Free Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 32, Number 4, Avril 2016
Page(s) 332 - 334
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/20163204007
Published online 02 May 2016

L’homologie comme outil en biologie médicale

De nombreux organismes servent de modèles dans le domaine biomédical pour l’étude des gènes et des maladies humaines. Pour des raisons historiques, ces modèles sont souvent des organismes étroitement associés aux humains et font donc partie de nos vies quotidiennes. Par exemple, la mouche à fruits, également appelée mouche du vinaigre, Drosophila melanogaster, que l’on retrouve en abondance dans les marchés de fruits, est utilisée depuis plus de 100 ans comme organisme modèle pour comprendre les principes et les bases moléculaires de l’hérédité. Les autres modèles les plus couramment utilisés sont le ver rond Caenorhabditis elegans, le poisson zèbre Danio rerio et la souris Mus musculus. Ces modèles animaux ont un grand nombre de gènes homologues à ceux des humains, c’est-à-dire des gènes qui étaient présents chez leur ancêtre commun et qui ont été préservés. Cette homologie permet l’étude de ces gènes dans un contexte avantageux d’un point de vue expérimental. D’autres organismes que les animaux peuvent servir de modèle car les relations d’homologie remontent à des ancêtres encore plus lointains. Ainsi, certains champignons microscopiques font aussi partie de ces modèles et ce, malgré le fait que l’ancêtre commun des humains et des champignons remontent à plus d’un milliard d’années ! C’est le cas de Saccharomyces cerevisiae, une levure très fortement associée à l’humain depuis des centaines d’années par la viniculture et la boulangerie [1, 2].

L’utilité de la levure comme modèle pour l’étude des gènes et maladies humaines a été démontrée à de nombreuses reprises par des travaux ciblés effectués depuis le milieu des années 1980 [3, 4] ().

(→) Voir la Nouvelle de C. Jacq, m/s n° 5, mai 2004, page 506

Dans ces études, des gènes humains normaux ou associés à des maladies ont été insérés chez la levure pour vérifier leur effet sur sa croissance, confirmant ou infirmant la conservation de la fonction et l’effet du gène dans le contexte cellulaire fongique. Nous savons maintenant que de nombreux gènes humains peuvent remplacer les gènes de levure [5]. Par exemple, différentes cyclines humaines, impliquées dans la régulation du cycle cellulaire, sont capables de substituer la cycline G1 de la levure [6]. L’étude de la fonction de ces gènes humains et de leurs mutations s’en trouve donc simplifiée [11] ().

(→) Voir la synthèse de M. Boeckstaens, page 394 de ce numéro

Trois études récentes ont démontré de façon encore plus convaincante et systématique l’utilité de la levure en exploitant les outils de la génomique et des approches à haut débit [79]. D’une part, deux de ces études ont démontré, par une approche à grande échelle, que des centaines de gènes humains peuvent remplacer les gènes de S. cerevisiae [8, 9]. Ces travaux ont permis d’identifier certaines propriétés chez des gènes humains qui permettent de prédire leur potentiel à être étudié chez la levure. D’autre part, nous avons récemment démontré que la levure peut être utilisée pour identifier des pistes de solution pour corriger les effets d’une mutation causant une maladie humaine au niveau cellulaire et moléculaire. Nos travaux montrent également comment l’utilisation de la levure comme organisme modèle permet de comprendre la variabilité interindividuelle des effets de ces mutations [7], témoignant de son utilité dans le contexte de la médecine personnalisée.

La levure à vin comme modèle pour l’étude de gènes humains

Environ 20 % des gènes de la levure S. cerevisiae sont essentiels pour que ce microorganisme unicellulaire puisse pousser en conditions optimales de laboratoire. Ces gènes étant nécessaires pour la croissance, il est donc possible de tester directement si les gènes humains homologues sont fonctionnels chez ce champignon. Ce test s’effectue en remplaçant ces gènes un à un par leur équivalent humain et en vérifiant ensuite la croissance de la levure. L’équipe d’Edward Marcotte de l’Université du Texas aux États-Unis a utilisé cette approche pour tester la capacité de 414 gènes humains à remplacer leurs 414 gènes homologues essentiels chez la levure [9]. Environ 50 % des gènes testés ont pu remplacer la fonction essentielle des gènes de levure. De façon surprenante, ce n’est pas la conservation de la séquence des protéines entre les deux espèces qui semble être le déterminant majeur du succès de remplacement, mais plutôt l’appartenance à certaines fonctions biologiques ou complexes moléculaires. Ce résultat suggère ainsi que ce sont les associations entre les protéines, responsables de leurs fonctions, qui déterminent si les protéines humaines fonctionnent chez la levure, plutôt que leur séquence. Les gènes changeraient donc de façon coordonnée selon la fonction des groupes de gènes avec lesquels ils sont associés, appelés aussi modules. Ainsi, ces résultats démontrent que des modules entiers pourraient être remplacés pour étudier leur rôle, plutôt que le remplacement de gènes un à un.

Parallèlement, une équipe dirigée par Philip Hieter à l’Université de Colombie Britannique (UBC) au Canada a utilisé une approche similaire [8] pour tester 621 gènes. Cette fois-ci, le groupe de gènes humains complémentant la perte de gènes essentiels de la levure est enrichi en gènes ayant une activité métabolique, suggérant que ces fonctions sont conservées d’un organisme à l’autre. Cette étude ne s’est pas limitée au remplacement de gènes de levure par des gènes humains mais a également testé l’introduction de gènes humains portant des mutations associées à des tumeurs cancéreuses et dont la fonction est liée à la transmission de chromosomes. Par exemple, l’introduction de 35 mutations retrouvées dans quatre gènes humains associés au cancer colorectal, entraîne une perte de fonction, au moins partielle, chez le champignon. Cette étude démontre que non seulement une fraction importante des gènes humains fonctionne chez la levure, mais que l’effet de mutations dans ces gènes peut y être étudié directement. Comme le génome de cellules tumorales contient généralement plusieurs mutations, la levure pourrait être utilisée pour déterminer lesquelles de ces mutations ont des effets sur la fonction des gènes et ainsi aider à prioriser les mutations à étudier dans un cancer particulier chez un individu.

La levure comme modèle pour comprendre les effets personnalisés des mutations et la découverte de pistes thérapeutiques

Dans des conditions optimales de croissance, la levure se multiplie environ toutes les 90 minutes. Ce rythme rapide de croissance permet d’utiliser ce microorganisme pour des approches d’évolution expérimentale en laboratoire. Il est ainsi possible d’interroger directement la levure pour identifier des solutions génétiques à une maladie, c’est-à-dire des mutations secondaires qui pourraient permettre à la cellule de surmonter l’effet de la mutation causant l’anomalie. Ces mutations peuvent par la suite indiquer quels autres gènes peuvent être la cible de médicaments ou d’intervention génétique pour traiter la maladie. L’approche consiste à obtenir de larges populations de levures et à sélectionner ensuite les cellules ayant muté pour un trait en particulier.

C’est ce que nous avons fait dans une étude portant sur l’homologue d’une mutation causant le syndrome de Wiskott-Aldrich chez l’humain [7]. Les levures portant cette mutation sont sensibles à la température, c’est-à-dire qu’elles peuvent croître à 22 °C, mais pas à 37 °C. En criblant une population suffisamment large de cellules, nous avons obtenu des levures qui portent une mutation dite compensatoire, qui corrige ce défaut de croissance. En séquençant le génome de ces lignées mutantes, nous avons identifié les mutations compensatoires et mis en évidence les différentes solutions génétiques qui permettent de rétablir la croissance à 37 °C. Nous avons utilisé deux levures d’origines différentes, mais de la même espèce, pour évaluer l’effet du bagage génétique et nous avons répété l’expérience dans deux conditions de culture distinctes pour évaluer l’effet de l’environnement. Seulement un petit pourcentage des mutants comportait une mutation inverse, restaurant la séquence d’ADN originale, alors que d’autres mutants ont modifié leur code génétique, permettant de restaurer la séquence normale de la protéine. Les autres levures comportaient principalement des mutations dans des gènes liés à la fonction du gène causant la maladie. Toutefois, nous avons mis en évidence que les solutions génétiques identifiées sont souvent spécifiques à la levure d’origine et à la condition utilisée pour l’expérience. C’est d’ailleurs le cas pour une piste de traitement thérapeutique identifiée dans notre étude, une mutation affectant une protéine phosphatase qui contre l’effet de la mutation causant le syndrome de Wiskott-Aldrich chez la levure. Ces résultats témoignent non seulement du potentiel de l’utilisation de la levure comme modèle pour identifier des solutions génétiques à certaines maladies humaines, mais également du besoin de considérer à la fois le bagage génétique des individus et leur environnement, c’est-à-dire de développer des traitements thérapeutiques personnalisés.

Conclusion

L’ancêtre commun des humains et de la levure vivait il y a plus d’un milliard d’années. Un grand nombre de gènes sont apparus et disparus dans chacune des trajectoires évolutives menant à ces espèces depuis ce temps et contribuent à leur particularité. En revanche, plus de la moitié des gènes de S. cerevisiae ont encore des traces d’homologie avec des gènes de mammifères [10], ce qui en fait un organisme modèle pour comprendre la fonction de ces gènes et interpoler leur fonction aux humains. Il existe de façon générale une relation négative entre la proximité des organismes modèles aux humains - ce qui détermine leur nombre de gènes homologues et leur similarité de fonction - et la puissance des outils expérimentaux qui permettent d’utiliser ces espèces. La levure est justement un exemple extrême à faible ressemblance avec l’humain mais chez qui il est possible de manipuler le génome à grande échelle, et pour qui plusieurs techniques d’étude ont été développées pour pouvoir étudier de manière efficace la fonction de ses gènes ou ceux d’autres espèces.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Botstein D, Fink GR. Yeast : an experimental organism for 21st Century biology. Genetics 2011 ; 189 : 695–704. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Eberlein C, Leducq JB, Landry CR. The genomics of wild yeast populations sheds light on the domestication of man’s best (micro) friend. Mol Ecol 2015 ; 24 : 5309–5311. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Kataoka T, Powers S, Cameron S, et al. Functional homology of mammalian and yeast RAS genes. Cell 1985 ; 40 : 19–26. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Jacq C. De la levure et des hommes. Med Sci (Paris) 2004 ; 20 : 506–508. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
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  11. Boeckstaens M. De la découverte des transporteurs d’ammonium Mep-Amt microbiens aux facteurs Rhésus humains. Med Sci (Paris) 2016 ; 32 : 394–400. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]

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