamental dans les grands cycles terrestres (CO2, O2, CH4, N2, etc.) ; ils dépolluent sols et océans, et sous forme de rhizosphère, ils entrent en symbiose avec les racines végétales et apportent nutriments et azote, ce dernier éléments chimique étant indispensable à la synthèse d’acides aminés. Ce processus symbiotique est général ; le monde animal – dont l’homme – a co-évolué avec les microbes, et la symbiose mutualiste qui en a résulté a rendu le microbiome, en particulier intestinal, de par sa masse, essentiel au développement harmonieux et à la santé des êtres humains.

La série thématique que nous inaugurons vise à un bilan de la diversité des écosystèmes microbiens en relation avec l’homme au temps de l’« Anthropocène », en particulier à un bilan de l’état de santé de son microbiome. La microbiologie, devenue moléculaire, bénéficie aujourd’hui – grâce aux techniques de séquençage de nouvelle génération et aux progrès de la bioinformatique – de méthodes, telles que celles de la métataxonomique 16S / 18S et de la métagénomique, permettant l’analyse exhaustive d’écosystèmes microbiens complexes quasiment sans limites temporo-spatiales. Avec l’application large de ces approches, il apparaît que la diversité des écosystèmes microbiens tend à s’altérer du fait de facteurs « anthropiques » que les articles de cette série thématique tenteront de définir. Quel peut être l’impact des « paucibioses » et « dysbioses » en évolution sur le développement et la santé humaine ? Que sont les pathobiontes ? Jusqu’à quel point les bouleversements climatiques affectent-ils les écosystèmes microbiens associés à l’homme ? Quel est le rôle de cette dégradation microbiologique dans l’émergence préoccupante de maladies épidémiques « post-modernes », non transmissibles, comme l’allergie, l’asthme, l’atopie, l’obésité, le diabète, les maladies auto-immunes et certains cancers ? Comment démontrer les liens de causalité entre altération « anthropique » de la diversité microbienne et les maladies qui lui sont corrélées ? Comment peut-on revisiter les « postulats de Koch1 » à l’aune de microbiomes défaillants ?

Les défis sont immenses, mais les moyens pour les affronter existent. Sur ces bases se construit un domaine essentiel de la médecine vue sous l’angle de la précision, associant génétique, mode de vie et environnement. Le microbiome senseur, intégrateur et effecteur de cet environnement, est à la base d’un nouveau chapitre de la médecine : « la médecine microbienne ». Merci à nos collègues qui ont accepté avec enthousiasme de nous accompagner dans cette aventure.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Les postulats de Koch sont originellement des critères destinés à établir la relation de cause à effet liant un microbe et une maladie. Ces postulats ont été formulés en 1884 pour établir l’étiologie de la tuberculose, puis redéfinis et publiés par Koch en 1890.


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