Issue |
Med Sci (Paris)
Volume 23, Number 3, Mars 2007
|
|
---|---|---|
Page(s) | 232 - 234 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2007233232 | |
Published online | 15 March 2007 |
Cancer familial du pancréas et gène palladin
Un nouveau regard sur le processus cancéreux
Familial pancreatic cancer and palladin gene: a new look upon the cancer mechanisms
Médecine/Sciences, 9, rue Basse, 54330 Clérey-sur-Brénon, France
*
sgilgenkrantz@medecinesciences.org
La découverte tout à fait exceptionnelle d’une famille où le cancer du pancréas se transmet de façon mendélienne a permis de découvrir un gène qui intervient très tôt dans le processus de cancérogenèse de ce carcinome pancréatique familial. Fait inattendu, le gène, nommé palladin, code une protéine qui participe à l’architecture du cytosquelette. Or, la perte de la polarité cellulaire, l’augmentation de la mobilité et l’envahissement des structures environnantes font partie intrinsèque du processus cancéreux. Il se pourrait donc que palladin soit un proto-oncogène et que des mutations, ici germinales, mais aussi somatiques dans les cancers sporadiques, interviennent précocement dans la survenue des cancers pancréatiques. Actuellement, il ne s’agit que d’une hypothèse, mais elle est assez signifiante pour que des recherches se poursuivent dans cette voie.
© 2007 médecine/sciences - Inserm / SRMS
Le cancer du pancréas est une des formes de cancer les plus sévères (95 % de mortalité à 5 ans). Il est rarement détecté avant qu’il ait atteint le stade métastatique, car il a la particularité de n’occasionner que peu de symptômes. Il est presque toujours sporadique, mais les analyses de constellations familiales laissent supposer une implication génétique dans 10 % des cas. Il peut aussi survenir dans des syndromes de cancers familiaux (syndrome de Peutz-Jeghers, môles familiales atypiques ou mélanomes familiaux, entre autres).
Fait tout à fait exceptionnel, l’équipe de Teri Brenthall (Université de Washington, Seattle, États-Unis) avait découvert, en 1995, une famille dans laquelle 9 personnes étaient décédées d’un cancer du pancréas (adénocarcinome) et où l’établissement de l’arbre généalogique montrait clairement une transmission autosomique dominante [1]. Pour toutes les personnes de la famille (appelée famille X), un protocole de surveillance endoscopique, afin de détecter les dysplasies pancréatiques précancéreuses (PanIN, pancreatic intra-epithelial neoplasia), avait, par la suite, été instauré. Les PanIN se subdivisent en 3 grades : le grade 1 correspond à une hyperplasie, le grade 2 à une dysplasie et le grade 3 à un carcinome in situ.
À la recherche d’un gène dans la famille X
En 2001, ce suivi avait permis de dépister 18 personnes à risque [2]. Une analyse de ségrégation familiale sur quatre générations (25 sujets) avait alors permis de trouver un locus de susceptibilité en 4q32-34 [3]. De nombreux gènes candidats se trouvant dans cette région, des séquençages de ceux-ci furent effectués sans réussir à trouver le gène impliqué. Une nouvelle stratégie fut alors adoptée, reposant sur une étude des micro arrays (243 séquences Unigen couvrant la région d’intérêt) avec expression comparative à partir de l’ADN de 10 cancers du pancréas sporadiques et de tissu précancéreux de malades de la famille [4].
La recherche reposait sur l’hypothèse suivante : avant que la transformation néoplasique n’entraîne de nombreux remaniements du génome, le gène muté devait pouvoir être détecté dans les tissus précancéreux. Si le gène était un suppresseur de tumeur, l’expression devait être éteinte ; si le gène était un proto-oncogène, l’expression devait être augmentée.
Dans cette recherche initiale, deux clones palladin apparurent nettement surexprimés dans la lésion précancéreuse et dans les 10 cancers sporadiques. Des mesures de l’expression montraient que celle-ci était plus élevée dans les cancers que dans les lésions précancéreuses.
Afin de valider ces premières constatations, des mesures de l’expression du gène palladin (avec des amorces des exons 9 et 10) furent effectués sur des tissus pancréatiques : 16 cancers sporadiques, 4 lésions précancéreuses, 9 tissus adjacents histologiquement normaux et 6 tissus pancréatiques normaux. Les résultats de la mesure de l’ARN palladin par RT-PCR quantitative confirmèrent la surexpression dans les cancers ainsi que dans les tissus adjacents, indiquant la précocité de la surexpression dans les processus cancéreux.
Vingt gènes de la région d’intérêt furent séquencés sans déceler aucune anomalie. En revanche, dans la famille X, sur 12 sujets avec dysplasie ou cancer et 16 sujets indemnes, les résultats suivants ont été observés : atteints - et seulement eux - étaient porteurs d’une mutation dans le gène palladin : une transition C → T entraînant un changement d’acide aminé, une sérine (hydrophile) au lieu d’une proline (hydrophobe) au site 239, dans une région très conservée de la protéine palladine. L’hypothèse d’un simple polymorphisme paraît peu probable car la région modifiée semble fonctionnellement importante : elle code un site de liaison à l’α-actinine (Figure 1) [5].
Figure 1. La palladine se lie à d’autres protéines, comme l’ezrine [6]. Il a été démontré que certaines protéines (ezrine et protéine S 100 P, entre autres) sont anormalement régulées dans le cancer du pancréas [9, 11] (d’après [4]). |
Le gène palladin
Le gène palladin (ou PALLP) découvert en 2000, est nommé ainsi en l’honneur d’Andrea Palladio1, architecte de la Renaissance italienne, du fait de son rôle clé dans l’architecture cellulaire. Il comporte 31 exons et au moins 8 transcrits alternatifs. Il a été isolé par l’équipe de Carol Otey (Université de Caroline du Nord, États-Unis) et code une protéine qui est un composant du réseau d’actine dans le cytosquelette [6]. Rappelons que l’actine est constituée de microfilaments de 9 nm (Figure 2) et que le réseau d’actine, localisé sous la membrane plasmique, constitue un maillage bi-dimensionnel associé à la membrane. Il forme des pôles supportant la membrane cellulaire et représente une véritable charpente pour le cytoplasme périphérique. Son interaction avec le domaine intracytoplasmique des intégrines, connectant la cellule à la matrice extracellulaire, confère à la cellule sa polarité, sa forme, sa capacité d’adhérence et de contraction. Pendant la migration, le réseau se dynamise. La rupture du cytosquelette est directement liée au potentiel métastatique des cellules cancéreuses. Elles se détachent de la masse tumorale et deviennent capables de migrer.
Figure 2. Structure des microfilaments d’actine. |
Dans certains cancers, y compris les cancers du pancréas, des pertes d’hétérozygotie de la région 4q ont été observées. Mais les études en CGH (hybridation génomique comparative) n’ont montré ni perte ni gain au locus 4q32-43 dans les cancers pancréatiques [7]. En revanche, la surexpression, de même que le nombre des allèles dans les tissus de 2 malades de la famille X (avec chaque fois seulement 2 allèles), sont en faveur d’un rôle de proto-oncogène. Un séquençage du gène palladin dans 7 lignées cellulaires provenant de cancers pancréatiques sporadiques a permis de retrouver une autre mutation, à nouveau dans une région conservée du gène.
Conséquence de la mutation de PALLP sur la migration cellulaire
Afin de rechercher d’éventuelles différences entre l’architecture et le comportement des cellules avec palladine normale et palladine mutée, les auteurs ont transfecté des lignées de cellules HeLa. Ils ont pu constater que les cellules ayant reçu une protéine de fusion palladine-GFP (green fluorescence protein) ne montrent pas cette fluorescence verte diffuse observée dans l’ensemble du cytoplasme des cellules transfectées avec la séquence sauvage. On trouve en revanche des zones denses dans le cytoplasme d’amas de palladine, qui ne colocalisent pas avec l’actine. De plus, placées sur une membrane recouverte de fibronectine dans des chambres permettant de mesurer la migration, les cellules transfectées avec la séquence mutée ont une motilité de 33 % supérieure à celle des cellules transfectées avec la séquence sauvage. La mutation P239S induit donc une augmentation de la motilité cellulaire, comme dans les cellules cancéreuses [8].
Conclusions
Ce travail jette un nouvel éclairage sur les cancers pancréatiques. Mais les mutations du gène palladin n’ont été observées que dans une seule famille. On ignore actuellement si ce gène intervient dans l’émergence des cancers pancréatiques sporadiques. Chez la souris, on a pu observer que l’invalidation du gène Pallp a un effet létal, avec anomalie de fermeture du tube neural [10]. Il serait intéressant d’observer chez cet animal les conséquences du gène muté. On peut aussi se demander pourquoi cette mutation du gène palladin qui, dans sa forme sauvage, est ubiquitaire, n’a de conséquences que sur le pancréas dans la famille X. De nombreux travaux ont été réalisés qui ont permis de connaître des oncogènes et des gènes suppresseurs de tumeurs intervenant dans les mécanismes d’apparition des cancers du pancréas. Il importe à présent de rechercher si palladin interagit avec eux. Par exemple, il serait intéressant de voir si palladin et K-ras ont une action conjointe. Dans la population générale, même dans les cas où une prédisposition familiale semble établie, cette découverte ne permet aucune recherche en vue d’un diagnostic pré-symptomatique. Mais elle représente un espoir de plus dans cette redoutable maladie qu’est le cancer du pancréas.
Références
- Evans JP, Burke W, Chen R, et al. Familial pancreatic adénocarcinoma : association with diabetes and early molecular diagnosis. J Med Genet 1995; 32 : 330–5. [Google Scholar]
- Berentnall TA, Bronner MP, Byrd DR, et al. Early diagnosis and treatment of pancreatic dysplasia in patients with family history of pancreatic cancer. Ann Intern Med 1999; 131 : 247–55. [Google Scholar]
- Eberle MA, Pfutzer R, Pogue-Geile KL, et al. A new susceptibility locus for autosomal dominant pancreatic cancer maps to chromosome 4q32-34. Am J Hum Genet 2002; 70 : 1044–8. [Google Scholar]
- Pogue-Geile KL, Chen R, Bronner MP, et al. Palladin mutation causes familial pancreatic cancer and suggests a new cancer mechanism. PLOS Med 2006; 3 (online). [Google Scholar]
- Ronty M, Taivainen A, Moza M, et al. Molecular analysis of the interaction between palladin and alpha-actin. FEBS Lett 2004; 566 : 30–4. [Google Scholar]
- Otey CA, Rachlin A, Moza M, et al. The palladin/myotilin/myopalatin family of actin-associated scaffolds. Int Rev Cytol 2005; 246 : 31–58. [Google Scholar]
- Nowak NJ, Gaile D, Conroy JM, et al. Genome wide aberrations in pancreatic adenocarcinoma. Cancer Genet Cytogenet 2005; 161 : 36–50. [Google Scholar]
- Mesnil M. Jonctions communicantes et cancer : implications et perspectives. Med Sci (Paris) 2004; 20 : 197–206. [Google Scholar]
- Crnogorac-Jurcevic T, Missiaglia E, Blaveri E, et al. Molecular alterations in pancreatic carcinoma: expression profiling shows that dysregulated expression of S 100 genes is hightly prevalent. J Pathol 2003: 201 : 63–74. [Google Scholar]
- Luo H, Liu X, Wang F, et al. Disruption of palladin results in neural closure defects in mice. Mol Cell Neurosci 2005; 29 : 507–15. [Google Scholar]
- Akisawa N, Nishimori I, Iwamura T, et al. High levels of ezrin expressed by human pancreatic adenocarcinoma celle lines with high metastatic potential. Biochem Biophys Res Commun 1999; 258 : 395–400. [Google Scholar]
Liste des figures
Figure 1. La palladine se lie à d’autres protéines, comme l’ezrine [6]. Il a été démontré que certaines protéines (ezrine et protéine S 100 P, entre autres) sont anormalement régulées dans le cancer du pancréas [9, 11] (d’après [4]). |
|
Dans le texte |
Figure 2. Structure des microfilaments d’actine. |
|
Dans le texte |
Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.
Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.
Initial download of the metrics may take a while.