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Med Sci (Paris)
Volume 37, Number 5, Mai 2021
La révolution médicale du dépistage néonatal – Une aventure médicale scientifique et sociétale
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Page(s) | 427 - 430 | |
Section | Editorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2021078 | |
Published online | 18 May 2021 |
Chemin faisant
On the way
1
Directeur de l’IHU FOReSIGHT 75012 Paris, France
2
Distinguished Professor and Chairman of Ophthalmology University of Pittsburgh School of Medicine Pittsburgh, États-Unis
« Tout le monde savait que c’était impossible. Un ignare ne le savait pas : il l’a fait. »
Environ cinq ans après le lancement du projet de création d’un institut de la vision2 dans l’enceinte du Centre hospitalier national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts, et peu après son ouverture, une bonne âme m’a raconté qu’au cours des années précédentes, notre projet suscitait scepticisme et ironie. Construire un institut de recherches dans un « désert » scientifique, c’est-à-dire loin de la Montagne Sainte-Geneviève, et même au nord de la Seine, sans financement initial ni mécène, avec des cliniciens reconnus mais débordés, une poignée de chercheurs venus de Strasbourg et quelques collègues, semblait une aimable galéjade, dont il valait mieux rire un peu avant que s’en estompe le souvenir attendri.
Pourquoi rappeler ces débuts incertains, précédés par la création à Strasbourg, dans une animalerie désaffectée et malodorante, d’une petite équipe de recherche qualifiée par tous d’infra-critique ?
Pour répondre à l’invitation du rédacteur en chef de m/s. Pour partager l’expérience du potentiel improbable et transformant du sentiment d’urgence de défricher l’inconnu quand le spectre des connaissances acquises laisse, si l’on s’en satisfait, ceux qui attendent tout de nous dans une pénombre sans bornes. Pour rendre hommage à la confiance et à la ténacité de quelques autres naïfs, chaque année plus nombreux et moins inquiets, et illustrer a contrario la profonde pensée de Pierre Dac : « Celui qui dans la vie est parti de pas grand chose pour n’arriver à rien n’a de merci à dire à personne ».
En effet, sans le soutien de certains et « le courage de quelques êtres [2] » l’Institut de la vision, au cœur désormais de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) FOReSIGHT, n’aurait pu déchiffrer certains mécanismes de développement du système visuel3, de l’établissement de ses connections4, du traitement de l’information, de dégénérescence génétique ou liée à l’âge de la rétine, de
maintien de la vision centrale [3, 4]5, et n’aurait pu concevoir et amener en clinique des approches thérapeutiques figurant parmi des premières mondiales (rétine artificielle [5, 6] optogénétique [7], thérapie génique [8], etc.) ; ni innover dans la prise en charge du glaucome et de la douleur oculaire, construire la première plateforme d’évaluation en situation réelle et virtuelle des fonctions et du handicap visuel [9, 10], parmi d’autres succès relatifs, éphémères mais reconnus.
Loin de moi, loin de nous, la prétention d’avoir atteint un but, encore moins ultime, simplement la prétention de vibrer encore au rythme effréné et incertain d’un cheminement. Je tenterai ici, plutôt que d’égrener une litanie de raisons qui auraient dû normalement renvoyer à son néant originel cette utopie (les débuts solitaires, l’absence de financements, de paysage industriel propice, la complexité des dispositifs et du paysage institutionnel, la compétition internationale, un incendie totalement destructeur dès l’ouverture, moins dangereux cependant que les mesquineries, coups-bas, critiques sans visée constructive…), d’évoquer quelques ingrédients d’une recette écrite a posteriori et sans prétention d’exemplarité. D’autres institutions, en particulier plusieurs instituts hospitalo-universitaires, ont aussi établi la valeur d’une véritable intégration des soins, de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation, de ce que l’on appelle des clusters ou des pôles.
Après une décennie et au moment où le temps de l’effacement est venu pour son fondateur, cet exercice de gratitude, insuffisant et partiel, s’adresse d’abord aux patients dont la confiance nous inspire et nous oblige, aux institutions qui nous ont accompagnés, aux quelques mécènes qui nous ont donné une impulsion et un peu de liberté pour prendre des risques, aux partenaires industriels qui nous ont permis de passer du résultat prometteur aux essais thérapeutiques, aux équipes dont l’engagement, l’intelligence collective et l’excellence ont abouti à une certaine reconnaissance, jamais acquise mais réconfortante.
Au départ, au retour d’un séjour post-doctoral à l’université Harvard, un mécanisme de soutien par l’Inserm, un contrat de recherche externe, permettait de travailler avec une technicienne à temps partiel sur la neuroprotection dans des modèles d’ischémie rétinienne6. Puis la création d’une équipe universitaire devenue jeune formation Inserm, avec trois chercheurs reconnus mais téméraires7, fut suivie de l’arrivée de jeunes chercheurs brillants8, et de quelques techniciens et étudiants très impliqués. Le soutien d’une poignée de patients aveugles et de leurs familles et amis, qui croyaient plus en nous que nous-mêmes, permit de collecter les premiers fonds pour payer les salaires de ces premières recrues et d’aménager de leurs propres mains les espaces de laboratoire. Avec le label d’équipe Inserm, quelques publications dans des revues prestigieuses mirent notre laboratoire sur orbite. D’emblée, la protection des cellules photoréceptrices a été au cœur de recherches intégrant chirurgie expérimentale, biologies cellulaire et moléculaire, et électrophysiologie, pendant qu’une activité de recherche clinique sur les dégénérescences rétiniennes se développait. Après une phase de lutte pour exister et survivre, survint une crise de croissance devenue difficile sur place, qui m’amenèrent à considérer l’opportunité de migrer collectivement à Londres où d’importants moyens étaient offerts. C’est finalement pour Paris, au sein du Centre hospitalier national d’ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts que l’équipe, à peu d’exceptions près, décida de me suivre, afin de former le noyau d’un institut de recherche à créer entièrement, avant que nous rejoignent les premiers groupes fondateurs9.
Ce qui nous a guidés d’emblée et toujours, c’est l’attente des patients, à laquelle on s’habitue trop aisément, qui interdit le renoncement si tentant et si facile à excuser. Traduire leurs demandes, complexes, multiples en des questions scientifiques à aborder dans une stratégie nécessairement réductionniste, mais dont la perspective globale, holistique, qui définit une recherche translationnelle, aujourd’hui en vogue, ne doit pas disparaître.
La mobilisation, sans moyens financiers significatifs, d’une direction hospitalière inhabituellement audacieuse, d’une partie de l’université et de la direction de l’Inserm10 a été déterminante, ainsi que le soutien de la Région et de la Ville. Nous avons ainsi été les premiers à recourir au partenariat public-privé pour financer la construction de l’Institut et d’une unité complémentaire destinée aux activité industrielles, sans impacter le budget ou le patrimoine hospitalier, ce que les tutelles et un rapport à charge de la Cour des Comptes nous interdisaient. Il faudra un jour faire entendre, c’est-à-dire comprendre, que la recherche et l’innovation ne sont pas un luxe coûteux, mais un moteur indispensable du système de santé. Il faudra dire ce que l’inertie et le blocage des énergies créatrices empêchent d’émerger, ce que nul ne verra jamais.
Nous avons saisi, sans jamais changer de cap, plusieurs opportunités que l’immense créativité administrative française a engendrées, créant ainsi, en 2004, un Centre d’investigation clinique (plus d’une centaine d’essais de phase II ou III, dont des premières mondiales), un Centre de référence sur les maladies rares (2006) qui suit maintenant la plus importante cohorte au monde11, un Institut Carnot (2006), en 2007 un Réseau thématisé de recherches et de soins, une Fondation de coopération scientifique (avec l’Institut Pasteur et Christine Petit pour le versant audition), en 2011, un Laboratoire d’excellence, LIFESENSES, une Chaire industrielle de l’Agence nationale de la recherche (ANR) avec Essilor12, puis, en 2019, un Institut hospitalo-universitaire, FOReSIGHT. Ces crédits nous ont permis d’offrir des « packages » à de jeunes équipes émergentes, qui ont toutes pu se développer avec succès (recrutements par les organismes, ERC, etc.)13. Des centaines d’étudiants, de médecins-chercheurs ont été formés. D’autres équipes d’exception, déjà reconnues et très sollicitées, nous ont rejoints tout au long de ces années14.
L’articulation avec l’hôpital (CHNO des Quinze-Vingts, Fondation Rothschild, Assistance publique-Hôpitaux de Paris plus récemment) a été constante. Outre les essais cliniques, l’imagerie de haute résolution et fonctionnelle par optique adaptative, holographie Doppler, ultra-sons, etc., a représenté un axe majeur de développement, en partenariat, en particulier avec l’Institut Langevin15.
Les multiples pistes thérapeutiques suivies ont conduit à la création d’une douzaine de start-up, souvent avec Bernard Gilly, à l’ouverture, à proximité de l’institut, d’un « Passage de l’Innovation » en pleine expansion, et surtout à la validation clinique de plusieurs innovations de rupture évoquées plus haut, avec des premières mondiales en vision prothétique, en thérapie génique, en optogénétique.
Un écosystème s’est ainsi construit en quelques années, considéré comme de premier plan au niveau international. Il a essaimé, et de beaux partenariats se sont mis en place avec des instituts semblables à Bâle, en Suisse (Institut d’ophtalmologie moléculaire et clinique de Bâle16, IOB), au Japon (RIKEN17), à Pittsburgh aux États-Unis (Département d’ophtalmologie18, Université de Pittsburgh)…
Rien de plus fragile qu’un enfant qui a grandi trop vite, mais la croissance et le renouvellement sont des conditions de survie. Confort est crime, m’a dit la source en son rocher [11].
De nouveaux chapitres, aux auteurs inspirés, s’écrivent aujourd’hui. Autant que le soutien des institutions et des hôpitaux partenaires, c’est de la permanence de l’enthousiasme créatif de chacun(e) et de la constance de leur unité autour des besoins immenses des patients que dépendront la pérennité et les succès de ce que nous avons créé ensemble.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Voir [1], page 145. Cette citation a été reprise par la suite sous la forme « Tout le monde savait que c’était impossible. Il est venu un imbécile qui ne le savait pas et qui l’a fait ». Cette citation a été aussi attribuée à Mark Twain (1835-1910).
Nous avons démontré avec Thierry Léveillard et Saddek Mohand-Said que les photorécepteurs à cônes, indispensables à la vision diurne et centrale (acuité visuelle, vision des couleurs), dégénèrent au cours des rétinopathies pigmentaire, après la perte d’expression, consécutive à la dégénérescence des bâtonnets, d’une famille de facteurs protéiques assurant un effet métabolique et anti-oxydant [3, 4]. Un essai clinique visant, indépendamment de la mutation causale, à protéger les cônes est en préparation (site web de Sparing Vision).
Le président du Conseil d’administration, Pierre Bordry, l’équipe de direction, les Pr. Laurent Laroche et Christophe Baudouin, les présidents (Gilbert Béréziat, Jean-Charles Pomerol et Jean Chambaz) et doyens de l’université Pierre et Marie Curie, le Directeur général de l’Inserm Christian Bréchot et ses successeurs, le CNRS.
Dirigé par un proche collaborateur : Botond Roska, https://iob.ch/
RIKEN est une organisation de recherche japonaise qui regroupe un réseau de centres de recherche à travers le Japon, dont le RIKEN Center for Biosystems Dynamics Research à Kobe (https://www.riken.jp/en/).
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