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Med Sci (Paris)
Volume 41, Numéro 6-7, Juin-Juillet 2025
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Page(s) | 537 - 539 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025088 | |
Publié en ligne | 7 juillet 2025 |
Plongée au cœur de l’endocytose axonale
Diving into the heart of axonal endocytosis
1
Aix Marseille Université, CNRS, Institut de neurophysiopathologie, UMR7051, NeuroCyto, Marseille, France
2
Sorbonne Université, Inserm, Association Institut de myologie, Centre de recherche en myologie, UMRS974, Paris, France
*
christophe.leterrier@univ-amu.fr
**
s.vassilopoulos@institut-myologie.org
L’endocytose désigne un mécanisme essentiel permettant le transport de molécules, voire de particules (telles que des virus ou des bactéries), vers l’intérieur de la cellule. Ce processus joue un rôle crucial dans les neurones, où il repose principalement sur l’assemblage de puits recouverts de clathrine (clathrin-coated pits) à la membrane plasmique. Ces puits sont répartis dans le corps cellulaire des neurones, dans leurs dendrites, ainsi qu’autour des zones actives présynaptiques. En revanche, la dynamique de l’endocytose clathrine-dépendante le long de l’axone, notamment dans son segment initial1, est encore mal connue.
L’endocytose axonale a longtemps été considérée comme minimale, voire inexistante. Cette idée reposait sur l’existence d’une barrière structurale formée par un réseau dense de spectrines, d’ankyrines et de protéines membranaires ancrées dans le segment initial de l’axone. Les spectrines, en particulier, forment un échafaudage périodique reliant des anneaux d’actine le long de la membrane plasmique axonale, et qui renforce cette barrière [1]. Cependant, des études récentes ont montré que l’endocytose dans le segment initial de l’axone joue un rôle fondamental dans le tri des protéines et dans la plasticité morphologique liée à l’activité neuronale [2]. Cette découverte nous a conduits à réévaluer, à l’échelle nanométrique, l’organisation des puits recouverts de clathrine dans le segment initial de l’axone, ainsi que leur rôle dans le processus d’endocytose [3].
Nous avons utilisé une méthode de microscopie corrélative permettant d’observer successivement un même échantillon de neurones en culture par microscopie de reconstruction optique stochastique (STORM)2 et par microscopie électronique sur réplique de platine (PREM). Cette approche repose sur un décapage des cellules (unroofing) par un bref traitement aux ultrasons, exposant ainsi la face cytoplasmique de leur membrane ventrale adhérente à la lamelle. Après cette étape, la protéine d’intérêt est imagée par microscopie de super-résolution. Une réplique de platine est ensuite réalisée, permettant de relocaliser et d’analyser le même axone en microscopie électronique. Les deux jeux d’images sont finalement alignés avec une précision nanométrique. Cette technique permet une exploration détaillée du cytosquelette sous-membranaire grâce à la préservation tridimensionnelle des structures, tout en assurant une excellente résolution et un contraste élevé. Par cette méthode, nous avions pu visualiser le réseau périodique d’actine axonal pour la première fois, et mettre en évidence des assemblages de filaments d’actine alignés perpendiculairement aux microtubules, juste sous la membrane plasmique. Ces filaments d’actine sont régulièrement espacés (190 nm) dans un maillage formé par des tétramères de spectrines, et leurs assemblages forment des « tresses » d’actine s’insérant dans le réseau périodique de spectrines [4, 5] (→) (Figure 1). Nous avions également observé que dans le segment initial de l’axone, les puits recouverts de clathrine se forment à des emplacements spécifiques de la membrane plasmique, dans des zones dépourvues de spectrines. Ces « clairières », d’environ 300 nm de diamètre, sont dispersées le long de la paroi du segment initial de l’axone et de l’axone proximal. Leur organisation est caractéristique : elles sont bordées par des filaments d’actine, entrelacés avec des spectrines et de l’ankyrine, formant un arrangement périphérique circulaire [3]. De plus, on constate fréquemment la présence d’un filament unique d’actine à l’intérieur de la clairière, et en contact avec le puits de clathrine central (Figure 1). Notre hypothèse est que ces clairières facilitent la formation des puits recouverts de clathrine en créant un accès direct à la membrane plasmique de l’axone, en cohérence avec les résultats d’études précédentes dans les fibroblastes et les cellules épithéliales, qui ont montré que ces puits se forment préférentiellement dans des régions membranaires dépourvues de spectrines [6, 7]. Cela semble particulièrement pertinent pour les axones, dont le réseau de spectrines est particulièrement dense.
(→) Voir m/s n° 2, 2022, page 130
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Figure 1 Nanoscopie des puits recouverts de clathrine et de l’endocytose dans le segment initial de l’axone. Le long du segment initial de l’axone (en haut, à gauche), des puits recouverts de clathrine (en magenta sur l’image corrélative par microscopie optique STORM et microscopie électronique PREM, en bas et à gauche) se forment dans les clairières de l’échafaudage périodique de spectrine (en orange). L’endocytose de ces puits stables à l’intérieur des clairières est déclenchée après une stimulation par le NMDA via la polymérisation de nids d’actine branchée (en bleu sur les images par microscopie électronique et les schémas, à droite). |
Mais quel est le rôle respectif de l’actine sous-membranaire et de la spectrine dans la formation des puits recouverts de clathrine du segment initial de l’axone ? Un rôle inhibiteur des spectrines dans la formation de ces puits et de l’endocytose qui s’ensuit a été proposé pour les fibroblastes [6]. De même, dans les cellules épithéliales, les domaines ankyrine/spectrine de la paroi latérale participent à un contrôle restrictif de l’endocytose [7]. L’observation de clairières contenant des puits recouverts de clathrine à différents stades de leur formation, ainsi que l’augmentation de la densité de ces puits après réduction de l’abondance des spectrines par la méthode des ARN interférents ou après leur oxydation par une molécule appelée diamide, suggèrent que le réseau de spectrines est impliqué dans le contrôle de l’emplacement et de la densité des puits recouverts de clathrine en délimitant ces clairières, aussi bien dans les fibroblastes que le long du segment initial de l’axone des neurones [3]. Tout se passe comme si la présence des spectrines agissait comme une couche isolante limitant la formation des puits de clathrine dans le segment initial de l’axone.
D’autre part, il est établi que l’actine joue un rôle crucial dans les dernières étapes de l’endocytose impliquant la clathrine, en particulier dans la scission des vésicules [8, 9]. Nous l’avons confirmé en montrant l’accumulation et l’immobilisation des puits recouverts de clathrine dans les fibroblastes après un traitement par le swinholide A, une molécule qui perturbe le réseau d’actine en inhibant sa polymérisation par la séquestration de dimères d’actine [3]. Cependant, le même traitement n’a pas modifié significativement la densité des puits recouverts de clathrine le long du segment initial de l’axone, ce qui semble indiquer que le maillage de spectrine restant constitue le principal facteur contrôlant la formation des clairières et des puits recouverts de clathrine dans cette région de l’axone.
Outre l’effet isolant du réseau de spectrine sur la formation des puits recouverts de clathrine, nous avons mis en évidence un second mécanisme de régulation de l’endocytose dans le segment initial de l’axone. Nous avons en effet constaté que les puits recouverts de clathrine formés dans les zones de ce segment dépourvues de spectrine présentent une durée de vie anormalement prolongée et ne s’engagent pas dans le processus d’endocytose. Nous suggérons que la stabilité inhabituelle de ces puits constitue une contrainte qui limite l’endocytose dans les neurones au repos. Grâce à des expériences de microscopie en super-résolution sur cellules vivantes, nous avons montré que les puits recouverts de clathrine sont préférentiellement stabilisés le long du segment initial de l’axone, corroborant leur faible efficacité d’endocytose [3]. Un signal externe semble alors nécessaire pour « déverrouiller » ces puits et déclencher une endocytose complète.
Nous avons montré qu’un protocole chimique de dépression à long terme, fondé sur une stimulation d’une souspopulation des récepteurs du glutamate par le N-méthyl-D-aspartate (NMDA), connue pour induire l’endocytose dans le segment initial de l’axone, est capable de fournir ce signal [10]. En effet, cette stimulation déclenche la scission des puits recouverts de clathrine stabilisés par l’action de la dynamine. Ainsi, les puits bloqués peuvent être réactivés et l’endocytose stimulée via une plasticité induite par la stimulation NMDA. L’actine semble jouer un rôle prépondérant dans ce deuxième niveau de régulation. Nous avons réussi à visualiser, après stimulation par le NMDA, la formation de nids d’actine branchée autour des puits recouverts de clathrine situés dans les clairières, concomitante à l’augmentation de l’endocytose [3]. Ce rôle de l’actine branchée dans la maturation et la scission des puits recouverts de clathrine est cohérent avec le modèle récemment proposé pour l’actine corticale autour des puits recouverts de clathrine [8], et nous supposons que les filaments d’actine isolés que nous avons systématiquement observés en contact avec les puits situés à l’intérieur des clairières dans les neurones au repos pourraient correspondre à la structure de nucléation de ces nids d’actine. Il conviendra de clarifier le mécanisme reliant l’activation synaptique des récepteurs NMDA à la polymérisation locale de l’actine autour des puits recouverts de clathrine du segment initial de l’axone.
Quelle pourrait être la pertinence fonctionnelle de ces deux niveaux de régulation de l’endocytose dans le segment initial de l’axone par l’échafaudage sous-membranaire ? Tout d’abord, cela implique que l’activité basale d’endocytose dans ce segment de l’axone soit faible dans les neurones matures, ce qui est cohérent avec la stabilité des protéines membranaires de ce segment axonal et avec l’existence de mécanismes inhibant leur endocytose. La présence de structures d’endocytose statiques prépositionnées pourrait faciliter le contrôle dynamique des protéines membranaires du segment initial de l’axone (canaux sodiques, neurofascine), qui sont liées à l’échafaudage remarquablement stable d’ankyrine/spectrine [11]. L’endocytose de ces protéines nécessiterait ainsi deux étapes qui n’impliquent pas d’importants réarrangements structurels : d’abord le détachement de l’ankyrine G consécutif à sa phosphorylation, permettant sa diffusion dans les puits recouverts de clathrine les plus proches, suivi du déclenchement de l’internalisation par endocytose. Un tel mécanisme, qui met en jeu des puits recouverts de clathrine stables, mobilisés pour l’endocytose seulement lors d’une activité neuronale intense, pourrait en outre expliquer comment la longueur et la position du segment initial de l’axone peuvent être rapidement modifiées en réponse à des stimulus physiologiques [12].
En nous fondant sur l’organisation dynamique des puits recouverts de clathrine le long du segment initial de l’axone, nous proposons le scénario suivant. Tout d’abord, le maillage dense formé par les spectrines circonscrit la polymérisation de la clathrine à l’intérieur de cavités circulaires où les puits recouverts de clathrine sont stabilisés, et où ils ont une longue durée de vie, ce qui se traduit par une faible activité d’endocytose à l’état basal. À partir de ces puits préformés, l’endocytose peut être déclenchée par des signaux physiologiques dépendant de l’activité neuronale et impliqués dans la plasticité axonale, tels que la stimulation des récepteurs NMDA du glutamate, ce qui permet alors le réarrangement du contenu membranaire de ce segment axonal et l’internalisation de composants extracellulaires (Figure 1). Les deux paramètres de régulation des puits recouverts de clathrine, l’un spatial et l’autre temporel, que nous avons mis en évidence peuvent expliquer comment l’organisation de l’endocytose dans le segment initial de l’axone mature s’est adaptée à son échafaudage sous-membranaire dense et stable, tout en permettant son réarrangement structurel.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Figure 1 Nanoscopie des puits recouverts de clathrine et de l’endocytose dans le segment initial de l’axone. Le long du segment initial de l’axone (en haut, à gauche), des puits recouverts de clathrine (en magenta sur l’image corrélative par microscopie optique STORM et microscopie électronique PREM, en bas et à gauche) se forment dans les clairières de l’échafaudage périodique de spectrine (en orange). L’endocytose de ces puits stables à l’intérieur des clairières est déclenchée après une stimulation par le NMDA via la polymérisation de nids d’actine branchée (en bleu sur les images par microscopie électronique et les schémas, à droite). |
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