Numéro |
Med Sci (Paris)
Volume 28, Numéro 1, Janvier 2012
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Page(s) | 37 - 38 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2012281013 | |
Publié en ligne | 27 janvier 2012 |
Nouvelle thérapie antiangiogénique indépendante du VEGF qui cible le récepteur CD160
A novel VEGF-independent antiangiogenic therapy targeting the CD160 receptor
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Inserm UMR 1043, CNRS UMR 5282, université de Toulouse, centre de physiopathologie de Toulouse-Purpan, hôpital Purpan, Bât. A, BP 3028, 31024 Toulouse Cedex 3, France
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Institut Jean Godinot, BP171, 51056 Reims Cedex, France
3
Inserm UMR 976, pavillon Bazin, hôpital Saint-Louis, 1 avenue Claude Vellefaux, 75475 Paris Cedex 10, France
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philippe.le-bouteiller@inserm.fr
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armand.bensussan@inserm.fr
Les limites des thérapies antiangiogéniques classiques
L’angiogenèse est le processus physiologique de formation de nouveaux vaisseaux sanguins à partir de vaisseaux préexistants. Il se produit naturellement durant l’embryogenèse ou lors de la cicatrisation de blessures [1]. En situation pathologique, on parle de néoangiogenèse ; celle-ci est le plus souvent associée à un processus inflammatoire et tumoral. Dans le cas d’une tumeur, la néoangiogenèse se caractérise par la production de vaisseaux anormaux, immatures, tortueux, dilatés et dont la lumière est fermée. Ces caractéristiques structurales expliquent le débit sanguin limité qui irrigue la tumeur avec des fuites dans le compartiment extravasculaire. Ceci empêche l’apport d’une concentration optimale des drogues au cœur de la tumeur, entraînant une réduction de l’efficacité de la chimiothérapie. Les agents thérapeutiques antiangiogéniques existants ciblent les cellules endothéliales en phase de prolifération ou neutralisent (principalement via des anticorps monoclonaux) le facteur proangiogénique VEGF (vascular endothelial growth factor). Une réponse partielle à de telles thérapies a été démontrée dans certains cancers (cancer colorectal métastatique, cancer bronchique, cancer du rein, etc.) et dans des pathologies inflammatoires oculaires comme la forme humide de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) [2, 11]. Néanmoins, des résultats négatifs, faibles ou inconstants ainsi que l’apparition de résistances et/ou d’effets secondaires importants ont également été observés avec ces thérapies (principalement dans un contexte antitumoral). L’identification de nouvelles molécules est donc nécessaire, dont le ciblage par de nouvelles thérapies pourrait inhiber de façon plus efficace la néovascularisation pathologique sans affecter bien sûr les vaisseaux normaux présents dans les tissus sains.
Le récepteur CD160 : propriétés antiangiogéniques in vitro
Nous avons démontré que le récepteur CD160, dont le gène est conservé chez l’homme, la souris, le lapin et plusieurs autres espèces de mammifères [3], est une nouvelle cible thérapeutique antiangiogénique. La forme de CD160 ancrée à la membrane cellulaire par un groupement glycosylphosphatidylinositol [4] est en effet exprimée par les cellules endothéliales uniquement lorsqu’elles sont activées, en phase de prolifération [5]. Dans un premier temps, nous avons montré in vitro que l’engagement spécifique du récepteur CD160 par un de ses ligands physiologiques, HLA-G soluble, induit l’inhibition de la prolifération des cellules endothéliales activées, de leur migration ainsi que de la formation de microtubules capillaires par un mécanisme apoptotique dépendant des caspases [5]. Ensuite, il s’est agi de développer un anticorps monoclonal (Acm) de souris spécifique, non seulement du CD160 humain, mais aussi du CD160 de plusieurs autres espèces (souris en particulier) et qui, in vitro, possède les mêmes propriétés fonctionnelles antiangiogéniques que le ligand physiologique [5]. Nous avons appelé cet Acm CL1-R2.
Anticorps monoclonal CL1-R2 et néovascularisation oculaire pathologique (monothérapie)
In vivo, dans un modèle de néoangiogenèse cornéenne induite expérimentalement chez le lapin (la cornée est normalement dépourvue de vaisseaux sanguins), l’injection locale intracornéenne de l’Acm CL1-R2 bloque significativement cette néoangiogenèse [6].
De la même manière, l’injection intraoculaire de CL1-R2 exerce un effet antiangiogénique bénéfique dans un modèle murin de rétinopathie ischémique obtenue en exposant des souriceaux nouveaunés à de fortes teneurs en oxygène [6].
Ces résultats, obtenus dans des modèles animaux de référence pour l’étude de la néovascularisation oculaire, démontrent que l’Acm CL1-R2 pourrait être utilisé en monothérapie chez l’homme pour cibler diverses pathologies oculaires invalidantes associées à une néovascularisation.
Anticorps monoclonal CL1-R2 associé à une chimiothérapie : effets antitumoraux
Le traitement de souris transplantées avec des tumeurs très vascularisées de type B16 (mélanome) ou fibrosarcome par l’Acm CL1-R2 combiné à une chimiothérapie par le cyclophosphamide (agent alkylant utilisé comme anticancéreux) entraîne une diminution de la densité vasculaire tumorale. L’Acm CL1-R2 normalise également la structure des vaisseaux tumoraux restants qui deviennent matures et fonctionnels [6]. Selon ce concept de normalisation de la vascularisation tumorale par des thérapies antiangiogéniques, il est nécessaire de cibler des vaisseaux immatures, fonctionnellement défectueux et de fortifier les vaisseaux restants [7]. Les vaisseaux tumoraux ainsi normalisés après traitement par CL1-R2 ont une lumière ouverte, des diamètres plus homogènes et sont entourés de péricytes, cellules exprimant le marqueur SMA (smooth muscle actin) qui stabilisent les vaisseaux et qui sont un indicateur de leur maturation et de leur fonctionnalité optimale [6]. L’ensemble de ces modifications permettent aux vaisseaux tumoraux « normalisés » d’être mieux perfusés, ce qui augmente l’accessibilité et la délivrance des agents thérapeutiques à l’intérieur même de la tumeur. Les résultats de nos travaux ont été obtenus par différentes méthodes permettant d’analyser finement la vascularisation tumorale : (1) immunohistochimie avec un marquage spécifique des vaisseaux sanguins (isolectine B4) et des péricytes (SMA) ; (2) échographie Doppler en couleur, méthode non invasive permettant de visualiser les vaisseaux tumoraux in situ à différents temps ; (3) microscopie intravitale, autre technologie qui permet l’analyse en continu et sur une période de deux semaines des modifications structurales des vaisseaux localisés dans une même zone de la tumeur. Toutes ces modifications vasculaires, induites par un traitement avec l’Acm CL1-R2, associées aux effets de la chimiothérapie, entraînent une réduction significative de la croissance tumorale sur une période de 14 jours, par rapport à des souris ayant été traitées uniquement par la chimiothérapie [6].
Perspectives
Les résultats mentionnés ci-dessus valident la preuve du concept que le récepteur CD160 est une nouvelle cible thérapeutique potentielle visant un large spectre de pathologies oculaires ou tumorales associées à une forte néoangiogenèse et qui ne répondent pas ou deviennent résistantes aux traitements antiangiogéniques existants. Ayant démontré dans des modèles animaux de néoangiogenèse cornéenne et rétinienne qu’un traitement par CL1-R2, seul, était efficace, les pathologies oculaires chez l’homme qui sont associées à une néoangiogenèse semblent les premières à pouvoir être ciblées par cet Acm. Une monothérapie par CL1-R2 serait particulièrement adaptée aux cas d’infections ou de brûlures cornéennes, de rejets de greffes de cornée (qui sont favorisés par l’apparition de néovaisseaux cornéens), de DMLA, rétinopathie diabétique ou rétinopathie du prématuré, toutes pathologies associées à une néoangiogenèse invalidante. Ces maladies sont en effet des causes majeures de perte de vision, voire de cécité. Avec l’augmentation prévisible du nombre de personnes âgées dans les pays les plus développés, un doublement du nombre de patients atteints de DMLA est attendu dans les décennies à venir. Il reste toutefois à prouver qu’une monothérapie par CL1-R2 n’induit pas de phénomènes inflammatoires oculaires locaux. L’utilisation de fragments Fab de l’Acm CL1-R2 préviendrait toute activation non spécifique délétère liée à la stimulation des cellules du système immunitaire qui expriment le récepteur Fc des immunoglobulines.
En combinaison avec une chimiothérapie, une thérapie par CL1-R2 devrait également pouvoir cibler les cancers hautement vascularisés. En effet, nous avons démontré que CD160 était exprimé par les vaisseaux sanguins présents dans le carcinome du côlon chez l’homme mais pas par les vaisseaux de côlon sain [6]. Les observations que CD160 est exprimé par une sous-population de cellules NK (natural killer) de type cytotoxique [8], et que l’engagement spécifique de CD160 sur ces cellules par l’Acm CL1-R2 activait leurs fonctions effectrices (cytotoxicité, sécrétion de cytokines pro-inflammatoires) [8, 9], suggèrent qu’une thérapie anticancéreuse par l’Acm CL1-R2 pourrait également stimuler l’immunité innée antitumorale.
De nombreuses étapes restent à franchir avant une utilisation de cette nouvelle thérapie antitumorale chez l’homme parmi lesquelles : la définition des meilleures voies d’injection, la durée du traitement, l’évaluation de sa toxicité et des risques d’exposition systémique ainsi que la sélection des meilleures formes de l’Acm, entier ou fragmenté, et comportant le minimum de risques d’immunogénicité (anticorps chimérisés ou humanisés) [10].
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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