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Med Sci (Paris)
Volume 33, Number 11, Novembre 2017
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Page(s) | 997 - 999 | |
Section | Repères | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/20173311018 | |
Published online | 04 December 2017 |
Pourquoi n’avoir que deux copies du gène P53 ?
Why have we only two P53 genes?
Institut Necker-Enfants Malades, Inserm U1151, CNRS UMR 8253, faculté de Médecine-site Broussais, université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, 14, rue Maria Helena Vieira Da Silva 75993 Paris Cedex 14, France
Dans cet article, nous développons l’idée que le génome humain n’est pas équipé pour nous protéger après l’âge de la reproduction contre certaines maladies comme le cancer et les maladies neuro-dégénératives. Nous prenons comme exemple le cancer et montrons que l’ajout d’un gène suppresseur de tumeur dans son contexte génomique (en utilisant un chromosome artificiel bactérien, ou BAC, pour la transgenèse) protège les souris contre l’apparition de cancers spontanés et induits. Nous montrons également que chez certaines espèces présentant une résistance à l’apparition de cancers, une amplification de gènes suppresseurs de tumeurs est observée.
Abstract
In this forum, we develop the idea that the human genome may not be equipped to protect us after the age of reproduction against certain diseases such as cancer or neuro-degenerative diseases. We take as example cancer and show that adding one tumor suppressor in the mouse genome in its genomic context (BAC transgene) provides some protection against spontaneous and induced tumors. We also show that in certain species displaying a resistance to cancer, there is an amplification of some tumor suppressor genes.
© 2017 médecine/sciences – Inserm
Vignette (Photo © Inserm - Jérome Galon).
Cette question me vint à l’esprit en découvrant une situation pathologique : le syndrome de Li-Fraumeni. Dans ce syndrome décrit en 1969, des enfants qui naissent avec seulement une copie fonctionnelle du gène TP53 (tumor protein 53) développent un ou plusieurs cancers avant l’âge de 45 ans [1, 2]. Or, dans la population générale, le pic d’apparition des cancers se situe autour de 70 ans [3].
Le gène TP53 est un gène suppresseur de tumeur. Il est muté sur les 2 allèles dans environ 50 % des cancers [4] (→) ; la quasi-totalité des autres cancers chez l’homme sont associés à une inactivation de l’un des trois autres gènes suppresseurs de tumeurs présents au locus p15 INK4b -p14 ARF -p16 INK4a .
(→) Voir la Synthèse de O. Albagli, m/s n° 10, octobre 2015, page 869
Ma question était donc la suivante : pourquoi n’avons-nous pas plus de copies de ces gènes suppresseurs de tumeur, en particulier de TP53, repoussant ainsi l’âge d’apparition de cancers à un âge très avancé ?
On peut envisager deux réponses à cette question :
-
L’évolution n’est pas concernée par ce qui nous arrive après l’âge de la reproduction, ce qui expliquerait la plus grande incidence de cancers et de maladies neurodégénératives chez les personnes âgées.
-
Il y aurait un équilibre entre les effets protecteurs contre le cancer que pourraient apporter plus de gènes suppresseurs de tumeurs, comme le gène TP53, et les effets négatifs dus à un excès de signalisation qu’ils provoqueraient et qui entraîneraient la mort cellulaire dans de nombreux tissus lors du développement.
C’est en fait la deuxième hypothèse qui a prévalu initialement, de nombreux auteurs ayant montré qu’une surexpression de la protéine p53 exerçait un effet anti-tumoral, mais induisait également un vieillissement prématuré chez les souris surexprimant p53 [5–7].
Cependant, le rôle de la protéine p53 dans le syndrome de Li-Fraumeni a été confirmé chez l’animal, les souris ayant une seule copie du gène TP53 présentant une plus grande incidence de cancers comme dans ce syndrome [8].
Je décidais de reposer cette question, un peu naïve, en collaboration avec Manuel Serrano qui travaillait à Madrid (Spanish national cancer research center Madrid, Espagne) sur le cancer et la sénescence. Manuel proposa d’ajouter un gène TP53 dans le génome de souris, mais sous la forme d’un transgène BAC1 d’environ 100 kilobases (kb), ce qui permettait de le maintenir dans son contexte de régulation génomique habituel, contrairement aux souris transgéniques précédentes dans lesquelles le gène TP53 était activé de façon constitutive. Cette approche fit toute la différence. En effet, les souris BAC TP53 montrèrent une résistance aux cancers spontanés et induits, sans aucun signe de vieillissement accéléré ni de destruction cellulaire [9]. Manuel Serrano et ses collègues construisirent ensuite une souris avec un troisième locus p14-p16, également sous forme de transgène BAC. Ils observèrent à nouveau une résistance accrue à l’apparition de tumeurs [10]. Les souris les plus remarquables en termes de phénotype furent alors celles contenant les deux transgènes p53 et p14-p162. En effet, ces souris montrèrent une résistance aux cancers spontanés et induits, sans aucune lésion tissulaire détectable. De plus, ces souris présentaient une longévité légèrement supérieure à celle de souris contrôle (de 17 %), ce phénotype étant probablement causé par une surexpression des protéines anti-oxydantes, les sestrines [11]. Plus récemment, il a été montré que, dans ces souris, la présence de gènes additionnels codant les protéines p53 et ARF conduisait à une protection des cellules souches neuronales, apportant ainsi une explication supplémentaire à leur longévité [12].
L’étape suivante a été de vérifier in natura, si une amplification de gènes suppresseurs de tumeurs était associée à des cas spécifiques de résistance au cancer. Nous avons analysé les locus TP53 et CDKN2A (cyclin dependent kinase inhibitor 2A) chez 31 personnes âgées de 80 à 90 ans et ne montrant pas de lésion cancéreuse sur le plan clinique. Nous n’avons observé aucune amplification de ces gènes (F. Delbos et J.C. Weill, résultats non publiés). Ce résultat évoquait le fait que l’absence de tumeurs chez ces personnes avait pour origine d’autres mécanismes de résistance qu’il reste à élucider, et que ce phénomène d’amplification de gènes suppresseurs de tumeurs n’a pas été testé et fixé au cours de l’évolution humaine.
D’autres exemples de résistance au cancer ont été néanmoins décrits. Les patients atteints d’un syndrome de Down (ou trisomie 21) présentent très peu de tumeurs solides en comparaison avec les sujets sains du même âge. Ceci pourrait s’expliquer par le fait qu’ils portent trois copies du gène codant le facteur de transcription Ets2 (v-ets erythroblastosis virus E26 oncogene homolog 2) qui active le promoteur du gène INK4a (l’un des trois gènes du locus P14-P16) [13]. De plus, dans un modèle murin de syndrome de Down, la trisomie réprime les tumeurs intestinales induites par APCMin (adenomatous polyposis coli ; Min, multiple intestinal neoplasia) [14]. Malheureusement, le syndrome de Down confère un risque accru de 20 fois de déclencher une leucémie aiguë lymphoblastique (LAL-B), la polysomie 21 étant l’aneuploïdie somatique la plus fréquente dans cette leucémie. La triplication de la région 21q22 du chromosome 21 contribue à la transformation des lymphocytes B par l’intermédiaire de la surexpression de hMGN1 (high mobility group nucleosome binding domain 1)3 et de la perte de triméthylation sur la lysine 27 de l’histone H3 [15].
Dans le monde animal, l’exemple paradigmatique est le rat-taupe nu qui vit 30 ans en l’absence de lésion cancéreuse. Une des causes principales de cette résistance à l’apparition de tumeurs semble être l’hypersensibilité à l’inhibition de contact observée sur des fibroblastes en culture [16]. L’inhibition de contact, dans les cellules murines et humaines, est déclenchée par l’induction de p27kip14. À l’inverse, une inhibition précoce de contact chez le rat-taupe nu est associée à l’induction de p16ink4a. L’analyse du génome du rat-taupe a montré qu’il exprimait une nouvelle isoforme de p16ink4 qui s’ajoutait aux formes classiques p14ARF, p15, et p16ink4a [17]. Chez cet animal, la résistance aux tumeurs est relayée par des signaux provenant de l’acide hyaluronique extracellulaire, qui induisent l’expression de p16ink4. Les auteurs ont proposé que cette nouvelle isoforme de p16ink4 pourrait être responsable de l’augmentation de l’inhibition de contact observée dans ce modèle et expliquer, en partie, la résistance à l’apparition de tumeurs, ainsi que la longévité exceptionnelle de ce rongeur. Enfin, deux groupes de chercheurs ont proposé très récemment une explication à la résistance au développement de tumeurs des éléphants d’Afrique [18, 19] : les femelles peuvent se reproduire durant toute leur vie (qui atteint 60 à 80 ans) et, en dix ans, ces animaux passent de 100 à 3 000 kg, ce qui demande une prolifération cellulaire très intense qui pourrait nécessiter une protection spécifique contre l’apparition de tumeurs. Les auteurs de ces études ont ainsi montré que les éléphants possèdent, en plus des deux copies habituelles du gène TP53, 19 copies additionnelles sur chacun des deux chromosomes. Ces copies supplémentaires sont des rétro-gènes sans intron, mais certains d’entre eux sont transcrits et traduits. Cette expression est associée à une réponse accrue aux lésions de l’ADN. Il reste à démontrer comment ces copies additionnelles exercent cette protection, alors qu’elles codent une isoforme de p53 incapable de former des tétramères et donc de se lier aux gènes cibles dont l’expression est nécessaire à l’induction d’une réponse aux lésions de l’ADN. Une proposition des auteurs est que ces protéines sont capables de stabiliser la forme normale de p53 en formant des dimères qui, ne pouvant former des tétramères, ne pourront pas se lier à la molécule mdm2 (murine double minute 2)5, une enzyme responsable de la dégradation de p53 et donc inhibitrice de son activité [19].
En conclusion, il semble possible d’augmenter la résistance aux tumeurs solides sans aucun effet délétère évident chez certaines espèces. L’examen d’autres espèces de gros animaux devrait permettre de préciser le statut d’amplification de TP53 et d’autres gènes suppresseurs de tumeurs. De vivre en bonne santé après l’âge de la reproduction représente donc un énorme défi pour les humains, puisqu’il impose de compenser ce qui n’a pas été sélectionné par des millions d’années d’évolution [20].
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Remerciements
Je remercie Simon Fillatreau et Sébastien Storck pour la relecture critique de cet article.
Un transgène BAC (bacterial artificial chromosome) consiste en l’introduction dans un génome eucaryote d’un large fragment de chromosome de plusieurs dizaines de milliers de paires de base, déjà annoté, et permettant ainsi d’introduire outre le gène d’intérêt lui-même, toutes les séquences régulatrices qui peuvent jouxter celui-ci, parfois localisées à de grandes distances. Le contrôle de l’expression du gène se rapproche donc alors du contrôle exercé sur cette expression dans des conditions physiologiques normales.
Le gène CDKN2A code plusieurs protéines, issues de divers épissages alternatifs, notamment la protéine p16ink4a (ink4a : inhibiting CDK4) ou p16, et la protéine ARF (alternative open reading frame) ou p14ARF. La protéine p15 (appelée également p15ink4b) est codée par le gène CDKN2B, situé à proximité du gène CDKN2A.
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