Issue
Med Sci (Paris)
Volume 37, Number 2, Février 2021
Nos jeunes pousses ont du talent !
Page(s) 189 - 192
Section Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2020283
Published online 16 February 2021

© 2021 médecine/sciences – Inserm

L’actualité scientifique vue par les étudiants du Master Biologie Santé, module physiopathologie de la signalisation, Université Paris-Saclay

Équipe pédagogique

Karim Benihoud (professeur, université Paris-Sud)

Sophie Dupré (maître de conférences, université Paris-Sud)

Boris Julien (maître de conférences, université Paris-Sud)

Philippe Robin (maître de conférences, université de Paris-Sud)

Hervé Le Stunff (professeur, université Paris-Sud)

karim.benihoud@u-psud.fr

Série coordonnée par Sophie Sibéril.

Le tissu adipeux cutané, siège d’une défense antimicrobienne

La peau, avec ses différentes couches, constitue la première ligne de défense de l’organisme contre l’infection par de nombreux microorganismes pathogènes [1]. En particulier, le derme réticulaire joue un rôle protecteur important contre les infections bactériennes grâce à la capacité des fibroblastes dermiques à se différencier en adipocytes. En effet, si les adipocytes du tissu adipeux blanc du derme sont surtout connus pour leurs fonctions de réservoir énergétique et d’isolant thermique, Zhang et al. ont récemment mis en évidence leur implication dans l’immunité innée cutanée [2]. La formation de tissu adipeux blanc du derme, déclenchée en réponse à une infection cutanée par Staphylococcus aureus, appelée adipogenèse réactive, se caractérise par une prolifération et une différenciation rapide et localisée des fibroblastes dermiques en pré-adipocytes, puis en adipocytes. Les adipocytes immatures ainsi formés assurent la défense de l’hôte grâce à une expression et une sécrétion accrues de la cathélicidine (CAMP), un peptide antimicrobien [2].

S. aureus reste le microorganisme pathogène causant le plus grand nombre de morts aux États-Unis, et représente un problème de santé publique majeur dans de nombreux pays. Le traitement des infections par S. aureus est rendu difficile en raison de la capacité de cette bactérie à développer une résistance aux antibiotiques couramment utilisés. Une meilleure compréhension de la régulation de l’adipogenèse réactive dans l’immunité innée cutanée est donc nécessaire pour développer des stratégies thérapeutiques nouvelles contre ces infections souvent graves, dont l’origine est le plus souvent cutanée. Dans cette perspective, Zhang et al. se sont intéressés à l’évolution de ce processus durant le développement embryonnaire et à l’âge adulte, et ont cherché à identifier la voie de signalisation impliquée [3].

Perte du tissu adipeux blanc du derme et de ses fonctions antimicrobiennes avec l’âge

Des études précédentes avaient établi que les défenses immunitaires innées cutanées semblent être maximales dans les premières périodes de la vie [4-6]. Les auteurs ont donc commencé par étudier, chez des souris d’âges différents, la capacité de la peau à éliminer S. aureus. Le dénombrement des bactéries après une infection cutanée a confirmé sa multiplication plus importante chez les souris les plus âgées. Afin de vérifier l’implication de l’adipogenèse réactive dans cette observation, le niveau d’expression du gène Camp (codant le peptide CAMP) a été mesuré dans les adipocytes au site de l’infection par PCR (polymerase chain reation) quantitative. Il est apparu que l’expression de Camp était diminuée chez les souris les plus âgées, suggérant ainsi une perte de la capacité de S. aureus à déclencher une adipogenèse réactive, progressant avec l’âge et corrélée à la diminution du potentiel antimicrobien de la peau.

L’analyse d’échantillons de peaux humaines et murines par microscopie optique a permis une meilleure caractérisation de ce déficit immunitaire, et a révélé une perte progressive de la quantité de fibroblastes dermiques adipogènes au cours du vieillissement. Celle-ci est associée à un affinement du tissu adipeux immature du derme, qui s’accompagne d’une fibrogenèse caractérisée par une augmentation de la quantité de collagène dans le tissu adipeux blanc. L’évaluation de l’expression de gènes pro-adipogènes (Pdgfra, Sca1, Pref1, Camp) et pro-fibrotiques (Col1a1, Thy1) par la technique de séquençage d’ARN (RNAseq) montre une diminution de la fonction adipogénique, corrélée à une augmentation de la fonction fibrogénique, des fibroblastes du derme de souris adultes par rapport à ceux du derme de souriceaux nouveau-nés. Les fonctions antimicrobiennes de la peau semblent bel et bien diminuer avec l’âge au profit de caractéristiques fibreuses.

Découverte et rôle du coupable idéal : TGF-β

Afin d’identifier les principaux acteurs moléculaires impliqués dans ce changement phénotypique, les auteurs se sont appuyés sur une analyse par RNAseq. Il est apparu que l’expression accrue de gènes pro-fibrotiques dans les fibroblastes du derme de souris adultes ayant perdu leur fonction adipogénique s’accompagnait d’une surexpression de gènes codant des protéines de la voie de signalisation du TGF-β (transforming growth factor beta). Par ailleurs, le logiciel bioinformatique Ingenuity pathways analysis utilisant une base de données des interactions entre protéines, a permis d’identifier les réseaux de molécules activés ou inactivés dans ces fibroblastes dermiques. Ainsi, la voie de signalisation la plus activée est celle du TGF-β [7], suggérant l’implication de ce facteur dans la perte du tissu adipeux blanc du derme et de ses fonctions antimicrobiennes. Le rôle du TGF-β dans la perte de ces fonctions a été confirmé en traitant des fibroblastes dermiques de souriceaux nouveau-nés avec des doses croissantes de TGF-β21. L’analyse phénotypique révèle alors une moindre capacité de ces cellules à se différencier en adipocytes, de manière dose-dépendante, par rapport aux fibroblastes dermiques non traités. Bon nombre des cellules traitées par le TGF-β2 se caractérisent par une striation cellulaire étendue et une forme en fuseau, typique d’un phénotype fibrotique. De plus, après traitement par du TGF-β2, les fibroblastes dermiques différenciés en adipocytes ne sont plus capables d’inhiber la croissance de S. aureus. Ces résultats ont été confirmés dans des modèles murins et humains in vitro, par une approche pharmacologique reposant sur l’utilisation d’inhibiteurs spécifiques du récepteur du TGF-β (SB431542) et de sa voie de signalisation. En effet, des fibroblastes dermiques isolés à partir d’individus de différents âges retrouvent leur fonction adipogénique après traitement par de tels inhibiteurs. Par ailleurs, l’inhibition du récepteur du TGF-β (TGF-βR) après infection par S. aureus induit une plus forte production de CAMP dans le tissu adipeux blanc du derme des souris traitées par l’inhibiteur, donc une meilleure réponse antimicrobienne. Des résultats similaires ont été obtenus en inhibant d’autres protéines de la voie de signalisation du TGF-β, telles que SMAD2/3.

Les auteurs ont ensuite validé leurs observations in vivo en produisant une lignée de souris rendue génétiquement déficiente en TGF-βR2 uniquement dans les fibroblastes dermiques en utilisant le système Cre/Lox. Le traitement par du TGF-β2 des fibroblastes dermiques de souris hétérozygotes pour la mutation n’induit pas l’expression de gènes pro-fibrotiques, contrairement à ce que l’on observe dans les fibroblastes dermiques exprimant le TGF-βR2. Ces expériences attestent de la responsabilité du TGF-β dans la perte de la fonction adipogénique des fibroblastes dermiques au cours du vieillissement et, par conséquent, dans la perte de leurs activités antimicrobiennes. Enfin, les auteurs mesurent des taux de TGF-β2 plus élevés dans le sérum des souriceaux que dans celui des souris plus âgées, a contrario des taux de TGF-β1, qui semblent plus élevés chez les souris adultes. Une augmentation des formes phosphorylées (actives) de SMAD2/3 est également observée dans le derme de souris adultes. De même, chez l’homme, la voie du TGF-β endogène est constitutivement active dans les fibroblastes dermiques du nouveau-né, qui ont une faible capacité adipogénique basale, ce qui favorise le passage d’un phénotype pro-adipogène à un phénotype pro-fibrotique.

Perspectives

Avec l’âge, les fibroblastes du derme subissent un changement phénotypique qui dépend d’une activation accrue de la voie de signalisation du TGF-β (Figure 1). Cette cytokine est très peu exprimée dans la peau durant la période néonatale, mais y est fortement exprimée à l’âge adulte, en parfaite corrélation avec la perte du potentiel adipogénique des fibroblastes du derme au cours du vieillissement (Figure 1). Cette étude suggère donc que le tissu adipeux immature de la peau pourrait jouer un rôle essentiel dans la protection antimicrobienne et l’immunité cutanée néonatale, à un stade où les systèmes immunitaires lymphoïde et myéloïde ne sont pas encore matures [4-6]. Le changement phénotypique des fibroblastes dermiques induit par le TGF-β soulève la question de la nature de l’inhibiteur endogène du TGF-β (ou d’un autre acteur de sa voie de signalisation) indispensable à la réalisation de l’adipogenèse réactive au stade néonatal. Sur le plan thérapeutique, la possibilité d’empêcher ce changement phénotypique en utilisant un médicament inhibiteur de la voie de signalisation du TGF-β ouvre une perspective intéressante pour lutter contre les infections cutanées par S. aureus.

thumbnail Figure 1.

Le TGF-b induit la perte de la fonction antimicrobienne du tissu adipeux du derme au cours du vieillissement. Durant la période embryonnaire, le TGF-β2 inhibe la transformation du fibroblaste dermique en pré-adipocyte. Dans la période néonatale, le TGF-β étant moins exprimé dans la peau, le fibroblaste dermique devient adipogène du fait de l’expression de gènes spécifiques d’un phénotype adipocytaire, constituant ainsi le tissu adipeux du derme. Lors d’une infection cutanée par Staphylococcus aureus, le fibroblaste dermique active un processus d’adipogenèse réactive, caractérisé par une prolifération rapide et localisée, suivie d’une différenciation en adipocytes immatures. Ces derniers exprimeront de grandes quantités de cathélicidine (CAMP), un peptide antimicrobien capable d’inhiber la croissance de S. aureus et de conférer à l’hôte une résistance à la bactérie. A contrario, en l’absence d’infection et du fait de l’accroissement progressif de l’expression de TGF-β1 au cours du temps, le phénotype du fibroblaste dermique change, devenant progressivement pro-fibrotique à l’âge adulte. La voie de signalisation du TGF-β (pSmad2/3) induit alors l’expression de gènes pro-fibrotiques et inhibe celle des gènes pro-adipogènes. Le fibroblaste dermique n’étant plus capable de réaliser une adipogenèse réactive en présence de S. aureus, l’individu devient plus sensible à l’infection par cette bactérie. Une inhibition pharmacologique du TGF-βR avec le SB431542 permet cependant la « réversion » du phénotype pro-fibrotique et la récupération d’une capacité de défense antimicrobienne.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Chez les mammiferes, la famille des TGF-β comprend 3 membres.

Références

  1. Eyerich S, Eyerich K, Traidl-Hoffmann C, Biedermann T. Cutaneous barriers and skin immunity: differentiating a connected network. Trends Immunol 2018 ; 39 : 315–327. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Zhang L, Guerrero-Juarez CF, Hata T, et al. Innate immunity. Dermal adipocytes protect against invasive Staphylococcus aureus skin infection. Science 2015 ; 347 : 67–71. [Google Scholar]
  3. Zhang L, Chen SX, Guerrero-Juarez CF, et al. Age-related loss of innate immune antimicrobial function of dermal fat is mediated by transforming growth factor-β. Immunity 2019 ; 50 : 121–136. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Futata EA, Fusaro AE, de Brito CA, Sato MN. The neonatal immune system: immunomodulation of infections in early life. Expert Rev Anti Infect Ther 2012 ; 10 : 289–298. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Georgountzou A, Papadopoulos NG. Postnatal innate immune development: from birth to adulthood. Front Immunol 2017 ; 8 : 957. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Shaw AC, Goldstein DR, Montgomery RR. Age-dependent dysregulation of innate immunity. Nat Rev Immunol 2013 ; 13 : 875–887. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Javelaud D, Mauviel A. Transforming growth factor-β : signalisation et rôles physiopathologiques. Pathol Biol 2004 ; 52 : 50–54. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Le TGF-b induit la perte de la fonction antimicrobienne du tissu adipeux du derme au cours du vieillissement. Durant la période embryonnaire, le TGF-β2 inhibe la transformation du fibroblaste dermique en pré-adipocyte. Dans la période néonatale, le TGF-β étant moins exprimé dans la peau, le fibroblaste dermique devient adipogène du fait de l’expression de gènes spécifiques d’un phénotype adipocytaire, constituant ainsi le tissu adipeux du derme. Lors d’une infection cutanée par Staphylococcus aureus, le fibroblaste dermique active un processus d’adipogenèse réactive, caractérisé par une prolifération rapide et localisée, suivie d’une différenciation en adipocytes immatures. Ces derniers exprimeront de grandes quantités de cathélicidine (CAMP), un peptide antimicrobien capable d’inhiber la croissance de S. aureus et de conférer à l’hôte une résistance à la bactérie. A contrario, en l’absence d’infection et du fait de l’accroissement progressif de l’expression de TGF-β1 au cours du temps, le phénotype du fibroblaste dermique change, devenant progressivement pro-fibrotique à l’âge adulte. La voie de signalisation du TGF-β (pSmad2/3) induit alors l’expression de gènes pro-fibrotiques et inhibe celle des gènes pro-adipogènes. Le fibroblaste dermique n’étant plus capable de réaliser une adipogenèse réactive en présence de S. aureus, l’individu devient plus sensible à l’infection par cette bactérie. Une inhibition pharmacologique du TGF-βR avec le SB431542 permet cependant la « réversion » du phénotype pro-fibrotique et la récupération d’une capacité de défense antimicrobienne.

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