Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 6-7, Juin-Juillet 2024
Page(s) 487 - 488
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024060
Published online 08 July 2024

Une étude récente menée par des chercheurs du Fralin Biomedical Research Institute aux États-Unis apporte de nouvelles preuves de l’intérêt des stimulations cérébrales par ultrasons pour soulager la douleur [1]. Le travail de ce groupe de recherche, qui a été pionnier dans le développement de cette approche [2], s’inscrit dans la continuité d’un ensemble d’études, depuis la fin des années 1960, portant sur l’application thérapeutique des techniques de neuromodulation ciblant les mécanismes endogènes de modulation et de contrôle de la douleur. Les premières techniques, telles que les stimulations électriques transcutanées et les stimulations électriques plus invasives de la moelle épinière par le biais d’électrodes implantées, sont encore aujourd’hui très utilisées en pratique médicale. Le développement clinique de ces techniques représente d’ailleurs un exemple remarquable de réussite de la recherche translationnelle dans le domaine de la douleur, avec une utilisation médicale qui a rapidement suivi (en moins de cinq ans) les découvertes expérimentales sur la modulation des messages nociceptifs et la « théorie du portillon »1 proposée par Melzack et Wall en 1965 [3]. Les découvertes réalisées dès la fin des années 1960 et au début des années 1970 concernant divers systèmes de modulation et de contrôle de la douleur dans différentes régions du cerveau ont constitué les bases physiopathologiques d’autres techniques de modulation antalgique. Parmi celles-ci, les stimulations cérébrales profondes, ciblant le thalamus ou le tronc cérébral, ont montré des résultats prometteurs, bien que leur caractère invasif et les risques associés aient limité leur développement clinique. Dans les années 1990, une technique moins invasive de stimulation électrique du cortex cérébral moteur par le biais d’électrodes implantées chirurgicalement a suscité un certain intérêt, mais n’a pas été généralisée en raison de sa nature invasive.

Ces travaux ont globalement confirmé l’intérêt thérapeutique de la neuromodulation dans la gestion de la douleur, et ont suscité de nouvelles recherches. En particulier, les effets cliniques observés avec les stimulations corticales implantées ont incité à explorer des approches non invasives telles que la stimulation transcrânienne, qu’elle soit électrique ou magnétique, pour reproduire les effets des stimulations implantées du cortex moteur. De nombreuses études ont confirmé l’intérêt de ces approches, en particulier de la stimulation transcrânienne magnétique, dans divers syndromes douloureux, tels que les douleurs neuropathiques ou la fibromyalgie [4]. Cependant, ces techniques présentent des limites : notamment, leur champ de stimulation est relativement large, et elles ne permettent de cibler spécifiquement que les régions superficielles du cortex cérébral. Il n’est donc pas possible de stimuler des régions corticales ou sous-corticales profondes, pourtant connues pour jouer un rôle majeur dans la modulation de la douleur.

Dans ce contexte, l’article de Legon et al. revêt une importance particulière, car il met en lumière le potentiel des ultrasons focalisés de faible intensité pour la stimulation précise et non invasive de régions cérébrales corticales ou sous-corticales profondes. Il est important de souligner que ces ultrasons ont un effet modulateur (facilitateur ou inhibiteur) et réversible de l’activité neuronale, mais qu’ils n’entraînent pas de lésion, contrairement aux ultrasons de haute intensité, qui sont utilisés pour réaliser, par réchauffement, des lésions tissulaires, notamment cérébrales dans certaines indications, comme par exemple les troubles moteurs de la maladie de Parkinson, ou encore le tremblement essentiel [5, 6]. Legon et al. ont utilisé les ultrasons de faible intensité pour stimuler, avec une excellente résolution spatiale, le cortex insulaire, une région corticale profonde (localisée dans le fond du sillon latéral, et recouverte par le cortex frontal inférieur et le cortex temporal supérieur) particulièrement difficile à stimuler avec les stimulations électriques ou magnétiques transcrâniennes.

L’insula, qui joue un rôle crucial dans la perception de la douleur, est divisée en deux régions principales. L’insula postérieure, qui reçoit les informations nociceptives véhiculées par le faisceau spino-thalamique, est davantage impliquée dans les aspects sensoriels de la douleur, tandis que l’insula antérieure, qui est fortement connectée aux régions limbiques, comme le cortex cingulaire, intervient davantage dans les composantes émotionnelles de la douleur. L’insula, qui reçoit en outre un contingent important d’afférences provenant des différents viscères, notamment des afférences vagales, est également impliquée dans la régulation par le système nerveux autonome sympathique et parasympathique (notamment celle du système cardio-vasculaire). La plupart des connaissances concernant l’organisation anatomique complexe et le rôle de l’insula sont issues d’études expérimentales chez l’animal. Un des objectifs principaux de l’étude de Legon et al. [1] était de vérifier certaines de ces données directement chez l’homme. Pour ce faire, ils ont stimulé soit l’insula antérieure, soit l’insula postérieure, chez des volontaires sains, et mesuré non seulement les effets sur la sensation douloureuse provoquée par des stimulations thermiques cutanées, mais également les potentiels électriques corticaux consécutifs à ces stimulations (potentiels « évoqués »), ainsi que les modifications cardio-vasculaires et respiratoires associées.

Cette étude a été réalisée avec un groupe de 23 volontaires qui ont reçu en double aveugle et de façon randomisée, soit des stimulations actives, soit des stimulations simulées (afin de ne pas méconnaître un effet placebo), de l’insula antérieure ou de l’insula postérieure au cours de quatre sessions expérimentales séparées d’au moins deux jours, selon un protocole croisé2. Conformément à leur hypothèse de travail, les auteurs ont montré que les stimulations de l’insula antérieure et celles de l’insula postérieure avaient des effets différents tant sur la perception douloureuse que sur les régulations impliquant le système nerveux autonome. De fait, seules les stimulations actives de l’insula postérieure ont entraîné des effets analgésiques associés à une diminution de l’amplitude des potentiels évoqués corticaux, suggérant l’existence d’un effet globalement inhibiteur sur la transmission des informations nociceptives. En revanche, en accord avec des données expérimentales antérieures, seules les stimulations de l’insula antérieure ont entraîné des modifications du système nerveux autonome, en particulier de la variabilité du rythme cardiaque.

Ces résultats constituent une avancée significative dans le domaine de la neuromodulation pour le traitement de la douleur, car ils confirment que les ultrasons sont capables de moduler avec précision l’activité de régions cérébrales impliquées dans l’intégration des messages nociceptifs. Ils confortent ceux d’une autre étude récente, issue du même groupe de recherche, qui avait montré, en utilisant un protocole expérimental similaire, que la stimulation du cortex cingulaire antérieur, impliqué lui aussi dans la perception douloureuse, entraînait des effets analgésiques [7].

Malgré leur intérêt scientifique, ces études ont certaines limites. En particulier, elles ne permettent pas de conclure quant à l’intérêt médical de la méthode. De fait, les effets observés concernaient des douleurs expérimentales, étaient de faible amplitude et surtout de courte durée. Il n’est donc pas possible d’extrapoler ces résultats à des douleurs « non expérimentales », surtout chroniques. D’autres études, réalisées chez des personnes souffrant véritablement de douleurs, sont donc nécessaires pour vérifier si la stimulation de ces régions peut entraîner des effets analgésiques, et surtout vérifier s’il est possible de les maintenir durablement, sans effet indésirable. De telles études sont d’ores et déjà en cours et devraient rapidement apporter des éléments de réponse à ces questions. En outre, d’autres études sont nécessaires pour préciser les mécanismes d’action des ultrasons focalisés de faible intensité. Il est généralement admis que la modulation neuronale induite par ces ultrasons est liée à la stimulation mécanique directe de certains récepteurs membranaires spécifiques présents à la surface des neurones et des cellules gliales. Cependant, les mécanismes cellulaires précis de l’analgésie induite par ce type de stimulations ne sont pas connus.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Cette théorie propose que la stimulation des fibres nerveuses myélinisées de gros calibre (Aβ) de la moelle spinale produit une analgésie localisée au segment de la stimulation par le recrutement d’interneurones inhibiteurs des cornes postérieures de la moelle, réduisant l’activité des neurones de transmission vers les centres supérieurs.

2

Dans un essai thérapeutique croisé (en anglais, cross-over), chaque participant reçoit tous les traitements testés (incluant le placebo), administrés lors de périodes successives. Il est ainsi son propre témoin.

Références

  1. Legon W, Strohman A, In A, Payne B. Noninvasive neuromodulation of subregions of the human insula differentially affect pain processing and heart-rate variability: a within-subjects pseudo-randomized trial. Pain 2024 ; doi: 10.1097/j.pain.0000000000003171. [PubMed] [Google Scholar]
  2. Legon W, Sato TF, Opitz A, et al. Transcranial focused ultrasound modulates the activity of primary somatosensory cortex in humans. Nat Neurosci 2014 ; 17 : 322–9. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Melzack R, Wall PD. Pain mechanisms: a new theory. Science 1965 ; 19 : 971–9. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Attal N, Poindessous-Jazat F, De Chauvigny E, et al. Repetitive transcranial magnetic stimulation for neuropathic pain: a randomized multicentre sham-controlled trial. Brain 2021 ; 144 : 3328–39. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Elias WJ, Lipsman N, Ondo WG, et al. A randomized trial of focused ultrasound thalamotomy for essential tremor. N Engl J Med 2016 ; 375 : 730–9. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Krishna V, Fishman PS, Eisenberg HM, et al. Trial of globus pallidus focused ultrasound ablation in Parkinson’s disease. N Engl J Med 2023 ; 388 : 683–93. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Strohman A, Payne B, In A, et al. Low-intensity focused ultrasound to the human dorsal anterior cingulate attenuates acute pain perception and autonomic responses. J Neurosci 2024 ; 44 : e1011232023. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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