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Issue
Med Sci (Paris)
Volume 34, Number 6-7, Juin–Juillet 2018
Les Cahiers de Myologie
Page(s) 604 - 607
Section Forum
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/20183406023
Published online 31 July 2018

Vignette (Photo © Inserm/CEA - Stéphanie Bouillot).

Les plantes, les animaux et même l’homme ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui sans ce que l’auteur appelle « des microbes ». Marc-André Selosse, professeur du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, et enseignant dans de nombreuses universités françaises et étrangères, est un spécialiste de ce monde « microbien » et des relations qu’il tisse avec les autres êtres vivants. Cheminant à travers la diversité du vivant, par l’étude de cas concrets, d’exemples… et d’histoires fabuleuses, il nous conte ses liens que les « microbes » ont tissé avec l’ensemble du monde vivant [1].

Mais qu’est-ce qu’un microbe ?

Par définition, un microbe est un organisme vivant invisible à l’œil nu et qui ne peut être observé qu’à l’aide d’un microscope. Ainsi, au sein de cet ouvrage, il est question autant de champignons que de bactéries ou d’eucaryotes unicellulaires (protozoaires et algues unicellulaires). L’auteur choisit d’y inclure également les virus, qui, par leur rôle, sont assez proches des « microbes conventionnels ». C’est donc une multitude d’organismes que le lecteur est amené à découvrir.

Les liens que ces microbes entretiennent avec les plantes et les animaux sont multiples et complexes, pour ne pas dire uniques. Ils vont de la symbiose (interaction à bénéfice réciproque) au parasitisme (interaction dont l’un des partenaires tire un bénéfice au détriment de l’autre) en passant par le commensalisme (interaction dont l’un des partenaires utilise l’autre sans qu’il en soit affecté).

Des plantes et des animaux jamais seuls

Les plantes se nourrissent par leurs racines, apprend-on dès notre plus jeune âge ; mais ce que l’on sait peut-être moins, c’est, qu’en réalité, le plus souvent, ce sont des champignons qui, associés aux racines des plantes, les nourrissent en formant ce que l’on appelle les mycorhizes1. Par quelques exemples naturalistes et quelques expériences, l’auteur nous raconte cette découverte majeure de la biologie du XIXe et XXe siècle, dans laquelle végétaux et champignons sont apparus comme les grands bénéficiaires de cette interaction symbiotique. Ainsi, on ne voit plus la forêt comme une juxtaposition d’arbres, les uns à coté des autres, mais comme un gigantesque réseau, connecté en sous-sol par… des microbes, les champignons.

Ces interactions symbiotiques n’auraient pas seulement un rôle trophique mais aussi un rôle protecteur. Champignons, bactéries, acariens, protègent les végétaux, aussi bien des attaques de parasites, que des divers polluants et toxiques qui se trouvent dans le sol. Certains seraient même capables de manipuler leurs systèmes de protection et de moduler leur développement selon cet environnement.

Les animaux ne sont pas en reste. Ils seraient tous « habités » par de nombreux micro-organismes. La vache, par exemple, ne pourrait vivre sans ses micro-organismes symbiotiques et, à travers cet exemple, Marc-André Selosse nous dévoile les relations qu’un animal peut entretenir avec les divers micro-organismes qui le peuplent. Ainsi, contrairement aux idées reçues, la vache ne serait pas un herbivore !! Elle se nourrit et digère des microbes qu’elle élève elle-même dans son rumen, grâce à l’herbe qu’elle ingère… elle devrait donc être qualifiée de microphage. Même si tous les animaux ne sont pas des ruminants et ne possèdent pas un rumen, rempli de bactéries et autres eucaryotes unicellulaires, ils possèdent un intestin, siège, également, d’une association étroite avec des microbes, aux rôles multiples et néanmoins essentiels. Cette symbiose animal-bactérie représente un véritable succès évolutif. La quasi-totalité des mammifères connus aujourd’hui, qu’ils soient pré-gastriques, comme la vache, ou post-gastriques, comme l’homme, possèdent un microbiote dans leur tube digestif.

Les écosystèmes marins foisonnent également de microbes. Les coraux des mers tropicales, des animaux apparentés aux anémones, se nourrissent en effet grâce à des micro-algues qu’ils abritent, les zooxanthelles2. Dans ces milieux pauvres, cette symbiose est une vraie richesse ; le corail tire partie des molécules produites par le métabolisme photosynthétique de l’algue et, en contrepartie, il lui cède une partie du phosphate et de l’azote qu’il a recueillis. Les coraux ne sont pas les seules « plantanimaux » : des coquillages, des vers plats ont développé des associations similaires. Lors des premières explorations abyssales, à plus de 4 000 m de profondeur, les scientifiques ont été stupéfaits du foisonnement de vie qu’ils y ont découvert. L’un des organismes emblématiques de ces profondeurs, Riftia, est un long ver, totalement dépourvu de tube digestif ! À la place, il possède un organe massif, appelé trophosome, rempli de bactéries sulfoxydantes qui le nourrissent. Cet exemple d’association symbiotique est loin d’être une exception puisqu’elle a été révélée chez près de neuf groupes animaux vivant dans ces oasis hydrothermales. Ces symbioses permettent ainsi d’étendre le périmètre des milieux vivables pour les animaux.

Et l’homme dans tout cela ?

L’homme, en tant qu’animal, est peuplé de nombreux microbes : sur sa peau, dans son tube digestif (intestins, estomac), sur ses muqueuses buccales, nasales ou vaginales… bref, sur toute la surface du corps. Ces microbes constituent ce que l’on nomme désormais le microbiote humain (). Cette faune abondante et variée, associée sous forme de biofilms ou simplement constituée d’individus isolés, est avant tout protectrice. Elle peut néanmoins devenir pathogène et être à l’origine de désordres immunitaires ou même cognitifs. Avec un sérieux teinté d’une pointe de provocation, l’auteur nous conseille ainsi de nous laver avec discernement pour ne pas décimer tous ces habitants et perturber cet écosystème si particulier et complexe, résultat d’un fragile équilibre établi entre notre corps et ces centaines, voire ces milliers, d’espèces.

(→) Voir le numéro thématique, Le microbiote - cet inconnu qui réside en nous, m/s n° 11, novembre 2016

À l’heure actuelle, l’écosystème microbien le mieux défini chez l’homme reste celui constitué par le microbiote intestinal. Comme le rumen de la vache, notre intestin, et les microbes qu’il héberge, est un vaste système symbiotique. Il participe non seulement à la digestion des nutriments, mais également à la protection de notre organisme contre des toxines alimentaires ou microbiennes. Le dysfonctionnement de cette symbiose (que l’on appelle dysbiose) serait corrélé à la survenue de maladies, comme le diabète ou l’obésité. De plus en plus d’études montrent également l’existence d’interactions entre ce microbiote et le système immunitaire ou le système nerveux de l’hôte ; il pourrait même avoir une influence sur notre comportement ! Dans le chapitre consacré à ce sujet, l’auteur tente une synthèse de l’abondante et foisonnante bibliographie sur cette thématique. L’étude et la compréhension des liens que l’homme entretient avec cette communauté complexe et diverse devient aujourd’hui un enjeu majeur de santé.

Microbes et civilisations

Les microbes ne sont pas seulement les partenaires trophiques ou protecteurs de la plupart des organismes eucaryotes. Ils ont été, et sont toujours, des piliers de l’alimentation des civilisations humaines. Les microbes sont de puissants alliés de l’homme et ce, depuis des générations : ils permettent de transformer et de conserver les aliments. Ainsi, le vin, la bière, le yaourt, le fromage, etc. sont le fruit du travail de microbes. Depuis les débuts de l’agriculture, l’élaboration de ces aliments repose sur l’utilisation par l’homme du métabolisme microbien. Initialement obtenus par ensemencement naturel, ces micro-organismes ont aujourd’hui été « domestiqués », et de la diversité de leurs métabolismes résulte la multitude de boissons et d’aliments fermentés connue de par le monde. L’auteur nous conte cette épopée culinaire et culturelle, dont les microbes sont les héros. Il nous fait prendre conscience que ces fermentations, outre le plaisir gustatif qu’elles procurent, permettent de protéger et de conserver sur le long terme les aliments, mais aussi de les détoxifier et de rendre mangeable ce qui était, historiquement, immangeable pour l’homme (céréales, légumineuses, choux, olives, etc.). Elles améliorent également leurs qualités nutritionnelles, les enrichissant en vitamines et autres composés, par leur métabolisation secondaire. Si l’alimentation humaine repose en grande partie sur les fermentations assurées par ces microbes, alors, tout comme les fermentations microbiennes du rumen de la vache, l’homme possède un rumen… mais il est, contrairement à la vache, extracorporel, collectif et culturel.

Des microbes au cœur de nos cellules

Si l’on regarde au plus profond de nous-même, l’ensemble de nos cellules sont, en réalité, colonisées par des microbes, des bactéries. Nos cellules eucaryotes renferment en effet au sein de leur cytosol… des bactéries, acteurs essentiels et indispensables à leur fonctionnement. Les mitochondries de toutes les cellules eucaryotes dériveraient en effet de l’endosymbiose d’α-protéobactéries ! L’auteur nous raconte l’histoire passionnante de cette théorie, qui a été parfois malmenée au cours du XXe siècle, pour nous conduire à réfléchir sur les implications évolutives de ce type d’association. Que reste-t-il des bactéries symbiotiques originelles dans les mitochondries ? Une membrane interne, de type bactérien, un système d’expression protéique, un chromosome, mais bien plus petit que le chromosome typique d’une bactérie (il ne conserve que 1 % de la capacité d’une bactérie libre !). On apprend alors que cette régression du génome est le résultat d’une lente coévolution entre la bactérie (endo)symbiotique et sa cellule hôte, résultat de la perte de gènes, devenus inutiles dans cette association, mais aussi de transfert de gènes entre génome mitochondrial et génome nucléaire de l’hôte. Le génome d’une cellule eucaryote est donc une chimère symbiotique ! Les deux partenaires de cette symbiose particulière sont aujourd’hui si intriqués qu’ils ne peuvent plus se séparer l’un de l’autre ; cette symbiose intime est le résultat d’une coévolution fusionnelle.

L’histoire des plastes, dont le chloroplaste est le représentant le plus connu, est également particulièrement intéressante. On en trouve chez les plantes terrestres, mais aussi chez différents groupes d’algues, les algues vertes, les algues rouges, les algues brunes, et même des petites algues orangées, les zooxanthelles. Observés au microscope électronique, les plastes des algues brunes ne présentent pas deux mais quatre membranes, et certains possèdent même une structure qui ressemble à un noyau, le nucléomorphe, situé entre la deuxième et la troisième membrane. Pour expliquer cette structure inhabituelle, il faut envisager un mécanisme d’endosymbiose secondaire où, dans ce cas précis, une algue rouge aurait endocyté une cyanobactérie puis aurait elle-même été endocytée par une algue brune. Ces cas d’endosymbiose secondaire auraient eu lieu au moins cinq fois, de manière indépendante au cours de l’évolution, propageant la capacité de photosynthèse à divers groupes d’eucaryotes. On connaît même des cas de « divorces » dans l’histoire des plastes, comme pour le groupe des trypanosomes, dont l’ancêtre était vraisemblablement photosynthétique.

Les microbes au centre des relations interspécifiques et des écosystèmes

Les plantes, les animaux et l’homme, vivent donc en étroite relation avec des microbes, ils ne sont jamais seuls. À ce stade de la réflexion, l’auteur pose la question de l’origine, du maintien et de la stabilité de ces associations symbiotiques. Quels mécanismes assurent la réunion des partenaires et leur coexistence au cours des générations ? À ce problème complexe, il nous livre une vision novatrice et intégrative, résultat de la synthèse de nombreuses études sur le sujet. Dans une association où les deux partenaires dédient une partie de leurs ressources à leur hôte, un raisonnement égoïste voudrait qu’il soit avantageux de tricher pour recevoir sans donner, ce qui soulève la question de la stabilité et de l’existence même du mutualisme. À travers des exemples concrets, des expériences et un raisonnement inédit, l’auteur amène le lecteur à réfléchir sur ses questions tant scientifiques que philosophiques…

Et si, lorsqu’un individu « A » aide son partenaire « B » à se développer et à se reproduire, cela favoriserait également l’accroissement de sa descendance… et si la symbiose, ce n’était pas seulement aider l’autre, mais également s’aider soi-même ? Les mécanismes qui évitent l’apparition de tricheurs et le basculement vers le parasitisme sont multiples ! Dans le cas où l’un des partenaires est circonscrit ou « enfermé » par l’autre, leur association est transmise conjointement à leur descendance, comme pour les organites semi-autonomes (la mitochondrie par exemple) de la cellule eucaryote. Mais cette transmission est souvent imparfaite et réalisée par le biais d’un seul des deux parents, ouvrant la porte à de complexes conflits dits « nucléo-cytoplasmiques », et à l’apparition de dérives tricheuses et égoïstes que Marc-André Selosse nous invite à découvrir.

Quant aux cas où les associations sont reconstituées à chaque génération et où chaque partenaire est libre d’interagir, ou non, et de choisir parmi les nombreux prétendants qui se présentent, il s’agit en réalité d’un véritable « marché biologique » ! Loin d’être un optimum ou un équilibre, ce système d’association coûteux est en perpétuelle instabilité, une sorte de course-poursuite entre partenaires honnêtes et tricheurs, le résultat d’une coévolution entre le microbe et son hôte. Néanmoins, quelques conditions favoriseraient et stabiliseraient la symbiose. Certaines associations symbiotiques reposent en effet sur la gratuité des échanges entre les deux protagonistes, l’un utilisant les déchets de l’autre, annihilant alors toute apparition de tricheurs. De même, des conditions de milieu difficiles et stressantes limitent le développement des organismes ; la symbiose et la coopération permettraient alors la survie de chacun et, à l’inverse, le trop plein de ressources favoriserait la compétition. Ces interrogations et ces résultats sont d’autant plus au cœur de l’actualité scientifique qu’ils nourrissent les réflexions actuelles sur nos pratiques agronomiques et médicales, où la devise ancestrale était d’éradiquer purement et simplement toute flore microbienne étrangère… Espérons qu’un jour, l’homme pourra se réconcilier avec ces microbes et leur accorder la place qu’ils méritent, celui de pilier des écosystèmes, auprès des animaux et des plantes et, peut-être un jour, celui d’outil pour l’homme.

Par cet ouvrage, Marc-André Selosse porte un regard nouveau sur le monde qui nous entoure, truffé de microbes présents dans tous les écosystèmes terrestres. Pour certains, qui sont avant tout de véritables alliés, ils sont tout simplement essentiels à la vie de la plupart des plantes, des animaux et de l’homme. C’est par cette approche à la fois physiologique, écologique et évolutive que l’auteur captive le lecteur, le fait entrer dans le monde de l’infiniment petit, pour y découvrir les dessous cachés des microbes.

Cet ouvrage s’adresse autant à des néophytes curieux, pour lesquels l’auteur a réalisé un formidable travail de vulgarisation par l’explicitation du jargon scientifique qu’il distille avec parcimonie, qu’à des amateurs éclairés ou à des microbiologistes qui y trouveront une multitude d’exemples, de cas concrets, de résultats expérimentaux historiques et récents, rassemblés dans une formidable réflexion sur la place des microbes dans le monde d’aujourd’hui.


1

Association symbiotique entre champignons et racines des plantes.

2

Les zooxanthelles sont des microalgues symbiotiques du genre Symbiodinium, vivant à l’intérieur d’organismes non chlorophylliens (eucaryotes unicellulaires ou invertébrés).

Références

  1. Selosse MA. Jamais seul. Paris : Actes Sud, 2017 : 370 p. [Google Scholar]

© 2018 médecine/sciences – Inserm

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