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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 2, Février 2024
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Page(s) | 130 - 132 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2023206 | |
Published online | 27 February 2024 |
Syndrome de takotsubo
Le métabolisme cardiaque au cœur du problème ?
Takotsubo syndrome: Cardiac metabolism at the heart of the problem ?
1
Inserm U970, Paris centre de recherche cardiovasculaire (PARCC), Université Paris Cité, Paris, France
2
Service de radiologie, Hôpital européen Georges Pompidou, Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), Paris, France
Hôpital d’Hiroshima au Japon, en 1990 : Madame Y, âgée de 64 ans , passe en urgence une coronarographie pour une suspicion d’infarctus du myocarde. Le diagnostic d’infarctus est rapidement exclu devant l’absence d’obstruction des artères coronaires, mais l’image radiologique montre un ballonnement spectaculaire de la partie apicale du ventricule gauche. Dix jours plus tard, le cœur a repris un aspect normal, Mme Y va bien et rentre chez elle. Les visites médicales de contrôle trois et six mois plus tard sont rassurantes [1]. Sato et collaborateurs retrouvent les mêmes symptômes chez plusieurs femmes, majoritairement ménopausées, présentant ou non des antécédents cardio-vasculaires, avec le même aspect du cœur à la phase aiguë, qui rappelle un tako-tsubo, littéralement un « piège à poulpe » (un instrument de pêche traditionnel japonais) [2]. De façon singulière, un stress émotionnel majeur semble être le facteur déclenchant, ce qui vaudra au syndrome de takotsubo le surnom de « syndrome du cœur brisé ». Mais ce syndrome est-il aussi grave que pourrait le suggérer cette appellation, puisqu’on en guérit, semble-t-il, sans séquelle ? Est-il autre chose qu’un simple diagnostic d’élimination de l’infarctus du myocarde ?
Quinze ans après la description initiale de ce syndrome, la réponse est oui [3]. D’une part, on peut mourir d’un syndrome de takotsubo pendant la phase aiguë, et plus encore lors des récidives, qui ne sont pas rares. Les études épidémiologiques ont d’ailleurs montré que la mortalité à long terme est du même ordre que celle d’un syndrome coronarien aigu [4]. D’autre part, même si les femmes ménopausées représentent la majorité des cas de syndrome de tako-tsubo, les femmes jeunes, les hommes, et même les enfants peuvent en être victimes. Chez les individus de sexe masculin, ce syndrome est d’ailleurs plus souvent mortel. Enfin, le facteur déclenchant n’est pas toujours un stress émotionnel : un stress physique (accident, acte chirurgical), et certaines maladies, comme le phéochromocytome, exposent également au risque d’un syndrome de takotsubo. Ce syndrome est donc une réalité médicale à prendre en considération, et ce dans tous les pays, pas seulement au Japon. Mais par quel mécanisme le stress entraîne-t-il un ballonnement apical si spectaculaire du ventricule gauche, avec de possibles conséquences fonctionnelles plusieurs années après que le cœur a retrouvé sa forme normale ?
Mécanisme initial du syndrome de takotsubo : les conséquences du stress
Depuis les travaux pionniers de Selye [5], on sait que la phase aiguë du stress comporte, par l’intermédiaire du système hypothalamo-sympathico-adrénergique, une libération massive de catécholamines (adrénaline, noradrénaline, dopamine), les « hormones du stress », qui agissent sur le système cardio-vasculaire : la noradrénaline et la dopamine à forte dose ont un effet vasoconstricteur sur les vaisseaux du cœur, et l’adrénaline augmente la force (effet inotrope) et la fréquence (effet chronotrope) des contractions cardiaques par activation des récepteurs adrénergiques β1, majoritaires dans le cœur. L’isoprénaline (ou isoprotérénol), une catécholamine synthétique aux puissants effets inotrope et chronotrope, peut induire un syndrome de takotsubo. Il est donc plausible qu’un stress intense et soudain, en inondant les récepteurs β-adrénergiques cardiaques de catécholamines, provoque une hypercontractilité transitoire du ventricule gauche et une mobilité anormale des parois ventriculaires et atriales gauches.
Par ailleurs, l’activation des récepteurs β-adrénergiques modifie le métabolisme glucidique. L’isoprénaline perturbe la signalisation par l’insuline, entraînant une résistance à cette hormone et une augmentation de la glycémie. Cet effet n’est pas anodin. En effet, le cœur ne pèse que 0,4 % du poids du corps humain, mais il consomme 10 % de l’énergie disponible pour l’organisme. Il doit battre en permanence, alors que ses réserves en substrats énergétiques sont à peine suffisantes pour une vingtaine de secondes. Le cœur est donc omnivore : il fait feu de tout bois pour produire de l’ATP à partir de tous les substrats disponibles : acides gras pour environ 70 %, mais aussi glucose, lactate, corps cétoniques, acides aminés, etc. tout est bon pour régénérer plusieurs kilogrammes par jour d’ATP. Si l’oxygène vient à manquer, lors d’un effort intense, lorsqu’un traitement anti-cancéreux diminue l’apport d’oxygène [6], ou en cas d’obstruction d’une artère coronaire entraînant l’ischémie1 du myocarde, la glycolyse anaérobie devient le principal fournisseur de l’ATP nécessaire à la contraction du muscle cardiaque. Des systèmes de contrôle très efficaces conduisent alors la cellule myocardique à favoriser l’entrée et la consommation du glucose.
Quel est le mécanisme conduisant aux séquelles à long terme ?
L’implication du métabolisme cardiaque dans les conséquences d’un stress aigu sur le fonctionnement du cœur ne peut donc pas être écartée, mais comment en apporter la preuve compte tenu de la complexité des réponses individuelles au stress chez les êtres humains et de la présence fréquente d’autres facteurs de risque cardio-vasculaire ? C’est ici que le recours à un modèle animal devient crucial pour déchiffrer les mécanismes physiopathologiques impliqués. Un tel modèle permet de constituer des groupes homogènes (génétique, sexe, âge, facteur déclenchant, etc.) tout en s’affranchissant des comorbidités (diabète, obésité, hypertension artérielle, troubles mentaux, etc.) fréquentes dans les populations humaines. Chez le rat, le stress induit par une injection unique d’isoprénaline entraîne une réponse cardio-vasculaire typique du syndrome de takotsubo : hypotension artérielle, augmentation de la fréquence cardiaque, signes électrocardiographiques et marqueurs sanguins d’infarctus du myocarde, modification de la contractilité du ventricule gauche, que l’on mesure par l’ampleur (strain) et la vitesse (strain rate) de la déformation de la paroi myocardique.
La standardisation des protocoles expérimentaux chez l’animal et le recours à diverses techniques d’imagerie non invasive, comme l’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM), la tomographie par émission de positons (TEP), l’ultrasonographie (échographie) et la combinaison TEP-échographie ultrarapide simultanée (PETRUS) [7], ont permis de suivre l’évolution de la maladie au cours du temps chez un même animal [8] (Figure 1). Ces analyses ont révélé que certains mécanismes complexes sous-tendant la cardiomyopathie du syndrome de takotsubo associaient facteurs métaboliques et tissulaires : réponse inflammatoire immédiate avec la présence de macrophages et la libération de cytokines pro-inflammatoires, remodelages tissulaire et vasculaire continus avec des altérations des cellules endothéliales et de la matrice extracellulaire et, surtout, présence d’une fibrose diffuse visible dès le 7e jour après le stress inducteur, et qui évolue continûment jusqu’à trois mois [8]. La décharge de catécholamines lors d’un stress aigu induit donc vraisemblablement une cardiomyopathie évolutive, ni réversible, ni réellement sans conséquence fonctionnelle.
Figure 1. Modèle du syndrome de takotsubo par injection intrapéritonéale d’isoprénaline chez le rat. Suivi longitudinal montrant les remodelages délétères, métaboliques et structurels, du myocarde après induction du stress catécholaminergique. Sur les images échographiques, les contours de la paroi du ventricule gauche (VG) sont indiqués par des traits rouges. |
Concordance temporelle et spatiale des anomalies du métabolisme du glucose avec les remodelages tissulaires et fonctionnels du myocarde
L’activation des récepteurs β-adrénergiques modifie le métabolisme énergétique cardiaque qui, en conditions physiologiques « de repos » du myocarde, favorise l’utilisation des acides gras et des autres substrats par oxydation phosphorylante mitochondriale. Une seule forte dose d’isoprénaline entraîne une augmentation considérable de la glycémie et de l’entrée du glucose dans les cellules myocardiques, alors que la lipolyse est à l’arrêt (accumulation de gouttelettes lipidiques). Le glucose cellulaire, alors en excès, n’est pas catabolisé pour produire de l’énergie, mais est dérivé vers des voies alternatives anaboliques, normalement minoritaires (moins de 3 à 5 %) dans le cœur adulte, notamment la voie de biosynthèse des hexosamines et la voie des polyols. Or, la première est essentielle pour le développement du cœur fœtal et induit des modifications post-traductionnelles des protéines du cytosquelette et de la matrice extracellulaire, deux structures essentielles à la fonction contractile du cœur, et l’activation de la voie des polyols entraîne une surconsommation de NADPH (nicotinamide adénine dinucléotide phosphate hydrogéné), d’où une carence possible en glutathion, qui facilite l’accumulation d’espèces réactives de l’oxygène et augmente le stress oxydant capable d’endommager les cellules.
Dans le modèle murin du syndrome de takotsubo, ces deux voies métaboliques sont hyperactives dans la région apicale du ventricule gauche dès le 7e jour après le stress adrénergique. Or, ces modifications du métabolisme du glucose s’accompagnent d’altérations tissulaires et vasculaires dans la même région, notamment une fibrose diffuse qui s’étend progressivement à tout le ventricule gauche et même à l’atrium gauche et provoque un dysfonctionnement diastolique [8]. Parce qu’elles agissent directement sur la structure des fibres contractiles (voie de biosynthèse des hexosamines) et sur l’homéostasie cellulaire (voie des polyols), il est tentant d’impliquer les voies alternatives du métabolisme du glucose dans le remodelage délétère structurel, vasculaire, et fonctionnel du cœur du syndrome de takotsubo. Cette hypothèse, fondée sur les résultats de travaux expérimentaux chez l’animal, devra cependant être étayée par des études cliniques.
À la recherche d’un traitement du syndrome de takotsubo
Actuellement, il n’y a pas de consensus pour le traitement du syndrome de takotsubo dans sa phase aiguë, ou pour en prévenir l’évolution défavorable à moyen et long termes. Les observations longitudinales dans le modèle murin de ce syndrome déclenché par un stress unique suggèrent que l’activation des voies métaboliques alternatives du glucose pourrait être un mécanisme critique par lequel le cœur stressé s’engagerait dans une dégradation lente et continue de sa structure et de son fonctionnement. Ces voies pourraient donc représenter des cibles pharmacologiques pour prévenir la progression des lésions cardiaques après un stress aigu. Les changements initiaux rapides du contrôle métabolique et l’apparition précoce de la fibrose apicale suggèrent que l’intervention thérapeutique, pour être efficace, devra être précoce, possiblement dès la phase aiguë du stress.
L’augmentation récente de l’incidence du syndrome de takotsubo appelle à une attention particulière dans la prise en charge des patients. Il n’est pas non plus inutile d’insister sur l’intérêt de l’imagerie médicale spécialisée, incluant la mesure du strain par IRM ou l’imagerie métabolique par TEP, pour l’exploration d’un syndrome découvert par l’imagerie !
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Remerciements
Nous remercions nos collègues coauteurs de l’article original [8], ainsi que Corinne Lesaffre, Florence Marliot, Hana Manceau, Nicolas Sorhaindo, Maryline Favier et Rachel Onifarasoaniaina. L’imagerie in vivo a été réalisée par la plateforme d’imageries du vivant de l’université Paris Cité, soutenue financièrement par France Life Imaging (ANR-11INBS-0006), par les infrastructures biologie-santé (IBiSa), par les contrats Aviesan #ASC20001SSP, ASC16025KSA et ASC20031KSA, par le SIRIC CARPEM et par le programme SESAME de la région Ile-de-France. Nous remercions chaleureusement Philippe Chafey pour son aide désintéressée et sa longue carrière au service de la communauté scientifique, et Tony Lefebvre (université de Lille) pour ses conseils sur la O- et N-acétylglycosylation des protéines. Thulaciga Yoganthan a été boursière du ministère français de la recherche et de l’enseignement supérieur, et a été soutenue financièrement par l’ANR PACIFIC (ANR-18-CE14-0032).
Références
- Sato H., Kodama K, Haze K, Hori M. Tako-tsubo-like left ventricular dysfunction due to multivessel coronary spasm. Clinical aspect of myocardial injury : From ischemia to heart failure 1990 ; Tokyo: Kagakuhyoronsha Publishing C, 56–64. [Google Scholar]
- Dote K, Sato H, Tateishi H, et al. Myocardial stunning due to simultaneous multivessel coronary spasms : a review of 5 cases. J Cardiol 1991 ; 21 : 203–214. [PubMed] [Google Scholar]
- Templin C, Ghadri JR, Diekmann J, et al. Clinical features and outcomes of Takotsubo (stress) cardiomyopathy. N Engl J Med 2015 ; 373 : 929–938. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Ghadri JR, Kato K, Cammann VL, et al. Long-term prognosis of patients with Takotsubo syndrome. J Am Coll Cardiol 2018 ; 72 : 874–882. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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Liste des figures
Figure 1. Modèle du syndrome de takotsubo par injection intrapéritonéale d’isoprénaline chez le rat. Suivi longitudinal montrant les remodelages délétères, métaboliques et structurels, du myocarde après induction du stress catécholaminergique. Sur les images échographiques, les contours de la paroi du ventricule gauche (VG) sont indiqués par des traits rouges. |
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