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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 6-7, Juin-Juillet 2024
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Page(s) | 489 - 491 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024063 | |
Published online | 08 July 2024 |
TIM1, un récepteur de la phosphatidylsérine essentiel pour l’infection par le virus de l’hépatite E
TIM1: a key to hepatitis E virus infection
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Laboratory of Liver Infectious Diseases, Department of Diagnostic Sciences, Faculty of Medicine and Health Sciences, Ghent University, Gant, Belgique
2
Université de Lille, CNRS UMR9017, Inserm U1019, CHU Lille, Institut Pasteur de Lille, Centre d’infection et d’immunité de Lille, Lille, France
Le virus de l’hépatite E (HEV) est actuellement la première cause d’hépatite aiguë dans le monde. Il appartient à la famille des Hepeviridae et comporte huit génotypes, qui diffèrent par leur voie de transmission, leur distribution géographique et leur pathogénicité. C’est un virus à ARN simple brin de polarité positive, dont le génome de 7,2 kb est traduit en trois ou quatre cadres ouverts de lecture (open reading frame, ORF) selon le génotype [1]. L’ORF1 code la réplicase virale. L’ORF2 et l’ORF3 sont traduits à partir d’un ARN sous-génomique, et codent, respectivement, la capside virale et une petite protéine impliquée dans la sécrétion des particules virales [2]. L’ORF4, produit par le génotype 1, module la réplication virale. HEV est un virus « quasi-enveloppé » qui circule sous deux formes : une forme non enveloppée (neHEV), qui est excrétée dans les matières fécales, et une forme enveloppée de lipides cellulaires (eHEV) (Figure 1), qui est libérée dans le sang des individus infectés [3].
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Figure 1. Entrée des particules non enveloppées (neHEV) et enveloppées (eHEV) du virus de l’hépatite E (HEV) dans la cellule hôte. L’entrée des virions neHEV dépend d’un récepteur non encore identifié. L’entrée des virions eHEV dépend de la protéine TIM1 (wild-type, TIM1-WT) présente à la surface cellulaire et de la phosphatidylsérine présente dans l’enveloppe virale. L’extinction de TIM1 par invalidation du gène (knockout, TIM1-KO) inhibe l’entrée des virions eHEV. Le blocage de TIM1 avec des anticorps anti-TIM1 ou l’incubation des virions eHEV avec l’annexine V, qui se lie à la phosphatidylsérine, inhibe l’infection par ces virions. L’expression ectopique de la protéine TIM1 mutée dans le site de liaison à la phosphatidylsérine (TIM1-Mutant) inhibe également l’infection. |
De nombreuses étapes du cycle infectieux du HEV sont encore incomprises, notamment le processus d’entrée des virions dans les cellules hôtes, qui diffère vraisemblablement entre neHEV et eHEV (Figure 1). Plusieurs facteurs cellulaires de liaison ont été décrits pour les virions neHEV, bien que la preuve de l’existence d’un véritable récepteur manque encore, et on en sait encore moins sur l’entrée des virions eHEV. Comprendre les processus d’entrée de ce virus dans la cellule hôte offrirait la possibilité de développer des médicaments spécifiques, actuellement inexistants, contre ce virus.
L’enveloppement du HEV est assez semblable à celui du virus de l’hépatite A, pourtant phylogénétiquement distinct. Ces deux virus ont des caractéristiques communes avec les exosomes, un type de vésicules extracellulaires produites dans les corps multivésiculaires. Parmi les marqueurs des exosomes, on trouve les tétraspanines, les EpCAM (epithelial cell adhesion molecules), et des phospholipides tels que la phosphatidylsérine [4]. Ce phospholipide chargé négativement est un marqueur de l’apoptose. En effet, lors de la mort cellulaire, la phosphatidylsérine, normalement confinée du côté cytosolique de la membrane plasmique, est exposée à la surface cellulaire et se lie aux récepteurs de la phosphatidylsérine présents sur les cellules adjacentes, induisant ainsi la phagocytose. Plusieurs virus exploitent ce processus en mimant les débris apoptotiques, notamment à travers l’exposition de la phosphatidylsérine à la surface de leur membrane virale : ce processus est appelé mimétisme apoptotique viral [5].
Dans notre étude [6], nous avons émis l’hypothèse qu’une liaison pourrait avoir lieu entre la phosphatidylsérine présente dans l’enveloppe des virions eHEV et un récepteur de la phosphatidylsérine, nommé T-cell immunoglobulin and mucin domain protein 1 (TIM1) ou hepatitis A virus cellular receptor 1 (HAVCR1). Pour pouvoir distinguer l’implication éventuelle de ce récepteur dans l’infection par les eHEV d’un possible rôle dans l’infection par les neHEV, différentes expériences ont été réalisées en utilisant, soit le surnageant de cellules infectées, qui contient les virions eHEV, soit le lysat cellulaire, qui contient les virions neHEV [2, 4].
Nous avons d’abord montré que l’extinction de la protéine TIM1 par la technique CRISPR-Cas9 dans des cellules permissives à HEV, ou son inactivation par des anticorps polyclonaux anti-TIM1, réduisait l’infection par les particules eHEV, alors que l’infection par les particules neHEV était inchangée [6]. Des expériences d’infection ont également été réalisées dans des cellules qui n’expriment pas naturellement TIM1, telles que les cellules HEK293T (human embryonic kidney 293T cells). Ces cellules étaient moins susceptibles à l’infection par les particules eHEV (Figure 1). À l’inverse, la complémentation par TIM1 des cellules qui en sont dépourvues permettait de les rendre permissives. Ces résultats montraient ainsi que la protéine TIM1 joue un rôle dans l’infection par les particules eHEV, mais pas par les particules neHEV.
Étant donné que TIM1 est un facteur d’attachement ou d’entrée pour différents virus, nous avons cherché à caractériser son implication dans le processus d’entrée de HEV. Dans les premières expériences, le virus avait la possibilité de s’attacher aux cellules de type « sauvage » et aux cellules génétiquement dépourvues de TIM1, sans possibilité d’internalisation virale. Étonnamment, aucune différence dans l’attachement des virions eHEV n’a été observée entre ces deux types de cellules. Dans les expériences suivantes, l’internalisation virale a été rendue possible, et dans ce cas, un moins grand nombre de virions eHEV étaient internalisés dans les cellules dépourvues de TIM1, tandis que l’internalisation des virions neHEV était inchangée par l’absence de TIM1. Ensuite, pour déterminer si la phosphatidylsérine est impliquée dans l’entrée du virus, nous avons incubé les virions eHEV avec de l’annexine V, une molécule qui se lie à la phosphatidylsérine. Nous avons alors constaté une inhibition de l’infection, dépendante de la dose d’annexine V. De plus, les sites de liaison à la phosphatidylsérine dans le domaine extracellulaire de TIM1 étant bien caractérisés [7, 8], nous avons généré des lignées cellulaires porteuses d’une mutation dans ces sites de liaison. Dans ces lignées, l’infection par les virions eHEV était également très réduite (Figure 1). La phosphatidylsérine présente dans l’enveloppe des virions eHEV est donc impliquée dans l’entrée de ces virions dans la cellule hôte.
Les résultats de ces expériences montrent que TIM1 joue un rôle dans l’entrée des virions eHEV dans la cellule hôte, et que ce processus implique la phosphatidylsérine présente dans l’enveloppe virale. Le mécanisme d’acquisition de la phosphatidylsérine dans l’enveloppe des virus est mal connu. L’acquisition par bourgeonnement à partir de membranes cellulaires riches en phosphatidylsérine est l’un des mécanismes possibles [5]. Les virions HEV étant sécrétés sous forme de vésicules membranaires semblables aux exosomes, leur membrane pourrait dériver des corps multivésiculaires. Pour divers virus, l’interaction entre la phosphatidylsérine et ses récepteurs cellulaires, tels que TIM1, a été décrite. TIM1 opère le plus souvent comme un facteur d’attachement, mais pour quelques virus, tels que le virus Ebola et le virus de la dengue, TIM1 joue un rôle actif lors de l’internalisation virale. Pour l’internalisation du virus Ebola, TIM1 interagit à la fois avec la phosphatidylsérine et la glycoprotéine virale (en plus de l’interaction entre la glycoprotéine et les récepteurs de type lectine C) [9]. Lors de l’internalisation du virus de la dengue, TIM1 est co-internalisé avec les virions, et ce processus implique l’ubiquitination de la queue cytoplasmique de la molécule [10]. Les résultats de nos expériences suggèrent que TIM1 n’est pas un facteur d’attachement des virions eHEV à la membrane plasmique, mais jouerait plutôt un rôle dans leur internalisation. TIM1 serait impliqué de la même manière dans le cycle infectieux du virus de l’hépatite A [11].
Des analyses complémentaires sont maintenant nécessaires pour comprendre le mécanisme exact de l’implication de TIM1 dans le processus d’internalisation virale. Le rôle des récepteurs de la phosphatidylsérine dans ce processus est mal connu. Suffisent-ils à déclencher l’internalisation, ou dépend-elle d’une action concertée avec d’autres molécules ? L’entrée des virions eHEV dans la cellule hôte pourrait dépendre du trafic des endosomes, notamment du trafic entre les endosomes précoces et tardifs, et la « délipidation » des particules virales pourrait se faire par fusion ou dégradation dans les lysosomes. Il a d’ailleurs été montré que TIM1 peut également circuler entre les endosomes précoces, tardifs et les lysosomes. Enfin, il convient de rappeler que dans nos expériences, des niveaux d’infection faibles persistaient après extinction de la synthèse de TIM1 dans les cellules hôtes ou après sa neutralisation par des anticorps, ce qui indique que TIM1 n’est probablement pas le seul facteur impliqué dans l’internalisation des virions eHEV. D’autres récepteurs de la phosphatidylsérine ou d’autres facteurs d’entrée pourraient également être impliqués.
La pertinence de l’implication de TIM1 dans l’infection par le HEV in vivo reste à déterminer. Étonnamment, bien que les hépatocytes soient le site principal de la réplication virale, leur niveau d’expression de TIM1 est faible. Néanmoins, il a été montré que l’expression de TIM1 dans les cellules rénales peut augmenter en cas de lésion du rein, favorisant la transformation des cellules épithéliales tubulaires en cellules phagocytaires capables de reconnaître les cellules apoptotiques associées à la phosphatidylsérine nécessaires à la résolution de l’inflammation. À notre connaissance, un tel effet n’a pas encore été décrit dans le contexte d’une infection virale. Néanmoins, nous émettons l’hypothèse qu’un virus pourrait augmenter l’expression de TIM1 à la surface de cellules cibles afin de favoriser son internalisation et sa propagation. HEV étant non seulement à l’origine de manifestations hépatiques, mais aussi de manifestations extra-hépatiques, en particulier des complications rénales et neurologiques, les facteurs impliqués dans sa propagation ne sont probablement pas spécifiques des hépatocytes mais plutôt ubiquitaires. Les particules eHEV, qui sont les formes circulantes majoritaires chez le patient infecté, pourraient ainsi moduler et utiliser TIM1 pour leur propagation.
Des approches thérapeutiques ciblant TIM1 et la phosphatidylsérine ont déjà été explorées. En effet, un peptide dérivé de la protéine CPXV012 du virus cowpox (responsable de la « variole de la vache ») présente une activité antivirale envers plusieurs virus par encombrement stérique en interagissant avec la phosphatidylsérine ou en perturbant la membrane virale. De plus, une forme soluble de TIM1 bloque l’infection par le virus Zika, et des anticorps monoclonaux ciblant la phosphatidylsérine ont des effets antiviraux chez des cobayes infectés par le virus Pichinde [12]. Ces données suggèrent que l’implication de TIM1 et de la phosphatidylsérine dans l’infection par HEV pourrait être mise à profit pour produire des médicaments contre l’hépatite E.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Figure 1. Entrée des particules non enveloppées (neHEV) et enveloppées (eHEV) du virus de l’hépatite E (HEV) dans la cellule hôte. L’entrée des virions neHEV dépend d’un récepteur non encore identifié. L’entrée des virions eHEV dépend de la protéine TIM1 (wild-type, TIM1-WT) présente à la surface cellulaire et de la phosphatidylsérine présente dans l’enveloppe virale. L’extinction de TIM1 par invalidation du gène (knockout, TIM1-KO) inhibe l’entrée des virions eHEV. Le blocage de TIM1 avec des anticorps anti-TIM1 ou l’incubation des virions eHEV avec l’annexine V, qui se lie à la phosphatidylsérine, inhibe l’infection par ces virions. L’expression ectopique de la protéine TIM1 mutée dans le site de liaison à la phosphatidylsérine (TIM1-Mutant) inhibe également l’infection. |
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