Issue
Med Sci (Paris)
Volume 34, Number 6-7, Juin–Juillet 2018
Nos jeunes pousses ont du talent !
Page(s) 609 - 611
Section Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/20183406027
Published online 31 July 2018

© 2018 médecine/sciences – Inserm

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Julien Marie

julien.marie@inserm.fr

Le microbiote intestinal se compose de tous les micro-organismes symbiotiques qui vivent dans les intestins ().

(→) Voir à ce propos le numéro thématique Le microbiote : cet inconnu qui réside en nous, m/s n° 11, novembre 2016

Chez l’homme, il compte 1012 à 1014 micro-organismes pour une masse totale de plus de deux kg. Le microbiote intestinal est un composant de l’ensemble des micro-organismes qui colonisent les diverses localisations : peau, bronches, cavité vaginale, etc.

À la naissance, l’intestin du nouveau-né est rapidement colonisé par les bactéries d’origines vaginale, cutanée et fécale de la mère. Par la suite, ce microbiote s’enrichit au cours de la croissance de l’enfant lors des interactions de celui-ci avec son environnement.

On distingue jusqu’à 1 000 espèces de bactéries différentes dans le microbiote intestinal, réparties en quatre phylums essentiels : Firmicutes, Actinobacteria, Proteobacteria et Bactériodetes.

Chez l’homme, ces bactéries participent activement à la digestion. Ainsi, la dégradation des sucres complexes s’effectue au niveau du côlon à l’aide d’enzymes spécifiques nommées carbohydrate-active enzymes (CAZymes), dont la majorité ont pour origine le microbiote intestinal [12] ().

(→) Voir la Synthèse de A. El Kaoutari et al., m/s n° 3, mars 2014, page 259

Le microbiote intestinal contribue également de façon majeure à la maturation du système immunitaire, via l’induction permanente de nombreux stimulus. On sait à l’heure actuelle que le microbiote est en grande partie responsable du recrutement de lymphocytes effecteurs matures, comme les lymphocytes T ou les plasmocytes à IgA (immunoglobulines de type A), au niveau des muqueuses intestinales [3, 4] ().

(→) Voir la Synthèse de V. Gaboriau-Routhiau et N. Cerf-Bensussan, m/s n° 11, novembre 2016, page 961

Les biais de la composition du microbiote intestinal des souris de laboratoire

La souris est un modèle in vivo très utilisé dans la plupart des études scientifiques, particulièrement dans la recherche biologique. Le faible coût d’entretien, la reproduction rapide et la facilité de manipulation génétique de ces rongeurs expliquent ce choix. De plus, les fortes similitudes entre le système immunitaire de la souris et celui de l’homme contribuent à faire de la souris un modèle immunologique très intéressant.

Toutefois, les modèles murins actuels résultent de nombreuses étapes de sélection génétique et d’élevage en milieu confiné et dépourvu de nombreux pathogènes. Ce contexte a conditionné le développement des souris et abouti à la création de lignées murines génétiquement pures, mais qui hébergent un microbiote dont la diversité est restreinte en raison de l’absence de contact des animaux avec la grande majorité des micro-organismes retrouvés dans les milieux naturels. Le microbiote intestinal de ces souris est donc spécifique de cette situation d’élevage et n’est pas représentatif de celui d’animaux élevés dans un milieu naturel. Étant donné l’influence du microbiote dans de multiples fonctions de l’organisme, ce biais pourrait altérer la reproductibilité des résultats expérimentaux obtenus chez la souris, et compromettre leur extrapolation à l’homme.

Par exemple, il a été démontré très récemment que la dérégulation du microbiote (dysbiose) pourrait potentiellement fragiliser le système immunitaire et favoriser le développement tumoral [5]. Il est donc important, pour éviter les biais d’interprétation, que les modèles d’étude reflètent au mieux le microbiote naturel.

Une équipe américaine a récemment exploré - et démontré - cette possibilité de biais expérimental dû à la composition du microbiote des souris de laboratoire [6].

Stephan Rosshart et al. [6] ont comparé les modèles habituels de souris de laboratoire à un nouveau modèle expérimental qui incorpore un microbiote de souris « sauvage », et montré que les premiers ne reflètent pas exactement ce qui se passe in natura. Non seulement le microbiote des souris élevées en laboratoire est totalement différent de celui des souris élevées dans la nature, mais, plus important encore, le microbiote des souris sauvages confère une réponse immunitaire plus apte à lutter contre certains virus et à freiner aussi l’apparition d’un cancer colorectal.

Établissement d’un modèle de souris colonisée par un microbiote sauvage

Pour établir ce nouveau modèle animal in vivo, les chercheurs ont administré par voie orale à des souris germ free (GF, sans microbiote) gestantes, un microbiote intestinal prélevé soit chez des souris de laboratoire C57BL/6, soit chez des souris sauvages. Le microbiote « sauvage » était issu de souris sauvages de l’espèce Mus musculus domesticus (sélectionnées parmi 800 souris capturées par les chercheurs dans plusieurs secteurs géographiques de l’état du Maryland, États-Unis) possédant un patrimoine génétique proche de celui des souris C57BL/6, et dénuées de toute infection active par des pathogènes ou parasites. Deux groupes de souris C57BL/6 ont été ainsi produits, partageant le même génome, mais hébergeant deux microbiotes différents. Ces souris sont appelées LabR et WildR en fonction de la provenance de leur microbiote (Figure 1).

thumbnail Figure 1.

Mise en place d’un modèle d’étude expérimental in vivo chez la souris comprenant un microbiote naturel. Plus de 800 souris sauvages issues de plusieurs sites de l’Etat du Maryland ont été capturées et sélectionnées selon plusieurs critères : correspondance génétique la plus proche possible des souris C57BL/6, absence de micro-organismes pathogènes, individus adultes et matures sexuellement. Des extraits fécaux de ces souris sauvages et de souris de laboratoires ont été collectés afin d’être transplantés à des souris germ free (GF) gestantes. L’impact des deux types de microbiote – naturel et de laboratoire – a été testé sur la réponse immunitaire des animaux F1 et des générations suivantes soumis à de nombreuses situations pathogènes (infection virale, cancer).

Les chercheurs ont pu démontrer un excellent transfert du microbiote sauvage aux générations suivantes, ce qui confirme la stabilité du nouveau modèle ainsi établi.

L’avantage de ce modèle expérimental sur beaucoup d’autres est qu’il n’oblige pas à l’utilisation d’antibiotiques pour éliminer le microbiote endogène avant la transplantation d’extraits fécaux, et permet de limiter au maximum les facteurs génétiques pouvant fausser les résultats. De plus, ce modèle offre la possibilité de prolonger les études sur plusieurs générations de souris. Les auteurs de cette étude ont analysé le comportement de ces deux modèles, LabR et WildR, dans deux situations pathologiques différentes, une infection virale et le développement tumoral.

Limitation par le microbiote naturel de la réponse inflammatoire pathologique

Microbiote intestinal et réponse immunitaire contre un virus grippal

Afin d’analyser le fonctionnement de leur système immunitaire, les souris WildR et LabR ont été exposées au virus Influenza A : 83 % des souris LabR sont mortes dans les 13 jours suivant l’infection, mais seulement 8 % des souris WildR. De plus, les lésions histopathologiques, notamment des tissus bronchiques et pulmonaires, étaient atténuées chez les souris WildR. La quantification (multiplex luminex assay) dans le poumon des cytokines et chémokines exprimées quatre jours après l’infection a révélé une très forte expression de chémokines et cytokines pro-inflammatoires chez les souris LabR (évoquant un « orage » cytokinique), contrairement aux WildR chez lesquelles les cytokines anti-inflammatoires prédominaient [6].

Il semblerait que les micro-organismes commensaux du microbiote sauvage aient la capacité d’améliorer la réponse immunitaire et donc la survie des souris WildR en réponse à une infection par le virus de la grippe.

Ces résultats sont en accord avec ceux obtenus dans l’étude de T. Ichinohe et al. [7], qui démontre que les bactéries du microbiote intestinal seraient capables de moduler la réponse du système immunitaire adaptatif via leur induction de nombreux stimulus inflammatoires différents. Cette équipe en a fait la démonstration lors de la réponse à une infection par le virus Influenza : l’élimination de certaines bactéries commensales par un traitement antibiotique induisait une baisse de la réponse immunitaire et de l’activation de l’inflammasome, en particulier dans le poumon.

Le microbiote sauvage confère une meilleure protection contre le développement de cancers colorectaux

Le second objectif de Rosshart et al. [6] était de comparer la réaction des souris LabR et WildR lors de l’induction d’une tumeur du côlon, qui comporte aussi un élément inflammatoire chronique. L’inflammation a été induite par un traitement oral classique au DSS (dextran sodium sulfate) suivi de l’injection intrapéritonéale d’un agent mutagène, l’azoxyméthane.

Le nombre de tumeurs du côlon décelées après 85 jours de traitement et la surface colonisée par ces tumeurs étaient deux fois plus élevés chez les souris LabR que chez les souris WildR. L’inflammation tissulaire était également moindre chez les souris WildR. Ceci montre bien, comme dans l’exemple précédent, l’influence de la composition du microbiote sur le développement et la pérennisation de l’inflammation facilitant un cancer du côlon ; le microbiote sauvage serait capable de conférer des propriétés anti-inflammatoires et antitumorales aux souris WildR contrairement au microbiote des souris LabR.

Des études antérieures avaient identifié un phénomène de dysbiose lié à cette forte incidence de cancers du côlon [8] ().

(→) Voir la Nouvelle de C. Jobin, m/s n° 6-7, juin-juillet 2013, page 582

Ainsi, la diversité des micro-organismes présents dans le côlon serait sujette à des fluctuations pouvant promouvoir le développement de tumeurs [9]. Citons l’étude de Yang et al. [10], qui incrimine la bactérie Fusobacterium nucleatum comme favorisant l’émergence du développement de tumeurs du côlon ; d’autres bactéries sont potentiellement impliquées dans ce processus, il reste à en faire l’inventaire. En revanche, il n’a pas encore été déterminé si cette dysbiose interviendrait en amont ou en aval de l’apparition des tumeurs.

Les atouts d’un modèle in vivo reproduisant un microbiote naturel

Si l’étude confirme le rôle majeur du microbiote dans la réponse immunitaire et le développement tumoral, elle rappelle aussi combien il est essentiel, pour l’étudier, de disposer de modèles in vivo fiables, notamment de souris de laboratoire porteuses d’un microbiote naturel, car cela conditionne l’obtention de résultats expérimentaux plus proches de la réalité. L’analyse du microbiote naturel pourrait aussi apporter de précieuses informations sur les mécanismes protecteurs acquis lors des interactions entre l’organisme et son environnement microbien naturel, dont sont privées les souris élevées dans le contexte confiné du laboratoire.

Affiner ces nouveaux modèles en tenant compte de l’ensemble du microbiome (intestin, peau, voies aériennes, cavité vaginale) permettrait peut-être d’identifier les probables effets du microbiote sur d’autres systèmes que l’immunité ou le cancer, par exemple le système endocrinien, ou même certains aspects comportementaux.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. El Kaoutari A, Armougom F, Raoult D, Henrissat B. Le microbiote intestinal et la digestion des polysaccharides. Med Sci (Paris) 2014 ; 30 : 259–265. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Cantarel BL, Lombard V, Henrissat B. Complex carbohydrate utilization by the healthy human microbiome. PloS One 2012 ; 7 : e28742. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Gaboriau-Routhiau V, Cerf-Bensussan N. Microbiote intestinal et développement du système immunitaire. Med Sci (Paris) 2016 ; 32 : 961–967. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Cerf-Bensussan N, Gaboriau-Routhiau V. The immune system and the gut microbiota: friends or foes?. Nat Rev Immunol 2010 ; 10 : 735–744. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Brennan CA, Garrett WS. Gut microbiota, inflammation, and colorectal cancer. Ann Rev Microbiol 2016 ; 70 : 395–411. [CrossRef] [Google Scholar]
  6. Rosshart SP, Vassallo BG, Angeletti D, et al. Wild mouse gut microbiota promotes host fitness and improves disease resistance. Cell 2017 ; 171 : 1–14. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Ichinohe T, Pang IK, Kumamoto Y, et al. Microbiota regulates immune defense against respiratory tract influenza A virus infection. Proc Natl Acad Sci USA 2011 ; 108 : 5354–5359. [CrossRef] [Google Scholar]
  8. Jobin C. Microbiome : un nouveau facteur de risque de cancer colorectal ?. Med Sci (Paris) 2013 ; 29 : 582–585. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Zackular JP, Baxter NT, Iverson KD, et al. The gut microbiome modulates colon tumorigenesis. mBIO 2013; 4 : e00692–e00713. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  10. Yang Y, Weng W, Peng J, et al. Fusobacterium nucleatum increases proliferation of colorectal cancer cells and tumor development in mice by activating TLR4 signaling to NFkB, upregulating expression of microRNA-21. Gastroenterology 2017 ; 152 : 851–866. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Mise en place d’un modèle d’étude expérimental in vivo chez la souris comprenant un microbiote naturel. Plus de 800 souris sauvages issues de plusieurs sites de l’Etat du Maryland ont été capturées et sélectionnées selon plusieurs critères : correspondance génétique la plus proche possible des souris C57BL/6, absence de micro-organismes pathogènes, individus adultes et matures sexuellement. Des extraits fécaux de ces souris sauvages et de souris de laboratoires ont été collectés afin d’être transplantés à des souris germ free (GF) gestantes. L’impact des deux types de microbiote – naturel et de laboratoire – a été testé sur la réponse immunitaire des animaux F1 et des générations suivantes soumis à de nombreuses situations pathogènes (infection virale, cancer).

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