Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 8-9, Août-Septembre 2024
Page(s) 601 - 603
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024085
Published online 20 September 2024

Le virus de l’hépatite D (VHD) est un virus satellite du virus de l’hépatite B (VHB). La co-infection des hépatocytes par le VHB et le VHD entraîne la forme la plus agressive des hépatites virales chroniques, qui affecte actuellement près de 20 millions de patients dans le monde [1]. Un médicament antiviral de première génération, inhibant l’entrée virale, a récemment été approuvé par l’Agence européenne des médicaments contre le VHD, mais aucun traitement curatif n’est actuellement disponible contre ce virus [1].

Le VHD est un virus à ARN circulaire simple brin de polarité négative, possédant un génome d’environ 1,7 kb, ce qui en fait le plus petit virus connu capable d’infecter des cellules animales [1]. L’antigène delta (DAg) est l’unique protéine codée par le génome du VHD : le cycle de réplication du virus est donc largement dépendant des facteurs cellulaires. En outre, le VHD ne produit pas de protéine d’enveloppe, mais utilise celle du VHB (HBsAg) pour former de nouvelles particules infectieuses, d’où son nom de virus satellite du VHB. Ainsi, les particules du VHD sont capables d’entrer dans les hépatocytes humains via l’interaction entre la protéine HBsAg et son récepteur cellulaire, le co-transporteur du sodium et des acides biliaires, exprimé principalement dans le foie.

VHD : la pointe émergée de l’iceberg des Kolmioviridae

Pendant plus de 40 ans, le VHD était considéré comme le seul représentant de son genre : les Deltavirus. Récemment, l’identification de séquences apparentées au VHD (VHD-like) dans des cloaques de canards [2] ou divers organes de Boa constrictor [3] a apporté la preuve que le VHD n’est pas le seul représentant des Deltavirus. Depuis, des études de métatranscriptomique ont révélé l’existence de séquences d’ARN similaires à celle du génome du VHD dans des échantillons provenant de chauves-souris, de rats, de cerfs, de marmottes, d’oiseaux, de grenouilles, de poissons, ou encore d’insectes [4] (Figure 1A). Ces découvertes indiquent que cette famille de virus est bien plus diverse et répandue dans le règne animal qu’on ne le pensait. La famille des Kolmioviridae a donc été créée, comprenant le genre des Deltavirus, ainsi que sept nouveaux genres [5] (Figure 1B).

thumbnail Figure 1.

Phylogénie des Kolmioviridae et organisation nucléaire des ARNg et DAg in cellulo et in vivo. A. Arbre phylogénétique bayésien fondé sur l’alignement de 192 acides aminés du DAg de huit génotypes de VHD, des virus de chauve-souris (BDeV-A et BDeV-B), de marmotte (mmDeV), de cerf (dDeV), de rat (RdeV), de serpent (SDeV), d’oiseau (AvDeV), de poisson (FdeV), de salamandre (NdeV) de crapaud (TdeV) et de termite (TerDeV). La barre d’échelle représente la distance évolutive caractérisée par une probabilité de substitution en acides aminés de 0,2 à chaque position dans la séquence de la protéine DAg. Figure adaptée de [9]. B. Tableau des huit genres de Kolmioviridae formant le domaine des Ribozyviria. C, D. Détection de l’ADN (marquage au DAPI, en bleu), des DAg (immunofluorescence en vert) et des ARNg (smFISH en rouge) du RDeV dans des fibroblastes de souris (NIH-3T3) (C) et dans des hépatocytes de souris (D) par microscopie confocale. Barre d’échelle = 10 μm.

Bien que la taille et l’organisation des génomes de ces nouveaux Kolmioviridae soient similaires à celles du génome du VHD, ces virus semblent différer du VHD par plusieurs aspects. Tout d’abord, ils ne sont pas restreints au foie des animaux infectés, certains de ces virus ayant été détectés dans d’autres organes, notamment, la rate, le rein, le poumon et le cerveau de boas infectés par des deltavirus de serpent (SDeV) [3], ou encore le cœur et l’intestin de rats sauvages du Panama (ou Tome’s spiny rat) infectés par des deltavirus de rongeur (RDeV) [6]. De plus, il n’existe aucune indication de co-infection de ces nouveaux Kolmioviridae avec des Hepadnaviridae (virus de la famille du VHB) suggérant leur dépendance à d’autres espèces virales pour fournir une protéine d’enveloppe.

Des études récentes ont montré que les glycoprotéines de surface des Flavivirus et des Rhabdovirus peuvent servir d’enveloppes auxiliaires au VHD [7], tout comme celles des Reptarenavirus et des Hartmanivirus pour le SDeV [8]. Cela suggère que l’utilisation de ces enveloppes alternatives par les Kolmioviridae pourrait favoriser l’infection croisée et élargir le spectre des hôtes potentiels. D’ailleurs, les résultats d’une étude récente suggèrent que l’association actuelle entre le VHD et le VHB résulte d’une transmission zoonotique à partir d’un réservoir animal encore inconnu [9]. Cette plasticité virale soulève des questions sur le potentiel de ces virus à infecter différents types cellulaires en dehors de leurs hôtes naturels et à effectuer des « sauts d’espèces », ce qui pourrait accroître le risque de zoonoses. Toutefois, il n’est pas certain que la réplication des Kolmioviridae soit possible dans tous les types cellulaires ou dans toutes les espèces animales.

Permissivité de différents types cellulaires à la réplication des Kolmioviridae

Nous avons évalué la capacité du VHD, du RDeV et du SDeV à se répliquer dans des lignées cellulaires dérivées de leurs hôtes « naturels » (homme, rongeur et serpent), ainsi que dans diverses autres lignées cellulaires de mammifères. En transfectant les cellules avec des réplicons1 ou en réalisant des infections avec des virus pseudo-typés2 avec des glycoprotéines du virus de la stomatite vésiculaire, nous avons pu déterminer la permissivité de ces lignées à l’infection en détectant les protéines (DAg) et les génomes viraux (ARNg) des trois virus au cours du temps. Ainsi, nous avons montré que le RDeV est capable d’infecter tous les types cellulaires testés (homme, souris, rat, chat, singe et serpent) et de s’y répliquer, tandis que le SDeV semble être restreint à son hôte naturel (serpent). Le VHD, quant à lui, n’a été capable d’infecter et d’initier sa réplication que dans certaines lignées cellulaires de mammifères [10]. Ces résultats suggèrent l’existence d’un contrôle de la réplication des Kolmioviridae par des facteurs de l’hôte (par exemple, par des facteurs de restriction), spécifiques de l’espèce ou du type cellulaire.

Organisation nucléaire des ARNg et DAg

Lors d’une infection, les ribonucléoprotéines (ARNg associés aux protéines DAg) du VHD sont acheminées au noyau des cellules infectées pour y déclencher la réplication virale [1]. Par microscopie confocale, nous avons analysé la localisation intracellulaire des ARNg et des DAg des trois Kolmioviridae sur lesquels portait notre étude (VHD, RDeV, SDeV). Dans des lignées cellulaires de leurs hôtes respectifs, répliquant chroniquement ces virus, nous avons constaté la même localisation nucléaire très structurée de l’ARNg et des DAg pour les trois virus. Au sein des noyaux cellulaires, des condensats d’ARNg sont entourés par une couche de protéines DAg, qui semble les protéger (Figure 1C). Ces sites ne semblent pas jouer de rôle majeur dans la transcription du génome viral et la réplication du virus, car aucun ARN néosynthétisé n’a été détecté dans ces structures, et l’ARN polymérase II cellulaire, qui est responsable de la réplication et de la transcription du génome viral [1], n’y est pas particulièrement présente [10]. Nous cherchons actuellement à déterminer le rôle de ces structures dans le « stockage » des éléments constitutifs du virus et dans leur échappement au système immunitaire de l’hôte.

Réplication des Kolmioviridae in vivo

Nous avons donc montré, en étudiant trois virus appartenant à la famille des Kolmioviridae, que certains virus de cette famille sont capables de se répliquer dans des espèces différentes de leurs hôtes naturels, et que la localisation intracellulaire des ribonucléoprotéines respectives de ces trois virus est semblable in cellulo. Cependant, ces virus sont-ils capables de se répliquer in vivo ? Pour répondre à cette question, nous avons transfecté in vivo les hépatocytes de souris avec des réplicons du VHD, du RDeV ou du SDeV administrés par injection hydrodynamique dans la veine caudale3. Nous avons constaté que le réplicon SDeV n’induisait pas la réplication du virus dans les hépatocytes murins, contrairement aux réplicons du VHD et du RDeV. L’observation des ARNg et DAg de ces deux virus dans les hépatocytes par microscopie a révélé que l’organisation intranucléaire caractérisée par des condensats d’ARNg protégés par une couche de DAg, que nous avions constatée précédemment dans les cellules en culture, est également présente dans les hépatocytes in vivo. Cependant, ces structures y occupent un volume beaucoup plus grand, supérieur même à celui occupé par l’ADN cellulaire, qui est repoussé en bordure du noyau (Figure 1D).

Perspectives

Les résultats de nos travaux de recherche ont révélé des caractéristiques distinctives et communes des Kolmioviridae régissant l’interaction avec leurs hôtes, et ont fourni une première estimation de leur potentiel de saut d’espèce. Nous avons mis en lumière le fait que le RDeV peut se répliquer dans tous les types cellulaires testés (homme, rongeur, serpent), tandis que le VHD ne peut se répliquer que dans certaines lignées cellulaires de mammifères, et le SDeV uniquement dans des cellules de serpent. Ces variations suggèrent que des facteurs spécifiques de l’hôte ou du type cellulaire, pro-viraux ou anti-viraux, jouent un rôle crucial dans le contrôle de la réplication des Kolmioviridae. Le RDeV semble être le virus le plus « généraliste », et nous cherchons actuellement à comprendre ce qui lui confère cette propriété de « super-réplicateur ». Nous nous efforçons également de comprendre les mécanismes de restriction de ces virus, une étape clef qui détermine leur tropisme cellulaire, en identifiant des facteurs de restriction contre ces derniers dans différentes espèces animales. Nous cherchons ainsi à déterminer quels animaux seraient capables de véhiculer ces virus, et quel Kolmioviridae serait capable de sauter la barrière d’espèce et de se répliquer chez l’homme.

Malgré ces différences, les ribonucléoprotéines des trois virus que nous avons étudiés présentent une organisation quasiidentique dans le noyau de la cellule hôte. La formation de condensats d’ARNg entourés d’une couche de protéines DAg semble en effet être une caractéristique de l’accumulation des Kolmioviridae dans les noyaux des cellules infectées, in vitro et in vivo. Nous nous efforçons actuellement de déterminer le rôle de ces structures dans le stockage des composants viraux (DAg et génomes), le contrôle de l’assemblage des particules infectieuses et leur relargage dans le milieu extracellulaire. Cela permettra de mieux comprendre les mécanismes influant sur le « saut d’espèces » des Kolmioviridae. En effet, l’assemblage des virions, leur relargage, et leur entrée dans un autre type cellulaire ou dans des cellules d’une autre espèce sont dépendants, non seulement de facteurs cellulaires, mais surtout de l’expression, par la cellule infectée, d’une glycoprotéine d’enveloppe provenant d’un virus hétérologue, et capable d’enrober la ribonucléoprotéine des Kolmioviridae pour la livrer à une nouvelle cellule cible. Nous pensons que l’étude de ces mécanismes est cruciale pour comprendre et prédire les émergences de nouveaux virus VHD-like ou Kolmioviridae dans la population humaine.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Cette technique de transfection permet de s’affranchir de l’étape d’entrée du virus dans la cellule par l’introduction d’un réplicon d’ADN portant la séquence du génome viral, et dont la transcription fournit l’ARN génomique viral aux cellules transfectées.

2

L’adjectif « pseudo-typé » qualifie un virus recombinant portant les glycoprotéines d’enveloppe d’un virus hétérologue, ce qui confère au virus pseudo-typé le tropisme cellulaire de l’enveloppe hétérologue.

3

L’injection hydrodynamique dans la veine caudale des souris est une méthode efficace pour transfecter les cellules hépatiques in vivo.

Références

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Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Phylogénie des Kolmioviridae et organisation nucléaire des ARNg et DAg in cellulo et in vivo. A. Arbre phylogénétique bayésien fondé sur l’alignement de 192 acides aminés du DAg de huit génotypes de VHD, des virus de chauve-souris (BDeV-A et BDeV-B), de marmotte (mmDeV), de cerf (dDeV), de rat (RdeV), de serpent (SDeV), d’oiseau (AvDeV), de poisson (FdeV), de salamandre (NdeV) de crapaud (TdeV) et de termite (TerDeV). La barre d’échelle représente la distance évolutive caractérisée par une probabilité de substitution en acides aminés de 0,2 à chaque position dans la séquence de la protéine DAg. Figure adaptée de [9]. B. Tableau des huit genres de Kolmioviridae formant le domaine des Ribozyviria. C, D. Détection de l’ADN (marquage au DAPI, en bleu), des DAg (immunofluorescence en vert) et des ARNg (smFISH en rouge) du RDeV dans des fibroblastes de souris (NIH-3T3) (C) et dans des hépatocytes de souris (D) par microscopie confocale. Barre d’échelle = 10 μm.

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