Numéro |
Med Sci (Paris)
Volume 21, Décembre 2005
Métabolisme glucidolipidique et risque cardiovasculaire: Nouvelle approches
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Page(s) | 33 - 36 | |
Section | M/S revues | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/20052111s33 | |
Publié en ligne | 15 novembre 2005 |
Place de la maladie de Fabry dans les cardiomyopathies hypertrophiques
Fabry disease and hypertrophic cardiomyopathy
Service de cardiologie, Hôpital Européen Georges Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015, Paris, France
La maladie de Fabry est une des causes souvent méconnue d’hypertrophie du ventricule gauche chez les hommes atteints de cardiomyopathie hypertrophique à début tardif. Une revue des études faites dans la littérature pour rechercher la prévalence de la maladie de Fabry chez les sujets atteints de cardiomyopathie est présentée. Les femmes hétérozygotes peuvent aussi présenter une hypertrophie myocardique à début Tardif.
Abstract
Fabry disease has been recognized as a cause of left ventricular hypertrophy in men with late-onset hypertrophic cardiomyopathy. A review of the literature is made to establish the prevalence of Fabry disease in subjects with hypertrophic cardiomyopathy. Although Fabry disease is considered as a recessive X-linked disorder, affected women are reported.
© 2005 médecine/sciences - Inserm / SRMS
Le problème épidémiologique
La cardiomyopathie hypertrophique (CMH) est une maladie fréquente en milieu cardiologique [1] : c’est la maladie cardiaque monogénique (gènes morbides codant pour des protéines du sarcomère cardiaque) la plus fréquente (1/500 dans la population générale) et redoutée car étant la première cause de mort subite d’origine cardiaque chez l’enfant, l’adolescent et l’athlète. Cette fréquence élevée est à rapporter aux prévalences très faibles (1/1 000-1/5 000) des autres maladies héréditaires bien connues des cardiologues, comme le syndrome du QT long congénital ou la maladie de Marfan par exemple. On conçoit que dans ce contexte la maladie de Fabry (1/40 000 naissances masculines), bien que donnant fréquemment des atteintes cardiaques, parfois isolées (le fameux «variant» cardiaque), soit en grande partie méconnue du cardiologue de ville [2]. Ainsi, en France (60 000 000 d’habitants), on peut estimer les populations de sujets atteints de CMH à 120 000 et de maladie de Fabry aux alentours de 600 cas hommes et femmes confondus.
Principales différences entre CMH et maladie de Fabry (chez l’adolescent ou l’adulte).
Marqueurs de CMH (autres que HVG).
Un problème de définition
Cet écueil diagnostique (fréquence élevée des CMH par rapport à la maladie de Fabry) est accentué par la définition de la CMH proposée par l’Organisation Mondiale de la Santé : un diagnostic d’élimination, devant être évoqué devant une hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) sans cause reconnue (valvulopathie, hypertension artérielle, maladie de surcharge…), fondé essentiellement sur l’augmentation de l’épaisseur pariétale du ventricule gauche (VG) en échographie bidimensionnelle (écho-2D), excédant 15 mm dans les formes sporadiques ou 13 mm dans les formes familiales. D’autres éléments en faveur du diagnostic sont soulignés, comme le caractère préférentiellement (mais pas toujours) asymétrique de l’HVG, sans dilatation du VG [1].
La maladie est héréditaire, par transmission autosomique dominante, due à une mutation sur l’un des gènes (10 connus à ce jour) codant pour des protéines sarcomériques, source de désorganisation myofibrillaire, d’arythmies ventriculaires et de mort subite. Cependant, la maladie n’est familiale que dans 60 % des cas. Le diagnostic génétique n’est pas encore passé en routine, rendu difficile par la multiplicité des gènes et des mutations en cause (et par le fait qu’aucun des gènes morbides identifiés n’est en cause dans près de 40 % des cas) [1, 3].
Ainsi, les « variants cardiaques » de la maladie de Fabry, orientés d’emblée vers une consultation cardiologique, peuvent, au moins en théorie, se voir attribuer le diagnostic de CMH, par méconnaissance de la maladie dans le milieu cardiologique et empêchant d’évoquer systématiquement une maladie de surcharge.
Un problème pronostique
Même si les causes de décès dans la CMH (mort subite, insuffisance cardiaque, accident vasculaire cérébral) sont aussi des causes fréquentes de décès dans la maladie de Fabry, il faut souligner que leurs fréquences sont rares dans la CMH (0,5-1 % par an pour chacune d’entre elles dans des populations non sélectionnées), au contraire de la maladie de Fabry. Les patients à risque de mort subite, si redouté, ne représentent que moins de 5 % de l’ensemble de la population des CMH et, globalement, la survie à long terme pour la majorité des patients n’est pas très différente de celle de la population générale, du moins pour les formes autosomiques dominantes. Ainsi, pour une présentation initiale qui peut être similaire, les pronostics de ces maladies sont très différents : le plus souvent favorables dans la CMH, cause majeure de décès avec une réduction de l’espérance de vie de 15 à 20 ans dans la maladie de Fabry [1, 2, 4].
Un problème diagnostique
Lorsque l’HVG s’associe à un syndrome clinique plus ou moins évident (Noonan, Costello, Friedreich, Fabry, myopathie mitochondriale…), le diagnostic différentiel entre CMH primitive (d’origine sarcomérique) et CMH d’autre origine (surcharge, métabolique…) est souvent discuté. Ces étiologies sont souvent évoquées en milieu pédiatrique mais plus rarement chez l’adulte (chez lequel, hors la CMH, l’amylose ou l’hémochromatose dominent).
L’atteinte cardiaque de la maladie de Fabry est très fréquente, non spécifique (HVG chez plus de 70 % des cas après l’âge de 30 ans, fuite mitrale, blocs de branche ou auriculo-ventriculaire, PR court, coronaropathie, insuffisance cardiaque…). Elle peut être isolée avec HVG progressive et sévère chez les hommes hémizygotes comme chez les femmes hétérozygotes [4, 5].
Le réel problème en milieu cardiologique adulte est le diagnostic d’une HVG sans cause identifiée se présentant comme une maladie cardiaque isolée ou largement prédominante. Aussi bien les signes cliniques (dyspnée, angor, lipothymies, palpitations…), que les anomalies ECG (HVG électrique, troubles de conduction), que les signes échocardiographiques ou les anomalies de fixation du gadolinium en IRM ne sont spécifiques de l’une ou l’autre maladie. Il faut cependant souligner que si l’HVG de la CMH est le plus souvent asymétrique, l’HVG de la maladie de Fabry (comme d’ailleurs celles des autres maladies de surcharge) est le plus souvent homogène et symétrique, et rarement (<10 % des cas) asymétrique [6].
La recherche systématique d’une maladie de Fabry dans des populations de patients étiquetés CMH, puisque porteurs d’une HVG sans cause (re)connue, a fait principalement l’objet de cinq études dans la littérature.
Dans une population masculine de 1 603 sujets investigués par échocardiographie [7], une HVG inexpliquée (> 13 mm) est retrouvée dans 230 cas dont 7 (3 %, âge: 55-72 ans) avec déficit en α-galactosidase. Dans tous ces cas, l’HVG est concentrique, modérée (13-20 mm), sans obstruction sous-aortique (habituellement retrouvée dans plus de un tiers des cas de CMH), ni signes évocateurs de maladie de Fabry (angiokératomes, acroparesthésies, hypohidrose). Un patient est hypertendu, un autre a une albuminurie, et deux autres des antécédents d’accident vasculaire cérébral (AVC).
Dans une population masculine de 153 patients « étiquetés » CMH (8), 5 (6,3 %) des 79 patients chez lesquels le diagnostic a été porté après l’age de 40 ans (contre 1 seul –1,4 %– des 74 patients chez lesquels le diagnostic a été porté avant 40 ans) ont une activité α-galactosidase circulante abaissée; le diagnostic de maladie de Fabry est confirmé par la génétique dans les six cas. Tous ont des symptômes cardiaques et pas d’antécédent familiaux de maladie de Fabry. Un seul a des angiokératomes et des acroparesthésies à l’interrogatoire rétrospectif. Ici encore, l’HVG est le plus souvent concentrique (5 cas sur 6), et l’obstruction sous-aortique rare (1/6). L’ECG est anormal dans tous les cas et deux patients ont également des troubles du rythme ventriculaire.
Dans une population féminine de 34 patientes (50 ± 14 ans, 28 de plus de 40 ans) avec un diagnostic de CMH [9], représentant 7 % d’une population de 475 patientes avec HVG échographique, des explorations extensives (biopsies biventriculaires, activité α-galactosidase sanguine…) amènent à la découverte de quatre cas de maladie de Fabry (12 % du total, âge: 51 ±4 ans, > 40 ans au moment du diagnostic). L’atteinte cardiaque est isolée, avec HVG concentrique (2 cas), asymétrique (1 cas), ou apicale (1 cas). L’activité enzymatique atteint 44 ± 14 % de celle des témoins (mais elle est normale dans un cas) avec confirmation génétique dans tous les cas. Le dépistage familial est positif dans trois cas. Cette même étude rapporte une fréquence de 3,3 % (2/62 cas) dans une population masculine équivalente.
En revanche, une étude de la Mayo Clinic [10] ne retrouve aucun cas de maladie de Fabry dans une population de 100 patients consécutifs (44 hommes) opérés (à 51±16 ans) pour CMH obstructive (diagnostiquée à 45 ± 17 ans) et pour lesquels la pièce de myectomie avait été systématiquement analysée. Il est vrai qu’il s’agit d’une population hautement sélectionnée puisque arrivant à la chirurgie : patients tous (très) obstructifs, très symptomatiques, avec HVG asymétrique…
De même, aucun cas de maladie de maladie de Fabry n’est retrouvé dans une étude génétique [11] portant sur trois groupes de patients, 75 patients non apparentés avec CMH (40 d’origine sarcomérique, 2 maladie de Danon, 1 avec mutation PRKAG2), 26 avec pré-excitation à l’ECG (4 mutations LAMP2, 7 mutations PRKAG2) et 20 CMH avec HVG >30 mm sans pré-excitation (toutes d’origine sarcomérique).
Ainsi, il apparaît raisonnable de distinguer, dans ce contexte, les éléments suivants en faveur du diagnostic de maladie de Fabry : âge >40 ans au moment du diagnostic, HVG homogène, symétrique, modérée (<30mm), sans obstruction sous-aortique ; arbre généalogique évocateur (transmission liée à l’X) ; antécédent d’AVC ; présence d’une protéinurie. Il convient de rechercher systématiquement la présence d’angiokératomes, d’acroparesthésies ou d’hypohidrose et une cornée verticillée (cependant parfois difficile à différencier des atteintes dues à l’amiodarone, fréquemment prescrite en cas de CMH).
Un problème thérapeutique
La CMH n’a pas, pour l’instant, de traitement spécifique. β-bloquants ou verapamil sont prescrits pour diminuer l’intensité des symptômes, et le défibrillateur cardiaque implantable est indiqué en cas de risque élevé de mort subite. Aucun des traitements médicaux n’a d’influence connue sur le degré d’HVG ou le pronostic à long terme. Ainsi, chez les patients asymptomatiques, sans facteurs de risque de mort subite, on peut s’abstenir de tout traitement.
Inversement, la détection précoce de l’atteinte cardiaque du Fabry est capitale, corrélée à l’impact bénéfique de la thérapeutique enzymatique. En effet, le dysfonctionnement myocytaire et endothélial débute dès le stade pré-clinique et peut entraîner instabilité électrique et complications thromboemboliques. Si ECG, écho-2D et IRM peuvent difficilement identifier cette phase pré-clinique, une étude récente a souligné l’intérêt de la mesure des vélocités à l’anneau mitral par Doppler tissulaire ; leur amortissement pourrait aider a dépister l’atteinte cardiaque avant l’apparition d’une HVG manifeste [12]. Des résultats parfaitement similaires ont été obtenus avec les CMH d’origine sarcomérique [13] ou la cardiomyopathie de la maladie de Friedreich.
Que l’HVG soit installée ou pas, l’enzymothérapie substitutive semble efficace sur les anomalies de structure et de fonction ventriculaires. Dans une étude prospective [14] portant sur 9 patients avec maladie de Fabry, l’algasidase β, administrée à la dose de 1 mg/kg toutes les 2 semaines, entraîne au douzième mois une diminution significative (p<0,01) des valeurs moyennes de l’épaisseur septale, de la masse ventriculaire gauche indexée et une amélioration parallèle des indices Doppler de remplissage ventriculaire gauche (p<0,01). Dans une autre étude [15] sur 16 patients, l’agalsidase β entraîne une diminution significative de l’HVG à 12 mois, en échographie (épaisseur pariétale VG passant de 13,8 ± 0,6 à 11,8 ± 0,6 mm) comme en IRM (masse VG passant de 210±18 à 180±21 g) (−14 %, p<0,05) avec une amélioration parallèle (p<0,05) des indices les plus fiables de fonction systolique VG (strain et strain rate en Doppler tissulaire).
Conclusion
Avant de porter chez l’adulte un diagnostic de CMH (dite primitive, d’origine sarcomérique) devant une HVG d’étiologie indéterminée, il faut évoquer systématiquement une maladie de surcharge, surtout en cas d’HVG homogène non obstructive, avec, par argument de fréquences, l’amylose (bien que donnant plus souvent un microvoltage électrique et des signes de restriction), l’hémochromatose, et la maladie de Fabry. Certains éléments peuvent aider (arbre généalogique, protéinurie, signes cliniques frustres ou méconnus). La distinction n’est pas seulement académique, puisque, au contraire de la CMH, l’atteinte cardiaque de la maladie de Fabry peut bénéficier d’un traitement étiologique spécifique.
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