Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 35, Number 8-9, Août–Septembre 2019
Page(s) 608 - 610
Section Le Magazine
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2019121
Published online 18 September 2019

Il est difficile de comprendre pourquoi des mutations délétères d’un même gène se trouvent être ou ne pas être associées à une maladie. La migraine est une affection neurologique handicapante qui affecte 15% de la population. Une attaque migraineuse se traduit par des maux de tête d’une durée de 4 à 72h accompagnés d’une hypersensibilité à de nombreux stimulus, tels que la lumière ou le son, pouvant mener à des nausées, voire des vomissements. La migraine est une maladie complexe liée, entre autres, à l’hyperexcitabilité électrique des neurones sensoriels de la face, appelés neurones trigéminaux. Cette excitabilité électrique est sous le contrôle de canaux ioniques [1] ().

(→) Voir la Nouvelle de F. Rugiero, m/s n°12 décembre 2010, page1015

Les canaux «potassiques à deux-domaines pore» ou K2P sont inhibiteurs et servent de frein à l’excitabilité neuronale. Lorsque ces protéines dysfonctionnent, une hyperexcitabilité des neurones survient (Figure 1).

thumbnail Figure 1.

La migraine étape par étape. Représentation schématique montrant les mécanismes qui contribuent à la pathogenèse de la migraine. 1. La migraine est déclenchée par une vague électrique initiée par des stimulus endogènes et exogènes, qui perturbent le système de modulation sensorielle dans le cerveau pour finalement activer les premières divisions du système nerveux trigéminé (V1/2/3). 2. Cela stimule la libération de neuropeptides, comme le CGRP (calcitonin gene-related peptide), qui provoque une dilatation vasculaire et une inflammation. Cette dernière est à l’origine d’une activation exagérée des neurones sensoriels trigéminaux induisant la transmission d’un signal douloureux aux centres supérieurs pouvant alors déclencher la migraine. 3. Des mutations dans le gène kcnk18 (potassium two pore domain channel subfamily K member 18) conduisant à la production de protéines inhibant les canaux potassiques TREK1 et TREK2 vont entraîner une dérégulation de l’homéostasie potassique à l’origine d’une hyperexcitabilité et induire la transmission d’un signal douloureux.

thumbnail Figure 2.

La mutation TRESK-MT provoque une migraine via l’inhibition de TREK1 et TREK2 induite par TRESK-MT2. Dans la partie supérieure est représentée l’excitabilité des neurones trigéminaux en présence de la version sauvage de TRESK. Dans la partie inférieure, les personnes portant la version mutée du canal TRESK (symbolisée par une étoile noire) présentent une allodynie liée à la migraine. Ce gène muté, par un mécanisme appelé fsATI (frameshift mutation-induced alternative translation initiation), est traduit en deux protéines, TRESK-MT1 et TRESK-MT2. TRESK-MT1 inhibe le canal TRESK alors que TRESK-MT2 cible TREK1 et TREK2. L’inhibition de TREK1 et TREK2 conduit à une hyperexcitabilité neuronale et à un phénotype migraineux.

Une version mutée du canal TRESK (TWIK-related spinal cord potassium channel)1, un membre de la famille des canaux K2P, présentant une délétion de 2 paires de bases entraînant un décalage du cadre de lecture (frameshift: F139WfsX24), dénommée TRESK-MT, a récemment été incriminée dans la migraine [2]. Cette mutation induit la formation d’un canal tronqué qui, en plus d’être non fonctionnel, agit comme dominant négatif du canal TRESK sauvage (TRESK-MT abolit le courant généré par TRESK). Les neurones trigéminaux qui expriment TRESK-MT voient leur excitabilité augmentée, ce qui explique l’induction de la migraine [3]. Les études qui ont suivi ont décrit une autre mutation du gène codant TRESK, TRESK-C110R2 qui, comme TRESK-MT, conduit à la formation d’un canal non fonctionnel qui agit comme dominant négatif sur le canal sauvage [4]. Bien que TRESK-C110R et TRESK-MT semblent avoir une fonction similaire, seule la mutation TRESK-MT est associée à une augmentation de l’excitabilité neuronale et à un phénotype migraineux [5]. Comment deux mutations génétiques délétères du même gène TRESK se trouvent être ou ne pas être associées à la migraine?

Le canal TRESK peut s’hétérodimériser

La famille des K2P est composée de 15 membres qui sont actifs lorsqu’ils sont sous forme de dimère. Nous avons montré récemment que certains membres de la famille pouvaient s’hétérodimériser entre eux [6]. Nous avons émis l’hypothèse que la différence d’activité observée entre les deux mutants (TRESK-MT et TRESK-C110R) pouvait reposer sur leur capacité à moduler différemment les autres canaux K2P avec lesquels TRESK s’hétéromérise.

L’utilisation de la technique de précipitation en molécule unique, le SiMPull (single-molecule pull-down)3 [7] nous a permis de montrer que TRESK était capable de s’hétérodimériser avec d‘autres canaux K2P, les canaux TREK1 et TREK2. Les études fonctionnelles réalisées ont ensuite révélé que seul TRESK-MT, et pas TRESK-C110R, inhibait l’activité des canaux TREK1 et TREK2. L’analyse de souris dont les canaux TREK1 et TREK2 ont été génétiquement inactivés, a quant à elle, permis de montrer que TRESK-MT augmentait l’excitabilité des neurones en inhibant ces deux canaux.

Ainsi, la différence entre le mutant impliqué dans la migraine (TRESK-MT) et celui qui ne l’est pas (TRESK-C110R), repose sur la capacité à inhiber TREK1 et TREK2. TREK1 et TREK2 ayant un rôle de frein de l’excitabilité, il en résulte une augmentation de l’excitabilité des neurones trigéminaux, à l’origine de la migraine. Nous avons également confirmé l’importance de TREK1 et TREK2 dans la survenue de la migraine en montrant que l’absence d’expression de TREK1 et TREK2 par invalidation génétique chez la souris, induisait un phénotype migraineux chronique pouvant être inversé par des médicaments utilisés pour traiter les migraines. C’est donc l’inhibition de TREK1 et TREK2, mais pas celle de TRESK, qui conduit à la migraine. TREK1 et TREK2 représentent donc de nouvelles cibles potentielles pour le traitement de cette maladie.

L’initiation alternative de la traduction

La mutation TRESK-MT est supposée engendrer un canal, appelé TRESK-MT1, non fonctionnel car amputé de son extrémité carboxy-terminale. Nous avons examiné la capacité de ce canal tronqué à interagir avec TREK1 et TREK2 mais aucune interaction n’a été observée. Si l’inhibition du courant formé par TREK1/2 que l’on observe lorsque le mutant TRESK-MT est co-exprimé ne peut être attribuée à la protéine qu’il produit, TRESK-MT1, un processus différent est nécessairement impliqué. En général, l’ARN messager (ARNm) transcrit à partir du gène permet la traduction d’une protéine unique. Dans certains cas, cette loi n’est cependant pas respectée [8]. Un site alternatif d’initiation de la traduction peut, en effet, être reconnu sur l’ARNm par les ribosomes et induire la synthèse d’une deuxième protéine à partir du même ARNm. La délétion des 2 paires de base de la mutation TRESK-MT du gène TRESK est à l’origine d’un tel site d’initiation alternatif sur l’ARNm produit, ce qui conduit à la traduction d’une deuxième protéine, TRESK-MT2, dont l’expression a pu être mise en évidence par une série d’expériences de biologie cellulaire et de biochimie. Cette nouvelle protéine correspond à un canal TRESK qui est, lui, amputé de son extrémité N-terminale [9]. Nous avons appelé fsATI (pour frameshift mutation-induced alternative translation initiation) ce nouveau mécanisme d’insertion d’un site alternatif de traduction par déplacement du cadre de lecture. L’activité de la protéine mutante TRESK-MT2 a été testée, et nous avons montré que contrairement à TRESK-MT1, elle est capable d’interagir et d’inhiber TREK1 et TREK2, augmentant ainsi l’excitabilité des neurones trigéminaux (Figure 2).

Afin de démontrer que seule TRESK-MT2, par sa capacité d’inhiber TREK1 et TREK2, est suffisante pour induire un phénotype migraineux, comme celui observé chez les patients portant la mutation TRESK-MT, nous avons utilisé un modèle développé chez le rat chez lequel une surexpression de TRESK-MT2 dans les neurones trigéminaux a été induite par vectorisation adénovirale. La migraine s’accompagne d’une hypersensibilité de la face, directement reliée à la sensibilité des nerfs trijumeaux qui l’innervent et qui peut être mesurée. Nous avons donc testé la sensibilité faciale des animaux surexprimant TRESK-MT2. Après une semaine de repos, temps nécessaire à l’expression du vecteur viral, nous avons observé que les rats exprimant la protéine TRESK-MT2 présentaient une hypersensibilité faciale similaire à celle observée chez les rats rendus migraineux par injection de monoxyde d’azote (NO) (la migraine peut être provoquée en utilisant des molécules donneuses de NO). Cette expérience confirme que la protéine TRESK-MT2, en inhibant TREK1 et TREK2, est, à elle seule, suffisante pour induire le phénotype migraineux observé chez les patients.

TRESK-MT est-il le seul mutant de type fsATI?

En examinant les bases de données publiques, nous avons trouvé une autre mutation du canal TRESK capable, comme la mutation TRESK-MT, de créer un site alternatif d’initiation de la traduction. Les données de biologie cellulaire et de biochimie que nous avons obtenues confirment que ce variant, Y121LfsX444, est aussi à l’origine de la traduction de deux protéines (MT1 et MT2) et de l’inhibition des canaux TREK1 et TREK2. Afin de savoir si cette mutation était associée à la migraine, nous avons alors confronté sa séquence aux bases de données cliniques (Clinvar) et avons trouvé qu’elle avait également été associée à un phénotype migraineux dans des cohortes de populations asiatiques. En système d’expression hétérologue, cette mutation conduit également à la production d’une seconde protéine qui inhibe les canaux TREK1 et TREK2. La traduction alternative du canal TRESK n’est donc pas unique.

Perspectives

Vers un nouveau médicament

Nos études moléculaires, cellulaires et chez l’animal, montrent que TREK1 et TREK2 sont les canaux qui régulent l’excitabilité des neurones trigéminaux impliqués dans le phénotype migraineux. Nos résultats récents utilisant des agonistes de TREK1 et TREK2 chez l’animal se révèlent encourageants et ouvrent de nombreuses perspectives en clinique humaine dans le traitement de la migraine.

Une nouvelle forme de mutation induisant une maladie

Nous avons démontré qu’une mutation du canal TRESK peut induire un déplacement du cadre de lecture et générer ainsi un site d’initiation de la traduction alternatif qui, dans certain cas, peut être reconnu par les ribosomes et conduire, à partir d’un même ARNm, à la synthèse d’une protéine tronquée qui présente la fonction «poison» responsable de la maladie! Nous avons étendu notre étude à un autre canal TRESK mutant également impliqué dans le déclenchement de la migraine, démontrant ainsi que ce phénomène n’est pas isolé. Il faudra à l’avenir considérer ce type de mutations alternatives dans la détermination des causes de certaines maladies et ne pas négliger leur dépistage.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Il existe six classes de canaux potassiques K2P, dont les canaux TRESK, formés de deux domaines en tandem (4 domaines transmembranaires et 2 boucles pores), qui contribuent au potentiel de repos.

2

La cystéine-110 est mutée en arginine.

3

Ce test combine les techniques classiques d’immuno-précipitation et la microscopie à réflexion totale interne de la fluorescence (TIRF). Les anticorps sont immobilisés sur une lame de microscope et incubés avec l’extrait à analyser. La microscopie de fluorescence à molécule unique permet ensuite d’identifier les protéines extraites et d’en déterminer la stœchiométrie.

4

Mutation du canal TRESK par insertion de 4 paires de bases qui comme la mutation TRESK-MT produit le même site alternatif de traduction.

Références

  1. Rugiero F. Les canalopathies de la douleur chez l’homme. Med Sci (Paris) 2010 ; 26 : 1015–1017. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Lafrenière RG, Cader MZ, Poulin JF, et al. A dominant-negative mutation in the TRESK potassium channel is linked to familial migraine with aura. Nat Med 2010 ; 16 : 1157–1160. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Liu P, Xiao Z, Ren F, et al. Functional analysis of a migraine-associated TRESK K+ channel mutation. J Neurosci 2013 ; 33 : 12810–12824. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Andres-Enguix I, Shang L, Stansfeld PJ, et al. Functional analysis of missense variants in the TRESK (KCNK18) K channel. Sci Rep 2012; 2 : 237. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Guo Z, Liu P, Ren F, Cao YQ. Nonmigraine-associated TRESK K+ channel variant C110R does not increase the excitability of trigeminal ganglion neurons. J Neurophysiol 2014 ; 112 : 568–579. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Levitz J, Royal P, Comoglio Y, et al. Heterodimerization within the TREK channel subfamily produces a diverse family of highly regulated potassium channels. Proc Natl Acad Sci USA 2016 ; 113 : 4194–4199. [CrossRef] [Google Scholar]
  7. Jain A, Liu R, Xiang YK, Ha T. Single-molecule pull-down for studying protein interactions. Nat Protoc 2012 ; 7 : 445–442. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Kozak M. Initiation of translation in prokaryotes and eukaryotes. Gene 1999; 234, : 187–208. [Google Scholar]
  9. Royal P, Andres-Bilbe A, Prado PÁ, et al. Migraine-associated TRESK mutations increase neuronal excitability through alternative translation initiation and inhibition of TREK. Neuron 2019 ; 101 : 232–45. e6. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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Liste des figures

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La migraine étape par étape. Représentation schématique montrant les mécanismes qui contribuent à la pathogenèse de la migraine. 1. La migraine est déclenchée par une vague électrique initiée par des stimulus endogènes et exogènes, qui perturbent le système de modulation sensorielle dans le cerveau pour finalement activer les premières divisions du système nerveux trigéminé (V1/2/3). 2. Cela stimule la libération de neuropeptides, comme le CGRP (calcitonin gene-related peptide), qui provoque une dilatation vasculaire et une inflammation. Cette dernière est à l’origine d’une activation exagérée des neurones sensoriels trigéminaux induisant la transmission d’un signal douloureux aux centres supérieurs pouvant alors déclencher la migraine. 3. Des mutations dans le gène kcnk18 (potassium two pore domain channel subfamily K member 18) conduisant à la production de protéines inhibant les canaux potassiques TREK1 et TREK2 vont entraîner une dérégulation de l’homéostasie potassique à l’origine d’une hyperexcitabilité et induire la transmission d’un signal douloureux.

Dans le texte
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La mutation TRESK-MT provoque une migraine via l’inhibition de TREK1 et TREK2 induite par TRESK-MT2. Dans la partie supérieure est représentée l’excitabilité des neurones trigéminaux en présence de la version sauvage de TRESK. Dans la partie inférieure, les personnes portant la version mutée du canal TRESK (symbolisée par une étoile noire) présentent une allodynie liée à la migraine. Ce gène muté, par un mécanisme appelé fsATI (frameshift mutation-induced alternative translation initiation), est traduit en deux protéines, TRESK-MT1 et TRESK-MT2. TRESK-MT1 inhibe le canal TRESK alors que TRESK-MT2 cible TREK1 et TREK2. L’inhibition de TREK1 et TREK2 conduit à une hyperexcitabilité neuronale et à un phénotype migraineux.

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