Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 38, Number 11, Novembre 2022
Page(s) 947 - 950
Section Forum
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2022140
Published online 30 November 2022

© 2022 médecine/sciences – Inserm

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L’espèce canine est caractérisée par une très grande variété de phénotypes : bien qu’appartenant à la même espèce, un chihuahua et un berger allemand diffèrent énormément par leur taille, leur poids et leur morphologie. Cette diversité a été exacerbée par une intense sélection qui, pour l’essentiel, a eu lieu à l’époque Victorienne et a abouti à plus de trois cents races1 distinctes, présentant des caractéristiques physiques très codifiées, races dont la « pureté » est assurée par un système de pedigrees géré par des associations ad hoc2. Ces chiens de race sont loin d’être majoritaires au niveau mondial : on estime qu’environ 80 % du milliard de chiens existants sont des « chiens de village » semi-sauvages (free-ranging). Même aux États-Unis, les individus de race ne représentent que la moitié de la population, le reste correspondant à des chiens de race mélangée, « bâtards » ou mutts. Il n’en reste pas moins que l’on s’est principalement intéressé aux races « pures », et que l’on associe généralement race et comportement : le labrador est censé être intelligent, doux et sociable, enjoué, mais parfois têtu, fidèle et affectueux, tandis que le caniche présente une grande intelligence, est très fidèle et a un caractère vif et espiègle3. La validité de ces caractères est largement admise, et de nombreux sites Internet proposent de vous aider à choisir une race de chien en fonction de vos desiderata sur son comportement. L’ADN du chien a été séquencé dès 2005 [1], ce qui a rendu possible l’étude des corrélats génétiques de la race et de leur relation avec le comportement. Deux articles récents [2, 3] ont abouti à des conclusions plutôt contradictoires, surtout si l’on se fie à la manière dont ils ont été rapportés dans la revue Science : Dog breeds really do have distinct personalities-and they’re rooted in DNA [4], pour le premier en 2019, et Your dog’s breed doesn’t determine its personality, study suggests - Work challenges popular idea that breeds have specific, reliable behaviors [5], pour le second en 2022. Une telle divergence mérite un examen un peu détaillé, qui est l’objet de cette chronique.

2019 : un déterminisme de race – mais des données perfectibles

Le premier article, émanant de plusieurs équipes étatsuniennes [2], est essentiellement fondé sur l’exploitation de données préexistantes. Pour le volet génétique, l’étude utilise les résultats de génotypage (à l’aide de microarrays spécifiques) précédemment obtenus par deux autres équipes sur 5 697 chiens [6, 7] ; pour le comportement, les auteurs ont repris les informations d’une base de données appelée C-BARQ4 qui répertorie les comportements de 29 656 chiens (dont 14 020 de race « pure »). Les données génétiques et celles de comportement ne concernent donc pas les mêmes animaux, ce qui amène les auteurs à établir un profil génétique moyen pour chaque race à partir de ceux des quelques dizaines d’individus concernés. Ces profils moyens sont ensuite confrontés aux données de comportement, en se limitant à celles qui concernent des chiens de race « pure ». Les comportements ont été évalués à partir des réponses (sur une échelle de 0 à 4) à 78 questions, et sont regroupés en 14 facteurs faisant la synthèse de plusieurs items du questionnaire, par exemple « éducabilité » (trainability) regroupant l’obéissance, la capacité à aller chercher des objets, la résistance aux stimulus parasites, etc. Notons que ces profils de comportement sont certes assez détaillés, mais ils sont remplis par les propriétaires des chiens (et non par un observateur indépendant) ce qui peut les biaiser, l’avis pouvant notamment être influencé par le comportement attendu compte tenu de la race du chien concerné.

Dans ces conditions, le comportement (moyen) de chaque race diffère, et présente une corrélation significative avec les données génétiques : environ 15 % des différences de comportement seraient dues au patrimoine héréditaire. Les résultats suggèrent aussi que de nombreux gènes sont impliqués (hérédité multigénique), et que nombre d’entre eux interviennent dans le fonctionnement du système nerveux. Au total, cette étude confirme que le comportement des chiens de race est en partie génétique, et suggère que les différences observées entre races sont liées à leur patrimoine génétique. Reste que le recours à des échantillons différents pour les données génétiques et de comportement affaiblit nettement ces conclusions puisqu’il oblige à travailler sur des valeurs moyennes et non sur les profils individuels.

2022 : des données plus solides, une corrélation presque évanescente

Le deuxième article, paru en 2022 [3], est le fruit de la collaboration entre une dizaine de laboratoires des États-Unis. Paru dans une revue plus « cotée » que le précédent (Science au lieu de Proceedings of the Royal Society), il est effectivement plus solide et plus détaillé. D’une part, les données génétiques et comportementales proviennent cette fois des mêmes chiens, et sont répertoriées individuellement et non en tant que moyennes ; et, d’autre part, l’étude porte non seulement sur des individus de race « pure », mais aussi sur des chiens croisés (deux ou trois races parentales) ou des bâtards (parenté complexe). Nous verrons que ces derniers se révèlent très utiles dans l’analyse. Les chiens étudiés proviennent d’un projet appelé Darwin’s Ark5 qui répertorie les comportements (indiqués par les possesseurs des chiens) selon un questionnaire comportant 117 items, et qui conserve aussi un échantillon d’ADN pour chaque chien. Les données génétiques consistent en un génotypage par microarray et un séquençage à basse couverture (1X) de l’ensemble des 2 145 chiens étudiés, complété par un séquençage à haute couverture (46X) de 27 bâtards. On dispose ainsi d’un ensemble cohérent de données (génotype détaillé, comportement codifié, race « pure » ou mélangée) pour chacun des individus étudiés représentant au total près d’une centaine de races.

La comparaison des séquences obtenues avec un panel de référence contenant les données génétiques de 101 races de chiens montre que l’on peut ainsi identifier l’appartenance de chaque chien, qui coïncide à 98,7 % avec la race déclarée pour les chiens de race « pure » ; elle permet aussi d’identifier les ascendances pour les chiens croisés et les bâtards, même lorsque ces ascendances sont multiples (Figure 1). Au total, l’échantillon comporte 924 individus de race confirmée et 1 221 chiens croisés ou bâtards, dont la majorité ont au moins quatre ascendances différentes. On peut ensuite se poser la question du déterminisme génétique du comportement. Pour ce faire, les 117 items du phénotype sont regroupés en huit caractères (par exemple, obéissance, sociabilité avec les humains ou les autres chiens, tendance au jeu, etc.) et confrontés avec les données de séquençage et génotypage. Il ressort de cette étude que les comportements répertoriés ont bien une composante génétique, et que celle-ci rend compte d’environ 25 % de la variation observée au sein de la population dans son ensemble : une influence génétique nette, mais qui laisse une large part dans la formation de la personnalité de l’animal à l’environnement et à l’éducation. Reste à voir dans quelle mesure ces variations sont corrélées avec la race, en d’autres termes, si la race d’un chien prédit un comportement spécifique comme cela est généralement admis. C’est ici que l’étude de 2022 montre sa supériorité : le fait de considérer les données individuelles pour chaque animal (génétique et comportement) évite de gommer la variabilité à l’intérieur d’une race. De plus, l’analyse de bâtards dont l’ascendance est discernable par l’analyse génétique mais pas évidente « à l’œil nu » par le propriétaire de l’animal, améliore l’objectivité du recueil de données. On peut le voir, par exemple, pour la docilité qui est l’un des caractères les plus héritables et les plus différenciés selon les races.

thumbnail Figure 1.

Ascendances déterminées par séquençage d’ADN, exemples allant d’un chien de pure race à un bâtard. Extrait partiel et remanié de la figure 3 de [3]. Breeds : autres races ; poodle : caniche ; staff : american staffordshire terrier.

Même si la valeur moyenne de ce paramètre est un peu plus faible (indiquant une plus grande docilité moyenne) pour le chien de berger (Border Collie), le plus docile des chiens étudiés dans cet article, la Figure 2 montre que la variabilité est très importante, que l’on considère l’ensemble de chiens répertoriés dans Darwin’s Ark (14 292 individus) ou les 16 chiens de cette race identifiés par leur séquence pour le présent travail. Si l’on considère maintenant les 638 bâtards pour lesquels le séquençage a décelé une ascendance partielle de Border Collie, on voit qu’il n’y a pratiquement aucune corrélation entre le pourcentage d’ascendance et la docilité dans le comportement (Figure 3). Cela est à mettre en rapport avec le fait qu’il est difficile de deviner les ascendances d’un bâtard, comme montré par les auteurs : du coup, la définition du comportement chez un bâtard est sans doute plus objective car moins influencée par les stéréotypes de race.

thumbnail Figure 2.

Haut : répartition du caractère de docilité (Biddability) noté de – 2 (docile) à + 2 (indépendant) pour l’ensemble des chiens de l’échantillon (en gris) et pour les seuls individus de race Border Collie (un type de chien de berger*) (en blanc). Bas : répartition du caractère pour les chiens Border Collie identifiés par séquençage de leur ADN (extrait partiel et remanié de la figure unique du résumé de [3]).

* www.woopets.fr/chien/race/border-collie/#informations

thumbnail Figure 3.

Répartition de la docilité pour 638 bâtards ayant une part d’ascendance Border Collie. On voit qu’il n’y a pratiquement aucune corrélation, la part d’ascendance Border Collie (en ordonnée) ne prédisant pas la docilité (extrait partiel et remanié de la figure unique du résumé de [3], les points de couleur correspondent à des individus discutés dans l’article).

Finalement, au total, les auteurs estiment que la race prédit moins de 10 % du comportement, avec des valeurs différentes selon les caractères examinés. Pour l’essentiel donc, la race ne prédit pas la personnalité d’un chien au niveau individuel, même si quelques tendances sont discernables si l’on considère les moyennes. Bien entendu, des caractères physiques, comme la taille, le pelage ou la morphologie sont, elles, fortement héritables et très corrélées avec la race – rien d’étonnant, puisque c’est sur ces critères que ces races ont été définies !

Des contradictions exagérées, des extrapolations hasardeuses

Finalement, les deux articles analysés ici [2, 3] ne sont pas aussi contradictoires que semblent l’indiquer leurs titres, et surtout, les échos auxquels ils ont donné lieu [4, 5]. Il aurait été intéressant que les auteurs de l’article le plus récent discutent les conclusions du précédent, mais ils l’ignorent complètement6, ce qui ne semble pas très fair play et aurait dû être repéré par les reviewers – en tous cas, cela nous prive d’une mise en perspective utile. En fait, les différences dans les conclusions semblent provenir essentiellement de l’emploi inévitable de moyennes (au lieu de valeurs individuelles) et des possibles biais des propriétaires pour les chiens de race « pure » auxquels le premier travail est obligé de se limiter pour relier les données génétiques et phénotypiques obtenues sur des individus différents. Quoi qu’il en soit, les conclusions à retenir sont celles du second article : une composante génétique assez faible mais nette pour le comportement, et une quasi-absence de corrélation entre race et personnalité.

Les deux groupes d’auteurs évoquent, sans insister, les leçons à tirer de ces résultats pour la génétique et la médecine humaines. Il me semble que l’on doit les mettre en perspective par rapport à des stéréotypes largement condamnés mais toujours bien présents concernant les populations humaines. Les « races » humaines, dont on a longtemps admis l’existence, étaient caractérisées par leur apparence physique mais aussi par des traits de comportement censément inscrits dans leurs gènes et qui orientaient leur place dans la société. Ces stéréotypes ont la vie dure et réapparaissent notamment à la faveur des progrès de l’analyse génétique de populations, qui permet aujourd’hui de mesurer les différentes ascendances d’une personne et éventuellement de la rattacher à un groupe d’ascendance [8]. L’exemple des chiens montre que, même en présence de véritables races fortement sélectionnées et de morphologies très différentes, celles-ci n’ont quasiment aucune valeur prédictive quant au comportement et à la personnalité des individus qui leur appartiennent. Cela devrait inciter à une grande prudence ceux qui pensent déduire le comportement d’une personne de la couleur de sa peau…

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Le mot race, communément utilisé pour les chiens et d'autres animaux, désigne des lignées d'animaux d'une même espèce, sélectionnés le plus souvent par l'Homme.

2

En France, le Livre des Origines Français ou LOF, https://www.centrale-canine.fr/articles/le-lof

4

vetapps.vet.upenn.edu/cbarq/

5

darwinsark.org/

6

À l’exception de l’inclusion de la référence et d’une mention cryptique à propos de gènes exprimés dans le cerveau.

Références

  1. Lindblad-Toh K, Wade CM, Mikkelsen TS, et al. Genome sequence, comparative analysis and haplotype structure of the domestic dog. Nature 2005 ; 438 : 803–819. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. MacLean EL, Snyder-Mackler N, vonHoldt BM, Serpell JA. Highly heritable and functionally relevant breed differences in dog behaviour. Proc R Soc B 2019 ; 286 : 20190716. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Morrill K, Hekman J, Li X, et al. Ancestry-inclusive dog genomics challenges popular breed stereotypes. Science 2022; 376 : eabk0639. doi: 10.1126/science.abk0639. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Pennisi E. Dog breeds really do have distinct personalities-and they’re rooted in DNA. Findings may have implications for humans as well. Science Jan 7 2019 doi: 10.1126/science.aaw5856. www.science.org/content/article/dog-breeds-really-do-have-distinct-personalities-and-they-re-rooted-dna. [Google Scholar]
  5. Grimm D. Your dog’s breed doesn’t determine its personality, study suggests - Work challenges popular idea that breeds have specific, reliable behaviors. Science 28 Apr 2022 doi: 10.1126/science.abq7236. www.science.org/content/article/your-dog-s-breed-doesn-t-determine-its-personality-study-suggests. [Google Scholar]
  6. Hayward JJ, Castelhano MG, Oliveira KC, et al. 2016 Complex disease and phenotype mapping in the domestic dog. Nat Commun 2016 ; 7 : 10460. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Parker HG, Dreger DL, Rimbault M, et al. Genomic analyses reveal the influence of geographic origin, migration, and hybridization on modern dog breed development. Cell Rep 2017 ; 19 : 697–708. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Jordan B. La génomique et la diversité humaine. Cahiers de l’Urmis [En ligne], 20 juin 2021. http://journals.openedition.org/urmis/2387; doi : 10.4000/urmis.2387. [Google Scholar]

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Ascendances déterminées par séquençage d’ADN, exemples allant d’un chien de pure race à un bâtard. Extrait partiel et remanié de la figure 3 de [3]. Breeds : autres races ; poodle : caniche ; staff : american staffordshire terrier.

Dans le texte
thumbnail Figure 2.

Haut : répartition du caractère de docilité (Biddability) noté de – 2 (docile) à + 2 (indépendant) pour l’ensemble des chiens de l’échantillon (en gris) et pour les seuls individus de race Border Collie (un type de chien de berger*) (en blanc). Bas : répartition du caractère pour les chiens Border Collie identifiés par séquençage de leur ADN (extrait partiel et remanié de la figure unique du résumé de [3]).

* www.woopets.fr/chien/race/border-collie/#informations

Dans le texte
thumbnail Figure 3.

Répartition de la docilité pour 638 bâtards ayant une part d’ascendance Border Collie. On voit qu’il n’y a pratiquement aucune corrélation, la part d’ascendance Border Collie (en ordonnée) ne prédisant pas la docilité (extrait partiel et remanié de la figure unique du résumé de [3], les points de couleur correspondent à des individus discutés dans l’article).

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