Free Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 26, Number 1, Janvier 2010
Page(s) 5 - 8
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/20102615
Published online 15 January 2010

Ces deux dernières décennies, les avancés technologiques effectuées dans le domaine de la thérapie cellulaire ont permis d’améliorer considérablement le pronostic vital des grands brûlés. À ce jour, le principal traitement disponible pour ces patients est l’autogreffe d’épiderme. Cette technique consiste à effectuer une biopsie cutanée de quelques mm2 dans une zone saine, d’en isoler les progéniteurs kératinocytaires les plus immatures (souches), de les amplifier in vitro et de leur permettre de reconstituer un épiderme qui sera finalement greffé sur le patient [1]. L’inconvénient majeur de cette technique est le délai incompressible de trois semaines nécessaire à l’obtention d’une quantité suffisante de kératinocytes greffables. Durant cette période, les plaies du patient sont généralement recouvertes de peau prélevée sur des cadavres et décellularisée afin de limiter les risques de déshydratation et d’infection. Ces allogreffes peuvent toutefois entraîner des réactions immunitaires et elles sont disponibles en quantité limitée. Pour pallier ce manque, de nouveaux substituts ont été mis au point, telles que des matrices inertes ou biologiques contenant du collagène bovin et/ou des cellules de peau allogéniques [2]. Cependant, ces technologies ne permettent pas de s’affranchir du risque de rejet immunitaire et de transmission d’agents pathogènes.

Grâce à leurs capacités d’autorenouvellement et de pluripotence, les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) représentent une source illimitée de cellules dont la différenciation peut être induite « à la demande » dans l’ensemble des types cellulaires de l’organisme. La reconstitution d’un épiderme à partir de kératinocytes dérivés de CSEh représenterait donc une alternative thérapeutique à l’utilisation de ces pansements biologiques transitoires. Des études préalables ont montré que les CSEh et leurs dérivés présentaient un faible niveau d’expression d’antigènes majeurs du CMH (complexe majeur d’histocompatibilité), laissant penser que la réponse de l’hôte contre le greffon pourrait être limitée ou retardée, permettant ainsi d’éviter le rejet du pansement [3].

Plusieurs équipes internationales ont essayé de transposer ce modèle à la recherche dermatologique. Ces travaux, dans un premier temps prometteurs, n’avaient cependant pas permis jusqu’alors d’aboutir à la genèse d’un épiderme fonctionnel. Notre équipe vient de publier un protocole de différenciation séquentielle qui permet de dériver - à partir de CSEh - une population pure et homogène de kératinocytes capables de reconstituer un épiderme pluristratifié aussi bien in vitro qu’in vivo [4].

Un protocole de différenciation fondé sur la chronobiologie de l’ontogenèse

La réussite de notre équipe tient vraisemblablement en premier lieu à l’application d’un concept qui s’impose aujourd’hui progressivement dans toutes ces recherches, celui du respect de la chronobiologie observée durant l’ontogenèse. Cette prise en compte nous avait permis d’obtenir la différenciation de CSEh en neurones moyens-épineux GABAergiques du striatum [5]. Dans le cas de la peau, les protocoles testés précédemment s’appuyaient sur l’idée qu’une induction des CSEh limitée dans le temps permettrait d’orienter les cellules vers le lignage kératinocytaire ; notre démarche au contraire a été de maintenir le traitement par des cytokines et des agents pharmacologiques des cellules jusqu’à l’apparition du phénotype cellulaire recherché. L’engagement des CSEh dans le lignage épidermique a ainsi été rendu possible en combinant à la fois leur coculture en présence de cellules nourricières et un traitement pharmacologique de plus de 40 jours (Figure 1A). Les CSEh ont été traitées avec de l’acide ascorbique et la protéine morphogène de type 4 (BMP4), et placées dans les conditions de cultures adaptées à la survie et à la prolifération de kératinocytes définies par les travaux princeps de Rheinwald et Green [6]. Nous avons suivi l’évolution du profil d’expression génétique des cellules au fur et à mesure du processus de différenciation et montré qu’elle respectait effectivement la chronobiologie du développement embryonnaire de la peau humaine. Dès les premiers jours, l’expression de la protéine SSEA3 diminue, suggérant la perte des capacités pluripotentes des CSEh (Figure 1B). Au jour 10 de culture, parallèlement à l’acquisition d’une morphologie de type épithélial, les cellules expriment transitoirement la kératine 18, normalement exprimée par les progéniteurs épithéliaux au cours du développement embryonnaire (Figure 1B). Au jour 20, elles commencent à s’engager définitivement dans le lignage kératinocytaire et à exprimer la kératine 14 (Figure 1B). Ce n’est toutefois qu’après 40 jours de traitement par BMP4 et l’acide ascorbique que l’ensemble des marqueurs caractéristiques des kératinocytes est identifié sur une population de cellules qui a pu être isolée et amplifiée. Ces cellules appelés K-hES pour « keratinocytes-derived human embryonic stem cells » présentent une morphologie en tout point similaire à celle des kératinocytes basaux adultes (Figure 2A). Ces cellules n’expriment plus OCT4 et NANOG, les facteurs de transcription caractéristiques des CSEh ; en revanche, elles sont positives pour l’ensemble des marqueurs caractéristiques des kératinocytes, les kératines 5 et 14 (95 % de cellules positives), les chaînes alpha6 et bêta4 des intégrines et synthétisent des protéines de la matrice extracellulaire, dont le collagène de type VII et la laminine de type 5 (Figure 2B et C).

thumbnail Figure 1.

Processus de différenciation des cellules souches embryonnaires humaines en kératinocytes. Les CSEh sont différenciées en kératinocytes après 40 jours de traitement par différents agents pharmacologiques et par des cytokines mimant les signaux impliqués dans la formation de l’épiderme au cours du développement embryonnaire humain. On retrouve l’expression des marqueurs caractéristiques de chacune des étapes du développement (A) et une chute rapide des marqueurs de pluripotence (OCT4, NANOG et SSEA3), l’expression transitoire des marqueurs des progéniteurs épithéliaux (kératines 8 et 18), puis l’expression des marqueurs des kératinocytes basaux (kératines 5 et 14) et enfin ceux des couches supérieures de l’épiderme (la kératine 10 et l’involucrine). L’analyse par cytométrie de flux confirme qu’une fois le processus de différenciation enclenché, les CSEh perdent l’expression de SSEA3, expriment transitoirement la kératine 18 puis la kératine 14 (B). AA : acide ascorbique ; BMP4 : bone morphogenetic protein 4 ; FAD : milieu de culture fait d’un mélange de milieu Dulbecco et Ham F12.

thumbnail Figure 2.

Établissement d’une population pure et homogène de kératinocytes dérivés de CSEh. Une fois le processus de différenciation terminé, des cellules présentant un phénotype similaire à celui des kératinocytes en culture peuvent être isolées et caractérisées. L’analyse par microscopie optique (à deux grossissements) montre que les kératinocytes dérivés des cellules souches embryonnaires (K-hESC) présentent une morphologie similaire à celle des kératinocytes adultes en culture (A), ainsi qu’un même profil d’expression de marqueurs (KRT : kératine, COL : collagène, LAM : laminine) (B) et une immunopositivité pour les kératines 5 et 14 (C).

La capacité de ces cellules à construire un épiderme pluristratifié a été mise en évidence in vitro, en ensemençant les cellules sur une matrice artificielle de polycarbonate ensuite placée à l’interface air/liquide pendant 10 jours. Dans ces conditions, les cellules poursuivent leur différenciation et forment un épiderme pluristratifié où l’on distingue l’ensemble des couches de l’épiderme humain (Figure 3A). Nous avons ensuite réalisé des études de greffe in vivo chez la souris (Figure 3B), préalable indispensable à une approche de thérapie cellulaire. Des épidermes dérivés in vitro de CSEh ont été greffés sur la région dorsale de souris immunodéficientes. Douze semaines après, le greffon présentait une architecture pluristratifiée similaire à celle d’une peau humaine adulte.

thumbnail Figure 3.

Construction d’un épiderme pluristratifié fonctionnel à partir de kératinocytes dérivés de CSEh in vitro et in vivo Des kératinocytes adultes (HK) et des K-hESC ont ainsi été ensemencés en parallèle sur des matrices de polycarbonate. Après une première phase d’expansion de 48 h les cellules ont été placées à l’interface air/liquide afin d’induire leur stratification (A). Deux semaines plus tard, la coloration hématoxyline-éosine montre que les cellules K-hES sont capables de stratifier de la même façon que des kératinocytes adultes pour former l’ensemble des couches de l’épiderme (A). Des épidermes construits in vitro à partir de K-hESC ont été greffés chez des souris immunodéficientes (B) après avoir été ensemencés sur une matrice tridimensionnelle. Quatre mois plus tard, l’analyse de la xénogreffe confirme la présence d’une peau artificielle humaine fonctionnelle.

Une recherche fondamentale applicable à la clinique

Des CSEh différenciées en kératinocytes peuvent donc être utilisées comme source cellulaire pour la production d’un épiderme humain, expérimentalement du moins. Pour passer de cette preuve de concept à la clinique, nous avons bien sûr de nombreux défis à relever. Le premier est celui du changement d’échelle dont nous avons déjà eu l’occasion de présenter les différentes facettes dans ces colonnes [7]. Le second est celui de la sécurité du geste, qui se décline au moins selon deux axes, la tolérance immunitaire et le risque tumoral. En ce qui concerne ce dernier, il n’existe pas encore de réponse absolue mais la multiplication actuelle des demandes d’autorisation d’essais cliniques auprès des agences réglementaires démontre au moins que la question est désormais posée dans des termes qui n’excluent pas l’accès au patient. Pour ce qui est de la réponse immunitaire, l’espoir est grand de voir des cellules d’origine embryonnaire provoquer des réponses très limitées, ne serait-ce que parce que des cellules fœtales, un peu plus âgées, n’en ont pas elles-mêmes provoqué de massives [8].

Récemment, un nouveau type de cellules pluripotentes a vu le jour en offrant des perspectives quasi illimitées à la communauté scientifique internationale, les cellules appelées cellules souches « induites à la pluripotence (iPS) », cellules adultes reprogrammées présentant les mêmes caractéristiques de pluripotence et d’autorenouvellement que les CSEh. La création de centres de ressources biologiques inventoriant des kératinocytes dérivés d’iPS caractérisés et dont le phénotype CMH a été défini permettrait aux médecins de venir puiser, en fonction du besoin, des cellules présentant une combinaison de marqueurs du CMH compatible avec celle du malade en attente de greffe [9]. Nous proposerons d’utiliser ces lignées afin de produire des cellules de l’épiderme pour une thérapie cellulaire appliquée au traitement des grands brûlés mais également à d’autres pathologies cutanées telles que les génodermatoses ou les ulcérations qui, par exemple, sont une des complications chez un grand nombre de patients diabétiques

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

Remerciements

Ce travail a été soutenu par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l’Université Évry Val d’Essone (UEVE), l’Association française contre les myopathies (AFM), la Fondation René Touraine et Genopole.

Références

  1. Gallico GG, O’Connor NE, Compton CC, et al. Permanent coverage of large burn wounds with autologous cultured human epithelium. N Engl J Med 1984; 311 : 448–51. [Google Scholar]
  2. Metcalfe AD, Ferguson MW. Bioengineering skin using mechanisms of regeneration and repair. Biomaterials 2007; 28 : 5100–13. [Google Scholar]
  3. Taylor CJ, Bolton EM, Pocock S, et al. Banking on human embryonic stem cells: estimating the number of donor cell lines needed for HLA matching. Lancet 2005; 366 : 2019–25. [Google Scholar]
  4. Guenou H, Nissan X, Larcher F, et al. Human embryonic stem-cell derivatives for full reconstruction of the pluristratified epidermis: a preclinical study. Lancet 2009; 374 : 1745–53. [Google Scholar]
  5. Aubry L, Peschanski M, Perrier AL. Les cellules souches embryonnaires humaines pour la thérapie cellulaire de la maladie de Huntington. Med Sci (Paris) 2009; 25 : 333–5. [Google Scholar]
  6. Rheinwald JG, Green H. Serial cultivation of human epidermal keratinocytes: the formation of keratinizing colonies from single cells. Cell 1975; 6 : 331–4. [Google Scholar]
  7. Peschanski M. Cellules souches : l’heure venue du changement d’échelle. Med Sci (Paris) 2008; 24 : 335–8. [Google Scholar]
  8. Touraine JL. Greffes de cellules souches et perspectives. Revue Médicale Suisse 2000; n° 701 (online). [Google Scholar]
  9. Nakatsuji N, Nakajima F, Tokunaga K. HLA-haplotype banking and iPS cells. Nat Biotechnol 2008; 26 : 739–40. [Google Scholar]

© 2010 médecine/sciences - Inserm / SRMS

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Processus de différenciation des cellules souches embryonnaires humaines en kératinocytes. Les CSEh sont différenciées en kératinocytes après 40 jours de traitement par différents agents pharmacologiques et par des cytokines mimant les signaux impliqués dans la formation de l’épiderme au cours du développement embryonnaire humain. On retrouve l’expression des marqueurs caractéristiques de chacune des étapes du développement (A) et une chute rapide des marqueurs de pluripotence (OCT4, NANOG et SSEA3), l’expression transitoire des marqueurs des progéniteurs épithéliaux (kératines 8 et 18), puis l’expression des marqueurs des kératinocytes basaux (kératines 5 et 14) et enfin ceux des couches supérieures de l’épiderme (la kératine 10 et l’involucrine). L’analyse par cytométrie de flux confirme qu’une fois le processus de différenciation enclenché, les CSEh perdent l’expression de SSEA3, expriment transitoirement la kératine 18 puis la kératine 14 (B). AA : acide ascorbique ; BMP4 : bone morphogenetic protein 4 ; FAD : milieu de culture fait d’un mélange de milieu Dulbecco et Ham F12.

Dans le texte
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Établissement d’une population pure et homogène de kératinocytes dérivés de CSEh. Une fois le processus de différenciation terminé, des cellules présentant un phénotype similaire à celui des kératinocytes en culture peuvent être isolées et caractérisées. L’analyse par microscopie optique (à deux grossissements) montre que les kératinocytes dérivés des cellules souches embryonnaires (K-hESC) présentent une morphologie similaire à celle des kératinocytes adultes en culture (A), ainsi qu’un même profil d’expression de marqueurs (KRT : kératine, COL : collagène, LAM : laminine) (B) et une immunopositivité pour les kératines 5 et 14 (C).

Dans le texte
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Construction d’un épiderme pluristratifié fonctionnel à partir de kératinocytes dérivés de CSEh in vitro et in vivo Des kératinocytes adultes (HK) et des K-hESC ont ainsi été ensemencés en parallèle sur des matrices de polycarbonate. Après une première phase d’expansion de 48 h les cellules ont été placées à l’interface air/liquide afin d’induire leur stratification (A). Deux semaines plus tard, la coloration hématoxyline-éosine montre que les cellules K-hES sont capables de stratifier de la même façon que des kératinocytes adultes pour former l’ensemble des couches de l’épiderme (A). Des épidermes construits in vitro à partir de K-hESC ont été greffés chez des souris immunodéficientes (B) après avoir été ensemencés sur une matrice tridimensionnelle. Quatre mois plus tard, l’analyse de la xénogreffe confirme la présence d’une peau artificielle humaine fonctionnelle.

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