Free Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 39, Number 8-9, Août–Septembre 2023
Page(s) 658 - 663
Section Repères
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2023093
Published online 11 September 2023

© 2023 médecine/sciences – Inserm

Vignette (© Fanny Velardo).

Depuis quelques années, les humanités en médecine s’intéressent à la question du consentement du patient comme « approbation d’une démarche, en toute connaissance de cause » au sein d’une « association explicite du malade et du médecin contre la maladie » [1]. Le consentement se pense alors au sein d’une rencontre entre le patient et le médecin qui élaborent ensemble un projet thérapeutique contre la maladie. Désormais, le consentement médical apparaît d’autant plus important que les différentes déclarations d’Helsinki (en 1964) et de Tokyo (en 1975) ont débouché sur un encadrement par la loi du consentement. Aujourd’hui, aucun acte thérapeutique ne peut être posé sans le consentement préalable du patient.

Consentir (ou refuser) est l’acte posé par celui qui a autorité à le faire et, dans le domaine des soins, celui qui possède cette autorité est le patient. En reprenant une distinction proposée par le philosophe Joseph Bochenski, on dira que si le médecin a une autorité épistémique – il est l’expert, celui qui sait –, le patient a une autorité déontique – il est le commandant [2]. Le patient est le commandant, du moins en théorie, car la relation patient-médecin est marquée par une inégalité épistémique caractérisée par le fait que l’autorité du médecin et sa capacité à décider sont légitimées par sa connaissance et son expérience, là où le patient serait en un certain sens illégitime puisqu’il ne détient pas les connaissances médicales appropriées et que son expérience de la maladie n’est pas toujours reconnue, ce qui peut transformer l’inégalité en injustice [3]. Dans cette mesure, l’autorité du médecin constitue un arrière-plan qui marque la relation patient-médecin d’une asymétrie de savoir et donc de pouvoir, susceptible potentiellement de miner la capacité du patient à être autonome et ainsi de pouvoir consentir [4].

Le consentement du patient au traitement s’appuie donc sur sa relation avec le médecin et implique l’exercice d’une double autorité qui permet au patient d’exercer son autonomie, alors même qu’elle est battue en brèche par la maladie qui le plonge dans un état de vulnérabilité [5]. Par l’éducation thérapeutique, fondée sur l’autorité épistémique, l’ensemble du corps médical s’efforce de faire passer le patient d’un état de sujet passif à un état de sujet acteur, capable de consentir à, ou de refuser, un acte thérapeutique [6, 7]. Dans ce contexte, la transmission d’informations est un élément majeur qui permet au patient de comprendre et de mesurer les bénéfices et les risques des différentes options thérapeutiques qui se présentent à lui et de prendre, en conséquence, une décision qualifiée de libre et éclairée [8, 9].

Toutefois, les développements actuels d’une médecine dite de précision soulèvent de nouveaux enjeux qui complexifient la relation patient-médecin et menacent directement l’exercice de l’autonomie et la capacité du patient à consentir. Bien que cette pratique médicale présente des avancées majeures, en ce sens que l’utilisation de données biologiques permet de déterminer des sous-types de maladies et d’adapter un traitement selon les caractéristiques physiologiques et génétiques, mais aussi sociales et psychologiques, propres à chaque patient, elle pourrait raviver une forme de paternalisme ; en effet, la technicisation du discours médical oblitère la compréhension du patient et menace sa capacité à faire entendre sa voix face à la sophistication des résultats des examens médicaux établis. La multiplicité des experts rencontrés par le patient complexifie encore l’identification d’un médecin référent capable de coordonner l’ensemble de la trajectoire de soins [10].

Certes, la médecine s’est fortement technicisée depuis le milieu du XXe siècle [11], et la médecine de précision, du fait de l’utilisation de nouvelles techniques pour diagnostiquer, prévenir et traiter la maladie, est bien dans son prolongement. La technicisation de la médecine de précision implique toutefois une complexification majeure du langage médical, qui pourrait bien constituer un nouveau paradigme pour la relation entre le patient et le corps médical, en fonction de la stratification de l’organisme du patient en des ensembles de sous-systèmes moléculaires et subcellulaires [12].

Si les réflexions menées à la fois sur le plan juridique et sur le plan éthique ont débouché sur la nécessité et l’obligation d’obtenir le consentement du patient ou d’une personne de confiance avant tout acte thérapeutique, avec la médecine de précision, on observe une rupture dans la relation patient-médecin du fait de la complexification de l’information et la difficulté de communiquer pouvant nuire à la compréhension de la maladie par le patient et ainsi à son autonomie et sa capacité à consentir [12]. Dans ce contexte, nous proposons de repenser en profondeur le rôle du médecin dans sa relation avec le patient : le médecin ne doit plus être vu uniquement comme un expert, mais aussi comme un conseiller et surtout, comme un référent. Dans cette optique, nous verrons comment les risques et les effets produits par la médecine de précision dans la relation patient-médecin peuvent être palliés en repensant le rôle du médecin et de l’ensemble du corps médical.

Risques et effets de la médecine de précision pour le patient et dans sa relation avec le médecin

La médecine de précision naît avec les travaux du virologiste américain Renato Dulbecco, prix Nobel de physiologie ou médecine en 1975, qui révèlent la façon dont une maladie peut apparaître à la suite de l’interaction entre un virus et les cellules. Plus précisément, ses travaux ont conduit à la découverte de mécanismes sous-jacents à la cancérogenèse : un virus (comme le papillomavirus) peut modifier l’ADN des cellules hôtes, causant des mutations conduisant à la formation de cellules cancéreuses. Depuis cette découverte en 1975, les avancées dans ce domaine et le développement des nouvelles approches techniques ont permis de collecter et d’analyser des données « omiques » qui rendent possible la segmentation de l’organisme en un ensemble de sous-systèmes moléculaires et subcellulaires afin de mieux comprendre les dysfonctionnements pathologiques des tissus, des cellules et des organes [13, 14]. Il devient alors possible d’élaborer des approches thérapeutiques personnalisées adaptées au génome et aux caractéristiques sociales et psychologiques du patient afin de traiter une maladie selon ses sous-types et ainsi augmenter l’efficacité d’un traitement tout en réduisant sa toxicité [15, 16]. Il faut souligner que les approches omiques qui associent des techniques de chimie analytique, de biochimie et de biologie moléculaire ne permettent pas seulement de prendre en compte l’ensemble des caractéristiques moléculaires des patients, mais aussi des caractéristiques psychosociales, pour avoir une compréhension plus personnalisée et complète du patient en prenant en compte les conséquences d’un traitement sur sa santé [17].

Toutefois, la médecine de précision présente certaines limites. Par exemple, dans le cas de maladies telles que le cancer, l’analyse d’un seul échantillon tumoral par biopsie n’est pas représentatif de la tumeur prise dans son ensemble et du développement de sa masse [18]. De plus, les traitements personnalisés, les analyses moléculaires d’échantillons de tumeurs et les technologies mobilisées impliquent des coûts élevés [18].

Certains usages de la technique et leurs implications dans la relation patient-médecin ont été critiqués, en particulier par les sciences sociales. En effet, la technicisation de la médecine de précision relève également de l’usage d’outils permettant de surveiller et de contrôler l’évolution quotidienne de l’état de santé d’un patient [13, 19]. Or, cette surveillance peut être perçue comme une expansion du regard médical qui scrute le patient et l’évolution de sa maladie dans ses moindres détails et à tout moment. Alors même que des textes législatifs et réglementaires en France, ainsi que la RGPD1 en Europe, encadrent la collecte et l’usage des données génomiques en veillant à la compréhension, au consentement et au droit de retrait des patients [20] (), ces techniques brouillent la frontière entre la sphère publique et privée du patient, menaçant, par là même, son autonomie et son droit à ne pas communiquer une information sur son état de santé [21, 22].

(→) Voir le Repères de M. Zins et al., m/s n° 2, février 2021, page 179

Cette surveillance peut, par ailleurs, se comprendre dans une approche paradigmatique de la panoptique [23], c’est-à-dire par la tendance des sociétés contemporaines à imposer des pratiques et des techniques de surveillance des individus afin de régler leur vie quotidienne. Au sein de ces évolutions sociétales, le médecin est-il encore acteur, c’est-à-dire capable de s’émanciper de ces pratiques qui semblent s’imposer à lui du fait d’une logique irrésistible ? Les professionnels de santé se voient de plus en plus dépendants de développements techniques dont ils ne maîtrisent pas vraiment les orientations, les usages et les implications dans leur relation avec les patients. On peut ainsi se demander si, et dans quelle mesure, cette expansion du regard médical n’est pas un danger pour l’autonomie du médecin, de sa relation avec le patient et, ainsi, pour le patient lui-même.

Avec la médecine de précision, les développements techniques et leurs implications font donc courir le risque d’une perte d’autonomie pour les patients, mais aussi pour les professionnels de santé qui, à terme, modifiera la relation du patient avec le corps médical et sa capacité à poser un choix libre et éclairé. La médecine de précision est en effet à l’origine d’une incapacité, pour un médecin, de prendre seul en charge un patient, tant au moment du diagnostic que tout au long du traitement. La prise en charge des patients dans une médecine de précision implique une délibération collective entre experts, avec des spécialistes, des biologistes ou encore des bio-informaticiens [24]. Par ailleurs, comme on l’a indiqué, le développement de connaissances de plus en plus précises sur le corps malade, sous le prisme du génome et de ses caractéristiques sociales et psychologiques, conduit les médecins à se spécialiser dans un type ou un sous-type de dysfonctionnement du corps humain, ce qui provoque une sorte d’« hyper-morcellement » du corps du malade accompagnant l’« hyperspécialisation » des médecins [25]. Ainsi, le médecin généraliste n’ayant accès ni aux outils d’analyse des données ni, en général, aux formations académiques permettant l’interprétation de ces données, peut ne plus être en mesure d’établir un diagnostic, d’expliquer la maladie au patient, ou de mettre en place une prise en charge personnalisée des besoins du patient [26].

Dans le cadre de la trajectoire de soins, le patient est ainsi amené à rencontrer plusieurs professionnels de santé, dans plusieurs centres hospitaliers ou cliniques capables de poser un diagnostic [27] ; il est alors comme dépossédé de son corps qui est réparti entre différents lieux et différents soignants. Il y a, en ce sens, une certaine contradiction au sein de la médecine de précision, qui a pour objectif initial de personnaliser les approches thérapeutiques en ciblant les caractéristiques physiologiques et génétiques des patients, mais qui, en même temps, opère une « impersonnalisation » qui associe les patients à des sous-types génomiques [28] ().

(→) Voir le Forum de M. Billaud et X. Guchet, m/s n° 8-9, août-septembre 2015, page 797

Cette impersonnalisation est d’autant plus forte que la catégorisation de maladie selon des processus moléculaires répond à un principe d’actionnabilité, c’est-à-dire que les mutations et les maladies sont classées selon des caractéristiques génomiques afin d’établir des leviers d’action et de poser une décision thérapeutique [29]. Dès lors, on doit se demander si, dans cette approche génomique, qui va à l’encontre d’une conception holistique de la maladie, quelle responsabilité du médecin vis-à-vis du patient existe encore. On doit encore se demander comment il est possible d’assurer la transmission d’une information, tant sur la maladie que sur les besoins singuliers du patient, dans une situation où la réalité de la maladie est segmentée et enclavée dans différents espace-temps. Si le médecin n’est plus en mesure de comprendre seul la réalité de la maladie dans son intégralité, tant celle-ci se précise tout autant qu’elle se complexifie, comment un patient sans formation médicale pourrait-il comprendre sa propre maladie ? Cette hypertechnisisation porte donc atteinte à la compréhension du patient et, par là, à l’exercice de son autonomie, en ce sens qu’il n’est plus capable de maîtriser une information qui lui permet de prendre une décision libre et éclairée.

Nous voyons ici se dessiner une spirale sans fin. Comme le montre le philosophe Ivan Illich, la perte d’autonomie d’une personne appelle à une nouvelle intervention d’un tiers pour la combler, et cela indéfiniment [30] : la spécialisation technique de la médecine de précision conduit à une perte d’autonomie du patient qui, elle-même, confirme cette logique d’intervention de personnes tierces tout en complexifiant la prise en charge du patient. Ce n’est pas seulement une réduction d’un corps malade opérée par la segmentation en des sous-cellules qui est à l’œuvre dans la médecine de précision, mais aussi l’être même de la personne malade qui est fragmenté [15, 16]. Il y a en effet une perte de l’unicité de l’identité du corps malade : le corps du patient se retrouve distribué entre plusieurs experts détenteurs d’une connaissance particulière sur une maladie ou un sous-type de maladie ; c’est pourquoi l’intervention de plusieurs experts doit désormais trouver un nouveau mode d’organisation afin de réunir les informations d’un patient provenant des experts et des centres. Cette centralisation de l’information doit intervenir dès les RCP2, ce qui implique des changements organisationnels qui puissent repositionner le médecin référent au cœur de la trajectoire de soins des patients et au sein des professionnels hospitaliers.

On peut craindre qu’on assiste actuellement à ce qu’Illich critiquait déjà dans les années 1950 : un système de santé qui tout en cherchant toujours plus d’efficacité par la technique devient par là même contre-productif. La technique devient alors elle-même pathogène et son sur-usage, le symptôme d’une institution malade. Cette quête d’une technicisation répond peut-être à un désir de santé parfaite qui se manifeste par l’obsession de la prévoyance, de la prévision et de l’anticipation, mais elle nuit à l’autonomie des personnes déjà malades [31, 32] qui ne peuvent plus faire entendre leur voix dans la relation thérapeutique. Dès lors, à l’ère de la technique et de la médecine de précision, comment penser l’autonomie et le consentement ?

Repenser les possibilités du consentement

Vu les limites de la médecine de précision que nous avons soulignées, comment garantir la possibilité de poser un choix libre et éclairé à un acte de soin ? Nous pensons qu’il faut repenser la restauration de l’autonomie du patient au sein de l’institution médicale afin que ce dernier puisse consentir.

La possibilité du consentement du patient ne peut être assurée que par l’affirmation d’un nouveau rôle du médecin. Comme nous l’avons vu, bien plus que dans l’exercice classique de la médecine, le contexte de la médecine de précision place le médecin spécialiste en position d’expert détenant une connaissance qui le rend apte à prendre une décision rationnelle concernant la prise en charge du patient. Par cette connaissance, il a en effet la capacité d’interpréter des informations complexes lui permettant d’établir un traitement optimal selon ses bénéfices et ses risques. Or, un véritable consentement de la part du patient ne peut être possible que si le médecin quitte cette position hégémonique, c’est-à-dire si s’effectue un transfert de connaissances vers le patient. À cet effet, le médecin doit endosser le rôle non plus seulement d’expert et de conseiller, mais aussi de référent capable de faire sens d’un ensemble d’informations situées, c’est-à-dire d’informations qui s’inscrivent non seulement dans les différentes étapes de la trajectoire de soins, mais aussi selon le contexte psychosocial du patient. Plus précisément, ce nouveau rôle implique qu’un médecin référent soit désigné, qu’il soit certes capable d’aiguiller vers d’autres spécialistes, mais surtout et en retour, de réunir toutes les informations nécessaires au diagnostic ou à l’élaboration d’une proposition thérapeutique, afin de répondre à « la nécessité d’améliorer la lisibilité et la transparence de l’information pour le patient afin de s’assurer d’un choix autonome de sa part » [33] ().

(→) Voir le Forum de H.C. Stoeklé et al., m/s n° 2, février 2017, page 188

Cette nécessité de transférer et d’expliquer l’information au patient par l’intermédiaire d’un médecin référent apparaît d’autant plus importante tant le contexte médical actuel est marqué par l’obligation légale de tenir des RCP pour poser des décisions thérapeutiques. Depuis le plan Cancer 2003-2007, sous l’impulsion du président de la République Jacques Chirac en 2003, les différents experts du corps médical se réunissent au sein de ces RCP pour échanger sur la pathologie médicale sur le plan technique afin d’établir l’optimalité d’une prise en charge. Dans le contexte d’une médecine de précision, il est nécessaire que les différents professionnels de santé, tels que le médecin spécialiste, le médecin référent, le biologiste ou encore le bio-informaticien, puissent faire collectif au sein d’instances de dialogue pour poser un diagnostic et déterminer une prise en charge selon les caractéristiques physiologiques et génétiques, mais aussi sociales et psychologiques de chaque patient, afin de prendre en compte ses besoins singuliers et ses projets de vie. Comme le déplore Marie-Brigitte Orgerie, médecin oncologue à Tours [34], la dimension technique tend à faire oublier souhaits et projets de vie du patient, qui constituent pourtant un élément crucial dans l’élaboration de projets thérapeutiques. Bien que les psychologues ou autres intervenants potentiels, tels que des assistants sociaux, ne participent qu’occasionnellement aux RCP, selon les spécificités de chaque dossier [35], leur présence gagnerait à être systématiser pour assurer une prise en charge holistique des patients.

Pour toutes ces raisons, la figure du médecin référent comme conseiller doit nous amener à penser le rôle de ce médecin comme celui d’un intermédiaire entre le corps médical et le patient, dans un mouvement de va-et-vient. Le médecin référent a en effet la responsabilité de faire valoir la volonté de son patient devant ses confrères lors des RCP. En ce sens, il n’est plus seulement question de parler de la technique médicale en vue d’une optimalité thérapeutique selon les caractéristiques physiologiques et génétiques, mais surtout de penser dans quelle mesure les options thérapeutiques qui se présentent peuvent concorder avec les besoins et les projets de vie du patient. Dans ce nouveau rôle, le médecin devrait pouvoir être accompagné, en consultation et lors des RCP, par un ou une psychologue clinicienne capable de contrebalancer la dimension technique. Par ailleurs, et dans un chemin de retour, le médecin doit être capable d’expliquer la proposition thérapeutique au patient, c’est-à-dire d’expliquer les différentes options thérapeutiques selon les bénéfices et les risques, mais aussi de l’aider à discerner comment celles-ci s’insèrent plus ou moins dans ses projets de vie.

Il convient donc d’identifier un médecin référent capable « d’orchestrer » la prise en charge du patient qui rencontre plusieurs professionnels de santé tout au long de sa trajectoire de soins [10]. Dans cette perspective, la figure du médecin comme « chef d’orchestre » ne consiste pas, pour lui, à être un des multiples professionnels de santé que le patient rencontre dans sa trajectoire de soins et qui se cantonne à son expertise médicale. Ce rôle apparaît davantage comme celui d’un acteur qui se situerait dans une position de retrait, capable d’avoir une vision d’ensemble des étapes à suivre pour la trajectoire de soins du patient, afin de l’orienter lors des différentes rencontres avec les soignants. Dès lors, le médecin référent doit être en mesure de faire intervenir les différents professionnels de santé selon les étapes et les besoins de la trajectoire de soins du patient, mais aussi d’expliquer au patient la pertinence de rencontrer tel ou tel soignant. Le médecin référent interviendrait donc déjà en amont du diagnostic de la maladie, c’est-à-dire dès la première rencontre en consultation avec les différents spécialistes.

Repenser la position et le rôle du médecin généraliste et son interaction avec les spécialistes est également important. Si son rôle initial est de détecter, chez le patient, des symptômes inquiétants suggérant une maladie, il identifiera le clinicien spécialiste afin d’orienter son patient. Il faut donc qu’il prenne sa place dans le dialogue avec l’institution médicale et l’ensemble du corps médical hospitalier, afin d’être en mesure d’assurer une continuité dans toute la trajectoire de soins du patient, entre les périodes d’hospitalisation, les retours à domicile, et le préparer aux prochaines étapes thérapeutiques. Quant au médecin hospitalier référent, il accueillera le patient dans l’hôpital, mais c’est à lui qu’incombera de lui expliquer aussi les différents examens nécessaires à l’établissement d’un diagnostic et le rôle des différents médecins spécialistes qu’il rencontrera dans sa trajectoire de soins.

Le dialogue entre les différents médecins spécialistes, le médecin référent et le médecin généraliste lors des RCP permettra alors d’assurer une continuité de la transmission d’informations et de la prise en charge entre les périodes d’hospitalisation et de retour au domicile. Ce dialogue, encore limité actuellement, devrait permettre de faire comprendre au patient la cohérence des décisions médicales selon les nécessités d’hospitalisation, de réalisation d’examens ou encore de modification d’un traitement, selon l’évolution de sa maladie.

Conclusion

Nous avons voulu montrer la difficulté que les patients peuvent éprouver à la suite des développements de la médecine, et que cette difficulté doit être l’occasion de repenser le rôle du médecin dans sa relation avec le patient afin que ce dernier puisse exercer véritablement sa capacité à consentir ou à refuser un acte thérapeutique. Nous avons ainsi insisté sur l’importance de restaurer l’autonomie du patient par le transfert, par le médecin référent, d’une connaissance appropriée aux besoins d’information du patient et à sa capacité de compréhension [38] ().

(→) Voir le Repères de D. Gozlan et al., page 650 de ce numéro

Dès lors, le patient n’est plus passif par rapport à la technique et au corps médical expert, mais il devient acteur. Il est alors nécessaire que le système de santé réfléchisse à un mode d’organisation garantissant les conditions sur lesquelles s’élaborent la relation patient-médecin et le consentement du patient.

Ce rôle du médecin dans un contexte de médecine de précision ne s’insère pas seulement dans une réflexion sur l’éducation thérapeutique, mais devrait être introduit dès la formation des professionnels de santé. Aujourd’hui, le paradigme des humanités en santé pose la question : qu’est-ce qu’un bon docteur ? [36] Il souligne notamment que le médecin n’est plus seulement un pur technicien dénué d’empathie, mais un professionnel doté de compétences de communication, attentif et réactif aux besoins des patients [4, 37]. La question du consentement du patient doit se repenser dès la formation des soignants, et tout au long de leur vie professionnelle, afin que ces derniers aient une posture d’accompagnant, capable d’aider le patient dans la restauration de son autonomie, et d’écoute de son consentement.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier les soignants du Centre Hépato-Biliaire de l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif qui ont rendu possible cette étude. Les auteurs souhaitent également remercier les membres de iEH2 (institut Éthique Histoire Humanités) de l’université de Genève. L’étude a été soutenue financièrement par l’ESCP Business School.


1

Le règlement général de protection des données (RGPD) est un texte réglementaire européen qui encadre le traitement des données de manière égalitaire sur tout le territoire de l’Union européenne (UE). Il est entré en application le 25 mai 2018.

2

Les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) regroupent des professionnels de santé de différentes disciplines dont les compétences sont indispensables pour prendre une décision donnant aux patients la meilleure prise en charge selon l’état de la science.

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