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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 1, Janvier 2024
La cavité orale et les dents au cœur de la santé
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Page(s) | 99 - 101 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2023182 | |
Published online | 01 February 2024 |
Le déficit en interférons de type I n’affecte pas la réponse immunitaire humorale au vaccin contre le SARS-CoV-2
Type I interferon deficiency does not impair humoral immune response to SARS-CoV-2 vaccination
1
Institut Necker Enfants Malades, Inserm U1151/CNRS UMR 8253, Action thématique incitative sur programme-Avenir Team, Auto-immune and immune B cells, université Paris Cité, université Paris Est-Créteil, Créteil, France
2
Service de médecine interne, Hôpital Beaujon, Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), université Paris Cité, Clichy, France
3
Service de médecine Interne, centre hospitalier universitaire Henri-Mondor, Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), université Paris-Est Créteil (UPEC), Créteil, France
4
Génétique humaine des maladies infectieuses, Inserm U1163, Hôpital Necker Enfants Malades, Paris, France
5
Institut Imagine, université Paris Cité, Paris, France
6
Service de pédiatrie, hôpital Necker Enfants Malades, Paris, France
7
St. Giles laboratory of human genetics of infectious diseases, The Rockefeller university, New York, États-Unis
8
Howard Hughes medical institute, New York, États-Unis
Les vaccins utilisant l’ARN messager (ARNm) ont été une révolution dans la lutte contre la pandémie de COVID-19 (coronavirus disease 2 019). La rapidité avec laquelle cette nouvelle plateforme vaccinale a été déployée est le fruit de nombreuses années de recherche fondamentale. Les vaccins à ARNm, codant la spicule (ou protéine spike) du virus SARS-CoV-2 (severe acute respiratory syndrome coronavirus 2) dans le cas des vaccins anti-COVID-19 (tozinaméran/BNT162b2, Pfizer/BioNTech ou élasoméran/mRNA-1273, Moderna), reposent sur deux techniques développées parallèlement : celle de l’ARNm synthétique et celle de la nanoparticule lipidique destinée à l’encapsulation de cet ARNm afin d’empêcher sa dégradation et optimiser sa biodistribution. Les modifications apportées à l’ARNm synthétique servent, quant à elles, à en minimiser la reconnaissance par le système immunitaire inné et à en améliorer la traduction protéique.
L’ARNm natif est naturellement reconnu par les récepteurs de reconnaissance de motifs moléculaires (pattern recognition receptor), notamment par les récepteurs Toll-like (TLR), incluant le TLR7 dans les vésicules endosomiques (Figure 1). Cette reconnaissance de l’ARNm par la cellule aboutit à la production d’interférons de type I, cytokines essentielles de la protection antivirale, illustrée par la réaction inflammatoire systémique induite par la simple injection d’un ARNm purifié codant une protéine non immunogène, telle que la luciférase, chez la souris [1, 2]. La contribution, essentielle, de Katalin Karikó et Drew Weissman (auxquels vient d’être attribué le prix Nobel de physiologie ou médecine en 2023) au développement des vaccins à ARNm a été de montrer que le remplacement, dans l’ARN, de l’uridine par la N1-méthylpseudouridine (N1-Me-pUTP), associé à une purification éliminant les ARN double brin et les brins d’ARN contaminants, permettait de considérablement réduire la réponse inflammatoire à l’injection de l’ARNm [1].
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Figure 1. Réponse interféron de type I après détection de l’ARNm. Réponse théorique de l’immunité innée à la détection d’ARNm non modifié et non purifié, entraînant la production d’interférons de type I. Les étapes non fonctionnelles chez certains des individus étudiés sont signalées par un cadre rouge. TLR7 : toll-like receptor 7 ; IRF7 : interferon regulatory factor 7 ; Auto-anticorps : anticorps neutralisant les interférons α ou β dans le cadre d’une polyendocrinopathie auto-immune ou du vieillissement ; IFNAR1, IFNAR2 : interferon-α/β receptor subunits 1 and 2 ; ISG : interferon-stimulated genes. |
Il restait cependant admis que persistait une sécrétion résiduelle d’interféron de type I par les cellules présentatrices de l’antigène, et notamment les cellules dendritiques plasmacytoïdes, qui permettait l’activation optimale du système immunitaire lors de la vaccination par ARNm. Cette hypothèse faisait craindre un défaut de réponse vaccinale chez les personnes déficientes pour la voie de signalisation de l’interféron de type I, déficits exposant à des formes sévères de COVID-19. Les cas de déficit immunitaire génétique touchant les voies de signalisation de l’interféron de type I sont exceptionnels, mais les déficits acquis par production d’auto-anticorps dirigés contre les interférons de type I sont beaucoup plus fréquents, pouvant atteindre 4 % des sujets âgés, et ils sont détectés dans plus de 20 % des formes létales de COVID-19 [3].
Les résultats de nombreuses études chez des sujets sains infectés par le SARS-CoV-2 ont montré que la réponse immunitaire humorale contre ce virus cible majoritairement la protéine virale spike, en particulier son domaine RBD (receptor-binding domain). C’est par ce domaine que le virus se lie au récepteur hACE2 (human angiotensin converting enzyme 2) de la cellule hôte et il constitue la cible principale des anticorps neutralisants de la réponse immunitaire [4, 5]. Le domaine RBD de la protéine spike du SARS-CoV-2 étant fortement muté par rapport à celui de la protéine spike d’autres coronavirus infectant l’espèce humaine, il est reconnu comme un néo-épitope par le système immunitaire.
Alors qu’une sécrétion d’anticorps est détectée dans le sérum dès les premiers jours de la réponse immunitaire à l’infection, la mise en place d’une réponse mémoire efficace dure plusieurs mois et nécessite la formation de structures spécialisées, appelées centres germinatifs, dans les ganglions lymphatiques. Dans ces structures, les lymphocytes B accroissent progressivement leur affinité pour l’antigène dont ils sont spécifiques grâce à l’acquisition de mutations dans les gènes codant les anticorps qu’ils synthétisent. Cette réaction produit également des lymphocytes B mémoires et des plasmocytes possédant un programme transcriptionnel et épigénétique leur permettant de survivre plusieurs décennies, et pouvant conférer à l’individu une protection durant toute sa vie après certaines infections ou vaccinations [6]. Les résultats de plusieurs travaux de recherche avaient montré que l’infection par le SARS-CoV-2 ou la vaccination par ARNm contre ce virus provoquait une réponse efficace du centre germinatif, qui pouvait persister jusqu’à six mois et même un an dans certains cas [4, 7].
La réponse humorale initiale et la maturation à long terme des lymphocytes à mémoire est qualitativement et quantitativement normale en l’absence d’interféron de type I
Nous avons pu analyser la réponse lymphocytaire B au vaccin à ARNm codant la protéine spike du virus SARS-CoV-2, contre la COVID-19, dans trois groupes de personnes, jusqu’à sept mois après qu’elles ont reçu deux doses de ce vaccin (BNT162b2 ou mRNA-1273). Il s’agissait 1) de cinq personnes ayant des déficits génétiques exceptionnellement rares des voies d’induction des interférons de type I ou de la réponse à ces interférons : deux patients homozygotes pour une mutation du gène codant IRF7 (facteur de transcription responsable de l’amplification des interférons de type I autres que l’interféron-β, notamment induite par la signalisation de TLR7), un patient hémizygote pour le gène codant le TLR7, et deux patients ayant un déficit du récepteur de l’interféron de type I (Figure 1) ; 2) de quatorze patients ayant des auto-anticorps neutralisant les interférons α et ω, dans le cadre d’une polyendocrinopathie auto-immune de type I, et 3) de huit sujets âgés ayant des auto-anticorps neutralisant les interférons α et/ou ω [8].
Les réponses sérologiques à Ig (immunoglobuline) G et IgA anti-RBD étaient similaires entre les sujets déficients en interféron de type I et les sujets sains, aussi bien aux temps précoces que tardifs de la réponse vaccinale, avec toutefois une certaine hétérogénéité dans le groupe de sujets âgés ayant des auto-anticorps. La capacité des sérums à neutraliser le virus SARS-CoV-2 in vitro était également identique dans tous les groupes, et fortement corrélée avec le taux d’IgG anti-RBD. Enfin, nous n’avons pas non plus mis en évidence de défaut quantitatif ou qualitatif des lymphocytes B mémoire spécifiques du peptide RBD, plus de six mois après la vaccination, dans tous les groupes d’individus déficients en interféron de type I. Le nombre de mutations dans les régions variables de la chaîne lourde d’immunoglobuline ne différait pas entre les patients déficients en IRF7, TLR7, ou récepteur de l’interféron de type I, et les sujets sains vaccinés, témoignant d’un passage normal des lymphocytes B dans le centre germinatif, essentiel à la progression d’affinité des anticorps et à la production d’une mémoire immunitaire à long terme. Le déficit d’interféron de type I dans un contexte de vaccination par les vaccins à ARNm n’altère donc ni la réponse sérologique (d’origine plasmocytaire), ni la mise en place, dans les ganglions lymphatiques drainants de la zone vaccinale, de centres germinatifs et d’une réponse B mémoire à long terme.
En conclusion, ces résultats sont rassurants sur l’efficacité de la vaccination des personnes ayant un déficit en interférons de type I, qui sont à haut risque de forme grave de COVID-19, et suggèrent que l’ARNm contenu dans les vaccins n’a pas de rôle adjuvant intrinsèque, via les interférons de type I, sur la réponse des lymphocytes B (Figure 2). Certaines questions importantes pour le développement futur de vaccins à ARNm demeurent néanmoins. On ignore notamment si les nanoparticules lipidiques encapsulant l’ARN vaccinal ou si d’autres cytokines jouent un rôle adjuvant.
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Figure 2. L’absence d’interféron de type I n’altère pas la réponse aux vaccins à ARN messager. IFNAR1 : interferon-α/β receptor subunits 1 ; TLR7 : toll-like receptor 7 ; IRF7 : interferon regulatory factor 7 ; RBD : receptor-binding domain ; LOF : loss of function. |
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Karikó K, Buckstein M, Ni H, et al. Suppression of RNA recognition by Toll-like receptors : the impact of nucleoside modification and the evolutionary origin of RNA. Immunity 2005; 23 : 165–75. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Wolff JA, Malone RW, Williams P, et al. Direct gene transfer into mouse muscle in vivo. Science 1990; 247 : 1465–8. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Bastard P, Gervais A, Le Voyer T, et al. Autoantibodies neutralizing type I IFNs are present in ~4 % of uninfected individuals over 70 years old and account for ~20 % of COVID-19 deaths. Sci Immunol 2021; 6 : eabl4340. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Sokal A, Chappert P, Barba-Spaeth G, et al. Maturation and persistence of the anti-SARS-CoV-2 memory B cell response. Cell 2021; 184 : 1201–13.e14. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Gaebler C, Wang Z, Lorenzi JCC, et al. Evolution of antibody immunity to SARS-CoV-2. Nature 2021; 591 : 639–44. [NASA ADS] [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Amanna IJ, Carlson NE, Slifka MK. Duration of humoral immunity to common viral and vaccine antigens. N Engl J Med 2007; 357 : 1903–15. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Sokal A, Barba-Spaeth G, Fernández I, et al. mRNA vaccination of naive and COVID-19-recovered individuals elicits potent memory B cells that recognize SARS-CoV-2 variants. Immunity 2021; 54 : 2893–907. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Sokal A, Bastard P, Chappert P, et al. Human type I IFN deficiency does not impair B cell response to SARS-CoV-2 mRNA vaccination. J Exp Med 2023; 220 : e20220258. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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Liste des figures
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Figure 1. Réponse interféron de type I après détection de l’ARNm. Réponse théorique de l’immunité innée à la détection d’ARNm non modifié et non purifié, entraînant la production d’interférons de type I. Les étapes non fonctionnelles chez certains des individus étudiés sont signalées par un cadre rouge. TLR7 : toll-like receptor 7 ; IRF7 : interferon regulatory factor 7 ; Auto-anticorps : anticorps neutralisant les interférons α ou β dans le cadre d’une polyendocrinopathie auto-immune ou du vieillissement ; IFNAR1, IFNAR2 : interferon-α/β receptor subunits 1 and 2 ; ISG : interferon-stimulated genes. |
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Figure 2. L’absence d’interféron de type I n’altère pas la réponse aux vaccins à ARN messager. IFNAR1 : interferon-α/β receptor subunits 1 ; TLR7 : toll-like receptor 7 ; IRF7 : interferon regulatory factor 7 ; RBD : receptor-binding domain ; LOF : loss of function. |
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