Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 3, Mars 2025
Page(s) 219 - 222
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025028
Published online 21 March 2025

Le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est responsable du syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA), qui se caractérise par un effondrement des défenses immunitaires de l’hôte. Le VIH infecte les cellules exprimant la glycoprotéine de surface CD4 : lymphocytes T et macrophages. En 2019, il a été estimé qu’environ 40 millions de personnes à travers le monde étaient infectées par le VIH et que 690 000 personnes sont décédées du SIDA [1]. Depuis l’émergence de la pandémie de SIDA, plus de 42 millions de personnes sont mortes des complications de l’infection par le VIH. Ce virus représente donc une charge humaine et financière colossale pour les systèmes de santé à l’échelle internationale. Le VIH appartient à la famille des rétrovirus, et son génome se compose de deux molécules d’ARN. Après sa pénétration dans les cellules immunitaires, le virus va détourner les machineries cellulaires pour réaliser les étapes précoces du cycle infectieux : la synthèse de l’ADN viral par transcription inverse, puis son intégration dans le génome de la cellule hôte. Les étapes tardives du cycle infectieux permettent ensuite la synthèse des différentes protéines constitutives du virus, leur assemblage pour former de nouveaux virions, et enfin le bourgeonnement de ces particules virales permettant la propagation de l’infection à de nouvelles cellules hôtes [2]. L’import du VIH dans le noyau des cellules infectées s’effectue par translocation du virus à travers le pore nucléaire, un supercomplexe protéique chargé de réguler l’import et l’export des cargos moléculaires à destination ou en provenance du noyau [3]. Le pore nucléaire est composé de deux parties : 1) une partie structurale composée de trois anneaux (cytoplasmique, interne, et nucléaire), qui maintient l’architecture fonctionnelle du pore, et 2) une partie dynamique (filaments cytoplasmiques, barrière de perméabilité, et panier nucléaire), qui assure le transport sélectif entre le noyau et le cytoplasme (Figure 1) [4]. La barrière de perméabilité est composée de nucléoporines (Nup), dont un tiers présentent des motifs FG (phénylalanine-glycine). Ces motifs interagissent pour créer une matrice sélective sous la forme de condensats de type gel, situés dans le canal central du pore nucléaire. Ce processus repose sur un mécanisme de séparation de phase liquide-liquide [5]. Toutes les molécules dont la masse moléculaire est supérieure à 40 kDa doivent s’associer à une karyophérine, qui possède des sites de liaison aux motifs FG, pour franchir la barrière de perméabilité et pénétrer dans le compartiment nucléaire [5]. Des avancées techniques majeures en microscopie électronique, et plus particulièrement en cryo-tomographie électronique, ont permis de visualiser des capsides intactes du VIH lors de leur passage à travers les pores nucléaires des lymphocytes T [6]. Une fois dans le noyau, la capside du virus est prise en charge par la protéine CPSF6 (cleavage and polyadenylation specific factor 6), qui contient un peptide FG responsable de l’interaction avec la capside. Cette interaction est essentielle à la formation d’un organite dépourvu de membrane, appelé VIH-1-MLO (VIH-induced membraneless organelle) [7]. Ces condensats nucléaires sont des sites de transcription inverse intense, d’où l’ADN viral est libéré pour rejoindre ses sites d’intégration dans la chromatine active de la cellule hôte [8, 9]. Deux études récentes ont permis d’élucider, grâce à des approches in vitro, le mécanisme moléculaire permettant au VIH de traverser la barrière de perméabilité du pore nucléaire [10, 11].

thumbnail Figure 1

Passage de la capside du virus VIH-1 à travers le pore nucléaire. En haut à gauche : modèle simplifié du pore nucléaire, mettant en évidence les nucléoporines clés (Nup358, Nup98, Nup153) impliquées dans les interactions entre leurs motifs FG et la capside virale. Au centre : représentation d’une partie du noyau montrant des pores nucléaires avant l’engagement et après la translocation de la capside virale. À droite : zoom sur un pore nucléaire, montrant les étapes avant, pendant et après la translocation de la capside virale de génotype « sauvage », tandis qu’une capside mutante CAN57A reste dans le cytoplasme car la mutation empêche son recrutement par les motifs FG des nucléoporines (figure réalisée avec le logiciel BioRender).

L’import nucléaire de la capside : une danse moléculaire avec les domaines FG des nucléoporines

Ces deux études ont permis de construire des modèles simplifiés du pore nucléaire in vitro. En utilisant des particules similaires à la capside, fluorescentes, l’une a mis en évidence l’existence d’interactions faibles mais spécifiques entre la capside du VIH et les nucléoporines, par spectroscopie de fluctuation de fluorescence [10]. Elle a permis de montrer que les nucléoporines contenant des motifs FG (telles que Nup62, Nup58, Pom121, Nup214, Nup42 et Nup98) se lient à la capside du virus, tandis que les nucléoporines dépourvues de motifs FG ne présentent pas cette interaction, ce qui est en accord avec les conclusions d’études précédentes [12]. Elle a également permis de confirmer que les protéines cellulaires CPSF6 et CypA (cyclophiline A) se lient à la capside. L’asparagine en position 57 (N57) de la protéine de capside (CA) est critique pour l’interaction avec le motif FG. En effet, le mutant CAN57A abroge, ou réduit significativement, la formation du complexe capside-nucléoporines [10]. En plus de l’interaction directe de la capside avec les nucléoporines, les résultats de l’autre étude ont montré que l’adressage de la capside au pore nucléaire ne dépend pas des importines, puisqu’il persiste en présence d’un mutant de la protéine G Ran (RanQ69L) qui empêche le chargement d’un cargo sur les importines : importine α3, transportines 1 et 3 (TNPO1, TNPO3). De plus, l’analyse par spectroscopie de fluctuation de fluorescence a révélé que la capside n’interagit pas avec ces importines [11].

La capside du VIH : une « karyophérine » insoupçonnée pour traverser le pore nucléaire

Ces études ont montré que la nucléoporine la plus abondante du pore nucléaire, Nup98, présente sous forme de 48 copies, chacune portant environ 40 motifs FG, apporte la contribution majeure à la formation de la barrière de diffusion [10, 11]. Les deux études ont exploité la capacité de Nup98 à former spontanément des condensats par séparation de phase liquide-liquide, en conservant des propriétés similaires à celles de la barrière de diffusion du pore nucléaire. En effet, on a supposé que la capside virale pouvait se transloquer dans le noyau grâce à certaines karyophérines. En utilisant un modèle simplifié in vitro du pore nucléaire, il a été possible de simuler la translocation de cargos fluorescents tels que des hexamères de capside fusionnés à la protéine mCherry (182 kDa), et de la comparer à la translocation du domaine de liaison de l’importine α à l’importine β, également fusionné à la protéine mCherry (33 kDa).

Les résultats de l’expérience ont montré que ce dernier cargo est exclu des condensats de Nup98, sauf en présence d’importine β. En revanche, les hexamères de capside peuvent traverser les condensats de Nup98 de manière autonome, sans nécessiter l’ajout d’importine β.

Notamment, les capsides virales, d’une taille de 100 x 60 x 40 nm, peuvent pénétrer dans les condensats de Nup98, ce qui reflète une barrière de pénétration médiane d’environ 65 nm. Ajoutons que la capside virale portant la mutation ponctuelle CAN57A, qui abolit la liaison de la protéine de capside aux motifs FG, est incapable de pénétrer dans les condensats de Nup98.

Ces résultats ont été confirmés en utilisant des sphères de capside de diamètre 40 nm formées à partir de capsomères de CA (marquées avec un traceur GFP à un ratio molaire de 1:6, fusionné à l’extrémité C-terminale de CA et orienté vers l’intérieur de la capside). Ces sphères se sont révélées capables de pénétrer les condensats qui simulent la barrière de perméabilité du pore nucléaire.

Par ailleurs, les « particules de type capside » (capsid-like particles, CLP) assemblées à partir de CA, qui ont une forme conique typique et une taille similaire à celle des capsides authentiques du VIH-1 (environ 40 MDa), sont capables de pénétrer dans les condensats. Le coefficient de partage1 de ces particules atteint ou dépasse 750, ce qui est comparable, voire supérieur, à celui des sphères de capsides de diamètre 40 nm. Ces résultats suggèrent que la phase FG, en elle-même, n’impose pratiquement aucune limite de taille pour l’entrée d’espèces analogues aux récepteurs de transport nucléaire.

La combinaison des observations de microscopie électronique et des modèles de phase Nup98 FG suggère que la capside du VIH est une nouvelle karyophérine permettant au virus de s’engager dans la barrière de perméabilité du pore nucléaire et de la traverser grâce à une interaction transitoire avec les nucléoporines, et plus particulièrement avec Nup98. Ce mécanisme moléculaire permet à la capside de progresser dans le canal central du pore nucléaire et d’atteindre l’intérieur du noyau (Figure 1).

Validation physiologique et rôle de CPSF6

Après avoir été découverte grâce à des expériences in vitro, la propriété de karyophérine de la capside du VIH a été vérifiée dans un modèle cellulaire. Vingtcinq minutes après l’injection de sphères de capside de diamètre 40 nm dans le cytoplasme d’un ovocyte de souris, ces sphères sont détectées dans le noyau, ce qui montre leur capacité à franchir le pore nucléaire. En revanche, les sphères de capside avec la mutation CAN57A, qui empêche la liaison aux motifs FG des nucléoporines, ne pénètrent pas dans le noyau cellulaire. L’import nucléaire de la capside ne nécessite pas d’importine et ne dépend pas de la protéine Ran-GTP. Comment un tel transport, qui se fait par l’intermédiaire de multiples liaisons aux motifs FG des nucléoporines, mais apparemment sans apport extérieur d’énergie par le système RanGTPase, est-il possible ? La réponse à cette question pourrait faire intervenir la protéine nucléaire CPSF6 dans le processus. En effet, en plus de son rôle dans la formation des organites VIH-1-MLO, CPSF6 favorise l’extraction des hexamères de capside-mCherry dans un modèle de phase Nup98 FG [11] : elle pourrait donc, par son interaction compétitive avec les motifs FG des nucléoporines, faciliter le relargage de la capside virale dans le noyau.

Perspectives

Environ 1500 monomères de la protéine de capside du VIH s’assemblent en 250 hexamères et 12 pentamères, dont l’organisation minutieuse est indispensable à la fermeture complète de la capside. Une propriété de type karyophérine a récemment été attribuée à la capside, suggérant qu’elle traverse le complexe des pores nucléaires via des interactions directes avec les motifs FG des nucléoporines. Cependant, seul un modèle simplifié a pu mettre en évidence l’orchestration coordonnée de tous les motifs FG, soulignant leur rôle crucial dans le transport du virus vers le noyau.

Après cette découverte, de nombreuses questions restent ouvertes. La structure fine de la capside virale après son passage dans le pore nucléaire demeure inconnue, et pourrait être explorée par cryo-tomographie électronique. De plus, le rôle de la protéine CPSF6, potentiellement impliquée dans la libération de la capside dans le noyau, reste à élucider, d’autant que le virus peut pénétrer dans le noyau de cellules dépourvues de CPSF6. Par ailleurs, on ignore si le virus entre dans le noyau avec une capside intacte ou réarrangée, notamment en l’absence de CPSF6. Cependant, l’interaction entre la capside et CPSF6 semble nécessaire pour assurer une réplication efficace du virus.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Le coefficient de partage désigne le rapport des activités chimiques d’un soluté entre deux phases.

Références

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  2. Deeks SG, Overbaugh J, Philips A, et al. HIV infection. Nat Rev 2015 : 15035. [Google Scholar]
  3. Lim K, Hazawa M, Wong RW. Crafty mimicry grants nuclear pore entry to HIV. Cell Host Microbe 2024 ; 32 : 441–2. [Google Scholar]
  4. Tai L, Yin G, Sun F, et al. Cryo-electron microscopy reveals the structure of the nuclear pore complex. J Mol Biol 2023 ; 435 : 168051. [Google Scholar]
  5. Aramburu IV, Lemke EA. Floppy but not sloppy : Interaction mechanism of FG-nucleoporins and nuclear transport receptors. Semin Cell Dev Biol 2017 ; 68 : 34–41. [Google Scholar]
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  11. Dickson C, Hertel S, Truckwell AJ, et al. The HIV capsid mimics karyopherin engagement of FG-nucleoporins. Nature 2024 ; 626 : 836–42. [Google Scholar]
  12. Buffone C, Martinez-Lopez A, Fricke T, et al. Nup153 unlocks the nuclear pore complex for HIV-1 nuclear translocation in nondividing cells. J Virol 2018 ; 92 : e00648–18. [Google Scholar]

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Liste des figures

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Passage de la capside du virus VIH-1 à travers le pore nucléaire. En haut à gauche : modèle simplifié du pore nucléaire, mettant en évidence les nucléoporines clés (Nup358, Nup98, Nup153) impliquées dans les interactions entre leurs motifs FG et la capside virale. Au centre : représentation d’une partie du noyau montrant des pores nucléaires avant l’engagement et après la translocation de la capside virale. À droite : zoom sur un pore nucléaire, montrant les étapes avant, pendant et après la translocation de la capside virale de génotype « sauvage », tandis qu’une capside mutante CAN57A reste dans le cytoplasme car la mutation empêche son recrutement par les motifs FG des nucléoporines (figure réalisée avec le logiciel BioRender).

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