Open Access
Numéro
Med Sci (Paris)
Volume 41, Numéro 6-7, Juin-Juillet 2025
Page(s) 602 - 604
Section Forum
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025077
Publié en ligne 7 juillet 2025

Vignette (Photo © Inserm - Patrick Delapierre).

L’humanité est fragile et précaire, et la nature avec elle. La question de fond est de savoir comment on règle les conflits qui opposent, nature et culture, nature et société.

Nos rapports sociaux dépendent grandement de la manière dont nous parvenons à garantir les besoins les plus fondamentaux des êtres humains dans un monde où les fluctuations et les incertitudes s’accroissent. Comment faire pour que l’économie soit non plus une contrainte mais le produit de l’intérêt général ? Il est impératif, pour cela, de définir un ensemble de règles permettant d’insérer habilement la société dans les cycles, les fonctions et les interactions de la nature. En voici trois : premièrement, la nature doit faire partie de la démarche climatique, sans quoi les perturbations du climat mondial continueront de croître à des niveaux inimaginables1. Deuxièmement, puisque « nous sommes ce que nous mangeons » [1], et puisque les interactions humaines ont lieu dans la nature, il faut encadrer la règle dominante de l’économie et du marché qui réduit les ressources naturelles à de simples offres, et les besoins vitaux à de simples demandes. Enfin, il est important de comprendre pourquoi la robustesse (qui caractérise la capacité à résister à des contraintes physiques ou à fonctionner efficacement dans des conditions imprévues), et non la performance (qui désigne le niveau d’efficacité et d’efficience avec lequel une tâche ou un objectif est accompli), est une valeur clé des sociétés de demain. Or, à l’heure actuelle, ni les besoins, ni les ressources, ni le droit qui les relie n’ont cette robustesse qui permet de se fondre dans la nature dont nous dépendons tant.

Où pouvons-nous trouver un rapport pacifié avec la nature tout en cultivant la robustesse ? La réponse se trouve certainement dans le concept de la « santé commune » qui inclut trois dimensions indivisibles, interdépendantes et réciproques : 1) Il s’agit de préserver la santé des écosystèmes naturels sur le long terme. Cette dimension reconnaît l’importance cruciale de l’environnement pour notre bien-être collectif. 2) La santé sociale, qui vise à garantir un accès équitable aux ressources, fondement des droits humains fondamentaux. Lorsque ces droits sont respectés, ils deviennent des devoirs civiques qui renforcent le tissu social. 3) La santé humaine qui, conformément à la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)2, est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne se limite pas à la simple absence de maladie ou d’infirmité. Cette approche souligne l’interconnexion entre notre bien-être personnel, la santé de nos communautés et celle de notre planète.

Ces trois composantes du concept de santé commune sont construites à partir des besoins humains garantis par des droits fondamentaux. Quoi de plus concret et urgent que cette question de santé commune, et surtout du lien qu’elle permet de nouer entre des ressources naturelles limitées3 et des besoins sociaux maîtrisés. Car les ressources sont les nutriments des écosystèmes sociaux.

Le concept de santé commune suppose d’inter-croiser les questions des droits humains, qui sont le cœur du contrat social, avec les questions des milieux naturels. C’est une manière raisonnée de faire société avec la nature, et d’offrir un potentiel antidote vis-à-vis du déni ou de la résistance face à la crise écologique. En effet, lorsqu’on insiste sur le besoin de rendre la transition écologique désirable, on s’appuie sur deux aspirations fondamentales et intemporelles des sociétés humaines : la santé et la justice. Ces deux valeurs sont indissociablement réunies dans cette démarche ressources-santé commune conçue pour purger le système de ses dettes sociales et écologiques. Ceci est à la fois une nécessité de santé publique et de justice sociale.

Ce sont ces considérations qui ont amené des juristes et des naturalistes4 à dialoguer ensemble pour donner naissance à un « manifeste pour une santé commune » qui rassemble des questions essentielles et urgentes et qui se veut un antidote à notre penchant quelque peu pathologique pour l’excès en tout [2].

Comment procéder à l’épuration du mode de vie dominant actuel

L’humanité n’existant pas en dehors de la nature, les sociétés humaines sont par essence des systèmes socio-écologiques. De nombreux essais et visions du monde proposent, sur des tons variés et avec des terminologies innovantes, différentes trajectoires de transformation socio-écologique des sociétés humaines (voir par exemple la référence [3]). Le manifeste conceptualise ces idées autour des notions de ressources et de santé, proposant une synthèse accompagnée d’une méthodologie spécifique. Cette approche est systémique et elle intègre les limites sociales et environnementales dont il faut tenir compte : d’une part, la nécessité de cohésion sociale, et d’autre part, les limites finies des ressources naturelles.

Une alliance concrète entre sciences naturelles, sciences du numérique et droit alimente les concepts et la démarche proposés. Le manifeste souligne que les données actuelles nous offrent la possibilité d’assister en (quasi) temps réel à la concrétisation des prédictions scientifiques concernant, par exemple, les changements environnementaux. Pourtant, nous persistons à ne rien faire ou pas assez pour changer la situation dans laquelle la santé de la planète et des terriens se détériore de jour en jour. Ce que nous voyons et ressentons, nous paraît invraisemblable, malgré l’accumulation des catastrophes naturelles, que nous devrions plutôt qualifier d’artificielles car elles sont la conséquence des pressions humaines sur la biosphère. D’où l’intérêt de cette alliance entre disciplines scientifiques et droit : celui qui mesure justement, juge avec mesure. Pour cela, il est essentiel de comprendre que dans des sociétés saines, les gains économiques générés par des actions réfléchies et robustes, sont supérieurs aux coûts de l’inaction ou aux mesures curatives ou d’échappement, qui sont un mélange de bricolage, de compensations et de subventions.

Grâce au paradigme de santé commune, la logique actuelle des systèmes économiques, institutionnels et commerciaux est inversée, en intégrant l’économie dans le social et l’écologie. Cela implique de penser simultanément aux ressources et à la santé [4]. Or, actuellement, l’économie est une formidable machine de transformation des ressources, qui n’accepte pas que le monde physique soit fini. Le manifeste s’inspire des systèmes biologiques pour exposer un modèle de santé commune dans lequel l’économie et le reste des actions humaines bénéficieront du passage des notions de productivité, performance et compétition à celles, bien trop négligées, d’interaction, de synergie et de robustesse. La santé commune est le passage du curatif au préventif.

En prolongeant cette logique, les mécanismes du marché, qui gouvernent le monde aujourd’hui, doivent être considérés comme subordonnés aux contraintes socio-écologiques, pour être mis au service de l’ajustement des ressources accessibles et des besoins vitaux pour tous.

Cet ajustement est une loi inhérente à la vie. Car la soi-disant loi de l’offre et de la demande est une convention, un système inopérant et discutable lorsqu’il s’agit de l’intérêt général, dans un contexte de souffrance humaine et de dégradation de ressources vitales telles que le sol, l’eau et l’air. Dans le manifeste, des exemples concrets, tels que la restauration collective, les politiques foncières, et des analyses de politiques socio-écologiques en Nouvelle-Zélande, en Chine ou en Finlande sont présentés pour étayer ces propos.

La loi de la vie évoquée ci-dessus pose la question de la valeur intrinsèque des vies, humaines et non humaines, et donc de la dignité dans un monde devenu indigne. La santé commune tient compte des relations mutuelles, indissociables des processus et cycles planétaires, le fondement d’un bien commun, qui ne peut être réalisé en l’absence de politiques publiques dignes de ce nom. L’intérêt général est un cadre et un horizon permanents.

En partant des questions des droits de l’homme et de la justice, des besoins vitaux et de l’accès aux ressources, à l’alimentation et à un environnement sain, l’approche de santé commune dépasse la question de l’égalité qui, en tant que telle, ne dit rien des conditions de vie. Je nous cite « Si le contrat social vise avant tout la pacification des relations sociales, en excluant la violence et en tenant à distance la loi du plus fort, il n’a pas pour autant privilégié les modalités d’une mise en commun des ressources. Or, c’est précisément le premier objectif d’un contrat : mettre en commun des ressources pour satisfaire collectivement les besoins de chacun en excluant la violence et la force comme moyen d’un tel ajustement. Il s’agit donc de recevoir les ressources de la nature de manière à satisfaire les besoins humains avec raison et prudence, et à utiliser les ressources de la raison humaine pour garantir les besoins de la nature et permettre sa pérennité » [2].

Il est clair que la satisfaction des besoins relève des droits humains légitimes, et que la garantie fait référence aux devoirs de ceux dont les droits sont scrupuleusement respectés. C’est pourquoi l’approche ressources – santé commune conduit à des transformations socioécologiques radicales.

Nous pouvons conclure que : « Dans une société basée sur la justice sociale et la responsabilité écologique, la santé devient condition – résultat – indicateur de soutenabilité. La santé doit être adoptée comme valeur universelle et objectif social et politique partagés par tous » [5].

La santé commune est un récit et un outil puissants à court et à long termes. Le manifeste propose l’ensemble des outils, ressources, santé commune, et robustesse, comme un support au contrat de santé commune. C’est un retour au collectif. Cela implique d’aborder des problèmes tels que la pauvreté, le climat et la biodiversité sous un angle nouveau, dans une architecture de priorités articulées différemment.

En même temps, l’approche proposée n’interdit presque rien, à condition que : 1) les droits de l’Homme soient respectés partout et en permanence, afin d’en faire le fondement des responsabilités et des devoirs qui en découlent ; 2) les effets des activités humaines soient mesurés et amortis en coûts sociaux et écologiques réels, c’est-à-dire sans générer de dettes socio-écologiques.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


3

En priorité les ressources primaires : sol, eau, biomasse. Ces ressources sont renouvelables mais épuisables, non remplaçables et non substituables.

4

Les personnes travaillent ensemble à l’Institut Michel Serres afin d’encadrer juridiquement l’économie des ressources naturelles à l’échelle des territoires dans le cadre des programmes internationaux CELT (centre Lascaux sur les transitions). Ce manifeste a donné vie au récit de Michel Serres, Le contrat naturel.

Références

  1. Goodall J, Mcavoy G, Husdon G. Nous sommes ce que nous mangeons. Arles : Actes Sud, 2012 : 384 p. [Google Scholar]
  2. Collart Dutilleul F, Hamant O, Negrutiu I, et al. Manifeste pour une santé commune. Paris : Utopia, 2023 : 128 p. [Google Scholar]
  3. National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine. Integrating public and ecosystem health systems to foster resilience: a workshop to identify research to bridge the knowledge-to-action gap: proceedings of a workshop. 2023. Washington, DC : National Academies Press. 112 p. [Google Scholar]
  4. Pincemin B, Negrutiu l. Cinquante ans d’un discours institutionnel socio-écologique qui se cherche encore. 2024. https://shs.hal.science/halshs-04550985. [Google Scholar]
  5. Ottersen OP, Dasgupta J, Blouin C, et al. The Lancet–University of Oslo Commission on Global Governance for Health – The political origins of health inequity: prospects for change. The Lancet 2014 ; 383 : 630–67. [CrossRef] [Google Scholar]

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