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Med Sci (Paris)
Volume 31, Number 10, Octobre 2015
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Page(s) | 836 - 839 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/20153110009 | |
Published online | 19 October 2015 |
Coactivation d’AMPK et de mTORC1
Exemple d’application thérapeutique de la létalité synthétique dans les leucémies aiguës myéloïdes
Co-activation of AMPK and mTORC1: a therapeutic application of synthetic lethality in acute myeloid leukemia
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Inserm U1016, institut Cochin, 22, rue Méchain, 75014 Paris, France ; CNRS UMR8104, 75014 Paris, université Paris Descartes, faculté de médecine Sorbonne Paris Cité, 75005 Paris, France ; équipe labellisée ligue nationale contre le cancer (LNCC), 75013 Paris, France
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Laboratoire d’hématologie, Hospices civils de Lyon, Université Claude Bernard, LBMC CNRS UMR 5239, 165, chemin du Grand Revoyet, 69495 Pierre-Bénite, France
Les leucémies aiguës myéloïdes (LAM) ont pour origine la transformation de cellules souches ou de progéniteurs hématopoïétiques. Il en résulte un blocage de la différenciation et une prolifération de cellules immatures (blastes) qui provoquent un déficit de l’hématopoïèse (anémie, thrombopénie et/ou neutropénie) et/ou un syndrome tumoral. Peu de progrès ont été réalisés dans la prise en charge thérapeutique de ces maladies. Chez les sujets les plus jeunes, plusieurs chimiothérapies intensives sont associées et, lorsqu’un donneur compatible est identifié, une greffe de cellules souches hématopoïétiques est pratiquée. Dans la majorité des cas, l’âge du patient ou la présence de comorbidités contre-indiquent les chimiothérapies intensives, le traitement est alors palliatif.
Les LAM sont caractérisées par une grande hétérogénéité moléculaire, cytogénétique et phénotypique, ce qui complique le développement de thérapies ciblées. Cependant, elles ont en commun l’activation constitutive de voies de signalisation oncogénique, qui représentent donc une cible thérapeutique potentielle. Notre laboratoire s’intéresse plus particulièrement au complexe mTORC1 (mammalian target of rapamycin complex 1)1, qui favorise les processus anaboliques tels que la traduction protéique ou la biosynthèse nucléotidique [1]. L’activation de mTORC1 est finement régulée par des voies de signalisation oncogéniques ainsi que par la disponibilité en nutriments (acides aminés, glucose). À la différence de ce que l’on observe dans les cellules souches hématopoïétiques normales, le complexe mTORC1 est activé de manière constitutive dans les cellules leucémiques, sans que le mécanisme de cette activation ne soit élucidé [2]. Ceci a motivé l’utilisation d’inhibiteurs de mTORC1, comme la rapamycine ou ses dérivés, dans des stratégies thérapeutiques. Cependant, leurs effets antileucémiques se sont révélés décevants dans les essais cliniques [3].
Dans une étude précédente, nous avions testé une stratégie alternative d’inhibition de mTORC1, qui reposait sur l’activation indirecte de l’AMPK (AMP-activated kinase). L’AMPK est une kinase qui est activée, en cas de stress énergétique, par la fixation d’ADP (adénosine diphosphate) ou d’AMP (adénosine monophosphate) sur sa sous-unité régulatrice γ, et la phosphorylation de sa sous-unité catalytique α par LKB1 (liver kinase B1) ou par la CAMKK (calmodulin kinase kinase). Une fois activée, l’AMPK inhibe les processus anaboliques comme la biosynthèse d’acides gras – via l’inhibition de l’acétylcoA carboxylase (ACC) – ou la traduction protéique – via l’inhibition de mTORC1. L’AMPK favorise également les processus cataboliques tels que l’oxydation des acides gras ou l’autophagie, permettant la restauration de l’homéostasie énergétique cellulaire. En utilisant la metformine, un antidiabétique qui inhibe la chaîne respiratoire mitochondriale [9] (→), nous avions démontré que l’axe LKB1/AMPK était fonctionnel dans les leucémies aiguës myéloïdes et nous avions suggéré un potentiel effet anti-leucémique pour la metformine in vivo [4]. Cependant, si la metformine présente bien un effet cytotoxique sur les cellules tumorales, cette activité semble indépendante de l’activation de l’AMPK [5]. La question du potentiel thérapeutique de l’activation de l’AMPK dans les leucémies aiguës myéloïdes restait donc entière après cette étude.
(→) Voir la Synthèse de M. Foretz et B. Viollet, m/s n° 1, janvier 2014, page 82
L’activation d’AMPK entraîne la mort des cellules leucémiques par autophagie
Dans une nouvelle étude, nous avons utilisé le GSK621, une nouvelle molécule de la classe des thiénopyridones (comme le composé A-769662) capable d’activer directement l’AMPK [6]. Ce composé active effectivement l’AMPK dans les cellules leucémiques. En effet, le GSK621 induit la phosphorylation de plusieurs substrats directs de l’AMPK, en particulier l’acétylcoA carboxylase (ACC). Nous avons également montré la spécificité du GSK621 pour sa cible (AMPK), ses effets cytotoxiques étant abolis lorsque le gène codant l’AMPK est invalidé (résultats obtenus dans des lignées de cellules leucémiques de LAM invalidées pour ce gène par le système CRISPR/Cas9 ainsi que par interférence ARN). Nous avons testé ce composé sur 20 lignées cellulaires ainsi que sur 16 échantillons primaires de LAM et nous avons constaté qu’il induisait l’apoptose des cellules (avec une concentration inhibitrice moyenne de 20 µM de GSK621)2. Le traitement par GSK621 diminue également les capacités clonogéniques de cellules médullaires murines transformées par des oncogènes myéloïdes (MLL-ENL ou FLT3-ITD), suggérant une action du composé sur les progéniteurs les plus immatures de la maladie.
De manière intéressante, et si l’on envisage une utilisation clinique, nous n’avons pas observé de cytotoxicité induite par le GSK621 sur les progéniteurs hématopoïétiques CD34+ normaux isolés de donneurs sains. Cette fenêtre thérapeutique a été confirmée in vivo chez la souris, puisque le traitement par GSK621 induit un effet anti-leucémique (dans un modèle de xénotransplantation d’une lignée de leucémie aiguë myéloïde) sans toxicité apparente, y compris sur l’hématopoïèse des animaux. En étudiant les mécanismes conduisant à la mort cellulaire induite par le GSK621, nous avons mis en évidence l’induction d’une autophagie3 [10] (→) qui contribue à la mort cellulaire. En effet, l’inhibition pharmacologique (par de la chloroquine) ou génétique (par interférence ARN ciblant ATG5 ou ATG7) du processus protège les cellules leucémiques de la cytotoxicité induite par le GSK621. Nous avons donc démontré que l’activation directe de l’AMPK par le GSK621 induit la mort cellulaire par autophagie des cellules leucémiques sans conséquence pour les cellules hématopoïétiques non transformées.
(→) Voir la Nouvelle de L. Lamy, m/s n° 8-9, août-septembre 2013, page 685
La cytotoxicité du composé GSK621 implique une relation de létalité synthétique entre l’activation d’AMPK et de mTORC1
Notre première hypothèse pour expliquer les effets du composé GSK621 sur les cellules leucémiques, était que l’activation d’AMPK pouvait inhiber mTORC1, comme cela avait été décrit dans des modèles de cellules non transformées (lignée HEK293 par exemple). Une addiction oncogénique à mTORC1 conduirait ainsi à l’apoptose des cellules leucémiques après l’activation d’AMPK. Cette hypothèse n’a cependant pas été confirmée par l’expérimentation : à la différence de ce que nous avons pu observer dans des cellules non transformées, y compris dans les cellules hématopoïétiques normales CD34+, le complexe mTORC1 conserve son niveau d’activation après exposition au composé GSK621 dans les cellules de LAM.
Nous avons alors proposé une hypothèse alternative impliquant un phénomène de létalité synthétique (Figure 1)4 : le GSK621 serait toxique pour les cellules de LAM en raison d’une suractivation de mTORC1 dans ces cellules, en comparaison de ce qui est observé dans des cellules hématopoïétiques normales [2]. En accord avec cette hypothèse, nous avons constaté que l’inhibition préalable de mTORC1 (pharmacologique par la rapamycine, ou génétique par interférence ARN visant les constituants du complexe mTORC1, raptor ou la kinase mTOR) protégeait les cellules de LAM des effets du composé GSK621, ainsi que de deux autres activateurs d’AMPK, les composés A-769662 et 991 [7]. Nous avons également observé que la suractivation de mTORC1, obtenue dans les cellules de LAM après l’invalidation par la méthode CRISPR/Cas9, du répresseur physiologique de mTORC1 (TSC [tuberous sclerosis protein] 2), et dans les cellules hématopoïétiques normales CD34+ par l’expression d’une forme activée constitutivement de la kinase AKT, augmentait les effets cytotoxiques du composé GSK621. Dans ces deux situations, la rapamycine, qui inhibe mTORC1, protègeait les cellules des effets cytotoxiques du composé GSK621.
Figure 1. La spécificité du composé GSK621 sur les cellules leucémiques est gouvernée par une relation de létalité synthétique entre la coactivation d’AMPK et de mTORC1. Le niveau d’activation de mTORC1 est représenté en abscisse, et le niveau d’activation d’AMPK en ordonnée. L’activation concomitante des deux voies converge vers l’activation de la voie eIF2α/ATF4/CHOP, qui entraîne la mort cellulaire par autophagie : c’est le phénomène de létalité synthétique qui est à l’œuvre dans la zone mauve du graphique. Les cellules souches hématopoïétiques normales, n’ayant pas d’activation constitutive de mTORC1, ne peuvent entrer dans cette zone de létalité synthétique, et sont donc insensibles aux effets cytotoxiques du composé GSK621. Au contraire, les cellules de LAM, ayant une activation constitutive de mTORC1, entrent dans la zone de létalité synthétique après activation d’AMPK, ce qui explique l’effet thérapeutique du GSK621. |
Pour comprendre le mécanisme moléculaire de cette interaction synthétique létale, nous avons réalisé une étude du profil d’expression génique d’une lignée de LAM, exposée soit au composé GSK621 seul, soit à l’association GSK621 et rapamycine. Cette analyse a suggéré que la voie du stress du réticulum endoplasmique pourrait constituer le support moléculaire de la létalité synthétique existant entre l’AMPK et mTORC1. Nous avons confirmé cette hypothèse en mettant en évidence dans les cellules de LAM une activation de la voie eIF2α en réponse à l’activation d’AMPK. Dans notre modèle, le niveau d’activation de la voie eIF2α par AMPK était dépendant du niveau d’activation de mTORC1. En aval d’eIF2α, l’exposition au GSK621 induit l’expression des protéines pro-apoptotiques et pro-autophagiques, ATF4 (activating transcription factor 4) et CHOP (CCAAT/enhancer-binding protein), qui dépend directement du niveau d’activation de mTORC1. Finalement, nous avons démontré, par des méthodes pharmacologiques et génétiques ciblant des constituants de la voie eIF2α/ATF4/CHOP, le rôle de cette voie dans la létalité synthétique entre AMPK et mTORC1.
Addiction oncogénique et létalité synthétique : deux concepts complémentaires dans le traitement du cancer
Le développement des thérapies ciblées repose largement sur le concept d’addiction oncogénique qui prédit que les cellules cancéreuses seront particulièrement sensibles à un agent pharmacologique inhibant des voies oncogéniques indispensables à leur survie. Plusieurs exemples d’application clinique valident cette hypothèse, au premier rang desquels le traitement par l’imatinib des hémopathies (notamment la leucémie myéloïde chronique) ayant un gène de fusion BCR-ABL [11] (→). Néanmoins, l’efficacité clinique de ces thérapies ciblées est fréquemment limitée par l’émergence de clones résistants ayant restauré, par divers mécanismes, l’activation de la voie oncogénique ciblée. Ce problème pourrait être contourné grâce à l’identification de cibles synthétiques létales associées à l’activation d’un oncogène, puisque les clones résistants pourraient, théoriquement, conserver une sensibilité aux molécules agissant par ce mécanisme. Dans ce travail, nous avons identifié que l’activation de la voie oncogénique mTORC1 expliquait la sensibilité spécifique des cellules leucémiques à un activateur pharmacologique de l’AMPK, une protéine kinase impliquée dans la réponse au stress. Différentes voies cellulaires d’adaptation au stress pourraient ainsi représenter des cibles intéressantes pour des approches thérapeutiques reposant sur le concept de létalité synthétique [8].
(→) Voir la Synthèse de J.C. Chomel et al., m/s n° 4, avril 2014, page 452
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Remerciements
Pierre Sujobert a été financé par un poste d’accueil Inserm, et par l’association pour la recherche sur le cancer (ARC).
L’autophagie est un processus catabolique, qui correspond à la formation d’une vésicule à double membrane contenant des éléments du cytoplasme (autophagosome), et à l’adressage de ces vésicules aux lysosomes où leur contenu est dégradé. Les gènes impliqués dans ce processus (ATG pour autophagy related genes) sont très conservés parmi les eucaryotes, et l’invalidation de certains de ces gènes peut empêcher la formation des autophagosomes. La chloroquine bloque les étapes terminales de l’autophagie en inhibant l’acidification des lysosomes.
Le concept de létalité synthétique provient de la génétique des levures. Deux gènes sont synthétiques létaux si l’inactivation de chaque gène est sans effet, alors que l’inhibition concomitante des deux gènes entraîne la mort cellulaire. Appliqué au cancer, ce concept propose qu’une thérapie ciblant le produit d’un gène donné sera active uniquement sur les cellules cancéreuses ayant une mutation d’un autre gène, comme c’est le cas notamment avec les inhibiteurs de PARP dans les cancers du sein ayant une mutation de BRCA1.
Références
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Liste des figures
Figure 1. La spécificité du composé GSK621 sur les cellules leucémiques est gouvernée par une relation de létalité synthétique entre la coactivation d’AMPK et de mTORC1. Le niveau d’activation de mTORC1 est représenté en abscisse, et le niveau d’activation d’AMPK en ordonnée. L’activation concomitante des deux voies converge vers l’activation de la voie eIF2α/ATF4/CHOP, qui entraîne la mort cellulaire par autophagie : c’est le phénomène de létalité synthétique qui est à l’œuvre dans la zone mauve du graphique. Les cellules souches hématopoïétiques normales, n’ayant pas d’activation constitutive de mTORC1, ne peuvent entrer dans cette zone de létalité synthétique, et sont donc insensibles aux effets cytotoxiques du composé GSK621. Au contraire, les cellules de LAM, ayant une activation constitutive de mTORC1, entrent dans la zone de létalité synthétique après activation d’AMPK, ce qui explique l’effet thérapeutique du GSK621. |
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