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Med Sci (Paris)
Volume 32, Number 8-9, Août–Septembre 2016
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Page(s) | 771 - 773 | |
Section | Dossiers techniques | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/20163208027 | |
Published online | 12 September 2016 |
La biopile enzymatique à glucose/oxygène
Quelques nuances de Grays…
Shades of grays for implanting an enzymatic biofuel cell
1
Université Grenoble Alpes/CNRS/Inserm/TIMC-IMAG UMR 5525, 38041
Grenoble, France
2
ARC-Nucléart CEA-Grenoble, 17, rue des Martyrs, F38054 Grenoble Cedex 9, France
3
Stérilisation centrale, CHU de Grenoble, 38700
La Tronche, France
Une biopile enzymatique implantable est un dispositif produisant du courant uniquement à partir du glucose et de l’oxygène naturellement et constamment présents dans l’organisme. Les enzymes présentes aux électrodes oxydent le glucose et réduisent l’oxygène, ce qui génère un flux d’électrons dans un circuit électrique associé. Cette microcentrale électrique, qui peut fournir une tension de presque un volt, pourra alimenter sur une longue période la future génération de robots implantables. Tout dispositif médical implantable doit être stérilisé avant son implantation. Comme le principe actif de cette biopile est composé d’enzymes, la question de la stérilisation de ce nouveau type de dispositif s’est posée.
Abstract
An implanted biofuel cell (IBFC) is a novel device that provides the means to create electricity from glucose and oxygen, using an original architecture for the IBFC that provides efficient work inside a living organism. In the future these IBFCs will be required to power implanted devices to assist failing physiological functions in humans. The active ingredients of such IBFCs are glucose oxidase at the anode and laccase at the cathode. These enzymes are entrapped in a 3D network of conductive and insulated materials. This publication solves the issue of the sterilization of such a complex device, using gamma irradiation. A 12kGy dose was sufficient to show absence of implant infection in all the implantations performed. We also prove in vitro functioning of both bioelectrodes with a high dose of 42kGy.
© 2016 médecine/sciences – Inserm
Qu’est-ce qu’une biopile implantable ?
La biopile enzymatique implantable que nous développons permet de générer de l’énergie électrique grâce à des enzymes immobilisées sur des électrodes, à partir de glucose et d’oxygène, substrats présents dans l’organisme et potentiellement inépuisables. Tant que les enzymes fonctionnent, et que les substrats diffusent librement, il est possible de fournir du courant de façon quasi illimitée à des dispositifs médicaux électroniques pouvant suppléer des fonctions défaillantes chez l’homme. Le principe de fonctionnement est illustré par la Figure 1 . Le glucose est oxydé à la bioanode par la glucose oxydase qui fournit des électrons au circuit. Après passage dans le circuit électrique, ces électrons sont récupérés au niveau de la biocathode. À ce niveau, la laccase1 sert à réduire le dioxygène en eau. Ces bioélectrodes ont la forme d’une pastille contenant les enzymes immobilisées dans un réseau tridimensionnel de matériau nanostructuré. La preuve de concept in vivo a été réalisée par Cinquin et al. en 2010 [1]. Cette biopile fournit actuellement suffisamment d’énergie (40 µW) pour alimenter des dispositifs tels qu’un pacemaker [2]. Notre équipe a récemment implanté chez le rat une bioélectrode modifiée qui a conservé son activité après une durée de 167 jours [3].
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Figure 1. Principe de fonctionnement d’une biopile alimentant un dispositif médical électronique. Le dispositif est relié à des électrodes miniaturisées d’excitation (1), des biocapteurs physiologiques (2), des dispositifs gourmands en énergie comme un sphincter urinaire artificiel (3) ou un distributeur de drogues (4). GOx : glucose oxydase. |
Utilisation de l’ionisation pour la stérilisation du dispositif
L’implantation d’un dispositif médical électronique alimenté par une biopile pose le problème de sa stérilisation. Pour les applications contenant du matériel biologique, ce qui est le cas de la biopile enzymatique, l’autoclavage est proscrit car les enzymes sont dénaturées par la chaleur. Deux types de stérilisation à froid restent alors possibles : l’une utilisant le peroxyde d’hydrogène (H2O2) sous vide d’air, l’autre les radiations ionisantes.
La stérilisation au H2O2 est un procédé couramment utilisé dans les hôpitaux pour les dispositifs médicaux implantables. Malheureusement, la structure des bioélectrodes est fortement dégradée sous l’effet du vide partiel. De plus, les enzymes sont presque totalement inactivées par la dose d’agent oxydant. Nous nous sommes donc intéressés à la stérilisation via les rayonnements ionisants (RI).
L’action des RI sur la cellule a été théorisée il y a un siècle grâce aux travaux de Marie Curie [4] et s’utilise couramment lors des traitements en radiothérapie. La réponse cellulaire aux RI permet d’appréhender les mécanismes de radiosensibilité [5] (→) et d’optimiser les traitements (radiothérapie FLASH [6]) (→).
(→) Voir la Synthèse de N. Foray et al., m/s n° 4, avril 2013, page 397
(→) Voir la Nouvelle de V. Favaudon et al., m/s n° 2, février 2015, page 121
L’unité internationale de mesure de dose absorbée est le Gray (1Gy = 1J/kg). Alors que la dose moyenne lors d’une séance de radiothérapie est de 2Gy, la dose appliquée pour la stérilisation de dispositifs médicaux est 10 000 fois plus élevée, car les micro-organismes sont beaucoup plus résistants aux radiations ionisantes que nos cellules. Les photons de haute énergie interagissent avec la matière en ionisant les noyaux des atomes qu’ils rencontrent et en éjectant un électron. Les radicaux formés sont très réactifs et permettent de casser les liaisons chimiques ou d’en former de nouvelles. Les rayonnements ionisants sont couramment utilisés pour la stérilisation de dispositifs médicaux selon les normes ISO 11137 et EN 552 [7, 8].
La stérilisation de la biopile implantable a pour objectif de garantir un niveau d’assurance de stérilité de 10-6 (absence d’1 million de germe dans l’implant). À forte dose, c’est l’effet cumulé des RI sur les constituants cellulaires, en particulier les lipides membranaires, qui sont à l’origine de l’effet létal recherché sur les microorganismes. La radiolyse de l’eau, qui génère un grand nombre d’espèces réactives de l’oxygène, amplifie ce phénomène. Ces effets indirects sont loin d’être négligeables : la nature et l’état d’hydratation des échantillons peuvent mener à des résultats totalement différents. Les principales modifications observées sur les protéines concernent leurs structures tertiaire et quaternaire, les liaisons étant déstabilisées, voire rompues. Les conséquences sont dévastatrices pour l’activité des enzymes en solution.
La dose de 25 à 50 kGy utilisée en routine peut être diminuée si l’on peut toutefois garantir la stérilité du dispositif, en se basant sur la biomasse initiale et sa radiosensibilité. Dans notre application, un compromis est à trouver entre les différents paramètres influant la radiosensibilité des microorganismes (nature et quantité de la biomasse, hydratation, humidité, température, présence d’oxygène, etc.) et la sensibilité des composants de la biopile que les RI à forte dose pourraient altérer.
Les effets des RI sont plus rapidement visibles sur les enzymes en solution (Figure 2). À la dose faible de 6 kGy, la laccase en solution perd déjà la moitié de son activité. Par contre, lorsque la laccase est immobilisée dans une électrode, elle est beaucoup plus résistante. La délivrance d’une dose de 12 ou 42 kGy aux électrodes permet en effet de conserver une activité résiduelle de 70 %. Ces résultats valident donc notre choix de cette méthode pour la stérilisation. D’après la littérature, les doses de RI utilisées ont peu d’impact sur la structure des autres composants de l’électrode : le silicone est inerte [7], le chitosan2 peu réactif [9] et les nanotubes de carbone ont même une action anti-radicalaire [10]. En revanche, l’effet des RI est important lorsque l’électrode est stérilisée en milieu aqueux : après une ionisation à une dose de 42 kGy, la perte d’activité est alors de presque 80 %. Il est donc primordial de tenir compte de la radiolyse de l’eau et d’éviter la présence d’eau au sein des électrodes au cours de l’ionisation.
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Figure 2. Activité résiduelle de la laccase en solution ou immobilisée dans la biocathode en fonction de la dose de rayonnements ionisants. |
Une dose minimale de RI pour garantir une biopile implantable stérile
Afin de tester l’efficacité de la stérilisation des bioélectrodes, nous avons utilisé des spores de Geobacillus stearothermophilus (bactérie à Gram positif). Les spores de bactéries contiennent moins d’eau (10-15 %) que les formes végétatives des bactéries (80 %), et sont donc plus résistantes aux radiations ionisantes. Nous avons utilisé ces spores pour évaluer la relation dose-effet des RI. La D10 (c’est-à-dire la dose nécessaire pour réduire la quantité d’un microorganisme d’un facteur 10) a été évaluée à 2,4 kGy. Une dose de 10 fois la D10 est préconisée pour stériliser un implant contaminé avec des spores bactériennes, soit 25 kGy. Une dose de 12 kGy est cependant suffisante pour à la fois éviter la dégradation de certains composants de l’électrode et garantir la stérilité de l’implant. Cette dose a été choisie pour stériliser des bioélectrodes implantées dans la cavité intra-abdominale de trois modèles animaux (rat, lapin, brebis). Les études de biocompatibilité des bioélectrodes réalisées [3] ou en cours de publication chez ces trois espèces montrent l’absence d’infection des implants.
Conclusion
Cette étude fait sauter un verrou important pour l’implantation de ce dispositif complexe. Une stérilisation à forte dose de radiation permet non seulement de stériliser efficacement la biopile mais également de conserver une activité biologique suffisante pour continuer son développement. Nous utilisons à l’heure actuelle une capsule électronique pour collecter les données de la biopile. Les rayonnements ionisants étant incompatibles avec les dispositifs électroniques, notamment les semi-conducteurs par passage d’électrons dans la bande de conduction, les deux parties du dispositif sont stérilisées séparément : la partie électronique par une stérilisation à basse température avec H2O2 et la partie biopile par une ionisation au rayonnement gamma. Les deux parties stérilisées sont ensuite connectées dans un environnement stérile par des fils isolés.
Cette méthode de stérilisation représente une étape importante dans l’optimisation de l’implantation de dispositifs médicaux de nouvelle génération. Le suivi du dispositif in vivo est en cours… affaire à suivre !
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Cinquin P, Gondran C, Giroud F, et al. A glucose biofuel cell implanted in rats. PLoS One 2010 ; 5 : e10476. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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Liste des figures
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Figure 1. Principe de fonctionnement d’une biopile alimentant un dispositif médical électronique. Le dispositif est relié à des électrodes miniaturisées d’excitation (1), des biocapteurs physiologiques (2), des dispositifs gourmands en énergie comme un sphincter urinaire artificiel (3) ou un distributeur de drogues (4). GOx : glucose oxydase. |
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Figure 2. Activité résiduelle de la laccase en solution ou immobilisée dans la biocathode en fonction de la dose de rayonnements ionisants. |
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