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Med Sci (Paris)
Volume 37, Number 5, Mai 2021
La révolution médicale du dépistage néonatal – Une aventure médicale scientifique et sociétale
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Page(s) | 431 - 432 | |
Section | La révolution médicale du dépistage néonatal – Une aventure médicale scientifique et sociétale | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2021055 | |
Published online | 18 May 2021 |
Le mot des coordinateurs - L’irrésistible ascension du dépistage néonatal
A word from the coordinators - The irresistible rise of neonatal screening
1
Fédération parisienne pour le dépistage et la prévention du handicap chez l’enfant 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France
2
Centre de référence en maladies héréditaires du métabolisme Hôpital des Enfants 330 avenue de Grande-Bretagne 31059 Toulouse Cedex 9, France
De jeunes parents reçoivent un jour un coup de téléphone d’un pédiatre qu’ils ne connaissent pas. On leur dit que leur enfant est probablement atteint d’une affection congénitale et qu’un examen s’impose en urgence. Il s’agit d’un nouveau-né apparemment bien portant et qui revient tout juste de la maternité. C’est un moment brutal, douloureux et fondateur d’une longue relation entre une équipe pédiatrique et un enfant, une famille.
Cet acte médical très particulier est le résultat d’une longue histoire scientifique, médicale et sociale qui continue à évoluer. Cette histoire concentre toutes les merveilles, les difficultés et les contradictions du progrès médical. Ce numéro thématique a pour objectif de raconter comment s’est construit le réseau du dépistage néonatal, comment il fonctionne, et ce qu’il a apporté à la santé des enfants.
En 1953, Horst Bickel, un pédiatre allemand qui soignait des enfants atteints de phénylcétonurie, observe une amélioration de l’état mental de ces enfants une fois mis en place un régime réduit en protéines. Cette amélioration est cependant limitée, car le traitement est instauré tardivement chez les premiers enfants traités, alors qu’ils ont déjà un retard intellectuel. Horst Bickel montre cependant l’effet préventif sur le retard intellectuel du régime débuté plus tôt, dans une fratrie où un deuxième enfant atteint, mais encore jeune, était asymptomatique. Dès lors, on pense que si ce régime d’exclusion pouvait être administré dès les premières semaines de vie, on pourrait prévenir l’installation de lésions cérébrales irréversibles. La situation semblait insoluble : la maladie étant inapparente à la naissance, il semblait impossible d’offrir aux enfants un traitement suffisamment précoce et efficace. C’est pourquoi, la découverte de Robert Guthrie a été déterminante. Dans un article publié en 1963 [1], ce médecin microbiologiste américain décrit un procédé simple permettant un dépistage de masse de la phénylcétonurie. Une simple piqûre au talon du nouveau-né, une goutte de sang déposée sur un papier buvard, que l’on peut facilement acheminer vers un laboratoire central, sans altérer les propriétés de la molécule que l’on voulait analyser va permettre un diagnostic. Ce procédé très inventif et d’une grande simplicité a levé l’impasse dans laquelle se trouvaient les pédiatres : diagnostiquer une maladie inapparente. Il a véritablement permis l’avènement du dépistage néonatal par des méthodes biologiques.
Très rapidement, d’autres maladies congénitales vont être dépistées. Il fallait dès lors organiser ce dépistage et légiférer sur ce qu’il était justifié de mettre en place ou ce qui était utile pour l’enfant et, plus largement, inefficace pour la santé publique. Une dizaine d’années après le début du dépistage de la phénylcétonurie, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) demanda un rapport au britannique James Maxwell Glover Wilson, principal conseiller du ministre de la santé du Royaume-Uni, et au Suédois Gunnar Jungner, chef du service de biochimie d’un hôpital de Göteborg. Ce rapport, publié en 19681, est encore aujourd’hui un repère important dans notre réflexion sur le dépistage néonatal et sur ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire. Ces « principes » que l’on continue à appeler les « critères de Wilson et Jungner » sont décrits dans les articles de ce numéro de médecine/sciences. On en verra les détails, mais ces principes peuvent être résumés en quelques mots : on ne dépiste pas uniquement pour découvrir des affections inapparentes, mais pour découvrir des affections que l’on peut traiter, et pour lesquelles le succès thérapeutique dépend d’un traitement précoce. Ce texte fondateur continue à nourrir notre réflexion et à guider cette grande aventure médicale.
Comme pour toutes les aventures médicales, les forces qui la sous-tendent sont complexes. C’est d’abord la passion des médecins pour innover et améliorer le devenir de leurs patients. C’est le génie des scientifiques qui vont améliorer les procédés existants ou inventer des techniques nouvelles permettant de faire mieux et plus vite. Ce sont les associations de parents qui feront pression pour dépister les maladies de leurs enfants. Ce sont les structures de l’État qui vont financer et organiser cette entreprise complexe. Enfin, ce sont tous ceux qui réfléchissent à ce que cette démarche impose à notre société, à ce qu’elle a de positif ou d’intrusif, à ses conséquences sur la vie de chaque famille et de chaque enfant. On voit bien que chacun des acteurs de cette aventure peut être tenté, par une action trop passionnée, de dévoyer l’objectif essentiel du dépistage en voulant dépister pour savoir et non dépister pour traiter. En particulier, des techniques nouvelles, par leur puissance, permettent d’analyser tant de paramètres biologiques que les résultats obtenus poseront sans doute problème. Des maladies qui, à ce moment de notre histoire médicale, ne peuvent être traitées, sont découvertes ; des valeurs biologiques seront révélées et transmises à la famille, alors même que leur signification reste incertaine. Bientôt, les techniques de biologie moléculaire vont permettre de dépister des maladies aux conséquences très variables, voire mettre en évidence des hétérozygoties pour des gènes associés à des maladies graves, que les familles n’ont pas forcément envie ni besoin de connaître. Tout cela est un vrai risque, mais, dans notre esprit, ne milite en aucune manière contre l’évolution de cette merveilleuse aventure médicale. Plus que jamais, il faut que tous les acteurs réfléchissent ensemble pour mener à bien l’évolution du dépistage et le faire progresser dans la bonne direction. Wilson et Jungner étaient visionnaires et leurs « critères » restent des guides essentiels. Cependant, depuis cette époque, les conditions techniques ont bouleversé notre pratique de la médecine et la société a profondément changé. Les exigences d’efficacité et de sécurité ne sont plus les mêmes. Les réseaux sociaux, encore peu présents, vont certainement jouer un rôle plus important dans l’avenir [2]. L’accélération des progrès techniques, de la diffusion des informations et des attentes de la société rendent la situation plus complexe. Et c’est tant mieux, à condition que ce soit pour le bénéfice des enfants dont nous avons la charge. La réflexion éthique et la législation doivent également s’adapter, de plus en plus rapidement, aux spécificités de chaque nouvelle maladie dépistable.
Nous exprimons donc notre gratitude à l’équipe de médecine/sciences qui a édité cette somme d’articles, et en particulier à Thierry Jouault, qui les a relus et annotés avec attention et professionnalisme. Ce numéro thématique de médecine/sciences fait le point sur une action majeure de santé publique.
Le dépistage s’est imposé dans de nombreux pays, mais reste encore inaccessible à 70 % des enfants naissant dans le monde. Il est très peu implanté ou absent dans de vastes régions où il serait pourtant nécessaire. Les raisons de ce manque sont complexes. On peut en énumérer quelques-unes : le manque de financement, qui peut indiquer que cette action de santé publique n’est considérée comme pas prioritaire ; dans certains pays, les naissances se font majoritairement à la maison, rendant le prélèvement du bébé aléatoire ; le réseau des spécialistes nécessaire au diagnostic et à la prise en charge est insuffisant. Toutes ces difficultés sont réelles, mais elles ne sont pas insurmontables. Apporter le dépistage néonatal dans les pays en développement est un défi majeur pour les années à venir.
Nous remercions tous les auteurs qui ont décrit, dans ce numéro de médecine/sciences, avec enthousiasme et modération, un morceau de cette passionnante aventure. Nous avons une gratitude particulière au Professeur Jean-Pierre Farriaux. Acteur essentiel du dépistage néonatal en France, il décrit avec talent une histoire qu’il a bien connue.
Références
- Guthrie R, Susi A. A simple phenylalanine method for detecting phenylketonuria in large populations of newborn infants. Pediatrics 1963 ; 32 : 338-43. [Google Scholar]
- Miller BC, Goldenberg AJ, Bonhomme NF. Digital peer-to-peer information seeking and sharing: opportunities for education and collaboration in newborn screening. Am J Med Genet C Semin Med Genet 2021 ; 187 : 64-9. [Google Scholar]
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