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Med Sci (Paris)
Volume 28, Number 1, Janvier 2012
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Page(s) | 26 - 28 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2012281009 | |
Published online | 27 January 2012 |
Levée de rideau sur la spinophiline, un suppresseur de tumeurs
When the curtain goes up on spinophilin’s tumor suppressor function
Institut de physiologie et biologie cellulaires, pôle biologie santé, université de Poitiers, CNRS UMR 6187, 40, avenue du recteur Pineau, Poitiers, 86022, France
La spinophiline, expression tissulaire et partenaires
La spinophiline (SPN ou neurabine2) est une protéine modulaire qui a été caractérisée à la fin des années 1990 dans des homogénats de cerveaux de rats et humains sur la base de ses propriétés de protéine régulatrice de la sous-unité catalytique de la protéine phosphatase 1 (PP1c) et de protéine se liant à la F-actine [1, 2]. La SPN est une protéine de 817 acides aminés constituée par un domaine qui lie la F-actine, un domaine qui interagit avec plusieurs récepteurs couplés aux protéines G (GPCR), un domaine de liaison à la PP1c renfermant le motif peptidique R/K-R/K-V/I-X-F, un domaine PDZ (PSD95/DLG/zo-1) et trois domaines coiled-coil permettant une multimérisation [3]. L’« interactome » de la SPN comprend une trentaine de protéines parmi lesquelles des éléments du cytosquelette, des enzymes, des récepteurs membranaires (GPCR et récepteurs-canaux), des canaux ioniques, des facteurs d’échange de nucléotides guaniliques (GEF), des régulateurs de la signalisation des protéines G (RGS) et d’autres protéines comme le suppresseur de tumeur ARF (alternative reading frame, produit du locus INK4a/ARF). Il est ainsi progressivement apparu que la SPN n’était pas une simple protéine de régulation de certaines isoenzymes de la PP1 (comme l’alpha, PP1α) mais une véritable protéine d’échafaudage dont les différents domaines permettent de former une plateforme de signalisation localisant la PP1c à proximité de ses substrats et lui conférant une spécificité vis-à-vis de ceux-ci [4]. Bien que l’expression de la SPN soit ubiquitaire, les études se sont à ce jour surtout focalisées sur le rôle de la SPN dans les mécanismes de plasticité synaptique au niveau de l’hippocampe et du striatum [5]. Parmi les études s’intéressant à la SPN présente au niveau des tissus périphériques, celle de l’équipe de La Mantia de l’université de Naples, montrait que la protéine d’échafaudage interagissait dans des cellules de mammifères avec une protéine nucléolaire, le suppresseur de tumeur ARF, et proposait un rôle de la SPN dans la croissance cellulaire [6].
Le locus du gène codant pour la spinophiline est localisé sur le chromosome 17 en position 17q21.33, une région qui est fréquemment associée à une instabilité des microsatellites et une perte d’hétérozygotie observée dans différents cancers humains. Cette région renferme une forte densité de gènes suppresseurs de tumeurs dont certains sont bien connus (BRCA1, breast cancer 1), d’autres supposés et enfin des candidats non encore identifiés et localisés distalement par rapport au locus de BRCA1. Ainsi, des études menées dans les cancers du sein et les cancers ovariens ont suggéré la présence d’un gène suppresseur de tumeur inconnu dans cette zone incluant le locus du gène codant pour la SPN. Toutefois, en dépit de ces corrélations génétiques, aucune étude approfondie n’avait prouvé qu’une fonction suppresseur de tumeur pourrait être attribuée à la SPN.
Preuves expérimentales du rôle de la spinophiline dans la régulation du cycle cellulaire et la tumorigenèse
L’équipe de Amancio Carnero de l’institut de biomédecine de Séville a publié en 2011 trois articles complémentaires impliquant la spinophiline dans la régulation du cycle cellulaire et la tumorigenèse.
- Dans un premier article, ils analysent par immunohistochimie une série de 35 tumeurs pulmonaires humaines et révèlent l’absence de la SPN dans 20 % et une diminution de son niveau d’expression dans 37 % de ces tumeurs [7]. La perte d’expression de la SPN est associée à un phénotype cellulaire moins différencié, un grade tumoral plus élevé et un mauvais pronostic. Une corrélation a également été faite entre la perte d’expression de la SPN, la mutation de p53 et son accumulation nucléaire. D’autre part, des cellules pulmonaires cancéreuses humaines dépourvues de p53, ou exprimant une forme mutée de p53, ont un pouvoir tumoral plus agressif lorsqu’on réduit la quantité de SPN en traitant les cellules par un shARN. Ces résultats montrent que la perte d’expression de la SPN par ces cellules tumorales contribue au processus cancéreux en l’absence de p53.
- Dans leur deuxième article, les auteurs ont étudié la fonction suppresseur de tumeur de la SPN dans des modèles in vivo en utilisant des souris modifiées génétiquement [8]. Les souris Spn−/− ont une espérance de vie réduite, une fréquence accrue de lésions précancéreuses dans certains tissus, comme les conduits des glandes mammaires, ainsi que des tumeurs spontanées précoces comme les lymphomes. Dans une autre série d’expériences, les auteurs ont testé les effets de différentes combinaisons des allèles de la SPN chez des souris exprimant une p53 mutée (p53R172H) au niveau des glandes mammaires. Ainsi, le nombre des lésions précancéreuses mais aussi des carcinomes mammaires observés chez les souris Spn−/− ou Spn+/- est très supérieur à celui des souris Spn+/+. Ces résultats confirment une relation fonctionnelle entre p53 et la Spn dans les processus cancéreux et montrent que l’absence de Spn ne semble pas contribuer à l’initiation, mais plutôt à la progression tumorale.
- Dans une troisième étude réalisée sur des fibroblastes d’embryons de souris (MEF), l’équipe de Carnero propose un mécanisme d’action pour la Spn : elle jouerait un rôle de suppresseur de tumeurs en stabilisant la PP1cα et en régulant l’activité de la phosphatase vis-à-vis de pRb (forme phosphorylée de la protéine du rétinoblastome). En effet, les résultats de cette équipe indiquent que d’une part la surexpression ectopique de Spn dans des cellules MEF immortalisées réduit fortement la croissance cellulaire, et d’autre part qu’en l’absence de Spn (MEF Spn−/− ), pRb est augmentée alors que parallèlement l’expression et l’activité de la PP1α diminuent [9]. Rb phosphorylée ne peut plus inhiber e2F1, provoquant dans un premier temps une prolifération1, suivie d’une augmentation de l’activité de ARF, induisant elle-même celle de p53. ARF et p53 sont tous les deux des suppresseurs de tumeurs car ils régulent le cycle cellulaire ; eux-mêmes sont sous le contrôle de Mdm2 (mouse double minute 2), protéine navette entre le noyau et le cytoplasme. Certains membres de la famille des facteurs de transcription e2F sont eux aussi impliqués dans la régulation du cycle cellulaire, en particulier e2F1 : l’augmentation de son expression induit une élévation du taux de ARF, qui peut lier Mdm2 et stabiliser p53. Dans les MEF p53−/− , l’absence de la Spn augmente le potentiel tumoral des cellules. En effet, l’inhibition de e2F par Rb étant levée, la prolifération cellulaire n’est plus contrôlée en retour par p53. De plus, l’absence de Spn contribue à créer des altérations génétiques pendant l’immortalisation des cellules MEF, en particulier des mutations de p53. Ces résultats rejoignent les observations réalisées par la même équipe sur les souris modifiées génétiquement [8]. La Figure 1 schématise les relations fonctionnelles entre ces différentes protéines au cours de la régulation du cycle cellulaire, et les conséquences résultant soit de l’absence de Spn seule, soit de l’absence de Spn et de p53.
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Figure 1. Régulation du cycle cellulaire par le suppresseur de tumeur p53 et la SPN. A. En présence de p53 et de la Spn le cycle cellulaire est normalement régulé. La liaison de la PP1cα à la Spn permet la déphosphorylation de pRb, ce qui inhibe e2F1 et donc la prolifération. De plus les suppresseurs de tumeurs p53 et ARF, ce dernier étant un partenaire de la Spn, régulent le cycle cellulaire via Mdm2 et e2F1 de façon complexe (les relations mutuelles entre les protéines apparaissant en A sont ensuite simplifiées de façon à se focaliser sur les variations observées en B et C). B. En présence de p53 et en absence de Spn, prolifération cellulaire suivie d’une nouvelle régulation du cycle cellulaire. L’expression et l’activité de la PP1cα sont diminuées, induisant une élévation de pRb levant l’inhibition de e2F1 et provoquant ainsi une prolifération cellulaire. Dans un second temps, une régulation du cycle cellulaire impliquant e2F, ARF, Mdm2 et p53 est mise en place. C. L’absence combinée de p53 et de la Spn se traduit par une prolifération cellulaire et une tumorigenèse. En absence de la Spn, la prolifération cellulaire n’est plus contrôlée en retour par p53. |
Tous ces résultats suggèrent fortement que la SPN est un nouveau suppresseur de tumeur (dont le gène est localisé en 17q21.33 chez l’homme) agissant via la régulation de pRb et dont la fonction est dévoilée en absence d’une p53 fonctionnelle. Cette fonction rappelle celle de NIAM (nucleolar interaction of ARF and MDM2 protein) qui s’exerce via les mêmes partenaires, ARF et p53 [10]. Ainsi, 10 ans après la publication des premières observations suggérant une fonction de la Spn dans la croissance cellulaire [6], le rideau se lève sur sa fonction suppresseur de tumeurs.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.
Références
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- Satoh A, Nakanishi H, Obaishi H, et al. Neurabin-II/spinophilin. An actin filament-binding protein with one pdz domain localized at cadherin-based cell-cell adhesion sites. J Biol Chem 1998 ; 273 : 3470–3475. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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- Vivo M, Calogero RA, Sansone F, et al. The human tumor suppressor ARF interacts with spinophilin/neurabin II, a type 1 protein-phosphatase-binding protein. J Biol Chem 2001 ; 276 : 14161–14169. [PubMed] [Google Scholar]
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- Ferrer I, Peregrino S, Canamero M, et al. Spinophilin loss contributes to tumorigenesis in vivo. Cell Cycle 2011 ; 10 : 1948–1955. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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- Tompkins VS, Hagen J, Frazier AA, et al. A novel nuclear interactor of ARF and MDM2 (NIAM) that maintains chromosomal stability. J Biol Chem 2007 ; 282 : 1322–1383. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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Liste des figures
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Figure 1. Régulation du cycle cellulaire par le suppresseur de tumeur p53 et la SPN. A. En présence de p53 et de la Spn le cycle cellulaire est normalement régulé. La liaison de la PP1cα à la Spn permet la déphosphorylation de pRb, ce qui inhibe e2F1 et donc la prolifération. De plus les suppresseurs de tumeurs p53 et ARF, ce dernier étant un partenaire de la Spn, régulent le cycle cellulaire via Mdm2 et e2F1 de façon complexe (les relations mutuelles entre les protéines apparaissant en A sont ensuite simplifiées de façon à se focaliser sur les variations observées en B et C). B. En présence de p53 et en absence de Spn, prolifération cellulaire suivie d’une nouvelle régulation du cycle cellulaire. L’expression et l’activité de la PP1cα sont diminuées, induisant une élévation de pRb levant l’inhibition de e2F1 et provoquant ainsi une prolifération cellulaire. Dans un second temps, une régulation du cycle cellulaire impliquant e2F, ARF, Mdm2 et p53 est mise en place. C. L’absence combinée de p53 et de la Spn se traduit par une prolifération cellulaire et une tumorigenèse. En absence de la Spn, la prolifération cellulaire n’est plus contrôlée en retour par p53. |
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