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Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 25, Mai 2009
Biotechnologies et innovation thérapeutique
Bioproduction
Cellules souches
Biologie synthétique
Page(s) 3 - 4
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2009252s3
Published online 15 February 2009

« Élémentaire mon cher Watson ! », tel était le thème d’une après-midi récréative à laquelle venaient de participer, dans un centre de culture scientifique grand public, deux de mes petites filles de 10 et 11 ans, en vacances pour quelques jours chez leurs grands-parents. Je m’attendais, à leur retour, au compte rendu de quelque jeu de piste policier, mais quelle ne fut pas ma surprise de les voir me tendre fièrement deux petits tubes où quelques filaments blancs flottaient dans un liquide et me crier : « papy, regarde notre ADN ! ». Ces petites filles ont l’âge de Genopole® et une empreinte génétique ne les étonne pas plus qu’une empreinte digitale, mais nous reviendrons à la fin sur les questions de formation et d’éducation.

Ce numéro hors série de Médecine/Sciences est consacré au dixième anniversaire de la création de Genopole® à Évry et c’est un redoutable honneur qui m’échoit d’en écrire les premières lignes. Plutôt que m’exercer à une introduction conventionnelle, je profite de la carte blanche qui m’a été donnée pour évoquer quelques souvenirs personnels à ce propos.

Physicien spécialiste du magnétisme, je ne connaissais du vivant que ce que j’en avais appris au cours de mes études et en construisant des machines d’imagerie par résonance magnétique nucléaire. En arrivant à la direction générale du CNRS en 1994, le département des sciences de la vie que dirigeait Pierre Tambourin m’a immédiatement fasciné car il était en pleine évolution pour ne pas dire révolution. La biologie était devenu moléculaire, pas encore systémique ni synthétique, et je disais alors naïvement à Pierre que l’on commençait à appréhender et à comprendre les choses en biologie, comme en physique !

Nous étions souvent seuls, très tôt le matin, dans nos bureaux du siège du CNRS. Je pouvais le voir de l’autre côté de la cour et quand je constatais qu’il avait terminé la brève lecture de son quotidien sportif préféré, je le pressais de questions comme celles-ci :

  • comment les protéines, se replient-elles ? pendant leur processus de fabrication ou après ? est-ce réversible ? peut-on imaginer « débobiner » et « rembobiner » les prions de la vache folle ?

  • est-on vraiment certain que ces morceaux d’ADN qui ne servent apparemment à rien sont des restes inutiles de l’évolution que la Nature n’a pas pris la peine d’éliminer ?

  • je viens de lire un article dans Science sur les « stem cells », c’est quoi exactement et que peut-on faire avec ?

Nous étions alors persuadés qu’il fallait que le CNRS s’engage de toutes ses forces pluridisciplinaires, et surtout avec des méthodes de management inédites pour lui, dans cette nouvelle ère de la biologie. Nos discussions avec Bernard Barataud, infatigable et bouillant promoteur de l’Association française contre les myopathies (AFM), ne pouvaient que renforcer cette conviction mais le temps nous a manqué et la « viscosité » du système, chère à Claude Allègre, n’y est pas étrangère.

Ce dernier devient ministre en 1997 et ses premières décisions n’augurent rien de bon pour l’avenir de la biologie : il décrète l’arrêt de la construction du centre de rayonnement synchrotron Soleil, dont les études étaient terminées et le financement pourtant assuré, la structure des protéines, entre autres thèmes de recherche, pouvait attendre. S’agissait-il du syndrome classique dit NIH, « not invented here » ? Il se rattrapera, si l’on peut ainsi le dire, l’année suivante en décidant la création de Genopole® à Évry et en confiant sa direction à Pierre Tambourin, puis en menant à leur terme, avec la loi du 12 juillet 1999, les modifications législatives nécessaires pour favoriser l’innovation et la création d’entreprises par les chercheurs, modifications dont l’élaboration était en discussion avant son arrivée, mais s’était enlisée, précisément victime de la viscosité.

J’ai accepté avec enthousiasme la présidence du Comité d’orientation de Genopole®, ce qui m’a permis d’en suivre l’essor de très près et d’apprécier les succès exemplaires de cette « genetic valley » qui en ont fait un acteur de dimension et de réputation internationales. Tout n’a pas été et ne sera jamais facile pour Genopole® qui a réussi à échapper aux standards de l’organisation étatique de la recherche française et à résister à toutes les tentatives de normalisation. L’une de ces tentatives, typiquement dans notre tradition, fut un plan de généralisation : on allait créer une dizaine de « génopoles » sur le territoire. Malheureusement pour un tel plan, le modèle élaboré à Évry n’est pas si facile à copier que cela, car ce sont surtout les hommes qui comptent.

Deux des acteurs essentiels de cette aventure ont déjà été cités, mais beaucoup d’autres sont parvenus à surmonter les clivages traditionnels de notre société pour que l’État (ministères, organismes de recherche, établissements d’enseignement supérieur), les collectivités territoriales, les entreprises privées et les associations caritatives fassent un bout de chemin vertueux ensemble.

Puisqu’il est question de notre société, Genopole® s’est aussi investi dans son éducation et ce n’est pas une tâche mineure, car les progrès de la biologie moderne doivent être compris par le plus grand nombre pour ne pas être remis en cause par les zélateurs de l’antiscience. Depuis longtemps déjà, une de leurs cibles était le « nucléaire », c’est maintenant à la biologie nouvelle qu’ils s’en prennent et seules la formation et l’éducation pourront triompher de l’obscurantisme.


© 2009 médecine/sciences - Inserm / SRMS

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