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Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 38, Number 3, Mars 2022
Page(s) 241 - 242
Section Editorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2022031
Published online 25 March 2022

Depuis la lancette1 utilisée pour faire des saignées jusqu’à la radiothérapie pour traiter des tumeurs, la médecine et les sciences, notamment chimiques et physiques, ont toujours entretenu des liens étroits, tant pour le diagnostic que pour le traitement des maladies. Le cerveau, en particulier, en a bénéficié de plus en plus au cours du temps. Dans le domaine des neurosciences, la physique a ouvert des voies non seulement enthousiasmantes, mais aussi étonnamment productives, en permettant d’acquérir des données in vivo et d’en extraire des méthodes de compensation des déficits par le pilotage d’outils de plus en plus intelligents, telles les interfaces cerveau-machine, dont les premiers balbutiements ont conduit à la mise en forme d’un exosquelette.

Nous avons pu ainsi, en associant les ressources de l’Université, de l’Inserm, et du CEA, aller chercher et recueillir in vivo, avec une invasivité minimale et de manière continue, des données fournies par les neurones quand ils engendrent par leur activité électrique des messages qui vont coder la motricité de membres, mais que les patients ne peuvent plus recevoir du fait d’une atteinte traumatique de la moelle épinière au niveau de la colonne cervicale, responsable ainsi d’une tétraplégie. Le traitement de ces signaux, grâce à des méthodes mathématiques de plus en plus sophistiquées, va permettre leur décodage et de bâtir un programme de pilotage d’un accessoire spécifiquement élaboré à cet effet. On peut ainsi concevoir et construire, grâce à l’expertise des mathématiciens, électroniciens, et mécatroniciens, des outils dédiés, des exosquelettes que l’on pourra animer grâce à des moteurs. Les exosquelettes sont des équivalents extracorporels des muscles attachés au squelette qui structure et soutient de l’intérieur les malades chez lesquels les muscles ne sont plus activables puisqu’ils ont perdu leur commande nerveuse. Nous avons ainsi fait la preuve du concept que l’on pouvait piloter un instrument grâce à la capture, au contact du cortex, des activités neuronales indispensables à l’intention de motricité [1].

La perspective de rendre à un individu une fonction perdue, comme la motricité ou la vue, est ainsi offerte. Ce n’est pas pour autant que le problème est résolu, car, dans le cas d’un tétraplégique, la possibilité d’activer volontairement les jambes, même par l’intermédiaire d’une prothèse active, ne signifie pas pour autant qu’il peut marcher, même si un progrès considérable vient d’être rapporté à cet égard [2]. Pour ce faire, il reste à maîtriser l’équilibre, sur un mode dynamique, puisque marcher, c’est d’abord se pencher en avant et, pour ne pas tomber, courir après son centre de gravité. La maîtrise de cet équilibre peut être atteinte, mais requiert des développements conceptuels et mécaniques, dont la solution exige encore beaucoup de travaux de recherche. On pourra alors envisager l’addition de fonctions complexes exécutées dans les circonstances habituelles de la vie humaine : le pilotage de la trajectoire par l’analyse optique de l’environnement, la détection de la proximité d’obstacles, la prévision d’une trajectoire au sein d’un espace encombré méconnu, etc. Les progrès réalisés, même s’ils sont déjà spectaculaires, ne constituent pas une fin en soi. Ils n’ont de sens que si notre démarche prend en compte le fait que le succès final de nos travaux implique leur adaptation aux impératifs de la vie courante dans un contexte sécurisé.

Le cerveau est aussi le siège de maladies qui affectent ses capacités et ses performances et qui engagent même le pronostic vital. Cela nécessite donc la mise à la disposition pour le malade d’un traitement efficace, sans engendrer d’effets secondaires inacceptables. Les maladies neurodégénératives constituent un catalogue de maladies particulièrement fourni, altérant, sur des modes divers, des fonctionnalités différentes du système nerveux. Leurs symptômes sont souvent spectaculaires, comme le tremblement, progressivement très invalidant, avec un impact très négatif chez des malades dont la cognition n’est souvent altérée que tardivement. On sait depuis longtemps que la chirurgie apporte des solutions spectaculaires par leurs effets immédiats, tels que l’arrêt du tremblement après la destruction électrolytique par coagulation de certaines régions, mais dont les conséquences sont parfois invalidantes car s’accompagnant de déficits, notamment moteurs, souvent difficilement réversibles. Cependant, avant de pratiquer ces coagulations électrolytiques destructrices dans ces régions, en ce qui nous concerne, nous les avions d’abord stimulées pour vérifier le placement correct de l’électrode. Nous avons eu alors la chance, et la surprise, d’observer qu’à partir d’une fréquence de stimulation de 100 Hz, le tremblement présenté par le malade (au niveau du membre supérieur par exemple) s’amenuisait, pour disparaître complètement vers 130 Hz et au-delà, et cela de manière réversible à l’arrêt de la stimulation. Les effets étaient très comparables à ceux obtenus par la chirurgie, mais réversibles, sans qu’on sache véritablement quel en était le mécanisme sous-jacent. Grâce à la connexion de cette électrode à des stimulateurs implantables, dont on pouvait faire varier l’intensité, cette méthode de stimulation cérébrale profonde à haute fréquence a pu être appliquée à un très grand nombre de malades, dans de nombreuses maladies neurologiques (maladie de Parkinson, dystonies, épilepsie, troubles obsessifs compulsifs) liées à différentes structures cérébrales (thalamus, noyau subthalamique, pallidum, noyau pédonculo-pontin, etc.).

Depuis sa mise au point en 1987 [3], cette méthode s’est avérée être une vraie révolution thérapeutique, permettant jusqu’à maintenant le traitement de plusieurs centaines de milliers de malades, du fait de sa grande diffusion dans le monde entier. Les effets secondaires sont rares parce que prévisibles et ajustables, les effets thérapeutiques sont essentiellement symptomatiques. Cependant, l’évolution du processus lésionnel n’est pas stoppée par le traitement, et la maladie continue à progresser, la stimulation perdant son efficacité au bout de quelques années. Le nouvel horizon thérapeutique est donc celui de la neuroprotection, c’est-à-dire la possibilité de ralentir, voire d’arrêter le processus lésionnel évolutif, responsable des symptômes de la maladie.

Par un concours de circonstances essentiellement liées à notre rencontre avec John Mitrofanis (Université de Sydney, Australie), co-auteur de cet éditorial, qui s’intéressait aux effets de la lumière sur les tissus biologiques, notamment neurologiques, nous avons alors pu mettre au point, grâce aux techniques disponibles au Commissariat à l’énergie atomique (CEA, maintenant appelé Commissariat à l’énergie atomique et aux énergie alternatives) un système d’illumination profonde implantable, constitué d’une fibre optique d’un diamètre inframillimétrique, connectée à une source laser dans la gamme du proche infrarouge. Notre hypothèse était que l’on pouvait affecter avec ce système les processus neurodégénératifs, particulièrement ceux mettant en jeu les neurones dopaminergiques de la substance noire compacta. Nous avons donc testé l’hypothèse que cette irradiation était susceptible d’interférer avec cette dégénérescence chez le rat et la souris traités par des neurotoxiques, des molécules voisines de celles utilisées dans l’agriculture (notamment comme pesticides, ce qui fait que la maladie de Parkinson chez les agriculteurs peut être reconnue comme une maladie professionnelle). Nous avons obtenu l’autorisation [4] d’effectuer un essai clinique chez les malades parkinsoniens à un stade précoce, et non pas au stade avancé de la maladie, avec comme objectif de contrôler l’efficacité de ce traitement neuroprotecteur, par l’observation de l’évolution des symptômes cliniques, qui devrait être notablement ralentie, et par PET scan. Même si les résultats très préliminaires obtenus sont encourageants, nous devrions savoir rapidement si ce traitement neuroprotecteur est efficace, auquel cas une avancée thérapeutique considérable sera ainsi faite.

De plus, si l’effet des irradiations infrarouges obtenu chez l’animal était retrouvé chez le malade, il faudra alors réfléchir à la possible utilisation de ce traitement par l’irradiation infrarouge dans d’autres maladies, en particulier la maladie d’Alzheimer. De même, la maladie de Huntington, héréditaire, due à une altération génétique responsable de la destruction progressive de structures intracérébrales, notamment du striatum, sans traitement et mortelle, pourrait être une indication des plus légitimes.

Depuis 2007, nous avons vécu quinze ans d’une recherche multidisciplinaire, effectuée au sein des principaux organismes de recherche de notre pays, sur des maladies neurologiques très graves. Cette recherche a conduit à des traitements nouveaux, avec un niveau d’efficacité jamais atteint, grâce à la collaboration de chercheurs d’origines diverses : notre démarche a consisté à connaître les bases moléculaires de ces maladies, à en analyser les mécanismes, à rechercher des traitements, grâce à la mise en place d’interfaces entre biologie, médecine et sciences « dures », tout en étant conscients des enjeux pour les malades, confrontés à la gravité de leur maladie et aux risques encourus lors du traitement, et en engageant la responsabilité des cliniciens et des chercheurs, dans le souci de l’équilibre bénéfices/risques. La richesse de la mise en commun des savoirs de toutes ces disciplines, souvent initialement très éloignées, a ainsi conduit à de remarquables avancées, tout en gardant le souci permanent d’une sécurité maximale pour les patients atteints de ces maladies.

À ce jour, beaucoup de concepts concernant les maladies neurodégénératives et leurs traitements sont revisités, de nombreuses décisions thérapeutiques sont prises ; la difficulté potentielle réside dans le risque que les décisions ne soient pas toujours prises par les personnes ou par les structures les plus aptes, les plus légitimes, dans une étrange confusion des genres où le spectre d’une responsabilité administrative vient obscurcir la légitimité du choix des décisions. En effet, celui-ci appartient fondamentalement aux personnes concernées, au couple soignants (au sens large, médecins, ingénieurs et biologistes) – patients.

La poursuite du travail de recherche engagé sur les interfaces cerveau-machine au bénéfice des handicapés et sur les techniques récentes de délivrance du produit thérapeutique (électricité et rayonnement à diverses longueurs d’ondes) court ainsi à ce jour le risque majeur de se voir interrompue, en raison de considérations autres que techniques et médicales, par des acteurs en dehors de leur domaine de compétence. Des décisions qui mettraient fortement en danger notre capacité à atteindre le résultat recherché, l’amélioration de l’espérance de vie et de la qualité de vie des malades…

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Petit instrument de chirurgie qui était utilisé pour la saignée, la vaccination et l’incision de petits abcès.

Références

  1. Benabid AL, Costecalde T, Eliseyev A, et al. Chronic epidural wireless brain machine interface drives an exoskeleton and restores four-limb mobility in a tetraplegic patient: A proof of concept. Lancet Neurol 2019 ; 18 : 1112–22. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Rowald A, Komi S, Demesmaeker R, et al. Activity-dependent spinal cord neuromodulation rapidly restores trunk and leg motor functions after complete paralysis. Nat Med 2022, Feb 7. https://doi.org/10.1038/s41591-021-01663-5. [PubMed] [Google Scholar]
  3. Krack P, Batir A, van Blercom N, et al. Five years follow-up of bilateral stimulation of the subthalamic nucleus in advanced Parkinson’s disease. N Engl J Med 2003 ; 349 : 1925–34. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Darlot F, Moro C, El Massri N, et al. Near-infrared light is neuroprotective in a monkey model of Parkinson disease. Ann Neurol 2016 ; 79 : 59–75. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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