Issue |
Med Sci (Paris)
Volume 32, Number 8-9, Août–Septembre 2016
|
|
---|---|---|
Page(s) | 768 - 770 | |
Section | Dossiers techniques | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/20163208026 | |
Published online | 12 September 2016 |
Vers une électrophysiologie optique in vivo
Towards optical in vivo electrophysiology
1
Department of physiology, Feinberg school of medicine, Northwestern university, 303 East Chicago avenue, Chicago, IL
60611, États-Unis
2
Laboratoire de physiologie et pharmacologie (CP604), faculté de médecine, Université Libre de Bruxelles, route de Lennik 808, B-1070 Bruxelles, Belgique
*
laurie.lambot@northwestern.edu
**
dgall@ulb.ac.be
La capacité de mesurer simultanément et in vivo l’activité électrique dans différentes régions du cerveau est l’un des outils clés nécessaires au progrès des neurosciences. Or, comparativement aux techniques électrophysiologiques permettant de mesurer l’activité neuronale à l’échelle cellulaire, nous disposons de peu de moyens permettant l’étude fonctionnelle des circuits neuronaux, en particulier in vivo. L’essentiel de nos connaissances dérive d’extrapolations des données électrophysiologiques obtenues au niveau cellulaire, le plus souvent ex vivo. Ces données, très parcellaires, permettent difficilement d’appréhender les propriétés émergentes de populations neuronales interconnectées, limitant ainsi notre compréhension de l’interaction entre physiologie et connectivité dans des situations normales et pathologiques. Nous présentons ici de nouveaux types d'indicateurs fluorescents permettant de réaliser des enregistrements électrophysiologiques optiques in vivo.
Abstract
Optical imaging of voltage indicators is a promising approach for detecting the activity of neuronal circuits with high spatial and temporal resolution. In this context, genetically encoded voltage indicators, combining genetic targeting and optical readout of transmembrane voltage, represent a technological breaktrough that will without doubt have a major impact in neuroscience. However, so far the existing genetically encoded voltage indicators lacked the capabilities to detect individual action potentials and fast spike trains in live animals. Here, we present a novel indicator allowing high-fidelity imaging of individual spikes and dentritic voltage dynamics in vivo. Used in combination with optogenetics, which allows to manipulate neuronal activity, this opens the possibility of an all-optical electrophysiology.
© 2016 médecine/sciences – Inserm
Mesures optiques du potentiel membranaire
Une approche expérimentale prometteuse, développée depuis plus de quarante ans, repose sur l’imagerie fonctionnelle basée sur l’utilisation d’indicateurs fluorescents sensibles au potentiel membranaire [1]. Cette technique permet potentiellement une mesure directe et simultanée de la dynamique spatiotemporelle de l’activité électrique d’un grand nombre de neurones et donc, de la connectivité des réseaux impliqués. Néanmoins, cette stratégie expérimentale était jusqu’ici en butte à des limitations techniques importantes, liées aux types de molécules fluorescentes utilisées. En effet, s’il existe des indicateurs fluorescents de synthèse ayant une résolution temporelle suffisante pour détecter les potentiels d’action, leur sensibilité est relativement faible [2] ; typiquement, une modification de 100 mV, ce qui correspond à l’amplitude d’un potentiel d’action, entraîne une modification de l’intensité de fluorescence de l’ordre de 2 à 10 %. Le marquage cellulaire par ces molécules est obtenu soit par micro-injection, soit par pré-incubation. Dans le premier cas, la difficulté technique inhérente à l’injection au niveau cellulaire rend impossible le marquage d’un grand nombre de cellules. Dans le second cas, la pré-incubation induit un marquage indiscriminé qui ne permet pas le ciblage d’un circuit neuronal précis. Récemment, une nouvelle classe d’indicateurs, codés génétiquement, a permis de dépasser ces limitations.
Une nouvelle classe d’indicateurs fluorescents codés génétiquement
Les indicateurs fluorescents codés génétiquement permettent de cibler des populations neuronales spécifiques en utilisant des techniques d’expression génique existantes et éprouvées comme le système Cre/Lox1 ou le recours à des vecteurs viraux. De premiers indicateurs performants ont été créés et ont déjà eu un impact majeur dans les neurosciences : des indicateurs fluorescents sensibles à la concentration en calcium [3]. Néanmoins, la mesure des signaux calciques ainsi obtenue ne constitue pas un reflet fidèle de l’activité électrique neuronale. En effet, faute d’une résolution temporelle suffisante, elle ne permet pas la mesure des potentiels d’action neuronaux, en particulier à haute fréquence2. De plus, elle ne peut détecter des modifications du potentiel membranaire n’entraînant pas d’entrée de calcium extracellulaire. Dès lors, le recours à des indicateurs codés génétiquement et sensibles au potentiel membranaire est nécessaire. Débutés à la fin des années 1990, les progrès dans le développement de ces indicateurs se sont avérés nettement plus lents que ceux réalisés dans la mise au point des sondes calciques codées génétiquement.
Quatre approches ont été utilisées dans la conception de ces indicateurs sensibles au potentiel membranaire (Figure 1). La première a consisté à fabriquer une protéine de fusion comprenant une protéine fluorescente et un domaine transmembranaire sensible au potentiel. Néanmoins, les indicateurs ainsi obtenus, dont l’un des plus récents est ASAP1 (accelerated sensor of action potentials 1) [4], se sont avérés peu performants tant en terme de sensibilité que de résolution temporelle. Dans une seconde approche, la protéine de fusion comprenait un domaine sensible au potentiel et une paire de protéines fluorescentes. Le potentiel de membrane pouvait ainsi moduler l’émission fluorescente par transfert d’énergie par résonance de type Förster (FRET, Förster resonance energy transfer) entre les deux fluorophores3 (pour plus d’explications voir [5]) (→).
(→) Voir le Dossier technique de G. Trugnan et al., m/s n° 11, novembre 2004, page 1027
![]() |
Figure 1. Mécanismes moléculaires permettant de rendre la fluorescence d’indicateurs - codés génétiquement - sensible au potentiel membranaire. La partie supérieure de la figure illustre la configuration moléculaire des indicateurs lorsque la membrane est hyperpolarisée, et la partie inférieure, lorsque la membrane est dépolarisée. A. Un premier mécanisme possible utilise une protéine de fusion comprenant une protéine fluorescente (FP) et un domaine transmembranaire sensible au potentiel (DTMV). Lors d’une dépolarisation, le changement de conformation induit une diminution de l’émission de lumière par la protéine fluorescente. B. Une seconde possibilité consiste en une protéine de fusion comprenant un domaine sensible au potentiel et une paire de protéines fluorescentes permettant une émission fluorescente par transfert d’énergie par résonance de type Förster (FRET, Förster resonance energy transfer) entre les deux fluorophores lors d’une dépolarisation membranaire. C. La troisième approche repose sur l’utilisation d’opsines bactériennes. Parmi ces constructions moléculaires, Arch (archaerhodopsin) montre une fluorescence intrinsèque sensible aux variations du potentiel due à un transfert de proton. À un potentiel dépolarisé, l’opsine comprend une base de Schiff (double liaison carbone azote, l’azote étant lié à un groupe aryle ou alkyle) protonée. Dans cette configuration l’opsine absorbe fortement les longueurs d’ondes d’excitation et l’émission de fluorescence augmente. À un potentiel hyperpolarisé, aucune fluorescence n’est émise. D. La quatrième approche comprend des indicateurs utilisant le FRET entre une protéine fluorescente et une opsine. Lorsque la membrane est dépolarisée, l’opsine est protonée, il n’y a pas de transfert d’énergie par FRET et aucune fluorescence n’est émise par la protéine annexe. DTM : domaine transmembranaire. |
Ces sondes présentent une meilleure sensibilité au potentiel membranaire mais leur cinétique reste trop lente pour permettre une mesure fidèle des potentiels d’actions [6]. La troisième catégorie de sondes repose sur l’utilisation d’opsines4 bactériennes dont la fluorescence intrinsèque est sensible aux variations du potentiel membranaire. Cependant, même les variantes les plus brillantes et qui présentent une grande sensibilité de mesure sont faiblement fluorescentes [7]. Enfin, très récemment, des indicateurs utilisant le FRET entre une protéine fluorescente et une opsine ont été créés [8], dont les Ace-mNeon [9]. Les Ace-mNeon sont des protéines de fusion composées d’une rhodopsine provenant de Acetabularia acetabulum 5 et d’une protéine fluorescente mNeonGreen6, permettant une émission optimale par FRET. Ces sondes présentent à la fois une grande sensibilité aux variations du potentiel membranaire et une fluorescence intense.
Les données obtenues in vitro montrent que les Ace-mNeon permettent une détection des potentiels d’action avec une fidélité remarquable, mais également qu’elles s’avèrent capables de mesurer des modifications minimes du potentiel membranaire en l’absence d’activité électrique. Lors d’un saut du potentiel membranaire de 100 mV, cette sonde présente une variation de fluorescence, mesurée à l’état stationnaire, supérieure à 80 %, cette réponse présentant une dépendance linéaire au potentiel membranaire dans tout l’intervalle physiologique. La résolution temporelle obtenue est de plus inférieure à la milliseconde, permettant ainsi la détection des potentiels d’action neuronaux.
Application à l’étude de circuits neuronaux in vivo
Afin de pouvoir utiliser ces indicateurs, l’aspect le plus crucial est de vérifier si la sensibilité observée in vitro permet effectivement des mesures in vivo. Dans ce but, Gong et al. [9] ont sélectivement exprimé la sonde Ace-mNeon dans les neurones des couches 2/3 du cortex visuel7 de la souris. L’activité électrique de ces neurones marqués, situés à plus de 100 µm sous la surface du cerveau, a pu ainsi être mesurée optiquement dans le cerveau d’une souris anesthésiée. La résolution temporelle obtenue dans ces conditions a permis d’observer des potentiels d’action séparés par des intervalles allant jusqu’à 10 ms. Cette résolution temporelle est vingt fois meilleure que celle obtenue avec GCaMP6f, un indicateur codé génétiquement sensible aux variations de concentrations de calcium intracellulaire et possédant une cinétique rapide [10]. Ces résultats démontrent également que la capacité de détection des potentiels in vivo par Ace-mNeon est équivalente à celle obtenue par les techniques électrophysiologiques classiques.
Il est dès lors possible d’étudier directement l’activation in vivo de circuits neuronaux spécifiques activés lors de tâches comportementales. L’activité électrique de neurones exprimant l’Ace-mNeon dans les couches 2/3 du cortex visuel primaire a ainsi pu être enregistrée lors du traitement de l’information visuelle chez des souris éveillées. Cette méthode a également pu être utilisée pour la drosophile, chez laquelle les enregistrements électrophysiologiques in vivo sont difficiles à réaliser. Dans cette espèce, des mesures optiques ont pu être effectuées dans les neurones olfactifs exprimant l’Ace-mNeon. La détection optique des potentiels d’action in vivo a pu être ainsi corrélée à la présentation de stimulus olfactifs spécifiques. Au niveau subcellulaire, ces mesures ont également pu mettre en évidence la propagation des signaux électriques des dendrites vers l’axone, un effet que ni l’imagerie calcique ni l’électrophysiologie ne permettaient jusqu’à présent de mesurer in vivo.
Observer et manipuler les réseaux neuronaux in vivo
La mise au point d’indicateurs fluorescents codés génétiquement permettant la mesure fidèle de l’activité électrique ouvre la voie à une approche purement optique de l’électrophysiologie. En effet, l’utilisation de tels outils en combinaison avec l’optogénétique [11] va permettre à la fois de mesurer et de manipuler l’activité électrique au niveau cellulaire in vivo dans des circuits neuronaux spécifiques. Il ne fait aucun doute qu’une telle stratégie permettra de réaliser des progrès décisifs en neurosciences. ‡
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Le cortex est composé de 6 couches cellulaires qui diffèrent par le type cellulaire et le type de connexions. La couche 2 est appelée couche granulaire externe et contient des cellules étoilées et des petites cellules pyramidales. La couche 3 est appelée couche pyramidale externe et contient des cellules pyramidales moyennes et des interneurones. L’ensemble de ces deux couches peut être désigné sous le terme couche 2/3. Les cellules pyramidales de la couche 2/3 ont leurs axones qui vont projeter (efférences) vers d’autres régions corticales.
Références
- Davila HV, Salzberg BM, Cohen LB, Waggoner AS. A large change in axon fluorescence that provides a promising method for measuring membrane potential. Nat New Biol 1973 ; 241 : 159–160. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Carlson GC, Coulter DA. In vitro functional imaging in brain slices using fast voltage-sensitive dye imaging combined with whole-cell patch recording. Nat Protoc 2008 ; 3 : 249–255. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Akerboom J, Calderón NC, Tian L, et al. Genetically encoded calcium indicators for multi-color neutral activity imaging and combination with optogenetics. Front Mol Neurosci 2013 ; 6 : 2. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- St-Pierre F, Marshall JD, Yang Y, et al. High-fidelity optical reporting of neuronal electrical activity with an ultrafast fluorescent voltage sensor. Nat Neurosci 2014 ; 17 : 884–889. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Trugnan G, Fontanges P, Delautier D, Ait-Slimane T. FRAP, FLIP, FRET, BRET, FLIM, PRIM… De nouvelles techniques pour voir la vie en couleur ! Med Sci (Paris) 2004 ; 20 : 1027–1034. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Lam AJ, St-Pierre F, Gong Y, et al. Improving FRET dynamic range with bright green and red fluorescent proteins. Nat Methods 2012 ; 9 : 1005–1012. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Hochbaum DR, Zhao Y, Farhi SL, et al. All-optical electrophysiology in mammalian neurons using engineered microbial rhodopsins. Nat Methods 2014 ; 11 : 825–833. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Gong Y, Wagner MJ, Li JZ, Schnitzer MJ. Imaging neural spiking in brain tissue using FRET-opsin protein voltage sensors. Nat Commun 2014 ; 5 : 3674. [PubMed] [Google Scholar]
- Gong Y, Huang C, Li JZ, et al. High-speed recording of neural spikes in awake mice and flies with fluorescent voltage sensor. Science 2015 ; 350 : 1361–1366. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Chen TW, Wardill TJ, Sun Y, et al. Ultrasensitive fluorescent proteins for imaging neuronal activity. Nature 2013 ; 499 : 295–300. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Miller G. Optogenetics Shining new light on neural circuits. Science 2006 ; 314 : 1674–1676. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
Liste des figures
![]() |
Figure 1. Mécanismes moléculaires permettant de rendre la fluorescence d’indicateurs - codés génétiquement - sensible au potentiel membranaire. La partie supérieure de la figure illustre la configuration moléculaire des indicateurs lorsque la membrane est hyperpolarisée, et la partie inférieure, lorsque la membrane est dépolarisée. A. Un premier mécanisme possible utilise une protéine de fusion comprenant une protéine fluorescente (FP) et un domaine transmembranaire sensible au potentiel (DTMV). Lors d’une dépolarisation, le changement de conformation induit une diminution de l’émission de lumière par la protéine fluorescente. B. Une seconde possibilité consiste en une protéine de fusion comprenant un domaine sensible au potentiel et une paire de protéines fluorescentes permettant une émission fluorescente par transfert d’énergie par résonance de type Förster (FRET, Förster resonance energy transfer) entre les deux fluorophores lors d’une dépolarisation membranaire. C. La troisième approche repose sur l’utilisation d’opsines bactériennes. Parmi ces constructions moléculaires, Arch (archaerhodopsin) montre une fluorescence intrinsèque sensible aux variations du potentiel due à un transfert de proton. À un potentiel dépolarisé, l’opsine comprend une base de Schiff (double liaison carbone azote, l’azote étant lié à un groupe aryle ou alkyle) protonée. Dans cette configuration l’opsine absorbe fortement les longueurs d’ondes d’excitation et l’émission de fluorescence augmente. À un potentiel hyperpolarisé, aucune fluorescence n’est émise. D. La quatrième approche comprend des indicateurs utilisant le FRET entre une protéine fluorescente et une opsine. Lorsque la membrane est dépolarisée, l’opsine est protonée, il n’y a pas de transfert d’énergie par FRET et aucune fluorescence n’est émise par la protéine annexe. DTM : domaine transmembranaire. |
Dans le texte |
Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.
Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.
Initial download of the metrics may take a while.