Free Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 33, Number 1, Janvier 2017
Matériaux pour la médecine de demain
Page(s) 84 - 86
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/20173301014
Published online 25 January 2017

Le système nerveux central humain peut être affecté par des processus pathologiques variés causant, la plupart du temps, des brèches plus ou moins étendues dans l’architecture neurale. Ces lésions cérébrales sont soit aiguës (c’est-à-dire se produisant de façon brutale), comme dans le cas de l’accident vasculaire ischémique, soit progressives et diffuses, comme dans le cas des maladies neurodégénératives (par exemple la maladie d’Alzheimer) ou des tumeurs neurologiques à progression lente (par exemple les gliomes diffus de bas grade). Dans ces deux cas de figure, le cerveau humain est confronté à un défi majeur : préserver son architecture fonctionnelle malgré les dommages structuraux induits par la lésion.

Récemment encore, il était généralement admis par la communauté scientifique que le potentiel neuroplastique du cerveau, c’est-à-dire sa capacité à se réorganiser lui-même en réponse à un événement pathologique, était très limité. Cette croyance s’appuyait avant tout sur les observations réalisées chez les patients atteints d’un accident vasculaire cérébral. Le plus souvent, ces patients souffrent de déficits fonctionnels durables, difficilement compensables, malgré la mise en place de stratégies intensives de réhabilitation fonctionnelle. Ceci a grandement contribué à conforter l’idée - fausse - selon laquelle le cerveau humain se caractérise par une organisation neurale figée. Cette idée, enracinée dans la vieille thèse du localisationnisme1 cortical du XIXe siècle, qui dépeint le cerveau comme une vaste mosaïque de structures hyperspécialisées et donc non interchangeables d’un point de vue fonctionnel, est encore omniprésente aujourd’hui. Selon la logique de ce courant de pensée, une lésion d’une structure fonctionnelle induit nécessairement une perturbation comportementale ou cognitive spécifique et, surtout, irréversible. Pourtant, en parallèle, des cas d’atteinte massive du système nerveux central, sans conséquence fonctionnelle durable, ont été régulièrement décrits dans la littérature scientifique et médicale, mettant ainsi à mal la valeur heuristique de ce modèle de fonctionnement. Le système nerveux central a donc la capacité, au moins dans certaines circonstances, de compenser des circuits neuronaux endommagés et de maintenir l’homéostasie fonctionnelle. Les cas de récupérations spontanées, parfois spectaculaires, sont bien mieux expliqués par un modèle connexionniste du système nerveux central. Dans ce modèle, le cerveau est conçu comme un ensemble complexe de réseaux neuronaux, parallèlement distribués, interconnectés et, pour certains d’entre eux, redondants. Dans un tel contexte, grâce à l’étude des processus dynamiques nécessaires aux mécanismes de réorganisation cérébrale, il devient plus aisé de rendre compte des phénomènes de résilience cognitive2, chez certains patients, malgré des lésions massives du tissu neural.

Les cas les plus impressionnants de plasticité fonctionnelle chez l’humain adulte proviennent certainement des observations réalisées auprès des patients atteints d’un gliome diffus de bas grade [1], une tumeur neurologique primaire qui se développe généralement chez le patient jeune (36 ans en moyenne). Ces patients, malgré la présence de lésions importantes voire spectaculaires en termes de volume cérébral affecté, ne présentent pas de trouble neurologique majeur. D’ailleurs, la découverte de la lésion, sauf à de très rares exceptions, se fait à la suite d’une épilepsie inaugurale3 et non suite à une plainte neurologique. Ceci ne signifie pas pour autant que les patients ne souffrent d’aucun trouble. Des évaluations neuropsychologiques fines permettent en effet, parfois, de détecter des perturbations faibles ou très modérées de certaines fonctions cognitives comme l’attention, même chez des patients asymptomatiques [2]. La compensation fonctionnelle optimale qui se met en place lors du développement d’un gliome diffus de bas grade est liée au caractère lentement évolutif des lésions qui lui sont associées. Elles laissent le temps au système nerveux central de se réorganiser progressivement [3]. Ces lésions à évolution lente permettent ainsi de comprendre pourquoi il est possible de réaliser des exérèses4 chirurgicales majeures dans des structures pourtant considérées comme cruciales ou éloquentes5 pour certaines fonctions cérébrales (comme par exemple l’aire de Broca [4] pour le langage ou le cortex préfrontal médial pour la cognition sociale [5, 6]) sans pour autant induire de déficits fonctionnels à long terme.

Les mécanismes de plasticité cérébrale sont particulièrement efficients dans le cadre des gliomes de bas grade, témoignant du potentiel considérable du cerveau à se réorganiser. Cependant, les constats réalisés pendant la chirurgie éveillée de ces tumeurs (voir ci-après) suggèrent qu’il existe une variabilité importante dans le potentiel neuroplastique des structures cérébrales [7]. En particulier, certaines structures infiltrées par la lésion restent, dans une certaine mesure, fonctionnelles alors que d’autres semblent ne plus avoir aucun rôle fonctionnel. Autrement dit, la plasticité post-lésionnelle pourrait être contrainte par la topographie spatiale des structures cérébrales lésées au sein des réseaux fonctionnels.

Pour mieux comprendre les facteurs anatomiques qui gouvernent la plasticité fonctionnelle, notre équipe a établi, pour l’ensemble du cerveau, une cartographie du potentiel neuroplastique. Pour cela, nous nous sommes appuyés à la fois sur les cartographies fonctionnelles peropératoires (obtenues pendant la chirurgie éveillée) et sur les images structurales du cerveau d’une cohorte, jamais atteinte auparavant, de 231 patients opérés pour un gliome diffus de bas grade. La chirurgie éveillée du cerveau est une technique chirurgicale qui consiste à réveiller le patient pendant la chirurgie. On lui demande alors de réaliser un ensemble de tâches motrices, cognitives ou de langage pendant que le chirurgien applique des électrostimulations avec un stimulateur bipolaire à la surface du cerveau, ou en profondeur (au fur et à mesure de l’ablation tumorale), au niveau des connexions anatomiques. Si le patient échoue à la tâche pendant la stimulation, et ce de façon reproductible, on sait que la région en question (qui n’est qu’une partie d’un réseau neural complexe) reste fonctionnelle malgré l’invasion de la lésion ; elle sera alors préservée du geste chirurgical, ce qui permettra au patient de récupérer de façon optimale après la chirurgie. A contrario, si la région stimulée ne provoque pas de déficit dans la tâche appropriée, on sait qu’elle a été compensée. Au-delà du fait qu’elle permet de réaliser une véritable topographie fonctionnelle des structures cruciales pour la fonction, l’électrostimulation s’avère ainsi être un outil unique pour étudier les potentialités et les limites de la plasticité cérébrale.

Dans notre étude parue dans la revue Brain [8], notre raisonnement a été très simple. Nous avons tout d’abord considéré que les structures cérébrales qui demeurent fonctionnelles (selon la cartographie électrique) alors qu’elles sont infiltrées par la lésion, sont réfractaires à la compensation fonctionnelle. Elles sont donc préservées du geste chirurgical, ce qui n’est pas le cas pour les autres structures. à partir de ce principe, sur la base des images anatomiques pré- et postopératoires, nous avons calculé un indice de plasticité fonctionnelle (et ce pour chacun des 600 000 voxels6 du cerveau qui étaient inclus dans nos analyses) qui exprime la probabilité d’observer une réponse fonctionnelle dans le tissu lésé. Dans cette cartographie probabiliste (Figure 1), un indice de 0 indique que la région n’est plus fonctionnelle (compensation fonctionnelle maximale) et un indice de 1, que la région reste fonctionnelle malgré la lésion (pas de compensation fonctionnelle).

thumbnail Figure 1.

Carte de compensation fonctionnelle chez les patients atteints d’un gliome de bas grade. Une valeur de 0 (couleur noire) indique que la probabilité d’observer une réponse fonctionnelle pendant la stimulation électrique est nulle lorsque le tissu cérébral est lésé (compensation fonctionnelle maximale), alors qu’une valeur de 1 (couleur rouge) indique que la probabilité d’observer une réponse fonctionnelle pendant la stimulation électrique est importante malgré l’infiltration lésionnelle (compensation fonctionnelle nulle). Les nombres à côté de chaque coupe cérébrale indiquent le niveau horizontal (z) de la coupe.

Les résultats obtenus ont permis de mettre en évidence que la majorité des régions corticales, à l’exception des régions sensorimotrices primaires, des aires associatives unimodales et de certains hubs neuronaux tels que la partie postérieure du gyrus cingulaire ou de la partie postérieure du gyrus temporal supérieur, sont fonctionnellement compensées (indice proche de zéro). En revanche, et c’est le résultat majeur de cette étude, les structures profondes, formant essentiellement la connectivité associative et de projection, se caractérisent quant à elles par une compensation fonctionnelle très faible. Ceci démontre clairement que les structures permettant la communication fonctionnelle interrégionale, et à plus grande échelle intra- et inter-hémisphérique, revêtent un rôle crucial dans le fonctionnement intrinsèque du cerveau. Autrement dit, nos résultats suggèrent que, comparativement à la majeure partie du cortex, la connectivité axonale est moins susceptible d’être compensée du fait probablement de sa position centrale au sein des réseaux fonctionnels, notamment neurocognitifs. Ces découvertes nous ont conduits à réaffirmer l’idée d’un « cerveau minimum commun » [7], d’un cœur de connectivité indispensable à l’expression normale des fonctions cérébrales.

Notre atlas a été constitué à partir de l’étude de patients porteurs d’un gliome de bas grade mais les résultats qui en sont issus vont au-delà de cette pathologie cérébrale. Il est en effet de plus en plus admis qu’une caractéristique physiopathologique centrale chez les patients présentant des troubles neurologiques importants, dans pratiquement tous les cas, est une atteinte de la connectivité structurelle. Par exemple, une étude récente publiée dans la revue Neuron a démontré que la majeure partie des troubles neuropsychologiques persistants chez les patients victimes d’un accident vasculaire cérébral était attribuable à l’atteinte de la connectivité de substance blanche associative [9]. De fait, notre atlas peut être utilisé comme un outil d’aide à la décision. Au-delà des implications fondamentales et des applications cliniques de notre travail, notamment pour la planification pré-chirurgicale, il peut en effet permettre d’évaluer la probabilité de récupération fonctionnelle dans divers contextes pathologiques. Il pourrait même être utilisé pour adapter, à partir de leurs images morphologiques, la prise en charge rééducative de certains patients.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Théorie attribuant une fonction cérébrale à une aire précise du cerveau.

2

Préservation des fonctions cognitives malgré une atteinte neurologique.

3

Première crise d’épilepsie.

4

Retrait chirurgical d’une structure ou d’un tissu.

5

Terme utilisé essentiellement en neurochirurgie et en neurologie pour qualifier une région cérébrale fonctionnelle.

6

Volume d’une image numérisée qui représente un corps en trois dimensions.

Références

  1. Duffau H. Lessons from brain mapping in surgery for low-grade glioma: insights into associations between tumour and brain plasticity. Lancet Neurol 2005 ; 4 : 476–486. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Cochereau J, Herbet G, Duffau H Patients with incidental WHO grade II glioma frequently suffer from neuropsychological disturbances. Acta Neurochir 2016 ; 158 : 305–312. [CrossRef] [Google Scholar]
  3. Desmurget M, Bonnetblanc F, Duffau H Contrasting acute and slow-growing lesions: a new door to brain plasticity. Brain 2007 ; 130 : 898–914. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Plaza M, Gatignol P, Leroy M, Duffau H Speaking without Broca’s area after tumor resection. Neurocase 2009 ; 15 : 294–310. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Herbet G, Lafargue G, Bonnetblanc F, et al. Is the right frontal cortex really crucial in the mentalizing network? A longitudinal study in patients with a slow-growing lesion. Cortex 2013 ; 49 : 2711–2727. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Herbet G, Lafargue G, Bonnetblanc F, et al. Inferring a dual-stream model of mentalizing from associative white matter fibres disconnection. Brain 2014 ; 137 : 944–959. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Ius T, Angelini E, Thiebaut de Schotten M, et al. Evidence for potentials and limitations of brain plasticity using an atlas of functional resectability of WHO grade II gliomas: towards a minimal common brain. Neuroimage 2011 ; 56 : 992–1000. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Herbet G, Maheu M, Costi E, et al. Mapping neuroplastic potential in brain-damaged patients. Brain 2016 ; 139 : 829–844. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Corbetta M, Ramsey L, Callejas A, et al. Common behavioral clusters and subcortical anatomy in stroke. Neuron 2015 ; 85 : 927–941. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

© 2017 médecine/sciences – Inserm

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Carte de compensation fonctionnelle chez les patients atteints d’un gliome de bas grade. Une valeur de 0 (couleur noire) indique que la probabilité d’observer une réponse fonctionnelle pendant la stimulation électrique est nulle lorsque le tissu cérébral est lésé (compensation fonctionnelle maximale), alors qu’une valeur de 1 (couleur rouge) indique que la probabilité d’observer une réponse fonctionnelle pendant la stimulation électrique est importante malgré l’infiltration lésionnelle (compensation fonctionnelle nulle). Les nombres à côté de chaque coupe cérébrale indiquent le niveau horizontal (z) de la coupe.

Dans le texte

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