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Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 2, Février 2024
Page(s) 119 - 120
Section Editorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2023222
Published online 27 February 2024

Avec la labellisation de GENOTHER, coordonné par Généthon, l’un des 5 bioclusters sélectionnés dans le cadre du plan innovation santé 2030, la France fait sienne l’ambition de se doter d’un réseau d’excellence, intégrateur d’innovations médicales et technologiques pour l’industrialisation des thérapies géniques, reconnues stratégiques par l’État. C’est un juste retour des choses après que les premières preuves cliniques d’efficacité ont été issues de la recherche française ; mais aussi pour réussir, enfin, l’industrialisation et la sanctuarisation d’innovations biotechnologiques françaises.

Le terme « thérapie génique » a été employé pour la première fois en 1947 [1]. Longtemps à l’état de concept, il s’est concrétisé à la faveur des progrès de la biologie moléculaire des années 1970 et 1980. Le premier essai clinique remonte à 1990 chez une patiente américaine atteinte d’immunodéficience sévère, mais on doit à l’équipe française dirigée par Alain Fischer la première preuve de concept dans un essai visant le déficit immunitaire sévère lié au chromosome X en 2002 [2]. S’en est suivie une période de montagnes russes de 20 ans, avant un franc décollage.

Si, dans un premier temps, son principe repose sur l’introduction des séquences d’ADN ou d’ARN pour corriger un défaut génique en développant des vecteurs intégratifs ou non-intégratifs, on assiste aujourd’hui à une multiplicité de formes thérapeutiques et de maladies visées, génétiques ou acquises.

Les premières preuves de concept ont d’abord porté sur des applications ex vivo par transduction de cellules autologues, notamment des cellules souches hématopoïétiques réadministrées ensuite aux patients, par des vecteurs intégratifs (rétroviraux ou lentiviraux). Ce sont donc des maladies génétiques rares du sang (immunodéficiences, β-thalassémie, etc.) et du cerveau (adrénoleucodystrophie) qui ont vu les premiers résultats cliniques convaincants, suivis de mises sur le marché. Les thérapies ex vivo sont aujourd’hui utilisées pour le traitement de lymphomes et de leucémies (les premières cellules CAR-T armées contre les tumeurs sont arrivées sur le marché en 2018), et s’ouvrent actuellement vers de nombreux autres types de cancer.

Il est remarquable de constater que le point commun de ces avancées majeures est l’origine française des équipes qui les ont réalisées (toutes soutenues par l’AFM-Téléthon ou au sein de ses laboratoires). L’implication du monde associatif, forte et de longue haleine, tant scientifique que financière, a été déterminante, notamment durant la période de « vaches maigres » (désintérêt de l’industrie pharmaceutique et des investisseurs) qui a suivi le décès en 1999 d’un jeune homme de 18 ans atteint de déficit en ornithine transcarbamylase au cours d’un essai d’administration hépatique d’un adénovirus mené à l’université de Pennsylvanie aux États-Unis [3].

Les injections locales de quantités modestes de produit ont pu ensuite émerger. La preuve de concept a été réalisée en ophtalmologie (l’œil étant, en particulier, un organe moins propice au rejet immunitaire) dans une rétinite pigmentaire, et a abouti à une première autorisation de mise sur le marché (AMM) en 2017 d’un vecteur AAV-RPE651 administré par voie intraoculaire (LuxturnaTM). Le caractère parfois transitoire de certains vecteurs non intégratifs (par exemple adénoviraux) administrés localement convient aussi parfaitement au traitement d’affections cardiovasculaires (avec, par exemple, un transgène angiogénique) ou cancéreuses (avec des gènes suppresseurs de tumeurs, comme le GendicineTM, adénovirus 5-p53 pour les cancers de la tête ou du cou, commercialisé en Chine dès 2004, ou des gènes immunostimulants, comme l’ImlygicTM, vecteur herpes simplex 1 réplicatif codant la protéine immunostimulatrice GM-CSF [granulocyte-macrophage colony-stimulating factor], autorisé en 2018 contre le mélanome).

Les capacités de production de vecteurs s’améliorant, la thérapie génique par voie sanguine a pu ensuite être explorée. Ainsi, certains sérotypes de vecteurs AAV ont la propriété de se distribuer très efficacement dans tous types d’organes et de tissus. Le tout premier produit enregistré l’a été en 2019 dans une maladie neuromusculaire, l’amyotrophie spinale infantile (maladie dégénérative des neurones moteurs de la moelle épinière et de la partie basse du tronc cérébral) : le ZolgenSMATM, un vecteur AAV porteur du gène SMN (survival of motoneuron 1), développé par Avexis/Novartis, pour lequel deux brevets princeps sont issus de Généthon. Depuis, plus de 3 000 malades ont été traités, en majorité des enfants âgés de quelques mois, présentant les formes les plus graves (mortelles en général avant l’âge de deux ans). Le traitement permet un développement moteur quasi-normal chez les enfants traités, à condition qu’on l’administre le plus tôt possible. Cela pose la question du dépistage néonatal non encore systématisé, pour pouvoir commencer tôt les traitements et ainsi en maximiser l’efficacité2. D’autres maladies neuromusculaires sont abordées, en particulier la dystrophie musculaire de Duchenne, pour laquelle plusieurs produits ont été enregistrés, dont, en 2023, l’ElevidysTM (sociétés Sarepta/Roche), un vecteur AAV porteur du gène codant la microdystrophine autorisés de manière accélérée par la Food and drug administration (FDA) pour les enfants âgés de 4 et 5 ans.

À ce jour, 31 médicaments de thérapie génique ont été autorisés en Europe, aux États-Unis ou en Asie. Quinze concernent diverses formes de cancer, treize les maladies rares, deux les maladies cardiovasculaires, et un l’ostéoarthrite du genou. On dénombre plus de 3 000 produits en développement clinique ou préclinique, dont 60 % en oncologie3 [4]. De nouvelles techniques se sont ajoutées, telles que l’édition du génome par CRISPR/Cas, Talen ou Zinc finger, afin de couper l’ADN de manière ciblée et d’induire in situ des corrections ou modifications génétiques pérennes (par recombinaison homologue, base-editing ou prime-editing) [4] ().

(→) Voir L’Éditorial de H. Chneiweiss, m/s n° 8-9, août-septembre 2023, page 589

Les médicaments les plus proches de l’AMM sont de type ex vivo. Le premier d’entre eux, CasgevyTM pour la drépanocytose, vient d’être autorisé en Angleterre et aux États-Unis. Une attention particulière devra être portée sur l’absence de conséquences délétères pour le génome sur le long terme.

Des thérapies à ARN (shARN, oligonucléotides antisens, ARNm), qui ne posent pas ce même niveau de risque, sont également disponibles et en pleine expansion. Ces stratégies de modulation de l’ARN nécessitent des administrations répétées mais contrôlables, puisque l’effet clinique s’interrompt avec l’arrêt du traitement. Elles représentent plus de 800 programmes en développement, y compris des vaccins.

Les analystes convergent pour estimer le marché mondial de la thérapie génique à 9 milliards de dollars en 2023 (hors vaccins), avec une croissance annuelle de 20 %4. Pour autant, de nombreux défis sont encore à relever : avec la multiplication des patients traités, la survenue d’effets indésirables graves augmente. Récemment (en novembre 2023), la FDA annonçait lancer une enquête à la réception de rapports de tumeurs malignes touchant les lymphocytes T après un traitement par cellules CAR-T, qui s’appliquera à tous les médicaments de ce type ayant reçu une AMM. Des décès, en particulier par toxicité aigüe due à une réponse immunitaire innée induite par des vecteurs AAV à très forte dose, ont été rapportés dans l’amyotrophie spinale et la myopathie de Duchenne. D’autres, dus probablement à des susceptibilités particulières liées à la maladie visée, ont également été rapportés dans une myopathie myotubulaire [5]. Les risques, certes faibles, d’intégrations potentiellement pathogènes des séquences génétiques transférées ne sont pas encore maîtrisés non plus. De nouvelles générations de vecteurs (en particulier AAV), plus ciblés, moins immunogènes et administrables par voie générale ou locale à des doses inférieures, sont activement en cours de développement. La question du coût prohibitif de certains de ces médicaments (l’actuel record est détenu par l’HemgenixTM, enregistré aux États-Unis pour l’hémophilie B à un prix facial de 3,9 M$) fait peser un risque important sur cette biotechnologie, engendrant une très grande volatilité du secteur des industriels et des investisseurs. Plusieurs produits ont été retirés par leurs concepteurs après que les négociations de prix ont échoué (dont le tout premier en Europe, le Glybera™, enregistré en 2012). Leur mise à disposition pour les patients est un enjeu majeur de santé publique et d’indépendance économique. La bioproduction des produits de thérapie génique constitue, souvent encore (en particulier pour les vecteurs AAV), un défi majeur pour amener les rendements et le coût de fabrication de ces produits à des montants compatibles avec les capacités financières des systèmes de santé. Ce défi se situe justement au cœur du projet GENOTHER.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Virus adéno-associé utilisé comme vecteur pour transférer une copie fonctionnelle du gène RPE65 (retinoid isomerohydrolase).

2

Exemple : étude pilote DEPISMA dans deux régions françaises pour l’amyotrophie spinale.

3

Gene, Cell, + RNA Therapy Landscape Report. Q3 2023 Quarterly Data Report. American Society of Gene & Cell Therapy (ASGCT)/Citeline. https://asgct.org/global/documents/asgct-citeline-q3-2023-report.aspx

Références

  1. Keeler CE. Gene Therapy. J Hered 1947 ; 38 : 294–8. [Google Scholar]
  2. Hacein-Bey-Abina S, Fischer A, Cavazzana-Calvo M. Gene therapy of X-linked severe combined immunodeficiency. Int J Hematol 2002 ; 76 : 295–8. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Wilson JM. Lessons learned from the gene therapy trial for ornithine transcarbamylase deficiency. Mol Genet Metab 2009 ; 96 : 151–7. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Chneiweiss H. 2023 : premiers succès et nouveaux enjeux de l’édition du génome en thérapeutique humaine. Med Sci (Paris) 2023 ; 39 : 589–90. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Shieh PB, Kuntz NL, Dowling JJ. Safety and efficacy of gene replacement therapy for X-linked myotubular myopathy (ASPIRO) : a multinational, open-label, dose-escalation trial. Lancet Neurol 2023 ; 22 : 1125–39. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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