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Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 5, Mai 2025
Enjeux et objectifs de la psychiatrie de précision
Page(s) 407 - 408
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025073
Published online 26 May 2025

Ma première rencontre avec la psychiatrie de précision date de 2017. Je présentais les derniers développements de ma recherche sur la relation entre l’inflammation et la dépression au congrès de l’Encéphale qui se tenait au Palais des Congrès à Paris [1]. À la fin de ma conférence, le professeur Marc Bourgeois que j’avais bien connu lorsqu’il dirigeait l’Institut psychiatrique du sud- ouest à Bordeaux m’a posé la question suivante : « alors, si j’ai bien compris, il suffit de faire une prise de sang pour savoir si la dépression est d’origine inflammatoire et si, en conséquence, il suffit de traiter l’inflammation ? ». La question était simple, mais elle résumait parfaitement l’objectif de la psychiatrie de précision et, de manière plus générale, celui de la médecine de précision : identifier parmi les patients ayant une pathologie donnée ceux qui diffèrent des autres et peuvent bénéficier d’un traitement mieux adapté à leur cas.

La médecine de précision aspire à administrer au malade le traitement qui est le plus approprié à son cas, au moment où il en a le plus besoin. Cette définition, formulée ainsi, n’a rien d’original dans la mesure où tout médecin qui se respecte aspire à traiter ses patients de cette façon. La différence vient du fait que, pour ce faire, le médecin va utiliser les moyens les plus perfectionnés dont il dispose pour aller au-delà des symptômes et caractériser, avec la plus grande précision possible, ce dont son patient souffre exactement pour choisir, dans la gamme des moyens dont il dispose, le médicament le plus adapté et le moins générateur d’effets secondaires. Dans le langage médical, le médecin ou plutôt l’équipe médicale, car le médecin ne suffit plus, bâtit son diagnostic sur la base de biomarqueurs déjà validés, et ajuste le traitement en fonction des informations qu’apporte la combinaison des biomarqueurs dont il dispose, ce qui lui permettra de suivre au plus près l’évolution de la maladie et, le cas échéant, l’apparition de résistances au traitement.

J’écris cet éditorial assis dans mon bureau au Centre anti-cancéreux MD Anderson à Houston. C’est le plus grand centre anti-cancéreux des États-Unis et il revendique volontiers être le plus grand au monde. Ici, je vois la médecine de précision à l’œuvre au quotidien [2]. Le cas typique est le malade qui présente une tumeur résistante aux traitement anti-cancéreux classiques, la chimiothérapie et la radiothérapie. Un patient qui se présente, par exemple, avec un cancer anaplastique de la thyroïde déjà diagnostiqué fait l’objet d’une biopsie qui est envoyée non seulement en anatomo-pathologie mais aussi au service de génomique. La carte génétique de la tumeur est comparée aux données déjà existantes sur ce que l’on sait des gènes mutés dans le cancer, de façon à distinguer les gènes susceptibles d’être les drivers, responsables de la prolifération cellulaire, des gènes passengers, qui sont simplement associés. Une fois les drivers identifiés, il est possible de sélectionner à partir d’une autre banque de données les thérapies, dites ciblées, qui permettent de traiter la tumeur de façon optimale. Il reste ensuite à suivre l’évolution de la tumeur pour savoir si elle répond au traitement, à identifier d’éventuelles résistances au traitement, et à prescrire d’autres médicaments. Cette stratégie permet souvent de prolonger de plusieurs années la vie de ce patient, alors qu’auparavant sa survie ne dépassait pas quelques mois. Vouloir appliquer la médecine de précision à la psychiatrie pose tout de suite la question des marqueurs dont dispose le psychiatre pour diagnostiquer le trouble psychiatrique dont souffre le patient et choisir le traitement le plus approprié. La nosologie des troubles psychiatriques telle qu’elle apparait dans la 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) ne mentionne aucun marqueur biologique pouvant aider dans cette démarche. Ayant été rédacteur en chef du journal scientifique Psychoneuroendocrinology pendant une trentaine d’années, je me souviens de la polémique sur le test d’échappement à la suppression de l’axe hypophyso-corticosurrénalien sous l’effet d’un glucocorticoïde synthétique, la dexaméthasone. Ce test était censé donner son essor à la biologie psychiatrique des années 1970 pour diagnostiquer les états dépressifs [3]. Je me rappelle aussi les rares tentatives de caractériser par des moyens objectifs le ralentissement psychomoteur du patient déprimé, en mesurant le temps mis par le patient pour aller de la salle d’attente à la pièce de consultation, ou en ayant recours aux caractéristiques prosodiques de la parole. Ces moyens avaient été proposés à l’époque par le psychiatre français Daniel Widlöcher [4]. Mais il faut bien reconnaitre que tout cela n’a guère laissé de trace et n’a modifié en rien l’examen clinique du patient psychiatrique.

Cela ne signifie pas pour autant que rien n’a changé et que la psychiatrie de précision est morte née. J’ai participé plus récemment à un séminaire sur la psychiatrie de précision organisé en 2023 par la Fondation FondaMental en Suisse [5]. À partir de l’exemple des troubles dépressifs majeurs associes à l’inflammation, l’objectif était non seulement de faire le point sur ce que l’on sait de la relation entre l’inflammation et la dépression, mais également de définir comment organiser les essais cliniques afin d’évaluer si les thérapies anti-inflammatoires sont véritablement efficaces. Une fois ce pas franchi, il était bien sur nécessaire de se projeter plus en avant, et de discuter comment à la fois faire évoluer les critères de diagnostic et modifier les contraintes règlementaires sur la définition du trouble psychiatrique et les modalités de son traitement.

Il reste encore beaucoup à faire pour avancer en psychiatrie de précision, à commencer par le passage de la nosologie catégorielle, qui est encore pratiquée en clinique et qui dicte le type de traitement, vers une psychiatrie dimensionnelle qui donne enfin leur importance aux dimensions des troubles psychiatriques. Là aussi, l’exemple des symptômes liés à l’inflammation est éclairant. L’inflammation est retrouvée dans la schizophrénie, la dépression, les troubles bipolaires, et les troubles du spectre autistique, avec son expression symptomatique caractéristique représentée par le ralentissement et l’anhédonie. Les articles publiés dans ce numéro spécial de médecine/sciences, illustrent parfaitement les avancées les plus récentes dans ce domaine.

Liens d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Dantzer R, O’Connor JC, Freund GG, et al. From inflammation to sickness and depression: when the immune system subjugates the brain. Nat Rev Neurosci 2008 ; 9 : 46–56. [Google Scholar]
  2. Mateo J, Steuten L, Aftimos P, et al. Delivering precision oncology to patients with cancer. Nat Med 2022 ; 28 : 658–65. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Arana GW, Baldessarini RJ, Ornsteen M. The dexamethasone suppression test for diagnosis and prognosis in psychiatry. Commentary and review. Arch Gen Psychiatry 1985 ; 42 : 1193–204. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Dantchev N, Widlocher DJ. The measurement of retardation in depression. J Clin Psychiatry 1998 ; 59 (suppl 14) : 19–25. [PubMed] [Google Scholar]
  5. Miller AH, Berk M, Bloch G, et al. Advancing precision psychiatry and targeted treatments: Insights from immunopsychiatry. Brain Behav Immun 2025 ; 125 : 319–29. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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