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Med Sci (Paris)
Volume 29, Number 3, Mars 2013
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Page(s) | 239 - 242 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2013293003 | |
Published online | 27 March 2013 |
Contribution au développement de nouvelles thérapies contre le cancer colorectal
L’initiative CReMEC
Contribution to new therapeutics against colorectal cancer: the CReMEC initiative
Unité de recherche et développement en oncologie, Institut de recherches Servier, 125, chemin de Ronde, 78290 Croissy-sur-Seine, France
En dépit d’avancées certaines dans la compréhension des mécanismes moléculaires qui sous-tendent l’apparition et la propagation du cancer colorectal, et de l’émergence de thérapies ciblées, le traitement de cette pathologie demeure encore insatisfaisant. Ceci est particulièrement vrai pour les cancers colorectaux localement évolués ou compliqués d’emblée de métastases à distance. Plusieurs paramètres peuvent être incriminés : (1) les variations interindividuelles de pharmacocinétique des drogues anticancéreuses, (2) la diversité des cancers colorectaux, en rapport notamment avec leur profil moléculaire, et (3) l’hétérogénéité intratumorale [10] ainsi que le temps de doublement intrinsèque des tumeurs. C’est avec l’objectif ambitieux de contribuer à l’émergence de nouvelles thérapies du cancer colorectal qu’est née l’initiative CReMEC (centre de ressource de modèles expérimentaux de cancer).
Des partenaires unis contre le cancer colorectal
Le CReMEC est l’un des premiers projets labellisés par le pôle de compétitivité Medicen Paris Région en 2005. Il associe des acteurs industriels (Ipsen, Sanofi, Servier, Oncodesign) et dix équipes académiques du Cancéropôle Île-de-France issues de l’AP-HP, du CNRS, de l’Inserm, de l’Institut Curie, de l’Institut Gustave Roussy et de l’université Paris VII Diderot.
L’enjeu était de développer chez la souris une collection de tumeurs coliques humaines représentant la diversité du panel rencontré en pratique clinique. Ce projet a bénéficié d’un financement de 2,4 M€ de la part de l’État français dans le cadre d’un appel FUI (fonds uniques interministériels) et d’un investissement industriel de 2,5 M€. Sa réussite doit beaucoup à la synergie entre les différents partenaires qui ont mutualisé leurs compétences à chacune des étapes, depuis l’exérèse de la tumeur chez le patient jusqu’à la caractérisation moléculaire et pharmacologique des modèles établis chez la souris. Le projet a permis de créer une collection de 54 modèles primaires de cancers colorectaux, ainsi qu’une biobanque de 5 000 échantillons. L’ensemble de l’information tirée de la caractérisation histoclinique, moléculaire et pharmacologique des modèles a été consigné dans une base de données informatique.
Caractéristiques cliniques des patients et établissement des tumeurs chez la souris immunodéprimée
Au total, 85 échantillons de cancers colorectaux ont été prélevés au bloc opératoire (échantillons issus de tumeurs primaires, de carcinoses péritonéales ou de métastases à distance) et ont été immédiatement greffés par voie sous-cutanée sur le flanc de souris nude. La collection de xénogreffes dérivées des tumeurs de patients reflétait sensiblement la diversité des cas cliniques de cancers colorectaux en termes de genre, de sexe, de dosage de l’antigène carcino-embryonnaire avant la chirurgie d’exérèse, de localisation de la tumeur primaire dans le tractus intestinal, d’envahissement des ganglions lymphatiques et de présence de métastases synchrones. Sur les 85 tumeurs, 54 ont été greffées avec succès (63,5 %). Aucun impact du temps d’ischémie froide (inférieur à 24 heures) n’a été observé1. Une biobanque a été établie pour tous les modèles de xénogreffes avec un taux de succès à la décongélation (capacité des fragments tumoraux à subir un cycle de congélation-décongélation et à se développer à nouveau après greffe par voie sous-cutanée) de 92,3 %, proche du taux observé pour les tumeurs directement issues de patients. Dans cette collection, on compte cinq couples tumeur primaire/métastase hépatique synchrone, un couple carcinose péritonéale/métastase splénique synchrone et un triplé tumeur primaire/carcinose péritonéale/métastase ganglionnaire mésentérique dérivé du même patient. Au total, la collection contient 35 modèles de tumeurs primaires, 5 modèles de carcinoses péritonéales et 14 modèles de métastases, dont 12 métastases hépatiques, 1 métastase splénique et 1 métastase ganglionnaire mésentérique [1].
Diversité histopathologique de la collection de cancers colorectaux
Comme cela a déjà été démontré pour d’autres tumeurs xénogreffées [2–4], la caractérisation histopathologique des échantillons de la collection montrait une très bonne concordance entre la xénogreffe et la tumeur du patient correspondant. La conservation de l’architecture de la tumeur d’origine est une caractéristique importante de cette collection. En appliquant des critères cliniques standard, les xénogreffes ont pu être réparties en trois classes selon le degré de différenciation des cellules : tumeurs bien différenciées, moyennement différenciées et indifférenciées. Ainsi, 8 % des tumeurs issues de xénogreffes étaient moyennement à peu différenciées, et 10 % ont été classées dans la catégorie des adénocarcinomes mucineux, un sous-type morphologique rare dans lequel plus de la moitié du volume tumoral est constituée de mucine. Ces résultats sont en accord avec la faible prévalence de ces sous-types histologiques. Le pourcentage de tissu représentant le microenvironnement (ou stroma) a également été déterminé. Comme cela a déjà été rapporté [2], les xénogreffes étaient enrichies en cellules tumorales dès le premier passage, mais au fur et à mesure des passages, le rapport stroma/cellules tumorales demeurait constant. Enfin, des études d’hybridation in situ avec une sonde Alu humaine ont montré la perte totale de microenvironnement humain dès les passages précoces au profit du stroma murin.
En résumé, l’enrichissement en cellules tumorales, ainsi que la remarquable similitude entre l’architecture des tumeurs issues des xénogreffes et celle de la tumeur d’origine, permettent de suggérer l’habileté des cellules tumorales à éduquer le microenvironnement en reprogrammant à leur bénéfice les cellules stromales murines.
Caractérisation moléculaire des tumeurs d’origine et des tumeurs xénogreffées
Afin d’identifier les anomalies moléculaires caractérisant les modèles de tumeurs xénogreffées et leurs variations potentielles au cours des passages, différents paramètres ont été étudiés, parmi lesquels le séquençage direct de gènes fréquemment mutés dans les cancers colorectaux (Figure 1). Il a ainsi pu être démontré que la fréquence de mutations était très similaire à celle qui est rapportée dans la littérature, et notamment dans la base de données COSMIC (catalogue de mutations somatiques fréquemment relevées dans les cancers humains) [5]. De façon intéressante, le profil de mutations observé dans les tumeurs issues des xénogreffes et les échantillons initiaux étaient identiques pour un même patient, quel que soit le site de prélèvement (tumeur primaire, carcinose péritonéale, métastase synchrone ou asynchrone). La stabilité génétique des tumeurs issues des xénogreffes ainsi que le profil d’expression génique au fur et à mesure des passages ont été étudiés sur puce d’hybridation génomique comparative (CGH array) ou par microarray (puce à ADN). Il existait une très bonne stabilité du profil d’expression génique étudié, les quelques différences observées étant probablement liées à la disparition du stroma humain dans les tumeurs dérivées des xénogreffes (Figure 1). L’analyse en classification non supervisée a montré la remarquable stabilité génomique des xénogreffes de cancers colorectaux pendant les dix premiers passages au moins. Cette caractéristique a d’ailleurs déjà été observée pour d’autres séries de xénogreffes [6, 7]. Cependant, l’apparition de quelques altérations de novo, absentes dans les tumeurs d’origine, pourrait s’expliquer par l’expansion clonale d’une population minoritaire et/ou par la poursuite dans la xénogreffe du processus de mutation qui avait commencé dans la tumeur issue du patient. Cette même évolution a récemment été rapportée dans un modèle de cancer du sein de type triple-négatif : la xénogreffe correspondante présentait les mêmes mutations que la tumeur d’origine, mais en exprimait également d’autres, et ce panel enrichi de mutations était similaire à celui de la métastase cérébrale synchrone qui avait été prélevée chez le patient [8].
Figure 1. Caractérisation des 54 tumeurs. Les données issues du séquençage, statut MSI (microsatellite instability) et aCGH, ont été obtenues à partir des tumeurs de patients et à partir des xénogreffes en passage précoce (P0/P1) et en passages tardifs (aCGH). La caractérisation pharmacologique a été réalisée à partir de xénogreffes après 7 à 9 passages. L’inhibition de croissance a été évaluée selon les critères standard du NCI (national cancer institute). Un ΔT/ΔC ≤ 42 % est nécessaire pour conclure à une activité antitumorale (– : inactif > 42 % ; + : actif < 42 % ; ++ : – 10 % ≤ ΔT/ΔC ≤ + 10 %, stabilisation tumorale ; +++ : ≤ – 10 %, régression partielle ou complète de la tumeur). APC : adenomatous polyposis coli ; FBXW7 : F-box and WD repeat domain containing protein 7 ; CTNNB1 : catenin (cadherin-associated protein) β1 ; EGFR : epidermal growth factor receptor ; AKT1 : protein kinase B ; PTEN : phosphatase and tensin homolog. |
Hétérogénéité de réponse aux agents pharmacologiques
La caractérisation pharmacologique des tumeurs issues des xénogreffes a été réalisée avec des drogues utilisées dans le traitement de première ligne du cancer colorectal : 5-fluorouracile (5-FU), oxaliplatine (I-OHP), irinotecan (CPT-11) et cétuximab (Figure 1). D’emblée, un haut degré d’hétérogénéité des réponses pharmacologiques a été observé. Les meilleurs taux de réponses ont été relevés pour le CPT-11 avec des régressions tumorales dans près de 40 % des modèles. Par comparaison, le CPT-11 induit un taux de réponse de l’ordre de 19 à 32 % lorsqu’il est utilisé en traitement adjuvant (patients nouvellement diagnostiqués) [9]. Le Cétuximab induisait quant à lui des régressions dans 23 % des modèles du panel. Ce résultat est cohérent avec les données cliniques puisque les meilleurs taux de réponses étaient attendus pour les tumeurs ne présentant pas de mutation du gène KRAS (v-Ki-ras2, Kirsten rat sarcoma viral oncogene homolog). La comparaison des courbes de survie des souris traitées par le Cétuximab montrait une survie prolongée dans le cas des tumeurs exprimant un gène KRAS sauvage versus KRAS muté. Une corrélation positive a été observée entre l’absence de réponse au Cétuximab et le statut génétique des gènes KRAS, BRAF (v-raf murine sarcoma viral oncogene homolog B1) et PI3KCA (phosphatidyl inositol 3-kinase catalytic subunit).
Développement de métastases à partir de greffes orthotopiques
Sur l’ensemble du panel, 41 tumeurs ont été greffées chirurgicalement au niveau du cæcum de souris SCID (severe combined immunodeficiency) et 32 % d’entre elles (16/41) ont abouti au développement de métastases à distance. Celles-ci ont été détectées principalement au niveau des ganglions mésentériques, du foie et des poumons. Les métastases survenaient entre deux et trois mois après l’implantation des tumeurs dans le cæcum. Il n’a pas été établi de corrélation entre la nature des échantillons greffés (tumeur primaire versus métastase) et le pouvoir métastatique. Il est cependant important de noter que les sites secondaires de développement métastatique sont les mêmes que ceux qui sont communément observés en pratique clinique (ganglions lymphatiques et foie principalement).
Conclusions et perspectives
Au final, les xénogreffes issues de tumeurs de patients représentent, à plus d’un égard, une avancée majeure dans la recherche d’une meilleure modélisation de l’hétérogénéité tumorale. Ces modèles trouvent parfaitement leur place aux côtés de modèles plus traditionnels, tels que les tumeurs obtenues à partir de greffes de lignées cellulaires établies, ou encore des modèles de souris génétiquement modifiées permettant l’étude de la réponse à une drogue dans un contexte génétique bien déterminé. La multiplication d’initiatives similaires à CReMEC à travers le monde, portant sur différents types de pathologies tumorales (pancréas, sein, rein, glioblastome, tumeurs pédiatriques, etc.) démontrent l’intérêt suscité par les modèles de xénogreffes tumorales. De plus, les premières tentatives de corrélation entre le pronostic du patient et la réponse pharmacologique des xénogreffes correspondantes ont déjà montré quelques succès [2, 3].
La valeur des collections de xénogreffes dérivées de tumeurs de patients dépend essentiellement de deux paramètres importants : le standard élevé d’obtention des tumeurs issues de résections chirurgicales, et le haut niveau de caractérisation des xénotumeurs, tant sur le plan histoclinique que moléculaire ou pharmacologique. Pour atteindre ces objectifs, l’un des principaux défis demeure l’importance des ressources nécessaires, à la fois financières et matérielles. Peu d’institutions peuvent, isolément, se permettre de consacrer autant de moyens à l’établissement de ces différentes collections (plusieurs pathologies tumorales différentes) de xénotumeurs. À ce titre, l’initiative CReMEC a été un modèle de collaboration avec, notamment, la mutualisation de moyens à la fois intellectuels, financiers et matériels. De plus, si l’on en juge par l’augmentation quasi exponentielle d’initiatives similaires à travers le monde ces dernières années, le consortium a été véritablement précurseur et ce, au moment où l’intérêt du recours aux xénogreffes faisait l’objet de nombreuses discussions. Fort de ce premier succès, le consortium tente à présent d’élargir son effort à huit nouvelles pathologies, tout en intégrant de nouveaux partenaires à l’échelon national. ‡
Liens d’intérêt
Une licence commerciale exclusive concernant l’ensemble des xénogreffes dérivées de patients décrites dans cet article a été accordée à la société Oncodesign par le consortium CReMEC. L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Remerciements
L’auteur remercie les membres du consortium CReMEC qui ont participé à l’ensemble du travail, ainsi que le Ministère français de l’industrie et le département du Val de Marne, pour leur soutien financier. L’auteur remercie également Cyril Berthet (Oncodesign) et Alain Pierré (institut de recherches international Servier) pour leur relecture de ce manuscrit.
Références
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Liste des figures
Figure 1. Caractérisation des 54 tumeurs. Les données issues du séquençage, statut MSI (microsatellite instability) et aCGH, ont été obtenues à partir des tumeurs de patients et à partir des xénogreffes en passage précoce (P0/P1) et en passages tardifs (aCGH). La caractérisation pharmacologique a été réalisée à partir de xénogreffes après 7 à 9 passages. L’inhibition de croissance a été évaluée selon les critères standard du NCI (national cancer institute). Un ΔT/ΔC ≤ 42 % est nécessaire pour conclure à une activité antitumorale (– : inactif > 42 % ; + : actif < 42 % ; ++ : – 10 % ≤ ΔT/ΔC ≤ + 10 %, stabilisation tumorale ; +++ : ≤ – 10 %, régression partielle ou complète de la tumeur). APC : adenomatous polyposis coli ; FBXW7 : F-box and WD repeat domain containing protein 7 ; CTNNB1 : catenin (cadherin-associated protein) β1 ; EGFR : epidermal growth factor receptor ; AKT1 : protein kinase B ; PTEN : phosphatase and tensin homolog. |
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