Free Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 29, Number 6-7, Juin–Juillet 2013
Page(s) 579 - 582
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2013296009
Published online 12 July 2013

Rôle de l’a-galactosidase A dans la maladie de Fabry

La maladie de Fabry (online mendelian inheritance in man [OMIM] 301500) est une maladie de surcharge de transmission génétique liée au chromosome X, due au déficit en α-galactosidase A (α-Gal A, EC 3.2.1.22) lysosomale, une hydrolase acide. Le déficit enzymatique conduit à l’accumulation du globotriaosylcéramide (Gb3 ou CD77) dans les lysosomes de tous les tissus de l’organisme. La forme classique de la maladie débute dans l’enfance par des acroparesthésies, des angiokératomes, des douleurs abdominales et une microalbuminurie. Avec l’âge, l’affection évolue vers une maladie multisystémique avec insuffisance rénale et complications cardiovasculaires (cardiomyopathie hypertrophique, arythmie) et cérébrovasculaires (accidents vasculaires cérébraux) réduisant l’espérance de vie [1]. Actuellement, deux thérapies enzymatiques substitutives sont disponibles pour traiter les patients atteints de maladie de Fabry [2, 3]. Des bénéfices cliniques ont été démontrés, mais l’efficacité de l’enzymothérapie reste incomplète et son coût élevé. Les thérapies enzymatiques substitutives s’accompagnent par ailleurs de contraintes liées à leur mode d’administration (perfusions à vie chaque deux semaines) et d’effets secondaires liés à la production d’anticorps contre l’enzyme exogène.

Dans de nombreuses maladies lysosomales, dont la maladie de Fabry, des mutations faux-sens conduisent à un mauvais repliement de la protéine et un défaut de sa structure tridimensionnelle [4]. En conséquence, l’hydrolase acide est dégradée prématurément par les systèmes de contrôle de qualité associés au réticulum endoplasmique (ERAD, endoplasmic-reticulum-associated protein degradation) [4] même si les mutations ne compromettent pas son activité catalytique [5].

L’existence de chaperons moléculaires physiologiques a stimulé les recherches visant à identifier ou développer des chaperons pharmacologiques comme nouvelle approche thérapeutique pour le traitement de ces maladies lysosomales.

Les chaperons moléculaires : une nouvelle approche thérapeutique pour les maladies lysosomales

Les chaperons pharmacologiques spécifiques du site actif de différentes enzymes lysosomales sont les premières molécules chaperons parvenues au stade d’essais cliniques pour le traitement de maladies génétiques. Ces chaperons pharmacologiques sont initialement des inhibiteurs enzymatiques qui, à concentrations sub-inhibitrices, aident à stabiliser la conformation de la protéine naissante mutée, favorisant son transport du réticulum endoplasmique, via l’appareil de Golgi, jusqu’au lysosome où elle peut exercer sa fonction catalytique (Figure 1).

thumbnail Figure 1.

Mécanisme d’action des chaperons pharmacologiques. A. Durant la synthèse des protéines lysosomales, les chaperons moléculaires sont naturellement présents dans la cellule afin d’assister les polypeptides naissants à se replier correctement selon leur structure tertiaire. B.  Les protéines lysosomales qui portent des mutations affectant leur repliement deviennent instables et sont dégradées par les systèmes de contrôle de qualité associés au réticulum endoplasmique (endoplasmic reticulum-associated degradation, ERAD). C. Les chaperons pharmacologiques stabilisent les protéines lysosomales mutantes mal repliées, empêchant leur dégradation par le protéasome et permettant leur trafic vers les lysosomes, où le pH acide est supposé favoriser la dissociation entre la molécule chaperon et l’enzyme, favorisant ainsi l’activité catalytique de cette dernière.

Le chlorhydrate de migalastat (AT-1001, 1-déoxygalactonojirimycin), un sucre iminé1 analogue du galactose, a été testé comme chaperon pharmacologique dans des études précliniques in vitro et dans un modèle animal de maladie de Fabry [5, 6], puis dans un essai de phase I chez 51 volontaires sains, avec un excellent profil de sécurité. Dans un article récent, nous rapportons pour la première fois les données d’efficacité et de sécurité du chlorhydrate de migalastat évalué dans deux essais cliniques de phase II [7].

Essais cliniques de phase II du migalastat

Deux essais cliniques de phase II non contrôlés, en ouvert, ont inclus neuf patients de sexe masculin atteints de maladie de Fabry (quatre patients dans le cadre de FAB-CL-202, clinicaltrial.gov NCT00283959 ; cinq patients dans le cadre de FAB-CL-203, NCT00283933). Cent cinquante mg de chlorhydrate de migalastat furent administrés par voie orale chaque deux jours pendant 12 (FAB-CL-202) ou 24 (FAB-CL-203) semaines. L’activité de l’α-galactosidase A fut mesurée dans les lymphocytes, les cellules mononucléées du sang et les biopsies cutanées et rénales, avant traitement (taux de référence) puis à différents temps de l’étude. Les taux de Gb3 furent mesurés par spectrométrie de masse (LC-MS/MS, liquid chromatography coupled to tandem mass spectrometry) dans le plasma et les urines, et évalués par microscopie optique à partir de biopsies cutanées et rénales des patients avant traitement et à différents temps de l’étude.

Une lignée transgénique, exprimant l’enzyme mutée correspondant à chacun des patients inclus, fut secondairement construite dans les cellules HEK293. Ainsi, l’activité α-galactosidase A fut initialement mesurée sur des lymphocytes en culture, puis sur les différentes lignées transgéniques avant et après addition de chlorhydrate de migalastat afin d’évaluer in vitro la réponse au traitement des différentes α-galactosidase A mutées [8].

Effets du migalastat in vivo et in vitro chez les patients porteurs de mutation de l’a-galactosidase A

Lors de ces études, aucun effet indésirable grave (serious adverse event) ne fut rapporté et aucun patient ne sortit des essais cliniques. L’activité α-galactosidase A, mesurée sur les cellules du sang périphérique, augmenta pour tous les patients après traitement par le migalastat. L’activité α-galactosidase A mesurée sur les biopsies de peau augmenta également d’au moins 50 % pour tous les patients, et pour six patients sur neuf dans les biopsies rénales (Tableau I). De façon intéressante, un parallélisme existait entre les réponses au migalastat in vivo et in vitro : chez les trois patients qui n’ont pas répondu cliniquement au migalastat, l’activité enzymatique mesurée dans les lignées transgéniques HEK293 exprimant les mutations correspondantes n’a pas été améliorée en présence du chaperon.

Tableau I.

Résultats des deux essais cliniques de phase II du migalastat. L’activité α-galactosidase A et les taux de Gb3 ont été mesurés chez les neuf patients inclus dans les deux essais cliniques de phase II. R : mutation répondeuse in vitro à la molécule chaperon ; NR : mutation non répondeuse in vitro à la molécule chaperon ; * réponse obtenue uniquement lors de l’utilisation d’une dose plus élevée de chaperon pharmacologique ; α-GalA : activité α-galactosidase A ; CMSP : cellules mononucléées du sang périphérique ; LC/MS : liquid chromatography coupled to mass spectrometry ; NA : non évaluable ; + : réponse clinique favorable (amélioration) ; – : réponse clinique inexistante ou aggravation ; +/– : réponse obtenue uniquement en cas de taux sérique plus élevé de chaperon pharmacologique (modifié d’après [7]).

Avant traitement, tous les patients présentaient des taux de Gb3 urinaires élevés. Après traitement par la molécule chaperon, ces taux, mesurés dans les urines, les biopsies rénales ou cutanées, ont diminué d’au moins 20 % chez les patients traités par le migalastat chez lesquels une augmentation de l’activité α-galactosidase A était démontrée. Chez quatre patients, le taux rénal de Gb3 augmenta, alors que in vitro, le traitement n’avait aucune influence sur l’activité enzymatique dans les lignées porteuses des mutations de ces patients. (Tableau I).

Chez tous les patients (9/9), parmi les 12 types cellulaires étudiés sur les biopsies rénales avant et après traitement, les taux de référence les plus élevés d’inclusions de Gb3 étaient observés dans les podocytes. Après traitement, sur les huit patients analysables, le nombre d’inclusions de Gb3 diminua chez quatre, resta inchangé chez deux, et augmenta chez les deux derniers patients qui, de façon intéressante, étaient porteurs de mutations faux-sens considérées comme ne répondant pas au migalastat dans les tests in vitro.

Conclusions et perspectives thérapeutiques des chaperons pharmacologiques

Le chlorhydrate de migalastat est un sucre iminé ayant une grande affinité pour le site actif de l’α-galactosidase A [9]. C’est un inhibiteur de l’α-galactosidase A potentiellement capable de jouer un rôle de chaperon pharmacologique en restaurant la structure tridimensionnelle et l’activité enzymatique d’une α-galactosidase A mutante [5, 6]. Des travaux de recherche fondamentaux [8, 9], précliniques [6], puis cliniques ont conduit à son utilisation en clinique humaine [7].

Les résultats de deux essais cliniques de phase II du migalastat ont montré une augmentation significative de l’activité enzymatique α-galactosidase A in vivo, accompagnée d’une diminution parallèle des taux urinaires du substrat de l’enzyme et du nombre d’inclusions de Gb3 dans les cellules endothéliales des capillaires péritubulaires des reins chez tous les patients considérés comme répondeurs d’après les tests in vitro (6/6) [7]. Les trois patients considérés comme non-répondeurs (score composite) avaient été inclus dans les essais cliniques sur la base d’un test in vitro de première génération (lymphocytes) insuffisamment discriminant, mais le test in vitro utilisant des cellules HEK293 transgéniques confirma qu’ils étaient porteurs de mutations insensibles au migalastat. Le test in vitro en lignées transgéniques semble donc prédictif de la réponse clinique in vivo chez les patients.

Le chlorhydrate de migalastat est, à notre connaissance, la première molécule chaperon proposée en clinique humaine pour le traitement d’une maladie génétique et qui poursuit actuellement son développement dans deux essais cliniques de phase III : l’un en double aveugle contre placebo (voir le site ClinicalTrials.gov NCT00925301), l’autre par tirage au sort contre une enzymothérapie recombinante substitutive (NCT01218659). Les chaperons pharmacologiques, en monothérapie, sont un paradigme d’approche pharmacogénétique s’adressant uniquement aux patients porteurs de mutations répondeuses. Cependant, il est important de noter que les résultats préliminaires présentés ici ont été obtenus dans le cadre d’essais cliniques de phase II, ne comportant par définition aucun groupe contrôle et n’étant pas destinés à démontrer l’efficacité d’un traitement. Seuls les essais cliniques de phase III, randomisés, permettront de conclure ou non à l’efficacité de la molécule chaperon. Cependant, ces essais cliniques de phase II chez l’homme ouvrent la voie à l’étude d’autres chaperons pharmacologiques pour le traitement d’autres maladies génétiques [4].

Liens d’intérêt

D.P. Germain déclare participer à des interventions ponctuelles (essais cliniques et travaux scientifiques, actions de formation) pour l’entreprise GSK.

K. Benistan et L. Echevarria déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


Traduction française de Laure Coulombel.

1

Une imine est un composé organique caractérisé par une double liaison carbone-azote.

Références

  1. Germain DP. Fabry disease. Orphanet J Rare Dis 2010 ; 5 : 30. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Eng CM, Guffon N, Wilcox WR, et al. Safety and efficacy of recombinant human alpha-galactosidase A-replacement therapy in Fabry’s disease. N Eng J Med 2001 ; 345 : 9–16. [CrossRef] [Google Scholar]
  3. Schiffmann R, Kopp JB, Austin HA, 3rd, et al. Enzyme replacement therapy in Fabry disease: a randomized controlled trial. JAMA 2001 ; 285 : 2743–2749. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Mendre C, Mouillac B. Chaperons pharmacologiques. Med Sci (Paris) 2010 ; 26 : 627–635. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Fan JQ, Ishii S, Asano N, Suzuki Y. Accelerated transport and maturation of lysosomal alpha-galactosidase A in Fabry lymphoblasts by an enzyme inhibitor. Nat Med 1999 ; 5 : 112–115. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Germain DP, Fan JQ. Pharmacological chaperone therapy by active-site-specific chaperones in Fabry disease: in vitro and preclinical studies. Int J Clin Pharmacol and Ther 2009 ; 47 : S111–S117. [Google Scholar]
  7. Germain DP, Giugliani R, Hughes DA, et al. Safety, pharmacodynamic effects of a pharmacological chaperone on alpha-galactosidase A activity, globotriaosylceramide clearance in Fabry disease: report from two phase 2 clinical studies. Orphanet J Rare Dis 2012 ; 7 : 91. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Wu X, Katz E, Della Valle MC, et al. A pharmacogenetic approach to identify mutant forms of alpha-galactosidase A that respond to a pharmacological chaperone for Fabry disease. Hum Mut 2011 ; 32 : 965–977. [CrossRef] [Google Scholar]
  9. Guce AI, Clark NE, Rogich JJ, Garman SC. The molecular basis of pharmacological chaperoning in human alpha-galactosidase. Chem Biol 2011 ; 18 : 1521–1526. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

© 2013 médecine/sciences – Inserm

Liste des tableaux

Tableau I.

Résultats des deux essais cliniques de phase II du migalastat. L’activité α-galactosidase A et les taux de Gb3 ont été mesurés chez les neuf patients inclus dans les deux essais cliniques de phase II. R : mutation répondeuse in vitro à la molécule chaperon ; NR : mutation non répondeuse in vitro à la molécule chaperon ; * réponse obtenue uniquement lors de l’utilisation d’une dose plus élevée de chaperon pharmacologique ; α-GalA : activité α-galactosidase A ; CMSP : cellules mononucléées du sang périphérique ; LC/MS : liquid chromatography coupled to mass spectrometry ; NA : non évaluable ; + : réponse clinique favorable (amélioration) ; – : réponse clinique inexistante ou aggravation ; +/– : réponse obtenue uniquement en cas de taux sérique plus élevé de chaperon pharmacologique (modifié d’après [7]).

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Mécanisme d’action des chaperons pharmacologiques. A. Durant la synthèse des protéines lysosomales, les chaperons moléculaires sont naturellement présents dans la cellule afin d’assister les polypeptides naissants à se replier correctement selon leur structure tertiaire. B.  Les protéines lysosomales qui portent des mutations affectant leur repliement deviennent instables et sont dégradées par les systèmes de contrôle de qualité associés au réticulum endoplasmique (endoplasmic reticulum-associated degradation, ERAD). C. Les chaperons pharmacologiques stabilisent les protéines lysosomales mutantes mal repliées, empêchant leur dégradation par le protéasome et permettant leur trafic vers les lysosomes, où le pH acide est supposé favoriser la dissociation entre la molécule chaperon et l’enzyme, favorisant ainsi l’activité catalytique de cette dernière.

Dans le texte

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