Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 2, Février 2025
Page(s) 125 - 127
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025005
Published online 03 March 2025

Le cytoplasme des cellules eucaryotes est parcouru par un ensemble de filaments protéiques formant le squelette de ces cellules, ou cytosquelette, indispensable à leur fonctionnement. Parmi ses nombreux rôles, le cytosquelette maintient la forme de la cellule en lui permettant de résister aux forces mécaniques qui s’exercent sur elle, maintient en place les organites intracellulaires, et participe aux processus de signalisation cellulaire [1]. Les microtubules sont, avec les filaments d’actine et les filaments intermédiaires, l’un des trois composants du cytosquelette. Ce sont des tubes creux de 25 nanomètres de diamètre, mais qui peuvent atteindre plusieurs micromètres en longueur. Ils se forment par l’assemblage d’hétérodimères de tubulines α et β qui s’alignent en protofilaments, ces protofilaments interagissant latéralement pour constituer un tube. Les protofilaments ont tous la même orientation, conférant au microtubule une polarité structurale : une extrémité se termine par la tubuline α, l’autre par la tubuline β.

L’une des caractéristiques des microtubules est leur instabilité dynamique : ils s’assemblent et se désassemblent continuellement à leurs extrémités [2]. Cette dynamique suit la polarité structurale des microtubules : l’extrémité se terminant par la tubuline β, ou extrémité « plus » (+), croît plus vite et est plus dynamique que l’extrémité se terminant par la tubuline α, ou extrémité « moins » (–). Dans les cellules animales, l’extrémité « moins » des microtubules est en général ancrée dans un centre nucléateur, le centrosome, alors que l’extrémité « plus » se polymérise librement dans le cytoplasme.

La dynamique des microtubules est liée à leurs fonctions cellulaires. Par exemple, les microtubules forment le fuseau mitotique, qui garantit la ségrégation correcte des chromosomes entre les deux cellules filles lors de la division cellulaire [3]. En prométaphase, le comportement très dynamique des microtubules leur permet d’explorer le cytoplasme à la recherche des chromosomes, qu’ils capturent, puis alignent sur la plaque équatoriale. Lors de l’anaphase, les microtubules se dépolymérisent, tirant l’un et l’autre des chromosomes de chaque paire vers l’un et l’autre pôles du fuseau, assurant ainsi la répartition égalitaire de l’ensemble des chromosomes entre les cellules filles. Ce rôle clé des microtubules dans la division cellulaire en fait des cibles de choix pour les thérapies anti-cancéreuses. Ainsi, le Taxol se lie aux microtubules, dont il inhibe la dynamique, bloquant ainsi la division cellulaire et entraînant, à terme, la mort des cellules traitées. Dans les cellules différenciées, comme les neurones, les microtubules sont majoritairement stables et se dépolymérisent peu. Ils jouent un rôle essentiel dans le maintien de la forme cellulaire et servent de rails pour les moteurs moléculaires permettant le transport d’organites dans le cytoplasme et le long des prolongements cellulaires (axones et dendrites) [4]. La dynamique des microtubules dans les cellules est donc finement régulée [5]. Cette régulation repose sur une famille de protéines « associées aux microtubules » (microtubule-associated proteins, MAP), qui interagissent le long des microtubules ou avec leurs extrémités. Les modifications post-traductionnelles de la tubuline, support d’un « code de la tubuline », constituent un second niveau de contrôle de la dynamique des microtubules. Les microtubules dynamiques sont ainsi enrichis en tubuline tyrosinée (présence d’une tyrosine à l’extrémité C-terminale de la tubuline α, tyrosine pouvant être clivée ou rajoutée grâce à des enzymes spécifiques [5]), alors que ceux qui sont plus stables contiennent de la tubuline acétylée ou détyrosinée. Nous avons découvert un nouveau mécanisme de régulation de la dynamique des microtubules, qui repose sur une propriété enzymatique de la tubuline : sa capacité à lier et à hydrolyser un nucléotide guanylique, le GTP [6]. Les microtubules sont des structures dissipatives, ce qui signifie qu’ils consomment de l’énergie pour maintenir leur état dynamique. Cette énergie provient de l’hydrolyse du GTP, catalysée par la sous-unité β de la tubuline. Dans la suite du texte, nous appellerons tubuline-GTP ou tubuline-GDP un dimère de tubuline dont la sousunité β est associée respectivement au GTP ou au GDP. L’instabilité dynamique des microtubules est liée à leur processus de polymérisation [7]. Le modèle couramment admis propose qu’un microtubule s’assemble par l’incorporation de tubuline-GTP à ses extrémités. Après incorporation, le GTP est hydrolysé en GDP, de sorte que le corps du microtubule est constitué de tubuline-GDP. Cette hydrolyse s’accompagne d’un changement conformationnel de la tubuline qui déstabilise la paroi du microtubule.

L’élongation du microtubule se poursuit tant qu’il possède à son extrémité des dimères de tubuline-GTP n’ayant pas encore subi d’hydrolyse. La perte de cette coiffe protectrice entraîne une « catastrophe », marquant la transition vers une phase de dépolymérisation. Les molécules de tubuline-GDP libérées dans le milieu échangent alors leur GDP contre du GTP, et redeviennent capables de s’incorporer au microtubule.

Dans le processus décrit ci-dessus, seule la tubuline-GTP est active, tandis que la tubuline-GDP est considérée comme inerte et incapable de s’assembler. En utilisant des systèmes biomimétiques où les microtubules sont reconstitués à partir de composants purifiés, nous avons découvert que ce modèle est incomplet, et que la tubuline-GDP participe directement au processus d’assemblage des microtubules et affecte leur comportement dynamique. Dans ces expériences de reconstitution, les microtubules sont polymérisés à partir de tubuline purifiée associée au GTP ou au GDP, et leur comportement dynamique est suivi par vidéomicroscopie en fluorescence excitée par ondes évanescentes, une technique qui permet de visualiser les microtubules individuellement. Ainsi, nous avons montré que la tubuline-GDP peut être directement incorporée dans les microtubules, ce qui leur confère des propriétés remarquables : les microtubules assemblés uniquement à partir de tubuline-GDP sont très stables, ne se dépolymérisent pas, et s’assemblent préférentiellement par leur extrémité « moins » [6] (Figure 1). Nous avons également observé que lorsque la tubuline-GDP est incorporée dans un microtubule dynamique assemblé à partir de tubuline-GTP, elle forme des îlots stables qui stoppent la dépolymérisation et permettent une reprise de la polymérisation, empêchant l’effondrement complet du microtubule [6]. Les microtubules ont donc une capacité intrinsèque de stabilité, indépendante de protéines accessoires.

thumbnail Figure 1

Incorporation directe de la tubuline-GDP dans les microtubules et ses conséquences sur leurs propriétés dynamiques. Les microtubules constitués majoritairement de tubuline-GDP (en gris) issue de l’incorporation de tubuline-GTP (en noir) et de son hydrolyse sont dynamiques. Les microtubules ayant directement incorporé la tubuline-GDP (en vert) sont stables et ne se dépolymérisent pas (figure adaptée de [6]).

Les concentrations relatives de tubuline-GTP et de tubuline-GDP dans les cellules ne sont pas connues. Les résultats de nos expériences in vitro ayant révélé que la tubuline-GDP, même présente en faible quantité par rapport à la tubuline-GTP, peut être efficacement incorporée dans un microtubule en élongation, nous suggérons que des molécules de tubuline-GDP peuvent également être incorporées dans les microtubules cellulaires. De plus, nous avons montré que l’incorporation de tubuline-GDP est favorisée par l’action de certaines MAP, comme les protéines doublecortine et tau [6].

Ces découvertes mettent donc en lumière un nouveau mécanisme de régulation de l’instabilité dynamique des microtubules par l’incorporation directe de tubuline-GDP, non issue de l’hydrolyse du GTP, et dont la conformation dans la paroi du microtubule est probablement différente. Ce mécanisme pourrait avoir été conservé au cours de l’évolution des eucaryotes. Pour comprendre son impact sur les propriétés des microtubules dans les cellules, il est nécessaire, d’une part, de développer une sonde capable de détecter la tubuline-GDP, et d’autre part, de résoudre la structure de ces microtubules à l’échelle atomique afin d’élucider les bases moléculaires de la stabilité conférée par l’incorporation directe de cette forme de tubuline. Par leur stabilité intrinsèque, ces microtubules enrichis en tubuline-GDP pourraient notamment jouer un rôle crucial dans les cellules différenciées, comme les neurones. L’incorporation préférentielle de tubuline-GDP aux extrémités « moins » des microtubules permettrait de stabiliser les extrémités « moins » libres, non ancrées dans un centre nucléateur, qui sont nombreuses dans les cellules différenciées. De plus, les îlots stables de tubuline-GDP incorporée dans la paroi de microtubules dynamiques peuvent éviter la dépolymérisation complète d’un réseau microtubulaire et servir d’amorces pour le réassemblage de ce réseau.

La découverte de ce nouveau mécanisme de stabilisation des microtubules ouvre la voie au développement de composés innovants capables de préserver ou de restaurer les microtubules dont la stabilité est altérée, dans diverses maladies telles que les maladies neurodégénératives, les cardiomyopathies, les ciliopathies, ou le cancer.

Remerciements

La vidéo-microscopie à fluorescence a été réalisée sur la plateforme d’imagerie photonique PIC-GIN de l’Institut des neurosciences de Grenoble (université Grenoble Alpes, Inserm U1216). Les analyses chimiques ont été réalisées sur la plateforme SAM (service d’analyses métaboliques) de l’unité TBMCore (Université de Bordeaux, CNRS UAR 3427, Inserm US005), et les analyses protéomiques, sur la plateforme Edyp-Service du laboratoire Biosanté (U1292 Inserm/CEA/UGA). Ce travail de recherche a bénéficié de financements par le CNRS et l’Inserm (Défi santé numérique 2019), l’Agence nationale de la recherche (ANR 2017-CE11-0026, ANR-10-INBS-08, ANR-17-EURE-0003), la Fondation pour la recherche médicale (FDT202012010621), et le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Desai A, Mitchison TJ. Microtubule polymerization dynamics. Annu Rev Cell Dev Biol 1997 ; 13 : 83–117. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Mitchison TJ, Kirschner M. Dynamic instability of microtubule growth. Nature 1984 ; 312 : 237–42. [NASA ADS] [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Walczak CE, Heald R. Mechanisms of mitotic spindle assembly and function. Int Rev Cytol 2008 ; 265 : 111–58. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Akhmanova A, Kapitein LC. Mechanisms of microtubule organization in differentiated animal cells. Nat Rev Mol Cell Biol 2022 ; 23 : 541–58. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Janke C, Magiera MM. The tubulin code and its role in controlling microtubule properties and functions. Nat Rev Mol Cell Biol 2020 ; 21 : 307–26. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Bagdadi N, Wu J, Delaroche J, et al. Stable GDP-tubulin islands rescue dynamic microtubules. J Cell Biol 2024 ; 223 : e202307074. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Brouhard GJ, Rice LM. Microtubule dynamics: an interplay of biochemistry and mechanics. Nat Rev Mol Cell Biol 2018 ; 19 : 451–63. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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Liste des figures

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Incorporation directe de la tubuline-GDP dans les microtubules et ses conséquences sur leurs propriétés dynamiques. Les microtubules constitués majoritairement de tubuline-GDP (en gris) issue de l’incorporation de tubuline-GTP (en noir) et de son hydrolyse sont dynamiques. Les microtubules ayant directement incorporé la tubuline-GDP (en vert) sont stables et ne se dépolymérisent pas (figure adaptée de [6]).

Dans le texte

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