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Med Sci (Paris)
Volume 38, Number 4, Avril 2022
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Page(s) | 337 - 339 | |
Section | Le Magazine | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2022035 | |
Published online | 29 April 2022 |
Lupus érythémateux disséminé
Une nouvelle indication thérapeutique pour les cellules CAR-T ?
Systemic lupus erythematosus: A new indication for CAR-T cell therapies?
Institut de recherches internationales Servier, 92150 Suresnes, France
En août 2021, le New England Journal of Medicine a publié un article relatant le succès du traitement d’une jeune femme âgée de vingt ans, atteinte de lupus érythémateux disséminé sévère et réfractaire aux traitements conventionnels, par des cellules CAR-T (chimeric antigen receptor-T) autologues ciblant la protéine transmembranaire CD19 présente à la surface des lymphocytes B. La rémission rapide et durable de sa maladie constitue une première preuve clinique directe d’application des thérapies cellulaires utilisant des cellules CAR-T ciblant les lymphocytes B dans les maladies autoimmunes [1].
Le lupus érythémateux disséminé résulte d’une rupture de la tolérance immunitaire aux constituants du soi, qui implique une suractivation des lymphocytes B autoréactifs et qui est à l’origine d’une réponse auto-immune générale [2]. La production anormale d’auto-anticorps par les lymphocytes B, associée à une réponse inflammatoire exacerbée, conduit à des lésions qui peuvent concerner divers tissus et comporter un risque vital [2]. Plusieurs stratégies thérapeutiques visant à inhiber ou à neutraliser l’action des lymphocytes B ont été développées avec succès. Parmi elles, l’utilisation de l’anticorps monoclonal bélimumab, dirigé contre BAFF (B cell-activating factor), une molécule qui agit sur la survie et la prolifération homéostatique des lymphocytes B, et celle de l’anticorps monoclonal rituximab, un anticorps anti-CD20 visant à dépléter les populations de lymphocytes B CD20+ [3]. Néanmoins, malgré l’essor, durant les dernières décennies, des thérapies ciblées, leur efficacité contre les maladies auto-immunes varie fortement selon les patients, et les cas de résistance au traitement ou de rechute ne sont pas rares [4].
Une nouvelle modalité de thérapie ciblée, l’utilisation des cellules CAR-T, a déjà connu un succès notoire en oncologie. Plus récemment, le potentiel thérapeutique de ces cellules a été testé contre les maladies auto-immunes, notamment le lupus érythémateux disséminé [5–8] (→).
(→) Voir la Synthèse de V. Catros, m/s n° 4, avril 2019, page 316
La production des cellules CAR-T repose sur l’ingénierie des lymphocytes T autologues du patient : l’expression d’un récepteur de l’antigène chimérique dirigé contre une cellule cible, permet la reconnaissance et la destruction de cette cellule par les cellules CAR-T [1, 8]. Les cellules CAR-T anti-CD19 sont déjà commercialisées pour le traitement de leucémies et de lymphomes à cellules B. Mougiakakos et al. (université d’Erlangen-Nuremberg, Allemagne) viennent de rapporter les résultats positifs obtenus au cours de la première utilisation clinique de ces cellules chez une patiente atteinte d’une forme sévère de lupus érythémateux disséminé comportant une néphropathie glomérulaire active (classée IIIA dans la classification de l’Organisation mondiale de la santé [OMS]), une pleurésie, un érythème, une péricardite et un antécédent d’endocardite non infectieuse [1]. Plusieurs types de traitements conventionnels lui ont été administrés sans succès : hydroxychloroquine, glucocorticoïdes à forte dose, cyclophosphamide, mycophénolate mofétil, et tacrolimus. La maladie s’est également révélée réfractaire aux traitements par des anticorps anti-BAFF (bélimumab) et anti-CD20 (rituximab). Devant cet échec thérapeutique, le traitement par injection de cellules CAR-T anti-CD19 autologues (au jour J) a été entrepris, après avoir induit une déplétion lymphocytaire par l’administration de fludarabine (25 mg/m2 de surface corporelle) aux jours J-5, J-4, et J-3 et de cyclophosphamide (1 g/m2) au jour J-3.
La procédure de traitement par les cellules CAR-T débute par une lymphaphérèse. Les lymphocytes autologues ainsi collectés sont enrichis en lymphocytes T CD4+ et CD8+ par tri magnétique en utilisant le CliniMACS Prodigy® (Miltenyi Biotec), avant d’être transduits avec un vecteur lentiviral codant un CAR ciblant CD19– et contenant un domaine de co-stimulation 4-1BB. L’expansion de ces lymphocytes modifiés dans le CliniMACS Prodigy® s’est poursuivie pendant 12 jours, avec un taux de transduction de 32 %. Le produit final injecté à la patiente contenait 46 x 106 cellules CAR-T (correspondant à une dose classique de 1,1 x 106 cellules CAR-T / kg de masse corporelle). Après leur injection, les cellules CAR-T se sont multipliées rapidement pour atteindre un taux maximal neuf jours plus tard, moment où elles constituaient alors plus de 27 % des lymphocytes T circulants. Le nombre de cellules CAR-T a ensuite diminué, ces cellules restant détectables pendant sept semaines. Aucun effet indésirable spécifique des cellules CAR-T n’a été observé : ni syndrome de relargage cytokinique, ni syndrome de neurotoxicité induit. Les paramètres biologiques associés au lupus érythémateux disséminé se sont améliorés progressivement ; la chute du nombre de lymphocytes B circulants s’est accompagnée d’une diminution du taux d’auto-anticorps dirigés contre l’ADN double-brin (anti-dsDNA), qui est passé de 5 000 à 4 U/µl en cinq semaines, d’une normalisation des taux des composants C3 et C4 du complément, ainsi que d’une réduction de la protéinurie. La diminution spectaculaire du score systemic lupus erythematosus disease activity index (SLEDAI) de 16 à 0, traduisant la franche amélioration clinique, a été corrélée à l’amélioration des paramètres biologiques (Figure 1).
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Figure 1. Évolution clinique favorable chez une patiente atteinte de lupus érythémateux disséminé sévère, après un traitement par transfusion de cellules autologues CAR-T (chimeric antigen receptor-T) ciblant la protéine CD19 des lymphocytes B, exprimant un CAR composé du scFv anti-CD19, FMC63, d’une région charnière dérivée de CD8, d’une région transmembranaire dérivée du TNFRSF19 (tumor necrosis factor receptor superfamily member 19), et d’une région intracellulaire contenant le domaine d’activation de CD3ζ et le domaine de costimulation de 4-1BB (figure adaptée de [1] et créée par Biorender). |
Une autre équipe (université de Shenzhen, République populaire de Chine) a rapporté un cas de lupus érythémateux disséminé associé à un lymphome diffus à grandes cellules B de stade IV, traité avec succès par l’administration de cellules CAR-T à cibles double : BCMA (antigène de maturation des lymphocytes B) et CD19 [9]. Sept semaines après le traitement, les symptômes cliniques de la patiente se sont stabilisés, et la déplétion des lymphocytes B s’est maintenue jusqu’à six mois après l’administration du traitement. Vingt-trois semaines après le traitement, le lupus érythémateux disséminé et le lymphome de cette femme étaient toujours en rémission.
Ces deux cas cliniques constituent une preuve de concept de l’efficacité des thérapies par injection de cellules CAR-T dirigées contre la protéine CD19 dans le lupus érythémateux disséminé, et suggèrent la possibilité d’appliquer cette modalité thérapeutique innovante à d’autres maladies auto-immunes. Il convient de souligner le fait que tous les traitements précédents, y compris des thérapies ciblées contre des lymphocytes B, avaient échoué chez la jeune patiente décrite par Mougiakakos et al. [1]. Ce cas médical suggère donc que l’efficacité des cellules CAR-T ciblant la protéine CD19 pour une élimination effective et prolongée des lymphocytes B pourrait être supérieure à celle des anticorps monoclonaux, permettant ainsi un contrôle durable de la maladie. Cependant, comme l’ont souligné Jin et al., les deux patientes décrites ci-dessus ont été traitées, avant l’administration de cellules CAR-T, par la fludarabine, un médicament à forte activité de déplétion lymphocytaire [10]. On ne peut donc pas exclure une contribution de ce médicament, dont l’effet immunosuppresseur dans le lupus érythémateux disséminé est peu documenté, à l’évolution favorable de la maladie.
Le succès de thérapies utilisant les cellules CAR-T ciblant la protéine CD19 des lymphocytes B représente une avancée thérapeutique majeure pour le lupus érythémateux disséminé. Il invite également à considérer la possibilité d’utiliser des cellules CAR-T pour traiter les autres maladies auto-immunes dans lesquelles des auto-anticorps sont directement impliqués, en ciblant les lymphocytes B CD 19+, mais aussi celles pour lesquelles l’auto-antigène principal a été identifié. Il reste cependant à prouver l’efficacité de ces cellules par des essais cliniques randomisés et à déterminer leur place dans la prise en charge du lupus érythémateux disséminé (et plus généralement des maladies auto-immunes), en tenant compte des considérations cliniques, réglementaires et économiques qu’implique cette modalité thérapeutique innovante mais encore à ce jour très coûteuse.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Mougiakakos D, Krönke G, Völkl S, et al. CD19-targeted CAR-T cells in refractory systemic lupus erythematosus. N Engl J Med 2021; 385 : 567–9. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Dörner T, Giesecke C, Lipsky PE. Mechanisms of B cell autoimmunity in SLE. Arthritis Res Ther 2011 ; 13 : 243. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Parodis I, Stockfelt M, Sjöwall C. B cell therapy in systemic lupus erythematosus: From rationale to clinical practice. Front Med 2020; 7 : 316. [CrossRef] [Google Scholar]
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- Catros V. Les CAR-T cells, des cellules tueuses spécifiques d’antigènes tumoraux : de nouvelles générations pour le traitement des tumeurs solides. Med Sci (Paris) 2019 ; 35 : 316–326. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
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- Jin X, Han Y, Wang JQ, et al. CAR-T cell therapy: new hope for systemic lupus erythematosus patients. Cell Mol Immunol 2021; 18 : 2581–2. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
© 2022 médecine/sciences – Inserm
Liste des figures
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Figure 1. Évolution clinique favorable chez une patiente atteinte de lupus érythémateux disséminé sévère, après un traitement par transfusion de cellules autologues CAR-T (chimeric antigen receptor-T) ciblant la protéine CD19 des lymphocytes B, exprimant un CAR composé du scFv anti-CD19, FMC63, d’une région charnière dérivée de CD8, d’une région transmembranaire dérivée du TNFRSF19 (tumor necrosis factor receptor superfamily member 19), et d’une région intracellulaire contenant le domaine d’activation de CD3ζ et le domaine de costimulation de 4-1BB (figure adaptée de [1] et créée par Biorender). |
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