Open Access
Editorial
Numéro
Med Sci (Paris)
Volume 41, Numéro 6-7, Juin-Juillet 2025
Page(s) 535 - 536
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025057
Publié en ligne 7 juillet 2025

En biologie, même pour des concepts semblant univoques, disposer d’une définition partagée peut s’avérer complexe. Il en est ainsi pour le vieillissement [1].

Dans le sens commun, le vieillissement est « ce qui advient à l’organisme avec le temps ». La définition qu’en donne l‘Organisation mondiale de la santé (OMS) est proche : « Sur le plan biologique, le vieillissement résulte de l’impact de l’accumulation d’une grande variété de dommages moléculaires et cellulaires au fil du temps » avec une importante précision : « Ces changements ne sont ni linéaires ni n’ont de cohérence et ne sont que vaguement associés à l’âge d’une personne »1. La récente évolution de cette définition réforme la vision du vieillissement centrée sur une association de maladies et d’organes, pour celle d’un processus plus global et insidieux dont le déroulé change avec les événements de la vie. Cela impose alors d’aborder son étude en considérant tout à la fois : la physiologie, la génétique2, l’épigénétique, l’exposome3, et les accidents de vie. Est aussi introduite une distinction entre l’âge chronologique, qui est objectif, et l’âge biologique, qui serait le reflet de « la réalité » de l’état de santé d’un individu, à l’échelle cellulaire, des organes et des fonctions. Il découle de ce postulat toute une série d’interrogations liées aux modalités de mesure de cet âge. Toute mesure implique de disposer de marqueurs et de références, mais que mesurer ? L’OMS propose de définir un état physiologique, et plusieurs articles récents abordent ce point en revoyant les questions de biologie, revisitant, voire révisant les concepts d’homéostasie et le rapport génotype-phénotype-environnement [2, 3]. Ces nouvelles approches produisent aussi de nouveaux termes. Citons la charge allostatique4, les stress biologiques, la notion de géroscience, de vieillissement en bonne santé (healthy ageing), d’inflammaging, de vitalité… Ces termes visent à intercaler une échelle moléculaire en amont de la définition clinique du vieillissement, reposant sur des fonctions macroscopiques (locomotion, cognition, vitalité…). La vitalité synthétise et intègre les données de physiologie et leur support moléculaire [4]. Mais le vieillissement ne se déroule pas hors du contexte social. Les questions posées touchent autant à la compréhension de phénomènes biologiques fondamentaux, et par là, à notre compréhension du vivant, qu’à notre capacité à vivre en société et au sein de la nature. C’est en cela que notre vision des modifications temporelles des organismes est remise à jour.

Dans nos sociétés, construites sur la prévention, l’anticipation et la mesure, les marqueurs d’évolution sont un élément cardinal. Pour un phénomène structurellement variable comme le vieillissement, la production de marqueurs de référence ou de suivi implique alors une approche dynamique. Selon les classes d’âge, les maladies, la géographie, le sexe, les marqueurs seront différents. Cela pose des difficultés techniques évidentes. Et, si l’on veut intégrer les données de génomique, protéomique et de métabolomique, en les connectant aux événements de la vie, faire appel à l’intelligence artificielle (IA) et à l’apprentissage automatique (machine learning) s’avère indispensable pour traiter ces données « massives » par des approches non biaisées. Mais, dans un contexte où ce que l’on cherche à définir n’est pas encore advenu, il faudrait disposer de données produites dans le futur. D’où la nécessité de constituer des cohortes modernes, permettant les analyses mentionnées plus haut. Citons Constance, UK Biobank ou la BLSA (Baltimore Longitudinal Study of Aging)5 qui ont récemment mis à disposition des données cliniques et des échantillons biologiques, ou des cohortes spécifiques comme celle du programme INSPIRE T, depuis 2019 (CHU, Toulouse)5. L’objectif est alors de développer des algorithmes sans a priori pour l’analyse de données longitudinales afin de définir l’âge biologique. Celui-ci offrirait la possibilité de prédire la durée potentielle de notre âge chronologique, et anticiper la survenue d’une perte d’autonomie.

Sur le plan biologique, les modalités d’études du vieillissement reposent aujourd’hui sur des approches cellulaires sophistiquées. Celles-ci incluent, les organoïdes, analysés spatialement dans leur composition et fonctionnement dynamique, et les modèles animaux permettant des approches expérimentales. Certains sont très originaux, comme celui du Nothobranchius furzeri, poisson d’Afrique dont le cycle de vie se déroule en quelques mois et permet un suivi en laboratoire. Cependant, l’évolution des organismes, si elle s’est déployée sur un socle commun, a produit des différences et des divergences. Aussi, les analyses doivent-elles comprendre une dimension de biologie comparative, notamment afin d’intégrer les distances phylogénétiques, qui relativisent la portée d’une transposition directe des données d’un modèle animal à l’être humain.

Comprendre les activités métaboliques et les adaptations aux changements environnementaux invite à revoir la notion de stress moléculaire. Le métabolisme est autant un élément ontologique de formation et de maintien des structures vivantes, qu’une source de molécules réactives et potentiellement toxiques pour ces organismes. Il n’est qu’à voir le cortège de gènes visant à contrecarrer leurs effets qui a émergé au cours de l’évolution. Les conditions de vie comme les maladies infectieuses, ont été associées à des adaptations évolutives des métabolismes et des réponses cellulaires innées. Certains agents infectieux ont aussi un effet délétère direct ou indirect en activant une réaction inflammatoire chronique. Dans ce contexte, il est aujourd’hui essentiel de comprendre comment les tissus de soutien, matrice extracellulaire et cellules stromales, contribuent à l’immunité, aux réactions inflammatoires, et aux processus de réparation ou de cicatrisation. Mentionnons aussi les réseaux de communication au sein des organismes. Ils lient stroma et parenchyme par les vésicules extracellulaires, les acides nucléiques circulants, les métabolites, voire le transfert de mitochondries. La connexion des stromas forme donc un réseau d’information au sein de l’organisme qui serait modifié lors du vieillissement.

Jusqu’à récemment, la convergence des processus biologiques de physiologie et de génétique était mal estimée. De récentes études de cohorte confirment que les données biologiques et génétiques identifient les facteurs du métabolisme glucidique comme éléments clés dans le vieillissement. Nous mesurons aussi mieux l’impact de l’épigénétique, qui, rappelons-le, résulte d’une adaptation génétique, et permet les réponses rapides aux changements environnementaux. Tout ceci plaide encore en faveur d’approches intégrées faisant abstraction d’a priori disciplinaires. Plus fondamentalement, c’est la « signification » biologique du vieillissement qu’il faut questionner. Notre connaissance du vivant rappelle, à l’échelle des individus, qu’il n’y a pas de stabilité des structures biologiques. La compréhension de l’émergence des organismes et de leur évolution par sélection place l’homéostasie dans un registre de notion théorique, qui, au mieux, s’entend sur un temps court. D’où l’étude des effets allostatiques sur le devenir des organismes. Le vieillissement n’est plus vu comme une maladie, mais le reflet d’inévitables changements qui sont liés à la variabilité intrinsèque de chaque individu. À l’échelle des espèces, les différences observées sont avant tout le fruit de divergences évolutives où la sélection naturelle n’a pas nécessairement joué de rôle. Les caractères soumis à sélection sont essentiellement ceux qui se manifestent avant la période de reproduction et, parfois, au cours de celle-ci. Au-delà de cette période, les modalités du vieillissement sont moins, voire peu, soumises à la sélection naturelle. Ainsi, sa durée ne dépendrait que de l’inertie des phénomènes biologiques antérieurement fonctionnels altérés au fil du temps par les événements de la vie. Sa phase ultime est dépourvue d’un « sens » biologique. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’intérêt à vouloir en comprendre les mécanismes, ni à souhaiter en influencer le déroulé.

Notons que l’ensemble de ces données posent également des questions plus larges que le problème biologique qu’elles visent à aborder. Ces recherches nous montrent qu’à l’échelle des sociétés, l’étude du vieillissement ne peut ignorer l’importance des conditions sociales et environnementales, car elles affectent directement l’exposition des individus, leur suivi médical et l’accès aux soins. Ces questions touchent aussi à l’économie de la santé, non pas dans une unique perspective de gestion des coûts, il n’y a ici rien de rentable. Elles nous placent finalement face à notre responsabilité devant l’existence, la création et le maintien de différences selon les classes sociales, l’éducation et les pays.

Que dire enfin de la dimension philosophique qui découle de ces connaissances ? La compréhension du vieillissement, en ce qu’elle est liée à ce que nous sommes en tant qu’organismes vivants, doit nous aider à penser la mort, et, collectivement, à nous penser dans notre humanité, au cœur du vivant.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/ageing-and-health ; l’âge mentionné est l’âge chronologique.

2

Fond génétique hérité et évolution par les mutations somatiques.

3

Y compris le microbiote.

4

Par charge allostatique, on entend l’altération des fonctions biologiques et des systèmes physiologiques avec le temps et selon les contraintes de l’environnement.

Références

  1. Gladyshev VN, Anderson B, Barlit H, et al. Disagreement on foundational principles of biological aging. PNAS Nexus 2024 ; 3 : pgae499. [CrossRef] [Google Scholar]
  2. Kemoun P, Ader I, Planat-Benard V, et al. A gerophysiology perspective on healthy ageing. Ageing Res Rev 2022 ; 73 : 101537. [CrossRef] [Google Scholar]
  3. Felix J, Martinez de Toda I, Diaz-Del Cerro E, et al. Frailty and biological age. Which best describes our aging and longevity? Mol Aspects Med 2024 ; 98 : 101291. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Bautmans I, Knoop V, Amuthavalli Thiyagarajan J, et al. WHO working definition of vitality capacity for healthy longevity monitoring. Lancet Healthy Longev 2022 ; 3 : e789–e96. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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