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Med Sci (Paris)
Volume 28, Number 8-9, Août–Septembre 2012
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Page(s) | 708 - 710 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2012288012 | |
Published online | 22 August 2012 |
Mécanisme d’action des oncogènes à homéodomaine TLX dans les LAL-T
Deciphering functional activity of TLX homeodomain oncogenes in T-ALL: a clue for a differentiating therapy?
1
Université de médecine, Paris Descartes Sorbonne Cité, Paris, France
2
Centre national de la recherche scientifique (CNRS) UMR8147, France
3
Département d’hématologie, assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), hôpital Necker-Enfants malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France
4
Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (CIML), Université Aix-Marseille, UM2, Marseille, France
5
Inserm U1104, Marseille, France
6
CNRS UMR7280, case 906, Campus de Luminy, 13288 Marseille, France
Parmi les hémopathies, les leucémies aiguës lymphoblastiques T (LAL-T) représentent 15 à 25 % de l’ensemble des LAL et se caractérisent par un phénotype d’arrêt de maturation à un stade précoce de la différenciation lymphoïde T. Ces affections représentent ainsi un groupe hétérogène de leucémies aiguës dont le trait commun est un blocage de la différenciation cellulaire à un stade donné de la maturation thymique [1, 2]. Leur pronostic, bien que nettement amélioré grâce aux progrès thérapeutiques récents, reste dans l’ensemble relativement médiocre, les taux de survie avoisinant 50 % à 5 ans chez l’adulte et environ 70 à 80 % chez l’enfant [3]. Dans ce contexte, l’identification de biomarqueurs susceptibles d’être utilisés pour la mise au point de thérapies ciblées représente un enjeu particulièrement important.
Réarrangements V(D)J du TCR et différenciation des thymocytes
L’oncogenèse des LAL-T est multigénique, avec coexistence de plusieurs dérégulations oncogéniques chez le même patient [4]. Parmi les sous-groupes identifiés, figure l’important groupe TLX marqué par la surexpression des oncogènes TLX1 ou TLX3. Ces gènes se caractérisent par la présence d’une séquence d’ADN particulière, appelée homeobox, qui code pour un domaine protéique conservé ou homéodomaine, de structure hélice-tour-hélice. Cette structure a la propriété de se lier à l’ADN et d’interagir avec des protéines partenaires. Les facteurs de transcription à homéodomaine sont généralement impliqués dans l’organogenèse, la maintenance de l’homéostasie des tissus. Ils participent au contrôle de multiples fonctions cellulaires dont la croissance, la prolifération et l’apoptose [5]. TLX1 (situé sur le chromosome 10q34) et TLX3 (situé sur le chromosome 5q35) sont dérégulés consécutivement à des translocations chromosomiques et de manière mutuellement exclusive dans environ 30 à 35 % des LAL-T adultes et pédiatriques. Dans ces affections, les protéines dérivées, TLX1 et TLX3, se trouvent alors exprimées de façon ectopique par les cellules tumorales. Ces LAL-T (appelées ci-après TLX+) se caractérisent par un stade spécifique de blocage de la différenciation thymique dénommé « cortical précoce ». Ce stade se définit notamment par la présence de réarrangements V(D)J du gène TCRβ sans expression détectable d’un récepteur membranaire TCRαβ [6], suggérant une absence de recombinaison V(D)J au locus TCRα qui serait spécifique de ces formes de leucémies. Dans les thymocytes immatures en voie de développement, les étapes de la mise en place ordonnée des réarrangements V(D)J aux locus TCRγ, δ, β et α sont reconnues comme étant critiques pour la différenciation des cellules Tgd et Tab [7]. Ainsi, les recombinaisons aux locus TCRγ, δ et β se produisent dans les thymocytes immatures précoces CD4-CD8- (double négatifs), alors que celles impliquant les segments de gène Va et Ja du locus TCRα (qui provoquent la délétion du locus intermédiaire TCRδ) sont plus tardives, se produisant dans les thymocytes CD4+CD8+ (double positifs). L’activation de la région génomique contenant les segments Ja pour les recombinaisons Va-Ja est placée sous le contrôle d’un élément de régulation appelé enhancer α (Eα). Cet élément comporte une région centrale (core) qui comprend des sites de fixation pour les facteurs de transcription LEF1, RUNX1 (runt-related transcription factor 1) et ETS1 (v-ets erythroblastosis virus E26 oncogene homolog 1), facteurs dont le recrutement s’avère essentiel pour son activité [8].
Mécanisme moléculaire de la répression de l’enhancer α (Eα)
Dans un travail récent présenté dans la revue Cancer Cell [9], nos équipes de recherche à l’Hôpital Necker-Enfants malades et au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy ont d’abord confirmé que les LAL-T TLX+ présentent bien un défaut de recombinaison de la partie Jα du locus TCRα. Nous avons ensuite établi l’existence d’un état de répression épigénétique spécifique au locus TCR-Jα, caractérisé notamment par la présence de marques d’inactivation génique du type triméthylation des résidus lysine 27 au niveau des régions amino-terminales de l’histone H3 des nucléosomes (marques H3K27me3). Il est probable que la conformation chromatinienne associée à ce marquage répressif interdise l’accessibilité de cette région du génome à la machinerie de recombinaison V(D)J (la recombinase RAG1/RAG2 y définit normalement ce qu’il est convenu d’appeler un recombination center [10]), inhibant ainsi la formation de réarrangements Vα-Jα. En conséquence, la poursuite de la différenciation cellulaire T normale vers le stade TCRαβ+ est bloquée. Un système de transfection utilisant le gène rapporteur Eα-CAT (chloramphenicol acetyltransferase), reconstituant un élément Eα core fonctionnel dans des cellules HeLa (Figure 1), a ensuite permis la mise en évidence, lorsque des protéines TLX1/3 étaient cotransfectées, d’une forte répression de l’activité transcriptionnelle dépendante de Eα.
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Figure 1. Mécanisme moléculaire de la répression de Eα. La cotransfection dans des cellules HeLa de la région core Eα associée au gène rapporteur CAT et des facteurs de transcription AML1, ETS1 et LEF1 nécessaires à son activité de stimulation de la transcription, permet de mettre en évidence la répression transcriptionnelle induite en présence des oncoprotéines TLX1 ou TLX3. |
Enfin, nous avons également levé un coin du voile sur les mécanismes moléculaires à l’origine de ces blocages en démontrant que les oncoprotéines TLX1 et TLX3, par l’intermédiaire d’une interaction protéine-protéine impliquant l’homéodomaine, lient le facteur de transcription ETS1 l via son domaine DBD (DNA binding domain) (Figures 1 et 2). Cette interaction a pour effet le recrutement des oncoprotéines TLX au niveau de Eα, le marquage épigénétique répressif (H3K27me3) évoqué plus haut, l’inactivation des réarrangements Vα-Jα et l'arrêt du processus de maturation. Le blocage de différenciation sans apoptose qui en résulte expose la cellule à d’autres événements oncogéniques dont l’accumulation au cours de l’histoire naturelle de la maladie se traduit in fine par l’émergence du clone leucémique.
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Figure 2. Mise en évidence de l’interaction TLXETS1. Vue microscopique d’un noyau de cellule TLX1+ après marquages intranucléaires à l’aide d’anticorps primaires anti-TLX1 et anti-ETS1, révélés par l’intermédiaire d’anticorps secondaires et test de fluorescence PLA (pour proximity ligation assay). Dans ce type de test, les anticorps secondaires sont couplés à des fluorochromes ainsi qu’à des oligonucléotides de séquences complémentaires. Des signaux fluorescents (spots rouges) sont générés si ces derniers anticorps peuvent se lier par hybridation oligonucléotidique, ce qui en pratique traduit l’existence de complexes protéiques au sein desquels les protéines cibles (ici TLX1 et ETS1) sont étroitement associées (distantes de moins de 40 nm). |
La restauration de la différenciation des cellules leucémiques TLX+ entraîne leur apoptose : une piste thérapeutique ?
De manière très remarquable, l’inactivation directe (knock-down de l’expression de TLX via des shARN délivrés via un vecteur lentiviral) ou indirecte (surexpression lentivirale d’un récepteur TCRαβ exogène) de ce processus répressif a pour conséquence une reprise de la différenciation T suivie d’une mort cellulaire par apoptose. Dans ce système, des cellules SIL-ALL (TLX1+) ont été transfectées à l’aide d’un lentivirus tricistronique induisant in fine l’expression d’une protéine GFP (green fluorescent protein)-TCRαβ. Les cellules SIL-ALL GFP+/sTCRαβ+, quand elles sont cultivées sur un stroma cellulaire OP9-DL11 en présence d’un cocktail de cytokines (IL [interleukine]-7, FLT3-L et SCF [stem cell factor]), subissent une apoptose massive en comparaison des cellules contrôles GFP+/sTCRαβ-. De façon notable, ce phénomène d’apoptose induite n’est pas observé dans les conditions de culture standard en l’absence de stroma cellulaire OP9-DL1. Les cellules restent ainsi dépendantes du blocage de maturation dont la levée semble incompatible avec leur survie, et ce malgré l’accumulation de nombreux autres évènements oncogéniques habituellement présents dans ces hémopathies. Il n’est pas inconcevable non plus qu’un signal TCR fort dans une cellule bloquée au stade de la β-sélection soit interprété comme un signal de sélection négative thymique et provoque l'apoptose.
Ainsi, l'accumulation des lésions oncogénétiques n'est pas suffisante à elle seule pour assurer la survie cellulaire des blastes leucémiques dans ce modèle de LAL-T. Le blocage de différenciation que crée l'effet « TCR manquant » est indispensable à la survie des cellules leucémiques TLX+. Ces résultats ouvrent des perspectives originales de thérapie ciblée différenciante dans un modèle original d’hémopathie lymphoïde.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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- Dadi S, Le Noir S, Payet-Bornet D, et al. TLX Homeodomain oncogenes mediate T cell maturation arrest in T-ALL via interaction with ETS1 and suppression of TCRα gene expression. Cancer Cell 2012 ; 21 : 563–576. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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Liste des figures
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Figure 1. Mécanisme moléculaire de la répression de Eα. La cotransfection dans des cellules HeLa de la région core Eα associée au gène rapporteur CAT et des facteurs de transcription AML1, ETS1 et LEF1 nécessaires à son activité de stimulation de la transcription, permet de mettre en évidence la répression transcriptionnelle induite en présence des oncoprotéines TLX1 ou TLX3. |
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Figure 2. Mise en évidence de l’interaction TLXETS1. Vue microscopique d’un noyau de cellule TLX1+ après marquages intranucléaires à l’aide d’anticorps primaires anti-TLX1 et anti-ETS1, révélés par l’intermédiaire d’anticorps secondaires et test de fluorescence PLA (pour proximity ligation assay). Dans ce type de test, les anticorps secondaires sont couplés à des fluorochromes ainsi qu’à des oligonucléotides de séquences complémentaires. Des signaux fluorescents (spots rouges) sont générés si ces derniers anticorps peuvent se lier par hybridation oligonucléotidique, ce qui en pratique traduit l’existence de complexes protéiques au sein desquels les protéines cibles (ici TLX1 et ETS1) sont étroitement associées (distantes de moins de 40 nm). |
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