Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 39, Number 6-7, Juin-Juillet 2023
Page(s) 487 - 489
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2023067
Published online 30 June 2023

Environ dix millions de personnes par an meurent d’un cancer dans le monde, et la très grande majorité de ces décès est attribuée aux métastases de la tumeur d’origine, qui se développent dans des organes souvent situés à distance de cette tumeur. Dans le cas du cancer du côlon, 30 % à 40 % des patients qui ont subi une résection chirurgicale de la tumeur d’origine vont développer des métastases dans les années qui suivent l’intervention [1]. Il est actuellement très difficile de prédire cette récidive métastatique, et impossible de la prévenir avec les thérapies disponibles. Une équipe de chercheurs de l’Institute for Research in Biomedicine (IRB) de Barcelone en Espagne, vient de faire une découverte majeure permettant d’envisager à court terme une stratégie thérapeutique innovante afin de diminuer le risque de récidive chez ces patients [2].

Prenant en compte, non seulement l’hétérogénéité des cancers colorectaux entre les patients, mais également celle de la tumeur chez un même patient, cette équipe a réalisé, sur un grand nombre de ces tumeurs, un séquençage des ARN messagers à l’échelle de la cellule unique afin d’identifier les gènes prédictifs d’une récidive. Une très grande partie des 2 530 gènes ainsi sélectionnés était liée au microenvironnement tumoral, notamment aux fibroblastes associés au cancer [3, 4]. L’analyse des résultats de ce séquençage a, par ailleurs, permis d’identifier une sous-population de cellules tumorales associée à un haut risque de récidive (high recurrence cells, HRC). Ces cellules HRC expriment fortement des gènes impliqués dans les jonctions intercellulaires, l’adhérence et la migration cellulaires, soulignant leur forte implication dans le processus métastatique. Cependant, ces cellules n’expriment pas les gènes dont l’expression caractérise les cellules souches intestinales, tels que LGR5 (leucine-rich repeat-containing G-protein-coupled receptor 5) [5].

En appliquant une analyse similaire à des tumeurs murines, les sous-populations de cellules tumorales identifiées préalablement dans les échantillons humains l’ont été également chez la souris. Forts de cette concordance entre les tumeurs humaines et murines, les auteurs ont ensuite établi, chez la souris, un modèle expérimental reproduisant la récidive métastatique : des cellules tumorales murines ont été injectées dans l’intestin de souris immunocompétentes, et après résection chirurgicale de la tumeur, des métastases sont apparues, en quelques jours, principalement dans le foie, et parfois dans les poumons et le péritoine (Figure 1). Avec ce modèle murin, les chercheurs ont tenté d’identifier des voies de signalisation anormalement activées dans les HRC afin de pouvoir les inhiber. Deux voies associées au potentiel d’initiation tumorale ont fait l’objet d’une analyse approfondie : la voie Wnt et la voie YAP/TAZ [6, 7]. Étonnamment, aucune n’était activée dans les HRC, et l’inhibition de la voie YAP/TAZ n’a eu aucun effet sur la récidive métastatique [2]. À la suite de cet échec, et afin de visualiser les HRC dans les tumeurs et dans les métastases, ils ont eu recours à une stratégie de « lineage tracing » par transgenèse : après avoir sélectionné un gène particulièrement exprimé dans les HRC murines et humaines, Emp1 (epithelial membrane protein 1), ils ont placé l’expression d’une protéine fluorescente sous le contrôle du promoteur de ce gène. La même technique a été utilisée pour visualiser les cellules souches intestinales, en utilisant l’expression d’une autre protéine fluorescente sous le contrôle du promoteur du gène Lgr5, exprimé spécifiquement par ces cellules. Grâce à ces outils, les auteurs ont montré que Emp1 et Lgr5 étaient toujours exprimés dans des cellules différentes [2]. Puis ils ont prouvé que les cellules exprimant fortement Emp1 étaient présentes en grand nombre au front d’invasion des tumeurs, et ont montré expérimentalement que la co-culture des cellules tumorales avec des fibroblastes associés au cancer multipliait par six la proportion des HRC. Ce résultat a été validé par l’analyse de tumeurs des patients, où l’on voit que ces fibroblastes s’agrègent autour des HRC, ce qui souligne à nouveau l’importance du microenvironnement tumoral dans la récidive métastatique. Par ailleurs, ils ont montré : 1) d'une part, que les premières cellules disséminées dans le foie expriment Emp1 (confirmant ainsi que l’initiation métastatique était provoquée par les HRC) et que des cellules exprimant Lgr5 apparaissaient ensuite progressivement, et 2), d’autre part, que la distribution spatiale de ces deux sous-populations dans les métastases hépatiques ressemblait à celle de la tumeur d’origine [2]. Dans une perspective de nouvelle stratégie thérapeutique, les chercheurs ont alors injecté, dans l’intestin des souris, des cellules tumorales génétiquement modifiées, afin de permettre l’élimination des HRC, qui expriment Emp1, à différents moments durant le processus d’initiation tumorale. Après avoir constaté que la croissance tumorale n’était pas affectée par l’absence des HRC, ils ont observé que la majorité des souris ne présentait aucune métastase dans le foie et dans les poumons lorsque les HRC étaient éliminées avant la résection de la tumeur d’origine. Au contraire, si les HRC étaient éliminées une semaine après la chirurgie, le nombre et la taille des métastases demeuraient inchangés, ce qui suggère que les HRC quittent la tumeur d’origine à des stades précoces de son développement. La même modification génétique appliquée aux cellules exprimant Lgr5 afin de les éliminer à différents moments a permis de montrer que l’élimination de ces cellules n’entravait la récidive métastatique que si elle survenait après la formation des micro-métastases, lors de leur évolution vers des macro-métastases [2]. Ces résultats confortent l’hypothèse d’un « passage de relais » entre les cellules HRC, initiatrices des métastases, et les cellules exprimant Lgr5, impliquées dans la transition entre micro- et macro-métastases [8].

thumbnail Figure 1.

Modèle murin de récidive métastatique après exérèse de la tumeur primaire intestinale : schéma du protocole expérimental.

Enfin, les auteurs ont été surpris de constater la présence transitoire de lymphocytes T autour des micro-métastases (composées majoritairement de HRC), car les cancers colorectaux sont considérés comme majoritairement peu immunogènes et ne répondant que rarement à l’immunothérapie [9]. Étant donné le dialogue, souligné précédemment, entre les HRC et leur microenvironnement, les auteurs ont étudié en détail le profil moléculaire de ces cellules dans les micro- et macro-métastases. Étonnamment, les HCR récemment arrivées dans le foie expriment des marqueurs pro-inflammatoires ainsi que des marqueurs du contrôle de l’activation des lymphocytes, tels que PD-L1 (programmed death-ligand 1). Les auteurs ont donc traité les souris avant ou après la résection de leur tumeur primaire avec une combinaison d’immunothérapies, afin de profiter de cette courte fenêtre de temps pendant laquelle les lymphocytes T sont à proximité des micro-métastases. Ils ont alors constaté que la majorité des souris ne développaient aucune récidive métastatique après l’exérèse chirurgicale de la tumeur à condition que l’immunothérapie ait précédé la chirurgie. Dans le cas d’une immunothérapie post-chirurgicale, celle-ci s’est en revanche avérée incapable d’activer une réponse anti-tumorale. Ce résultat incite à instaurer l’immunothérapie tôt chez les patients concernés afin de diminuer ou de prévenir le risque de récidive métastatique (Figure 2).

thumbnail Figure 2.

Immunothérapie précédant l’exérèse chirurgicale : une thérapie préventive prometteuse contre la récidive métastatique.

Les résultats de cette étude sont d’une grande importance non seulement pour la caractérisation de la sous-population de cellules tumorales responsable des récidives métastatiques (cellules HRC), mais aussi pour l’espoir thérapeutique qu’ils suscitent. En effet, le traitement des patients atteints d’un cancer du côlon par immunothérapie avant la chirurgie d’exérèse de la tumeur pourrait augmenter considérablement leur espérance de vie en retardant l’apparition des récidives métastatiques. D’autres stratégies thérapeutiques pourraient d’ailleurs également être envisagées afin d’éliminer spécifiquement les cellules HRC avant la chirurgie.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Amin MB, Greene FL, Edge SB, et al. The eighth edition AJCC cancer staging manual: Continuing to build a bridge from a population-based to a more “personalized” approach to cancer staging. CA Cancer J Clin 2017 ; 67 : 93–99. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Cañellas Socias A, Cortina C, Hernando-Momblona X, et al. Metastatic recurrence in colorectal cancer arises from residual EMP1 cells. Nature 2022; 611 : 603–13. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Calon A, Lonardo E, Berenguer-Llergo A, et al. Stromal gene expression defines poor-prognosis subtypes in colorectal cancer. Nat Genet 2015 ; 47 : 320–329. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Isella C, Terrasi A, Bellomo SE, et al. Stromal contribution to the colorectal cancer transcriptome. Nat Genet 2015 ; 47 : 312–319. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Shimokawa M, Ohta Y, Nishikori S, et al. Visualization and targeting of LGR5+ human colon cancer stem cells. Nature 2017 ; 545 : 187–192. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Vasquez EG, Nasreddin N, Valbuena GN, et al. Dynamic and adaptive cancer stem cell population admixture in colorectal neoplasia. Cell Stem Cell 2022; 29 : 1213–28.e8. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Heinz MC, Peters NA, Oost KC, et al. Liver colonization by colorectal cancer metastases requires YAP-controlled plasticity at the micrometastatic stage. Cancer Res 2022; 82 : 1953–68. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Fumagalli A, Oost KC, Kester L, et al. Plasticity of Lgr5-negative cancer cells drives metastasis in colorectal cancer. Cell Stem Cell 2020; 26 : 569–78.e7. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Le DT, Uram JN, Wang H, et al. PD-1 blockade in tumors with mismatch-repair deficiency. N Engl J Med 2015 ; 372 : 2509–2520. [Google Scholar]

© 2023 médecine/sciences – Inserm

Licence Creative CommonsArticle publié sous les conditions définies par la licence Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), qui autorise sans restrictions l'utilisation, la diffusion, et la reproduction sur quelque support que ce soit, sous réserve de citation correcte de la publication originale.

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Modèle murin de récidive métastatique après exérèse de la tumeur primaire intestinale : schéma du protocole expérimental.

Dans le texte
thumbnail Figure 2.

Immunothérapie précédant l’exérèse chirurgicale : une thérapie préventive prometteuse contre la récidive métastatique.

Dans le texte

Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.

Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.

Initial download of the metrics may take a while.