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Med Sci (Paris)
Volume 22, Number 11, Novembre 2006
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Page(s) | 993 - 994 | |
Section | Repères | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/20062211993 | |
Published online | 15 November 2006 |
Prix Nobel de Médecine 2006 Andrew Z. Fire et Craig C. Mello : Silence, on désactive les gènes
Silence, clean up genes !
Laboratoire Épigénétique et Cancer, FRE 2944, Institut André Lwoff, Batiment B, 7, rue Guy Moquet, 94800 Villejuif France
Andrew Z. Fire, Américain, est né le 27 avril 1959 à Palo Alto (Californie). Détenteur d’un Bachelor en mathématiques en 1978 (Université de Californie, Berkeley) à l’âge de 19 ans, il rejoint le Massachusetts Institute of Technology et obtient son PhD en biologie en 1983. Il effectue ensuite un post-doc dans le laboratoire de biologie moléculaire de Sydney Brenner (Prix Nobel 1992) à Cambridge (Royaume- Uni). De 1986 à 2003, il travaille à Baltimore, dans le département d’embryologie du Carnegie Institution, puis, à partir de 1989, occupe un poste de professeur associé dans le département de biologie de l’Université Johns Hopkins. Ensuite, en 2003, il est nommé professeur de pathologie et de génétique à l’école de médecine de l’Université de Stanford. Andrew Fire est également membre de la National Academy of Sciences et de l’American Academy of Arts and Science et participe au Board of Scientific Counselors et au National Center for Biotechnology. Craig C. Mello, Américain, né le 19 octobre 1960 à Worcester (Massachusetts), obtient un Bachelor of Science à la Brown University (Providence, Rhode Island) en 1982, puis son PhD à l’Université de Harvard en 1990. Il effectue ensuite un post-doc au Fred Hutchinson Cancer Research Center dans le laboratoire du Dr James Priess et devient Professeur de biologie moléculaire à l’University of Massachusetts Medical School de Worcester où il enseigne à la Faculté depuis 1994. C. Mello est aussi investigator au Howard Hughes Medical Institute depuis 2000. Il a été élu membre de la National Academy of Sciences en 2005
Andrew Z. Fire et Craig C. Mello avaient auparavant reçu (conjointement) : en 2003, le Prix de la National Academy of Sciences en Biologie moléculaire et le Wiley Prize en sciences biomédicales de l’Université Rockefeller ; en 2005, le Prix Brandeis University’s Lewis S. Rosenstiel, le Prix Gairdner Foundation International et le Prix Massry ; puis, en 2006, le Prix Paul Ehrlich et Ludwig Darmstaedter.
© 2006 médecine/sciences - Inserm / SRMS
Le prix Nobel de médecine 2006 a été attribué à deux universitaires américains, Andrew Fire (Université de Stanford, Californie, États-Unis) et Craig Mello (Université du Massachussets, États-Unis) pour leur découverte du phénomène d’interférence par l’ARN, voie de régulation de l’expression génique, capable d’imposer silence aux gènes, qui a été mise en évidence de manière fortuite, d’abord chez les plantes, puis chez les animaux.
La première observation, faite chez les plantes, où elle a été appelée co-suppression, remonte aux années 1900 : pour obtenir des pétunias d’un mauve intense, Richard Jorgensen avait tenté d’introduire plusieurs copies du « gène mauve ». Il obtint des pétunias blancs !
Ce phénomène pour le moins inattendu fut retrouvé par d’autres auteurs : l’introduction, par transgenèse, de multiples copies d’un gène, aboutit à la répression de toutes les copies du gène, y compris la copie endogène.
Chez les animaux, un procédé d’inhibition spécifique des gènes, dit antisens, fut décrit dès le début des années 80. L’introduction d’une séquence complémentaire (ou antisens) du gène d’intérêt bloque l’activité de l’ARN messager cible en s’hybridant avec lui. Cet outil expérimental se déclinait sous plusieurs formes, soit par l’introduction de vecteurs d’expression de ces ARN antisens, soit par l’introduction des ARN antisens eux-mêmes. Appliquée au vers C. elegans, cette dernière version fut appelée interférence par l’ARN, et notamment utilisée par Andrew Fire.
Cependant, certaines observations ne collaient pas avec le mécanisme antisens supposé et étaient très intrigantes : les contrôles sens (c’est-à-dire correspondant à la séquence elle-même et non pas à la séquence complémentaire) pouvaient être aussi inhibiteurs que les séquences antisens ; de plus, l’inhibition était transmise à travers les générations, bien au-delà de la durée de vie des ARN injectés. C’est en essayant de démêler ce phénomène que Fire et Mello ont mis en évidence ce qui est maintenant connu comme l’interférence par l’ARN. Ils ont, en effet, montré que le processus passe en fait par un ARN double brin, qui est découpé par une enzyme cytoplasmique, DICER, en courtes séquences, double brin également, les siARN (short interfering RNA). Les siARN présentent la particularité d’avoir deux nucléotides qui dépassent à chaque extrémité 3’. Les siARN sont pris en charge par des complexes protéiques, avec lesquels ils forment le complexe RISC. Celui-ci comporte une ARN hélicase qui sépare les deux brins, et un des deux brins seulement est retenu dans le complexe (selon des critères relativement bien connus), le brin antisens. Ce brin guide le complexe vers l’ARN messager cible. Un membre de la famille des protéines Argonaute, autre protéine du complexe RISC, clive ensuite l’ARN cible à peu près au centre de la séquence reconnue par le siARN. Il est rapidement apparu que ce phénomène fonctionne chez tous les eucaryotes, y compris les mammifères et l’homme, à l’exception de la levure Saccharomyces cerevisiae.
Cette découverte est révolutionnaire et exemplaire à de multiples égards.
En premier lieu, elle démontre l’importance, pour des applications médicales, de recherches fondamentales sur des organismes comme le vers C. elegans qui n’ont, a priori, pas d’autre intérêt que de satisfaire la curiosité intellectuelle de chercheurs et qui ont souvent peu de chance d’être subventionnés. Or, il s’agit ici d’une vraie révolution dans le monde de la recherche médicale. Elle est arrivée après la fin du séquençage du génome humain, alors qu’on disposait de milliers de séquences géniques, sans moyen de les explorer fonctionnellement, juste au moment où le besoin d’une inactivation des gènes se faisait le plus sentir. L’interférence par l’ARN, qui permet d’inhiber un gène de manière très spécifique, a fourni cet outil à point nommé pour analyser les conséquence de sa perte de fonction. Utilisée à haut débit, elle permet aussi de faire le catalogue de tous les gènes dont les produits sont impliqués dans un processus biologique donné. De ce point de vue, l’application de l’interférence par l’ARN aux cellules de mammifères, et en particulier humaines, va permettre d’explorer toutes les voies métaboliques susceptibles d’être déréglées de manière pathologique.
En second lieu, l’interférence par l’ARN peut être envisagée comme outil thérapeutique direct dans toutes les pathologies dont l’origine peut être attribuée à un gène nocif. Des tests sur des animaux ont ainsi permis de bloquer un gène responsable de taux élevés de cholestérol. On imagine les nombreuses applications, des maladies virales aux cancers, et les premiers essais chez l’homme sont en cours.
Enfin, et de manière très intéressante, l’interférence par l’ARN, à l’origine un procédé artificiel de manipulation des systèmes biologiques, a dévoilé l’existence d’une voie naturelle de régulation des gènes, la voie des microARN, conservée à travers les règnes végétaux et animaux (sauf, à nouveau, chez S. cerevisiae). Cette voie naturelle, qui est la voie parasitée par l’interférence par l’ARN artificielle, est une voie essentielle au cours du développement, mais également chez l’adulte. Les microARN ciblent des groupes de gènes, dont ils bloquent l’expression en guidant des complexes RISC vers les ARN messagers correspondants. Cependant, contrairement aux siARN, ils ne sont pas entièrement complémentaires de leurs cibles. De plus, ils n’induisent pas nécessairement le clivage de l’ARN messager, mais peuvent aussi plus simplement en bloquer la traduction. On est loin d’avoir complètement exploré les rôles physiologiques des microARN, mais on a déjà des éléments montrant qu’ils pourraient bien être impliqués dans certaines pathologies, en particulier en oncologie. La genèse de cette découverte des microARN est donc également exemplaire, puisque c’est une tentative de manipulation artificielle qui a révélé, à la suite d’une observation fortuite, tout un pan de la biologie totalement insoupçonné auparavant.
Il est clair que cette découverte de l’interférence par l’ARN est réellement révolutionnaire, et que ce prix Nobel, attribué à des chercheurs encore jeunes (46 et 47 ans) est judicieusement attribué.
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